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Langue des signes :
langue de travail pour apprendre l'écrit
L'école Laurent Clerc de Champs sur Marne a choisi une option fondamentale pour la réussite sociale, psychologique et cognitive de l'enfant sourd : le bilinguisme.
Bilinguisme qui s'appuie sur une première langue, la langue des signes. Elle est la langue utilisée par la famille et par l'école. La classe utilise la langue des signes comme langue servant aux apprentissages. La deuxième langue c'est le français écrit.
On pourrait ajouter que l'apprentissage orthophonique de l'oral du français constitue une troisième langue.
Cette option n'est guère appréciée par les milieux institutionnels qui préconisent la démutisation comme préalable à tout apprentissage cognitif.
Voici un extrait du livre de Benoît Virole " Psychologie de la surdité " paru aux éditions De Boeck en 2000.
" Priver un enfant sourd de la possibilité de développer la langue des signes par contact avec d'autres sourds est un acte qui a pour conséquence potentielle la génération de difficultés cognitives chez cet enfant. En effet, le développement de l'intelligence et le déploiement des fonctions du traitement des informations venant de la réalité externe nécessite un encodage linguistique des représentations pour élaborer des opérations symboliques… La langue des signes des sourds constitue sur le plan cognitif et neuropsychologique le vecteur de croissance de la pensée que notre organisation biologique nous permet d'avoir malgré la déficience d'une des modalités sensorielles ".
L'argument le plus souvent entendu contre l'utilisation de la LS c'est que l'enfant sourd va s'enfermer dans sa langue gestuelle et ne pourra plus communiquer avec son environnement social. Hors, c'est l'inverse qui se produit. Un enfant sourd avec lequel on s'acharne à enseigner l'oral, mesure à quel point cet apprentissage est difficile pour lui, combien il lui demande de temps et de souffrance pour un tout petit bénéfice. Les messages oraux qui lui parviennent ne sont pas pertinents et porteurs de sens. Il s'isole dans l'absence de sens qui l'entoure.
Alors que, écrit Benoît Virole : " Le besoin de représentations ou de connaissance précoce étant assouvi par l'usage partagé avec les parents de la langue des signes, le désir de l'enfant de communiquer ne fait que croître. Il est alors tout à fait possible et même souhaitable d'entreprendre un apprentissage de la parole d'autant plus facilité qu'on peut s'appuyer au niveau de sens sur la représentation sémantique de la langue des signes. "
En classe, la LS est utilisée pour parler du français écrit. Les leçons de lecture notamment se déroulent toujours en binôme, un enseignant entendant signeur et un enseignant sourd embauché pour sa grande maîtrise de la LS et sa connaissance de son fonctionnement syntaxique. L'enfant est toujours en train de comprendre comment fonctionne l'écrit en lien avec comment fonctionne la LS. Entre ces deux langues, rien de vraiment commun puisque l'une d'elle est iconique et structurée dans l'espace et en configurations précises alors que l'autre est une chaîne écrite avec sa grammaire propre.
Voici les propos d'une personne sourde extrait d'un mémoire d'un étudiant :
" J'avais un stock de choses à dire. Je savais ce que je voulais dire en signes. J'ai compris beaucoup plus tard qu'on pouvait lier l'expression en signes et l'écrit. Le sens pour moi, était en LSF, et il n'y avait aucun lien avec l'écrit. C'était comme un rejet de l'autre langue. Alors à quoi ça sert ?"
Benoît Virole, lui, écrit :
" Ainsi quand on s'est donné la peine de comprendre comment fonctionnent les règles syntaxiques de la langue des signes, il n'y a aucune difficulté de fond à expliquer à un enfant sourd la nécessité des renversements syntaxiques imposés uniquement par la linéarité de la chaîne verbale. Bien au contraire, la langue des signes devient alors une extraordinaire métalangue et favorise l'acquisition du français écrit, comme l'a montré depuis longtemps l'histoire de l'éducation des sourds. "
En effet, il reste des preuves écrites qu'au 19ème siècle les sourds pouvaient être lettrés ! Le Congrès de Milan a cassé complètement cette réalité en interdisant la LS. Les sévices subis par les sourds les a profondément marqués et a contribué à les enfermer dans une méfiance vis à vis des entendants. La confiance revient peu à peu depuis 1993, date à laquelle la loi Fabius a reconnu la langue des signes. Pourtant, si cette langue est acceptée de plus en plus en langue de communication, elle ne peut absolument pas être considérée, à ce jour, comme une langue d'apprentissage. Les rares écoles en France qui osent braver cet " interdit "- qui n'en n'est pas un- s'attirent beaucoup de soucis de la part des institutions de tutelle.
Côté santé, c'est la facture qui est trop lourde puisqu'il faut compter deux personnes face au groupe d'enfants. Mieux vaut regader ces enfants sourds tels des handicapés qui relèvent du " médical ".
Côté éducation nationale, personne ne peut admettre que l'apprentissage de la lecture peut se passer du déchiffrage d'où la nécessité de l'oral.
Christian Cuxac, linguiste à Paris 8, Université Vincennes St Denis, disait lors du colloque d'ACFOS en 98 : " L'enfant sourd intégré dans un centre pratiquant une éducation bilingue sait une multitude de choses que le petit enfant sourd du même âge ayant été scolarisé dans un centre oraliste ne soupçonne même pas. Il sait, au même âge que les enfants entendants, à quoi sert le langage, quelles en sont ses fonctions. Très tôt, il a acquis, autant par rapport à ses propres productions langagières que par rapport à celles d'autrui, une distance métalinguistique qui lui permet de poser des questions sur ce qu'il dit, de demander des reformulations, des définitions puis de reformuler et de définir lui même les signes qu'il utilise. Il peut jouer avec les signes. Il peut rire de messages linguistiques et déployer des activités sur le monde, inenvisageables dans un système d'éducation où la langue des signes n'a pas sa place. "
Et encore, " Passé le cap de cette sensibilisation, et lorsque le recul de l'enfant sourd sur sa propre langue est suffisant, il est alors possible d'envisager un travail plus explicite sur le français écrit.
Sans entrer dans le domaine technique je tiens à défendre une démarche descendante partant du niveau cognitivo-sémantique pour aboutir en fin de parcours, au niveau syntaxique et morphologique ".
De nombreuses personnalités, comme Michel Poizat chercheur au CNRS, Yves Delaporte, ethnologue, Oliver Sacks, neurologue, Harlan Lane, auteur de l'ouvrage fondamental : " Quand l'esprit entend : l'histoire des sourds-muets " et bien d'autres, sortent des ouvrages, font entendre une voix sourde différente de la voie tracée par l'oralisme. Seront-ils enfin entendu un jour ?
Anne Valin
NB : Si pour certains il était besoin de se convaincre que la L.S.F est une vrai langue, se reporter utilement au site de Benoît Virole http://home.worldnet.fr/7Eviroleb/DA/DABASE.htm. Et lire les textes Objectivité et iconicité et La langue des signes où l'on voit clairement :
- que la LSF fonctionne avec un caractère "métaphorique et métonymique" propre à toutes les langues (comme le dit l'historien-chercheur au CNRS Jean-Jacques Glassner à propos de la langue sumérienne),
- que la LSF permet d'accéder aux niveaux abstraits les plus élevés (notamment parce que, comme le remarque Danielle Bouvet dans son ouvrage Le corps et la métaphore dans les langues gestuelles, " les métaphores indexées sur le corps ont une place importante dans l'élaboration des signes abstraits "),
- que la LSF (comme Alain Berthoz, professeur au Collège de France, l'a montré pour le fonctionnement général de la perception chez l'humain) permet le fonctionnement "proactif" du cerveau, c'est-à-dire les capacités d'anticipation et de création de scénarios probables du déroulement du langage.
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