ELSA en Nouvelle Calédonie
(tiré des Actes de Lecture n°70, juin 2000, p.26)

 

J’ai commencé à travailler sur ELSA avec quelques classes composées de trois types d’élèves.

Certains élèves, bien qu’ils aient été scolarisés en primaire, nous arrivent en sachant à peine déchiffrer ou en étant incapables de donner du sens à une phrase en français. Ils sont vaguement francophones (le français étant sensé être la langue véhiculaire de la Nouvelle Calédonie) et parlent tout aussi vaguement leur langue locale d’origine austronésienne. Leurs repères spatio-temporels sont à des années lumières des nôtres et ils sont incapables de conceptualiser quoi que ce soit. Lorsqu’ils ont quelque chose à dire, ils utilisent ce qui est pour nous des onomatopées, voire une gestuelle, que je commence seulement à décoder. Ils vivent dans des tribus très isolées dans la montagne ou dans des îles. Ils peuvent rester des heures à la bibliothèque à regarder des images sans la moindre agitation et sans bavardage ! Cela me change d’Argenteuil ! Leurs tests d’évaluation sont pour la plupart catastrophiques.

Une autre partie des élèves est calédonienne : leurs parents sont nés sur le territoire, ils peuvent avoir des stations d’élevage, travailler à la mine, être fonctionnaires ou commerçants. Ils maîtrisent de façons diverses la langue française. Certains ont un niveau correspondant aux petits français de la métropole, d’autres préfèrent la vie au grand air (pêche, chasse, plongée, équitation...) à la lecture et ont des parents souvent eux-mêmes " a-culturés ". (*)

Et puis, il y a les " métro " de passage à Koumac, progéniture de tous les fonctionnaires de passage : médecins, militaire, profs... souvent arrogants et imbus de leur science.

Résultat : des classes monstrueusement hétérogènes (l’évaluation d’entrée en 6ème l’atteste), difficiles à gérer au quotidien. Et pour couronner le tout, une ALP (antenne du lycée professionnel) et une SEGPA (ancienne SES) sont rattachées au collège.

Le chef d’établissement m’a chargée d’organiser un stage d’établissement. Ayant travaillé avec ELMO 1-2-3 pendant plus de dix ans et ELSA depuis quelques années, je pense que j’ai réussi assez bien à dégager les objectifs pédagogiques et l’intérêt d’un tel entraînement. Les collègues ont été étonnés de la complexité du logiciel et de ses objectifs ambitieux.

Quand il a fallu passer à la pratique, beaucoup de problèmes matériels et pédagogiques se sont posés. D’une part, problème très pratique, en ce moment la chaleur est étouffante et l’hygrométrie très élevée si bien que les disquettes s’abîment très vite (il paraît que des petits champignons s’installent sur les disquettes et qu’elles deviennent vite inutilisables... Un cédérom serait peut-être plus approprié...). D’autre part, d’après ce que j’ai compris (je suis arrivée en Nouvelle Calédonie en février et ai été chargée de mettre en œuvre le projet, non de le concevoir) l’intention de l’équipe pédagogique était de proposer l’entraînement aussi bien à des élèves de 6ème en difficulté qu’à des élèves de 3ème ALP qui suivent une formation professionnelle et ont près de 20 ans ! Si ces élèves ne maîtrisent pas mieux la lecture que certains 6ème, il est évident que les textes proposés par ELSA conviennent assez peu à leurs préoccupations.

Bien évidemment, je ne suis que depuis 2 mois en Nouvelle Calédonie et mon analyse des problèmes est encore superficielle et l’expérience d’ELSA commence à peine.

Marie Véronique GARLAND

(*) Quelques extraits de L’échec scolaire calédonien (Hamid Mokadem, L’Harmattan, Coll. mondes océaniens, 1999)

" La compréhension des mondes insulaires du Pacifique Sud n’est pas chose aisée. Les îles où les populations parlent plus d’un millier de langues, classifient les parentés en des structures compliquées, échangent des mythes, biens et services par un emblème identitaire qualifié de " coutume "

" La Nouvelle Calédonie, bien que territoire français d’outre-mer n’échappe pas à cette complexité. Les populations mélanésiennes " kanak " échangent leur art de vivre en 28 langues, les autres populations océaniennes, issues d’immigration, Océaniens, Polynésiens, Européens et Métropolitains (surnommés " Zoreilles ") présentent une bigarrure qui donne le tournis et défie la simplicité de l’analyse ".