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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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DOSSIER : Une politique de lecture, 2ème partie


DANS UN DÉPARTEMENT 

Martine Remond


J’étais chargée d’un article rendant compte d’une politique de lecture au niveau du département.


Beaucoup d’éléments ont été recueillis. Malheureusement, ils se juxtaposent, se chevauchent, et ne permettent pas de percevoir, ce qui caractériserait une politique de lecture, c’est-à-dire : des actions coordonnées issues d’une réflexion concertée.


Le département n’est pas représentatif de ce qui se fait ou ne se fait pas ailleurs. C’est un département ordinaire, ni exemplaire, ni particulier. D’autres, où l’A.F.L. a bien réussi son implantation, ont volontairement été éliminés de notre choix. Le Pas de Calais, un département très ordinaire dans ses relations avec l’A.F.L. : 22 abonnements dont 4 pour la B.C.P.!


De cette enquête, émerge l’impression qu’il se fait des choses localement, en fonction de personnes, d’opportunités. La nécessité d’opérer des alliances, de trouver des partenaires pour les actions, pour la formation, tout le monde en parle, mais au futur ou au conditionnel !


Faute de pouvoir trouver une unité, une ligne, l’article est présenté sous forme de mosaïque. Des rubriques abordées par plusieurs interlocuteurs regroupent leurs propos. Cette présentation nous semble le reflet de la réalité une juxtaposition d’actions et de points de vue, et comme le disait préalablement, une des personnes interviewées “Peut-être trouverez-vous des signes de ce qui pourrait être des explications de ce qui n’est pas !


Cette enquête a été facilitée par un travail préparatoire de Marie-Anne Guilbaud qui connaît bien les structures, les interlocuteurs, les lieux d’intérêts.

Qu’elle en soit, ici, chaleureusement remerciée, ainsi que le personnel de la B.C.P.


Le Pas de Calais occupe une situation bien particulière limité par la Manche et la Mer du Nord, les départements du Nord, de l’Aisne et de la Somme, il a une longueur de 140 km en suivant l’axe N.O.-S.E.


Près d’un million et demi d’habitants se répartit sur 700.000 ha et 989 communes : 832 d’entre elles ont moins de 5.000 habitants, 9 plus de 20.000. La taille des communes varie de 25 à 77.000 habitants, environ 80% de la population réside dans des communautés urbaines.


L’agriculture est très présente (81% de la superficie en terres agricoles cultivées, 58% pour la France entière), cependant la population rurale du département n’est que d’environ 300.000 habitants.


La préfecture et tous les services centraux se trouvent à Arras, ville décentrée par rapport à l’ensemble du département, proche cependant de la zone minière qui comprend plusieurs villes importantes.


La proportion des moins de 20 ans est supérieure à celle de l’ensemble de la France : 11% de la population a entre 2 et 8 ans.


Les enfants sont sous-scolarisés : ils sont scolarisés jeunes (avec un fort taux de redoublement au CP), suivent des formations courtes et quittent l’école très tôt : 40% de la population de plus de 15 ans n’a aucun diplôme ; 25% en a un du niveau CEP. Pas de structure universitaire dans ce département.


La proportion d’ouvriers est très supérieure à celle de la France (environ la moitié de la population active), celle de cadres et de professions libérales très inférieure.


La région Nord - Pas de Calais connaît un chômage important (12% environ pour le Pas de Calais) notamment dans le pays minier où concentrations industrielles et de population allaient de paire (18% de chômage, et même jusqu’à 30% pour certaines villes). Les manoeuvres et ouvriers sont les plus touchés ; les grandes entreprises peu nombreuses, les chances de réemplois très limitées (2 établissements ont plus de 5.000 salariés, 3 entre 2.000 et 5.000 salariés). Les principaux secteurs de production industrielle tournent autour de l’énergie, la sidérurgie, les papiers - cartons, la verrerie, les textiles, les meuneries, ... mais la plupart de ces secteurs connaissent des difficultés importantes (fermeture de nombreux puits miniers, d’usines textiles, papetières...), peu de secteurs connaissent une expansion qui redonnerait vie à cette région.


Les jeunes les plus qualifiés, du secteur tertiaire essentiellement, émigrent souvent vers des lieux plus favorables, ce qui accroît le déséquilibre et le déficit en personnes qualifiées recherchées par les ANPE et les employeurs, alors que reste sur place, une population difficile à remettre à niveau.


On note une grande disparité dans les possibilités d’accès au livre selon que :

- la population est urbaine ou rurale,

- la ville grande ou petite,

- le public adulte ou enfant.


Le nombre de Bibliothèques Municipales reste inférieur à celui du reste du pays, surtout pour les villes de moins de 5.000 habitants et les zones rurales.

Peu de sections enfantines.

Une fraction élevée de la population n’a pas encore de lecture publique digne de ce nom.

La proportion d’inscrits dans les B.M. est inférieure à la moyenne nationale sauf dans les grandes villes.

Beaucoup d’inactifs sont inscrits.


Malgré tous les problèmes constatés, cette région a des atouts :

- des zones de forte urbanisation : donc des possibilités de toucher beaucoup de monde,

- une forte préscolarisation : donc des possibilités de sensibi­lisation précoce des familles,

- une B.C.P. importante.


Les conditions de logement restent médiocres. On part peu vacances. En revanche, les équipements T.V. couleur et F.M. sont supérieurs à la moyenne nationale. L’équipement rnédical est de 94 médecins pour 100.000 habitants, 146 en moyenne pour la entière.

Le Nord - Pas de Calais, a longtemps été une zone d’immigration avec, notamment, une forte colonie polonaise constituée vers les années 1936-38, au moment où mines et textiles demandaient une main d’oeuvre importante.



LA LECTURE PUBLIQUE.


La B.C.P. du Pas de Calais figure parmi les plus anciennes.


A partir de 1945, dans quelques départements, furent créées des B.C.P. Pour le Pas de Calais, l’implantation réelle date de 1966. Elle a été devancée par celle de l’Association du Bibliobus (1956-1966), née de la collaboration du Conseil Général et de l’Inspection Académique.


En 1968, la B.C.P. du Pas de Calais fut classée « B.C.P. pilote » pour le développement de la lecture publique, cette désignation officialisant les expériences de “prêt direct”.


« Le taux de préscolarisation est fort mais l’abandon des études rapide. Ceci est dû au système économique dominant.

De même qu’il y a sous-scolarisation, il y a sous-développement culturel. La conception traditionnelle de la lecture publique, majoritaire dans le département délaisse la population qui ne fréquente pas ses établissements…



Là, où la demande est développée, la “réponse” n’a pas les moyens ou la dynamique, ou ne s’inscrit pas dans une action culturelle. Les professionnels de la lecture ne sont pas assez nombreux dans ce département­…

La lecture publique est menée de manière très traditionnelle ; la fonction de conservation est

Développée, pas celle de la lecture publique...


Le développement social et culturel explique bien des choses : ce n’est pas une région d’accueil (sauf pour les travailleurs immigrés). Dans tous les domaines, on y vient de manière ponctuelle. Pour les professionnels de la lecture, s’ils restent, c’est pour très peu d’entre eux parce qu’ils aiment cette région. Ca explique des choses. ”


Le nombre de B.M. est inférieur à la moyenne nationale surtout pour les villes de 10 à 20.000 habitants. Dans la région Nord, des villes de 30.000 habitants n’ont pas encore de B. M.


Les bibliothèques pour enfants connaissent un taux de fréquentation, en moyenne faible, nul pour la tranche 13-20 ans, ce qui correspond à un phénomène national”.


Le réseau est très éparpillé, faible par rapport aux nombres d’habitants et de communes. Un des objectifs actuels est d’améliorer le réseau des bibliothèques et peut-être ensuite, partant d’une meilleure cohérence, d’amener les bibliothèques à changer de mission ou à en inventer de nouvelles par rapport à des publics spécifiques, associer d’autres partenaires notamment les Libraires. Dans le Pas de Calais, une excellente librairie existe à Arras : la librairie Brunet”.

Paul Allard, Délégué du Livre pour la Région Picardie – Nord - Pas de Calais.



L’enquête menée montre que la lecture dans le Pas de Calais, est aux yeux de tous, d’abord l’affaire de la B.C.P. (Bibliothèque Centrale de Prêt), que le terme “lecture” est trop souvent réduit, assimilé à lecture publique.


Ce n’est pas un hasard si la B.C.P. ou le bibliobus, sont aussi souvent cités : la B.C.P. du Pas de
Calais est la plus importante de France avec une centrale à Arras et deux annexes Boulogne et Lillers, 14 bibliobus. Au total, une soixantaine de personnes, un fonds d’environ 600.000 ouvrages, environ 800 communes touchées, 1.050 dépôts, environ 400 points d’arrêt de prêt direct.


Actuellement, pour le Pas de Calais, l’activité de la B.C..P. sur le terrain, se partage surtout entre les dépots-rayons” et le “prêt direct” dans le bibliobus, selon les besoins et la situation de chaque commune.

Elle complète, s’il y a lieu, l’action municipale ou la remplace auprès de collectivités diverses,d’associations reconnues, en effectuant dépôts et prêt direct. Elle offre ses services à des publics particuliers ; salariés sur les lieux de travail, jeunes détenus, pensionnaires de maisons de retraite, personnes hospitalisées, vacanciers (maisons familiales, VVF, campeurs du parc départemental de loisirs). Des dépôts sont faits dans de nombreux établissements scolaires, que leur usage soit limité au seul milieu scolaire ou ouvert à la population...


...Son existence ne peut se concevoir sans de nombreux partenaires : ses dépositaires, bien sûr, les autres bibliothèques qu’elle cherche à soutenir ou qu’elle aide à des niveaux divers tels que celui de la formation, les élus et les agents des collectivités locales, les associations culturelles...



Dans les dépôts, à la mairie, (en zone rurale, notamment, sans B.M.), ce sont souvent des bénévoles, regroupés ou non en associations, qui accueillent quelques heures de temps en temps, les lecteurs. Des amicales laïques, des clubs du 3e âge gèrent aussi des dépôts, portent des livres à domicile aux malades et aux personnes âgées.


La B.C.P. essaie d’avoir des contacts avec ces dépositaires, mais le temps qu’elle peut consacrer à chacun, lors du passage du bibliobus, reste trop court. Souvent, les dépositaires sont des personnes ayant envie d’avoir une occupation, pas forcément intéressées par le livre et la lecture, pas toujours sensibles aux besoins, manquant de compétences. Comment les sensibiliser, les former.

Comment responsabiliser les jeunes (CDI- MJC), les aider à mettre en place des permanences, et surtout comment toucher cette tranche de public, réputé difficile et non-lecteur quelle que soit d’ailleurs la région.


Dans les entreprises : quelques rares dépôts. Quelques unes ont une bibliothèque. Leur fonds est souvent important en disques et cassettes qui connaissent un prêt actif. Là aussi, c’est un secteur difficile, lui-même étroitement lié aux difficultés des entreprises.


La B.C.P. n’accueille pas de lecteurs dans ses locaux. C’est dommage ! Car celle d’Arras, fraîchement inaugurée par Jack Lang est un lieu particulièrement agréable.


C’est là que le public peut recevoir aide pour sélectionner des ouvrages, conseils… pour mettre en exposition... et même assister à des démonstrations d’Elmo. La B.C.P. vient, en effet, d’acheter son second GOUPIL pour gérer sa comptabilité mais aussi pour utiliser ELMO.


La BCP travaille en relation avec les libraires ? Il y a peu de grandes librairies dans le département, mais surtout des maisons de la presse.


La B.C.P. participe et soutient des actions comme « Béthume 84 », « Le livre dans la rue » (des promenades avec des livres dans la rue et des animations ponctuelles), « Lire pour vivre autrement » avec la F.O.L. : (exposition de livres, rencontres autour de livres, incitation à l’écriture, connaissance d’écritures populaires). Une action prolongée avec les CEMEA se met en place.


Il existe environ 50 bibliothèques municipales (B. M.) dans le département ; elles fonctionnent encore trop souvent avec des personnels peu ou pas formés. La B.C.P. assure 40h de formation par an, ce qui est loin de satisfaire les besoins.


Pour les villes moyennes, les obstacles financiers limitent les actions ; les élus sont mal sensibilisés aux enjeux de la lecture.


La préfecture essaie de répertorier les actions ayant lieu dans le département et de servir de relais administratif pour les faire connaître aux municipa­lités. Par exemple, pour le mois du Livre, elle incite les collectivités locales à participer.


Les B.M. répertoriées sont celles qui adressent leurs statistiques au Ministère de la Culture. Bien d’autres bibliothèques existent, impulsées par Culture et Bibliothèques pour Tous, des amicales laïques, des occasions locales. Par exemple, St Pol sur Ternoise, a une bibliothèque historique avec fonds ancien, un site informatique ouvert au public, un élu préoccupé par les problèmes de lecture qui demande à la B.C.P. de l’aider à mettre en place une bibliothèque pour enfants.


La B.C.P. par ses dépôts a une vue assez précise sur tous les lieux où la lecture publique est possible : elle ne porte pas de jugement sur ce qui s’y fait, mais insiste bien sur les nécessités de coordonner les actions, de former et de sensibiliser des interve­nants”.

Les bibliothécaires de la B.C.P.


En novembre 1981, à Hénin - Beaumont la régio­n Nord - Pas de Calais a organisé un colloque intitulé “Lecture et bibliothèques publiques”, ses objectifs étant “d’apporter aux élus de la Région, l’information sur l’enjeu que représente dans une commune, un département, une région, une politique en faveur du livre et de la lecture, à partir, notamment du développement des équipements collectifs que sont les bibliothèques publiques. Il devait également permettre aux diverses catégories de professionnels concernés... de participer à la définition d’une politique adaptée à la spécificité du Nord - Pas de Calais, en posant les problèmes et en suscitant la confrontation des expériences...


Les freins rencontrés par la Région, dans son développement économique et culturel, la nécessité de faire accéder aux connaissances, une population caractérisée par sa jeunesse dont les conditions de vie sont souvent peu favorables, ont conduit à s’interroger sur les caractéristiques des outils ou services qui pourraient réellement répondre aux besoins d’information, de formation, de loisirs des habitants de la région, et à réfléchir sur les conditions de leur mise en place”

Bernadette SEIBEL. document préparatoire du Colloque.



Nous avons donc cherché auprès de Marie-José Langlard, (responsable de l’Association des Biblio­thécaires - Groupe Régional) et conservateur de la B.M. d’Hénin - Beaumont, lieu du colloque, quelles sont les conséquences du colloque, 3 ans après sa tenue.


Pour elle, “Ce colloque a modifié la mentalité, des élus surtout. La prise de conscience de la nécessité du développement de la lecture publique est nette dans des villes comme Liévin, Bruay, Lens, St Pôl sur mer.


Reste le problème de la décentralisation, un peu précoce dans le domaine de la lecture publique toute liberté va être donnée aux mairies et aux élus. Certes, le travail de sensibilisation et d’information chemine, mais il n’est pas encore assez avancé. Alors que la Direction du Livre va déléguer ses prérogatives à la Région, elle essaie de refaire un réseau national et régional d’Agences de Coopération pour une coor­dination des actions. La Direction du Livre, se lance dans des secteurs coûteux, arts plastiques et artchothèques. Actuellement, des tentatives ont lieu vers les ordinateurs, mais les finances sont courtes, les subventions diminuent. A l’ère des nouveaux médias, continuer en lecture ? On s’adresse à des privilégiés mais c’est admis couramment la pénétration est bonne dans les classes moyennes et les jeunes étudiants.



Des efforts sont faits et des couches de plus en plus populaires fréquentent la bibliothèque ; des retraités mineurs, par exemple, viennent tous les jours, lisent journaux et périodiques. On ne cherche pas à sélectionner, valoriser certains écrits, il faut qu’il puisse y avoir des approches différentes, variées, non ségrégatives de l’écrit.


Le problème reste que nous n’avons aucune action sur les non—lecteurs nombreux dans notre région et il me semble qu’un effort de coopération devrait passer par des alliances Culture - Education Nationale. ”.


LA PRESSE

Le succès de la Voix du Nord est très certainement lié à ses nombreuses éditions locales. Ce journal tiré à environ 400.000 exemplaires, c’est le 5e ou 6e tirage de la presse régionale française. On y trouve des pages d’informations générales mais surtout de nombreuses pages locales. D’autres journaux locaux existent. Nous n’avons pu obtenir leur tirage.

FR3 fait une émission par mois sur les livres. Quelques tentatives d’information sont faites par des radios locales (Boulogne sur Mer : association Opalivres, par exem­ple).

Le fort équipement en T.V. couleurs témoigne d’une forte con­sommation audiovisuelle et vidéo



La D.D.A.S.S. déclare qu’ac­tuellement elle n’a pas d’intervention en tant que telle en lecture et ne pas être concernée par les problèmes de lecture.


Il n’y a pas actuellement, dans le Pas de Calais, d’action menée par le Mouvement A.T.D. Quart Monde concernant la lecture, faute de trouver des animateurs bénévoles compétents.

Des bibliothèques de rues existent essentiellement à Lille, dans plusieurs quartiers, et à Cambrai”.

(*)Lettre de J.Luc PENET. ATD Quart Monde. déléation Nord - as de Calais.


DES PROJETS DE LA B.C.P.


Dans le milieu rural (1/5> de la population)

Trouver des lieux de lecture, des circuits de sensibilisation, des partenaires et des cadres d’intervention : le secteur des Foyers Ruraux, les Comités de Pays, l’Association pour la Promotion du Cinéma dans le Monde Rural.


Dans les milieux urbains.

Sur les lieux de travail : impulser des actions d’information et d’incitation.


Sur les lieux de loisirs.

Etendre les actions communes déjà entreprises avec les V.V.F., le camping à la ferme, la Direction du Temps Libre.


Les publics défavorisés.

A.T.D. Quart Monde, mieux implantée dans le Nord, pourrait être un partenaire dans la zone minière ou sur le littoral. (Interview de P. ALLARD - extraits)

Les actions vers les femmes, sur les fonds étrangers (pour les immigrés) se sont révélées décevantes.


Pour les publics captifs.

Dans les hôpitaux : une enquête vient d’être faite par la B.C.P. pour voir quel soutien apporter aux bibliothèques à l’hôpital. La situation est très variable : un certain nombre d’hôpitaux ont une bibliothèque, avec un nombre de livres extrêmement divers, avec ou sans personnel qualifié, avec un temps de fonctionnement plus ou moins long.

Dans les casernes : une seule bibliothèque à la caserne d’Arras.

Dans les prisons : des contacts avec l’Administration Pénitentiaire et l’Association pour le Développement Culturel en Milieu Carcéral.


L’ÉCOLE.

Pour mieux utiliser son insertion dans le monde scolaire, et tout en se gardant de vouloir fonder un réseau de lecture publique sur l’école, la B.C.P. apporte aux enseignants des aides dont nous avons déjà fait état dans le chapitre précédent. Rappelons, néanmoins :

- des actions de formation de parents et d’enseignants, assurées par les B.M. et la B.C.P. en collaboration avec l’Ecole Normale et l’A.F.L.

- des actions concertées avec certains partenaires de l’Education Nationale, cas encore isolés. Il s’agit plus d’ouvrir l’école que de s’appuyer sur elle. Une bibliothèque d’école n’est pas l’idéal pour des adultes, et une bibliothèque réservée aux enfants ne suffit pas à permettre les rencontres de générations autour de la lecture qui est une dimension sociale nécessaire.


Dans des secteurs peu favorisés, la B.C.P. a déjà quelques expériences intéressantes de travail commun avec école et parents.

- L’Antenne de la Joie par les livres, associée à la B.C.P., a des actions de formation sur le livre de jeunesse et la lecture lors de journées pédagogiques, dans les Ecoles Normales ou les écoles, dans les crèches..



La B.C.P. dessert à ce jour 25 écoles primaires dotées d’une B.C.D. digne de ce nom.


Dans certaines régions, une tradition culturelle existe. Pour le Nord-Pas de Calais, il y a cumul du manque d’infras­tructures et d’activités culturelles. Il n’est pas aisé de trouver des B.C.D. pour ex­périmenter.

Nous n’avons pas été retenus dans le cadre des académies pilotes B.C.D., le rectorat ayant refusé de gérer l’opération...

Cependant la B.C.P., en aidant les B.C.D., leur impose un certain nombre de conditions pour un fonctionnement correct (en gros, les mêmes que celles du cahier des charges de l’Education Nationale)” (Interview de P. ALLARD - extraits)



L’Éducation Nationale en la personne de l’Inspecteur d’Acadé­mie-adjoint relève l’inexistence d’une campagne permanente sur la lecture.

Au niveau de la formation initiale, 60% des élèves instituteurs font un mémoire sur les apprentissages et la lecture.

En formation continue, les eff­orts sont concentrés sur l’informatique, l’histoire et la lecture. Le plan informatique et les stages liés à sa mise en place sont des occas­ions de créer des petits logiciels dont 50% concernent la lecture.

Depuis un an, 80% des P.A.E. concernent l’implantation de B.C.D. Le Rectorat (M.A.C.) peut y répondre par des financements allant de 2 à 6.000 F.

Des stages de 4 jours sont organisés par la M.A.F. et le C.R.D.P. de Lille. La cogestion dans les C.D.I., les lectures plurielles (interventions d’Y. PARENT, J.N. SOUMY, N. SCHNEEGANS), la lecture dans les collèges, dans les lycées, dans les L.E.P….

Depuis plusieurs années, la B.M. d’ARRAS propose un thème aux écoles pour préparer la fête du Carnaval.

Vers décembre, elle met place une exposition itinérante, prête des livres aux écoles. Des bibliothécaires viennent faire des animations.

Tout ceci aboutit à une fête de quartier et souvent à une fréquen­tation accrue des bibliothèques par les enfants.


LA FORMATION.


L’expérience de formation collective de SALLAUMINES-NOYELLES est souvent citée. En 1972, Bertrand SCHWARTZ et les syndicats ouvriers ont demandé au Centre Universitaire d’Education Popu­laire d’aider la population du bassin minier à se reconvertir pour accéder aux nouveaux emplois d’une zone industrielle devant être implantée à DOUVRAIN.


Nous nous limiterons à la Lecture pour ce qui concerne cette expérience.


Au départ, une bibliothèque - ressource péda­gogique est implantée. Le fonds choisi par les formateurs avec le concours de la B.C.P. est limité à une centaine d’ouvrages : psychopédagogie, manuels, dictionnaires, matériel pédagogique.


Une étape est franchie quand le public s’élargit des formateurs aux formés : les besoins se transforment en demande concernant la lecture elle-même. La B.C.P. accepte alors de créer une bibliothèque importante et détache une bibliothécaire.


Nouvelle étape : les lecteurs, par une sorte de contagion, débordent le public en formation. Famille, proches, amis fréquentent la bibliothèque. A cette époque “d’euphorie”, les lecteurs sont pour moitié des actifs et parmi eux, 45% sont des ouvriers. Phénomène remarquable quand on sait que les inactifs constituent souvent une large majorité du public des bibliothèques. 60% des livres empruntés sont des ouvrages documentaires, techniques et de sciences sociales.


Cette époque est un peu “retombée”, la B.C.P. envisage de reprendre son poste (ou de modifier son intervention) pour l’investir dans des actions plus prioritaires.


La formation à Sallaumines n’a pas conservé son caractère original : le public a changé ; le centre de formation accueille maintenant des stages comme tout autre centre. Faute d’avoir vu s’implanter les entreprises escomptées, la population de Sallaumines a perdu la motivation importante du début de l’expérience.


Persuadée de l’importance d’une formation de formateurs, la D.R.A.C. met actuellement en pla­ce, un programme de stages inter-professionnels qui réuniront des bibliothécaires, des libraires, des enseignants et des responsables de B.C.D…

Ces stages porteront sur la lecture et les nouvelles techno­logies. Une grosse dotation en micro-ordinateurs a été faite dans le cadre du Plan Régional d’Initia­tion à l’Informatique.


Les deux conseillères rencontrées à I’ANPE aident les demandeurs d’emplois dans leur information, leur formation et leur réinsertion professionnelle.

Très bien placées pour, à la fois, connaître les besoins des employeurs locaux et les souhaits des demandeurs d’emplois, que disent-elles des problèmes de lecture, du phénomène de l’illettrisme, etc...?

Ne prenons que quelques aspects des problèmes abordés.

Les demandeurs d’emplois se répartissent en deux catégories sensiblement égales : les salariés licenciés et les 18/25 ans à la recherche d’un premier emploi.

Pour beaucoup de demandeurs, la formation initiale (C.A.P. dans le meilleur des cas) ne correspond plus à l’offre d’emploi ; mais, le problème est complexe quand on considère le niveau des stages proposés (Bac ou Bac +2).

L’ANPE adresse un certain nombre de demandeurs d’emplois vers les stages de I’A.F.P.A. qui a comme critère de sélection minimum, de connaître les quatre opérations (et corrélativement de savoir lire).


La FPA de Liévin fait des stages de remise à niveau d’un an ou un an et demi; mais, elle recrute peu et des gens de bon niveau : on laisse les plus faibles. L’agrément préfectoral (qui conditionne les subventions), exige un taux de placement élevé, et on ne prend pas le risque de prendre “des bas niveaux” en stage.

Des organismes de formation mettent aussi en place des cours d’alphabétisation (les CUEP, par exemple).

Les mini-stages organisés par les ANPE ne peuvent répondre aux besoins énormes en lecture.

Quand on essaie de pousser la discussion sur le peu de préoccupations pour la lecture des responsables de l’ANPE, la réponse est que les problèmes sociaux et humains sont plus réels, plus prégnants, que la lecture n’est pas une nécessité immédiate !!!


DES ACTIONS


La semaine du “Livre et des Jeunes” coodornnée par la Jeunesse et les Sports : novembre 84 :

  • Arras : créations, recréations animation à partir de Gripari et Dumas (Délégation Départementale de la Jeunesse et des Sports),

  • Pernes en Artois : (Culture et bibliothèques pour tous),

  • Boulogne sur Mer : (Culture et bibliothèques pour tous),

  • Arras : Foyer de Jeunes Travailleuses (Anne Franck), BM et Libraires,

  • Pas en Artois: Foyer de Jeunes,

  • Boulogne : Opalivres,

  • Sallaumines : la littérature orale populaire.


Le service lecture de la FLASEN (FOL Nord - Pas de Calais) a mis en place :

  • une action de sensibilisation autour de la science-fiction,

  • trois grosses expositions de livres : une pour la maternelle, une pour le primaire, une pour les collèges,

  • lire pour vivre autrement : expositions et rencontres autour de livres (F.O.L. et B.C.P,) :

    • Béthune,

    • Douvrain,

    • lsbergues,

    • Oignies,

    • Outreau.


L’association Opalivres : région du littoral a monté 3 expositions :

      • les documentaires,

      • choisir un livre,

      • comment se repérer dans une bibliothèque,


Expositions Victor Hugo :

  • Saint Omer,

  • Habarcq.


Béthune 84 : le livre dans la rue.



DES ACTIONS ISOLÉES.

HUCQUELIERS, 500 habitants, située dans une zone rurale à l’ouest du Pas de Calais. Les seules ressources sont une librairie à 20 km et un dépôt de la presse locale.


Il y a deux ans, Yves LIMOUSIN (instituteur), préoccupé par la lecture cherche à mettre en place un lieu de lecture.


Avant de demander des aides, il faut prouver que c’est un besoin, qu’on peut y arriver. Pour démarrer, j’ai fait appel aux dons divers de livres (essentiellement, presse du coeur et policiers) et à des éditeurs. Cela a constitué un fonds de départ de 2.000 ouvrages.


L’Association “Source”, affiliée à la F.O.L., a aidé au démarrage. La mairie a prêté 2.000 F. et attribué une petite salle, la Jeunesse et les Sports: 10.000 F. Ces financements ont permis l’achat de matériels et d’équipements divers. La B.C.P. fait un dépôt de 800 ouvrages par an et continue à desservir le canton.


Nous en sommes à 4.200 livres ; une dizaine de bénévoles s’occupent de la bibliothèque ouverte 3 fois par semaine. La commune ne pouvant assurer le salaire d’un permanent”.


Cette bibliothèque, en plus du prêt, fait des animations. Pour le mois de la lecture, une activité de production d’écrits a été mise en place avec adultes et enfants. Un travail de discussion sur ces écrits continue à être mené.


Un bulletin mensuel est en projet. Son but : faire connaître les activités autour du livre et de la bibliothèque.


L’école primaire d’Hucqueliers (3 classes) est en train de monter sa B.C.D. (avec une subvention de 4.000 F. de Jeunesse et Sports).


Actuellement, la D.R.A.C. met en place une Agence de Coopé­ration Régionale dont les missions seront d’organiser la gestion informatisée des bibliothèques et la politique de sauvegarde et de coopé­ration en matière de patrimoine.


Perspectives d’abord de nature bibliothéconomique auxquelles de­vraient s’adjoindre plus tard des missions qui semblent de nature à faire évoluer la lecture : anima­tion, formation et information.



À HABARCQ, commune d’une zone rurale éloignée de tout, des enseignants ont mis en place une association: “Lire et connaître”. Une bibliothèque (adultes et enfants) fonctionne grâce à un dépôt de la B.C.P., à des subventions municipales (90 communes, 74 écoles sont concernées). Les lecteurs peuvent venir sur place ; un service de prêt de malles de livres et de cassettes existe aussi.


Des animations ont lieu: carnaval des enfants (un PAE), une exposition Victor Hugo, des actions sur le livre et l’enfant.



DES NOUVEAUX ÉCRITS ?


Ignace FLACZYNSKY, retraité mineur, autodidacte, partisan d’expressions populaires, membre de la Commission Arts et Traditions Populaires a animé des expositions avec le concours de la F.O.L., notamment ce qu’il appelle des “expositions-témoignages” dont il fait l’analyse critique.


Des lecteurs exposent leurs lectures et en parlent, c’est une tâche difficile, ingrate et anonyme ; le public n’accroche pas ; trop souvent, il y a confusion avec une foire du livre, ce travail a été abandonné.


Avec les groupes Freinet, j’ai fait des animations destinées aux enfants ; chacun parlait de ses lectures, apportait ses livres”.


Mais la passion de M. Flaczynski, c’est la littérature d’expression populaire qu’il lit en français, en allemand et en polonais.


Avec la fédération Léo Lagrange, il a essayé de recenser les écrits sur les mines pour faire une revue sur ce type de littérature dans le Nord et monter une exposition à Bruay en Artois. Lui-même écrit sur la mine et prépare une exposition sur les Polonais dans le Nord de la France. Il a impulsé des ateliers d’écriture populaire, de manière épistolaire, mais la démarche est difficile.


La littérature populaire est écrite par les gens exerçant un métier, ouvrier, employé, instituteur, écrivant après leur travail. Je préfère ceux dont les oeuvres reflètent leur travail. Mais ça peut être aussi bien des mineurs écrivant des poèmes sur un autre thème que la mine.


Il y a 30 ans, j’ai écrit avec POUYANE dans une revue d’expression prolétarienne, mais ce sujet intéresse peu le public.


En Allemagne, des ateliers d’écriture sont regroupés au sein de l’institut de Littérature Ouvrière. En France, avec l’institut Goethe de Lille, un projet d’exposition sur ce thème n’a pas abouti, faute de public


Cependant, I. Flaczynski ne désarme pas et souhaite monter une exposition itinérante où il pourrait faire découvrir des auteurs qui lui sont chers. -


Le peuple est condamné à être exploité s’il n’arrive pas à s’exprimer correctement. Des actions doivent être engagées en direction des jeunes.


Une expérience de regroupement des éditeurs en cours pour constituer l’Office de Promotion des Editeurs du Nord - Pas de Calais. Son but est d’améliorer la distribution, de favoriser les actions de promotion et de jouer un rôle de conseiller technique : il apparaît nécessaire de mettre en place des relations avec les auteurs et les éditeurs sur le terrain.


Selon P. ALLARD, il existe beaucoup d’écrits régionaux et locaux, surtout de l’histoire locale écrite par des retraités (souvent la vie des mines ou la vie à “tel endroit”, ou des poèmes).


C’est rarement intéressant. Cependant, l’écrit n’est pas nécessairement destiné à un public. On peut tout à fait justifier qu’on écrit pour soi, pour ses amis, ses proches... auquel cas, les techniques de reproduction peu coûteuses sont utilisables. Même si ces auteurs constituent autour d’eux une cellule, je ne suis pas sûr que ce soit intéressant d’éditer” (*)


Toujours selon P. ALLARD, il faudrait impulser un véritable réseau d’éditeurs professionnels, avec une infrastructure pour accompagner les éditeurs : des risques. Ca peut être un élément déterminant dans l’émergence d’auteurs et dans le travail que peuvent mener ensemble auteur et éditeur.


Si on introduit la notion de “pays” la traduction immédiate, c’est le patois local. Le patois est facteur de développement culturel dans des régions comme la Flandre française et la Picardie. La population redéfinit son identité en prenant en compte son patois. Des écrits picards paraissent dans un journal local”. (*)


Dans des stages d’insertion, des ateliers de découpage de papier (relents de culture polonaise) permettent de discuter, de découvrir les intérêts de chacun. Moi, je raconte ma vie de mineur et pourquoi je suis autodidacte, pourquoi je me suis instruit. Je tente de faire passer un “ essayez de vous instruire” et éventuellement, de poser des jalons pour aller plus loin.


Dans la région, il y a encore beaucoup d’illettrés. Les Français manquent d’écriture ! Il faut reprendre l’idée de susciter des ateliers d’écriture. Le téléphone a fait tomber l’écrit le plus simple la correspondance, l’épistolaire. Les familles d’origine polonaise l’utilise encore mais de manière trop intime pour être publié”.


Alors faute de trop d’espoir, il s’oriente vers des aides ; avec la constitution d’expositions : livres pour autodidactes, pour apprendre à lire, à écrire. Il met en place pour les 16-18 ans, les chômeurs, des informations pour les aider à résoudre leurs problèmes avec l’écrit. Désolé de ne trouver aucune association se souciant de la culture des chômeurs, il oeuvre pour essayer d’en sauver quelques uns.


Si ces jeunes chômeurs sont très pris au dépourvu, ne sachant pas lire un journal, s’exprimer, être indépendants, Il ne faut pas oublier les personnes âgées non préparées à la vieillesse. Pour certains, la T.V. aide à meubler le temps, mais ceux qui lisent sont moins malheureux. Il faudrait mettre en place des aides culturelles pour répondre à des gens toujours avides de connaissance. Certains villages n’ont même plus une école. Dans certains lieux, l’existence d’une bibliothèque me permet de parler de littérature ouvrière et d’écriture.

Avec la F.O.L., et des supports locaux, nous montons une exposition Victor Hugo”.


Dans le catalogue du seul gros éditeur d’écrits régionaux et locaux figurent les rubriques : poésie régionale, langue régionale, histoire et généalogie, mémoire collective, traditions.


Peu de critères objectifs apparents de la part de l’éditeur dans la sélection des mémoires d’histoire locale. L’éditeur a souvent choisi le mémoire concer­nant la ville la plus importante.


Il faut éduquer le public et lui faire progres­sivement comprendre la différence entre le violon d’Ingres et l’art contemporain.


Ce qui manque, c’est un travail des éditeurs. Ils doivent trouver des textes intéressants, faire travailler leurs auteurs et faire des efforts de diffusion” (*)


Cette conception exprimée par P. ALLARD diffère sensiblement de la réflexion de l’A.F.L. sur les nouveaux écrits et les conditions de leur création.

(*) Interview de P. ALLAR (extraits)­