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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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Quelques extraits de « Une journée à l’école de l’AFL ».
Auteur : Yvanne Chenouf
   
Pierre s’installe alors autour d’une table avec les quatre enfants qui restent. Ceux-là ont écrit à la mairie afin d’obtenir un local pour la classe de nature qu’ils organisent. Ils viennent de recevoir une lettre. Pierre l’a recopiée sur un panneau, mais l’original est sur la table. Les enfants reconnaissent leur prénom sur l’enveloppe. Comme ils n’ont que ce projet en commun, ils se doutent que c’est la réponse de la mairie.

“Comment, demande Pierre, pouvez-vous en être sûrs autrement ?
- Moi, je sais, dit Lucien, il y a un tampon. Quand il y a un tampon, c’est des fois la mairie. Je sais, ma mère, elle en reçoit des lettres comme ça et elle dit :
- Oh! il faut encore aller à la mairie
- Oui, mais il y a pas que la mairie qui a des tampons proteste Emmanuel. Mon père aussi, il râle quand il reçoit des lettres avec tampons. Des fois, c’est les impôts, des fois, c’est une contravention !
- Cette lettre vient donc d’un bureau. Comment être sûr que c’est de la mairie qu’il s’agit ?
- Nous, on paye pas d’impôts, ni de contravention, remarque Emmanuel.
- En plus, fait remarquer timidement Estelle, c’est pas maire qui est écrit ici ? ”
Tous regardent.
- Non, répond Emmanuel, qui a leur brouillon sous la main, ça c’est maire. Il y a un i en plus dans ce mot.
- Alors, dit Estelle, c’est mairie, c’est ça, c’est mairie !
- Bon, vous souvenez-vous pourquoi vous aviez écrit ?
-Je sais moi, dit Yamina”. Et, s’emparant du brouillon, elle lit à haute voix :


“Monsieur le Maire,

On est 56 enfants de Grande Section, CP, CE1 et on voudrait aller en classe verte du 10 au 25 mai. On voudrait y aller avec nos maîtres et des parents. Est-ce que vous pouvez nous prêter la maison d’X...?
On vous remercie.”

“Tu parles, dit Lucien à Emmanuel, elle sait même pas lire. Elle la connaît par coeur.
- C’est sûr
-    Attendez, j’ai pas fini ! crie Yamine. On vous embrasse. Yamina.
-    Ah! Menteuse ! tu vois bien que tu sais pas lire ! On avait dit qu’on n’écrivait pas ça à un maire. Et puis y a pas Yamina, y a Lucien, Emmanuel, Estelle et Yamina !
-    Yamina, en dernier, précise Lucien”. Remarque appuyée fermement d’un coup de menton.
“C’était pour vous embêter, rigole Yamina. J’aime bien vous embêter.
- Bon, dit Pierre. Voilà la réponse. Vous la lisez silencieusement en ne vous servant que de vos yeux. N’essayez pas de tout lire, cherchez à trouver des mots qui vous aident à comprendre


“Chers enfants,

J’ai bien reçu votre lettre du 12 novembre.
Je ne suis pas le maire mais son adjoint.
La maison est libre du 10 au 25 mai et nous vous la prêtons avec plaisir.
Il y a beaucoup de problèmes pour héberger 56 enfants et nous devons en parler avec vos maîtres.
Téléphonez à mon secrétariat.
Merci de votre lettre et de vos gentils dessins.
    Pour le Maire.



“Quelle est la chose la plus importante à savoir ? demande Pierre.
-    Si c’est oui ou non.
-    Pouvez-vous savoir où on en parle ?
- Oui, moi, dit Estelle. Enfin, je crois.
Elle montre la ligne.
“Comment le sais-tu ?
Parce qu’il y a écrit 10—15 mai. C’est les dates où on veut y aller.
- Bon, alors c’est oui ou non ? ”
Ils regardent la ligne attentivement.
“C est écrit : la maison est libre, dit Emmanuel”.
Et Lucien ajoute “Ce mot-là, il ressemble à prêter à cause de son accent.
- En tous les cas, il n’y a jamais pas, précise Estelle.
- Ce mot-là, dit Yamina, c’est plaisir. On le voit à la publicité, à la télé.
- Juste avant, c’est avec, affirme Lucien.
- Alors, c’est : nous vous le prêtons avec plaisir, enchaîne Emmanuel.
- C’est bien ça, dit Pierre. Comment sais-tu que c’est prêtons.
- A cause de nous.
- Là, crie Yamina, il y a écrit 12 novembre.
- Bon, essayez de savoir ce qu’il y a le 12 novembre.
- Il y a lettre, j’ai bien... votre lettre, cherche Emmanuel.
-    J’ai bien reçu votre lettre ! crie Lucien.
- Oui, c’est ça.
- Mais là, dit Yamina, c’est écrit pas.
- Oui, alors, que veut dire cette phrase ? ”.
Les enfants regardent silencieusement. Estelle change de visage.
“C’est écrit je ne suis pas le maire s’exclame-t-elle
- Il n’est pas le maire ! s’étonne Lucien. Alors, on s’est trompé !
- Mais non ! hurle cette fois Yamina, à moitié debout, puisqu’il parle de la maison !
- Je ne suis pas le maire, mais son.., poursuit Emmanuel.
- Son fils ? propose Yamina.
- Elle est folle, celle-là, se désole Lucien. Le fils du Maire, il lit pas ses lettres !
- Qui peut répondre à la place du maire ? demande Pierre.
- Son aide ? risque Estelle.
- Oui, c’est ça. En fait, ce mot veut dire adjoint. Regardez la suite.
- Moi, dit Lucien, je sais lire il y a beaucoup de problèmes. Je connais il y a, beaucoup et problèmes, c’est comme dans le fichier de mathématiques. Mais l’autre, là, je ne sais pas...”
Emmanuel demande au groupe qui travaille sur le dictionnaire
“Vous pouvez nous chercher ce mot ?
- Il s’appelle héberger, informe Pierre. Pendant ce temps, que pouvez-vous trouver ?
- Je connais nous, en, vous, dit Lucien.
- Est-ce que ces mots nous apprennent des choses intéressantes ? demande Pierre.
- Non, répond Estelle. Ils servent juste à rattacher d’autres mots.
- Cherchez alors les mots qui ont beaucoup de sens...
- Il y a parler, maîtres. Et celui-là ?
- Celui-là, c’est devons.
- Alors je sais : nous devons en parler avec vos maîtres.
- Là, ça ressemble à téléphone, jubile Yamina.
- Mais ça ! dit Estelle.
- Ca, c’est secrétariat ; c’est l’endroit où on prend des rendez-vous.
- Ah ! oui, dit Emmanuel, il dit de téléphoner à son secrétariat.
- On a trouvé votre mot : Si vous restez chez nous, nous pouvons vous héberger, vous loger pendant quelque temps.
- Alors, ça veut dire comme recevoir, dit Emmanuel.
- Donc ils peuvent, affirme Lucien.
- La dernière ligne, je la connais, dit Estelle qui la lit à haute voix.
- Bon, je crois que vous avez tout trouvé. Qui veut la relire pour qu’on s’en souvienne bien ? ”
Lucien s’exécute, les autres vérifient.
“Moi, dit Emmanuel, je trouve que Yamina a eu tort de mettre des fleurs sur la lettre.
- Ca fait plus joli.
- Oui, mais on ne dessine pas sur les lettres qu’on envoie au maire
- Le plus important maintenant, tranche Pierre, c’est de ranger cette lettre dans le classeur courrier, de marquer les dates de la classe verte sur le planning, de trouver le numéro de téléphone du maire et de préparer un mot aux parents pour leur annoncer la bonne nouvelle.
- Moi, dit Lucien, c’est mon tour d’aller sur ELMO O”

EDITIONS RETZ
PRIX : 49.00 F
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