La revue de l'AFL
Les Actes de Lecture n°57 mars 1997 ___________________
Il s'agit ici de repérer la phrase qui n'est pas systématiquement
du type "sujet verbe complément" et tente d'attirer l'attention
en plaçant un adverbe, une préposition, une conjonction de
subordination ou un adjectif au début.
Plus le score est élevé et plus les démarrages de phrase sont, sinon diversifiés, du moins non standards.
On peut considérer que le souci de ponctuer témoigne d'une
attention au fonctionnement de l'écrit et se distingue d'une transcription
linéaire d'un oral seulement fragmenté en phrases. Une exception
importante toutefois, celle des poèmes. Ce qui est calculé
ici, c'est un taux qui tient compte de la nature de la ponctuation (rien
pour le point, 1 pour la virgule, le point d'interrogation ou d'exclamation,
1.5 pour les deux points ou les points de suspension, 2 pour le point virgule
ou les guillemets incluant au maximum 3 mots). Le tout rapporté
ensuite au nombre de mots du texte.
Nous recensons ici les sujets inversés et les formes passives
complètes car ces deux objets semblent pouvoir témoigner
d'un souci particulier envers l'acteur, soit en le dissimulant soit, au
contraire, en jouant sur sa provisoire absence. La valeur recensée
est exprimée par rapport au nombre de verbes.
Plus le score est élevé et plus le verbe est l'objet d'une
attention particulière.
Il s'agit ici de recenser les sonorités dont la présence
ou l'absence dans le texte diffère des valeurs moyennes qu'on peut
observer sur un échantillon représentatif de textes ordinaires.
Texte A Amusante comme une amie
Texte B Pour la première fois que Jérôme prend le train,
il vérifie souvent s'il n'a pas perdu son billet.
Le texte A se fait remarquer, entre autre, par la sur-représentation des m, des o, des u... Le texte B par une totale standardisation.
Il s'agit là d'un score calculé à partir de la répétition de groupes de trois mots au minimum, identiques à leur flexion près. (Trois mots présents cinq fois ---> 15 points, six mots présents deux fois ---> 12 points, etc.. La somme de ces points est divisée par le nombre total de mots du texte.) Moyenne : 0.09 E.T : 0.13 Min. : 0 Max. : 0.80 L'école vide.
Ce texte multiplie les reprises de séquences lexicales d'au moins
3 mots sans qu'on puisse vraiment songer à des négligences
d'écriture, pas plus que dans celui-ci :
On est devant la même préoccupation mais au niveau cette fois de la structure syntaxique. C'est par exemple la même séquence qui se répète dans ces deux moments du texte (écrit par un adulte) : un spectacle africain dans l'école est le point de départ... et une seringue usagée près de l'école motive le travail d'enquête... Moyenne : 0.37 E.T. : 0.31 Min. : 0 Max. : 1.69 Plus le score est élevé et plus il y a répétition de ces structures profondes malgré la diversité du lexique dans lequel elles se réalisent.
C'est banalement ici, à l'exclusion des noms propres et des mots outils, le rapport entre le nombre de mots différents et le nombre de mots du texte. Il s'agit bien de mots différents lorsqu'ils sont rapportés à leur forme canonique dans le dictionnaire (chanterions, ont chanté et chantâtes renvoient au même mot-souche). Moyenne : 0.85 E.T. : 0.14 Min. : 0.36 Max. : 1.38 Plus le score est élevé et plus le lexique est diversifié.
Nous avions, lors de l'élaboration de la recherche, défini
ces 7 variables linguistiques dans la mesure où elles nous semblent
introduire, au moment de l'écriture, une certaine attention par
rapport à une expression courante. Nous synthétiserons cette
attitude d'écriture concertée dans une nouvelle variable
construite à partir d'une formule empirique inspirée par
une ACP sur ces 7 variables :
. sonorités, début, diversité du vocabulaire, ces
3 variables avec une pondération de 1.5
Deux variables contribuent négativement : . répétitions lexicales, répétitions syntaxiques Nous examinons donc cette variable globale qui témoigne, à travers la présence d'indices strictement linguistiques, d'une attention (concertation) au matériau utilisé. Cette variable est, par construction, de moyenne zéro et d'écart-type un.
Si on la confronte, par exemple, à deux variables de la situation de production dont nous avons remarqué l'importance, l'existence d'une contrainte formelle d'écriture et le fait que le sujet soit libre ou imposé, on obtient ces résultats :
Il est bien clair que l'existence d'une contrainte formelle joue un
rôle déterminant sur le produit final dans ses caractéristiques
linguistiques alors que le sujet libre ou imposé ne crée
aucune différence lorsqu'il n'y a pas de contrainte formelle (2ème
ligne du tableau) ; et inversement, lorsqu'il y a conjonction (interaction)
de cette contrainte formelle et du sujet libre, l'indice linguistique de
la concertation de l'écriture est très élevé.
D'où l'envie d'aller voir plus avant dans l'effet des conditions
de production sur cette concertation linguistique.
Après plusieurs essais, nous retiendrons un modèle d'analyse de variance intégrant : . sujet libre ou sujet imposé
et les interactions entre ces facteurs. Il apparaît de manière très significative que : . le sujet libre
créent chacun séparément (aux autres éléments
maintenus constants) des effets de concertation d'écriture très
sensibles au niveau linguistique.
La contribution positive du recours à d'autres textes pendant le temps d'écriture met l'accent sur l'importance d'une intertextualité qui se construit matériellement au cours même du processus. De même pour le recours aux pairs qui témoigne de l'importance du lecteur modèle comme partenaire de l'écriture pour le scripteur et qui, même pour les plus grands, n'est pas seulement dans sa tête. Avec le sujet libre, nous touchons là un point essentiel sur lequel nous reviendrons. Contrairement au sentiment banal, on découvre que le sujet libre provoque un travail du texte beaucoup plus intense que ne le fait la rédaction d'un sujet imposé. Ce qui n'est pas défini dans le texte libre, c'est le point d'arrivée et c'est seulement l'écriture qui peut le conduire. Le rôle dévolu à l'écriture est ainsi beaucoup plus important que dans un sujet imposé qui impose aussi un mode de traitement et un point d'arrivée (ne pas être hors sujet) ; dans ce cas, il reste à écrire mais il n'y a rien à trouver. Pour le discours conjoint, on peut faire l'hypothèse que la connaissance du référent chez le destinataire conduit à une plus grande nécessité de ce qui sera écrit, comme sous l'effet d'un contrôle. Toujours est-il qu'on a ici l'esquisse de quelques conditions pédagogiques dont la mise en oeuvre peut produire des effets sur le produit terminal avec, à travers des interactions, une prime incontestable à la conjonction de ces 5 conditions simultanées.
Là encore, il est tentant d'explorer la régression multiple
de l'ensemble des variables décrivant le processus d'écriture
sur cette variable linguistique décrivant le produit fini. Cinq
variables sur la trentaine de Genèse ont une contribution significative
dans une analyse de régression multiple qui les prend toutes en
compte.
On voit donc qu'une fois toutes les autres caractéristiques du processus maintenues stables, la seule augmentation du temps moyen mis pour écrire un mot restant qui est dans notre population en moyenne de 31 secondes (110 mots/heure) est significativement liée à une élévation de cet indice de concertation dans l'écriture telle que nous l'avons définie. En d'autres termes, une écriture concertée qui ajuste la construction des phrases et le choix du lexique en évitant les formules ou les structures passe-partout, cela prend du temps, mais comme on le dirait d'un maçon pour qui le choix et la mise en forme de chaque pierre dans ses rapports à ses voisines et à l'ensemble est l'objet de la plus grande vigilance. Mais ce temps n'est efficace que s'il est occupé, comme en témoigne la contribution négative d'une augmentation de la durée générale d'écriture lorsque rien d'autre ne bouge. En bref, une écriture concertée, ça demande du temps mais il ne s'agit pas d'attendre. Quant à ce qu'il faut faire, les 3 autres variables contributives en donnent une idée, au moins de manière négative. C'est ainsi que les deux variables décrivant l'activité dans le troisième tiers de l'écriture témoignent de ce qu'il est, à ce stade, déjà trop tard et que, ni l'abondance des opérations en lecture, ni celle des suppressions, lorsqu'elles ont lieu dans la dernière partie de l'écriture ne parviennent à modifier en profondeur l'écriture observée dans sa surface linguistique. C'est même le contraire : plus il y a d'opérations en lecture et de suppressions au cours du troisième tiers et moins on observe dans le texte achevé les marques linguistiques d'une écriture concertée. Autrement dit, la classique phase de révision finale se fait au détriment de ce travail d'écriture qui, en tout état de cause, doit avoir lieu avant pour concerner la structure même des phrases. On aura enfin une autre information convergente avec la contribution négative et fort significative de la variable qui situe la position des attentes dans la phrase. Pour comprendre de quoi il s'agit, il est plus simple de se reporter à un tableau bien que celui-ci soit difficile à établir puisque le principe des régressions multiples consiste précisément à neutraliser les variations simultanées liées au fait que les variables sont corrélées entre elles. Cette neutralisation est difficile à faire apparaître dans un tableau autrement que par des filtres pour enfermer les autres variables dans des limites dont on feindra de dire qu'elles garantissent que tout est alors comparable et que, seule, la variable qui nous intéresse varie. Dans ce cas, on observe la variation suivante de la concertation d'écriture en fonction de la position des attentes dans la phrase :
attentes nettement attentes nettement
niveau de la
Ce résultat, en outre cohérent avec le fait qu'au niveau de l'ensemble des textes (donc sans filtres) la position des attentes dans la phrase et la concertation d'écriture ont une corrélation de -.27, doit se lire ainsi : tout étant égal par ailleurs, plus l'auteur réfléchit à sa phrase avant de l'écrire et moins ce qui s'écrit témoigne d'une spécificité de l'écrit (ponctuation, sonorités rares, entames par autre chose que le sujet, acteur postposé, diversité du vocabulaire et absence de répétitions syntaxiques et lexicales) ; inversement, plus la réflexion a lieu au cours même de l'écriture de la phrase, devant les problèmes que cette écriture pose, et plus les réponses sont de type écrites, portent la marque de cette spécificité. Ce fait, incontestable dans sa construction scientifique, est important. Il converge avec d'autres faits que nous avons mis en évidence jusqu'ici et ceux qui ont été abordés dans le premier tome du rapport, notamment à propos des écritures expertes. Au niveau de l'interprétation, il renforce l'hypothèse que l'écriture n'est pas une transcription de ce qui s'élaborerait préalablement à la manipulation de la matière écrite elle-même. C'est par l'écriture que l'écrit devient, il n'existe pas avant. Jean FOUCAMBERT |