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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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DOSSIER : Une politique de lecture, 2ème partie

Dans une association : la CSF


LA CONFÉDÉRATION SYNDICALE DES FAMILLES, QU’EST-CE QUE C’EST ?

  • 30 000 familles adhérentes au niveau national.

  • 3000 familles adhérentes dans le département de l’Isère.

  • 50 unions départementales.

  • 1 dizaine de maisons familiales.

  • des associations de travailleuses familiales (Associations Familiales Populaires) dans presque tous les départements.

  • des associations de familles monoparentales.


Des secteurs d’action tel que l’éduction, le logement, la consommation, les loisirs.

C’est la CSF.


  • La loi de réglementation du démarchage à domicile à la suite de l’affaire Marlinge.

  • La loi Quillot qui assure aux locataires plus de droit et une meilleure protection.

  • L’abrogation du décret institutant le dossier scolaire Haby, la gratuité des manuels scolaires dans les collèges, l’attribution de bourses aux immigrés.


Ce sont des conquêtes où la contribution de la CSF a été primordiale.


  • Une association à l’écoute des problèmes que les usagers rencontrent dans leur vie quotidienne (logement, traites à payer, échec scolaire, santé, cadre de vie...).

  • Une présence dans les quartiers qui suscite entraide et solidarité face ces problèmes.

  • Une aide à l’organisation collective des usagers au sein des quartiers.

  • La lutte contre l’assistanat par la participation d’un plus grand nombre d’habitants à la vie sociale.

  • Un interlocuteur face aux pouvoirs publics. C’est toujours la CSF.


DOCUMENTS C.S.F. :

NOUS magazine, abonnement annuel (6 n°) 55 F

Bulletin ÉCOLE ET FAMILLE. abonnement annuel (4 n°) 80 F

NOUS spécial Enfance (hors série) Éducation Santé École. 35 F

L’ÉCOLE ET L’ÉDUCATION QUE NOUS VOULONS. 25 F

Coût de la rentrée scolaire 1984/85. 20 F

15 ans de lutte syndicale avec les malmenés de l’école. 30 F

L’action de la CSF dans la lutte contre l’échec scolaire et pour la transformation et le développement de l’école laïque.

MONTAGES AUDIO-VISUELS : 100 à 115 diapos. 1 cassette. 1 livret. :

L’école maternelle et les travailleurs.

L’école primaire et les travailleurs.

Le fichage. Location 100 F

Action des parents sur l’école.

La lecture, c’est l’affaire de tous.

S’adresser à : Éditions GARIBALDI. CSF. 53, rue Biquet. 75019 PARIS.


Campagne de sensibilisation à la lecture dans le quartier de la Villeneuve de Grenoble. 30 F

À commander à: UD CSF Isère. 8bis, rue H. Berlioz. 38000 GRENOBLE.






LA VILLENEUVE DE GRENOBLE, QU’EST-CE QUE C’EST ?

C’est d’abord un grand ensemble de H.L.M. à la périphérie de Grenoble ; les premiers des 2.000 appartements ont été livrés en 1972.

C’est aussi des équipements intégrés tels que Animation Enfance, Unité sport, Action Sociale, Animations jeunes et adultes, Bibliothèque, Médiathèque, Centre Audio-Visuel, Centre d’Action Culturel regroupés au sein d’un CES - Maison de quartier.

C’est encore des équipements tels que : un centre de santé, une crèche, une halte-garderie, 2 foyers de personnes âgées.

C’est enfin 5 groupes scolaires primaires et maternels (l’équivalent de 10 écoles) avec 2 jardins d’enfants intégrés aux écoles maternelles engagés dans un projet d’éducation communautaire regroupant les instituteurs et autres professionnels des équipements cités plus haut.

Or, il se trouve que la rencontre de la CSF et de La Villeneuve de Grenoble est en train de prendre une importance considérable dans l’évolution de l’Association : l’action et la réflexion de la CSF concernant l’aide aux apprentissages, la lecture et la lutte contre l’illettrisme ne serait pas ce qu’elle est sans le groupe de la Villeneuve de Grenoble.


Sur la Villeneuve de Grenoble, lire :


UNE VOIE COMMUNAUTAIRE”. Les écoles de la Villeneuve de Grenoble. R. et R. MILLOT. Préface de Bertrand SCHWARTZ. Ed. Castermann. Coll. Orientations E3. 40,00F
“ECOLES EN RUPTURE” La Villeneuve de Grenoble. Préface de Jean FOUCAMBERT. Id. Syros. 40,00F

LA PÉDAGOGIE DE PROJET” 15,00F
“LA COÉDUCATION POUR CHANGER L’ÉDUCATION” 15,00F
“POUR UNE LECTURE FONCTIONNELLE” Aides à l’apprentissage. Systématisation. 10,00F


Tous ces ouvrages peuvent être commandés à :

ASSPRO. École du Lac 105 bis, Galerie de l’Arlequin 38100 GRENOBLE.

Les prix indiqués comprennent une participation aux frais de port.


Propos de Geneviève BOUVIER et Françoise GUYOT de la C.S.F., recueillis par Emmanuèle BUFFIN-MOREAU et Albert SOUSBIE, membres de l’AFL et ins­tituteurs à l’école des Charmes de la Villeneuve de GRENOBLE.


A.L. : Il semble naturel que la CSF se soit préoccupée de l’échec scolaire, qui touche particulièrement les milieux populaires. C’est par ce biais que vous avez abordé les problèmes de lecture. Pour commencer peux-tu raconter comment vous êtes arrivés à la Villeneuve de Grenoble à aider les habitants (parents, enfants) à prendre en charge ce problème de l’échec scolaire ?


C.S.F. : Dans les milieux populaires, l’école est généralement perçue comme la voie unique de l’accès au savoir et l’enseignant comme le spécialiste des apprentissages.

Les instituteurs confortent cette opinion, surtout en ce qui concerne la lecture : “Attention on a “notre” méthode, ne mélangez pas les méthodes, vous risqueriez de tout embrouiller dans la tête de vos enfants. Vous pouvez les faire lire mais seulement dans le Livre de lecture ou avec les étiquettes de la maîtresse ; mais surtout, pas d’initiatives !

Ce que les parents auraient de mieux à faire pour aider leurs enfants serait d’éviter de se mêler de ce qui se passe à l’école.

On a compris à la CSF, depuis longtemps, que les enfants des milieux populaires sont des étrangers dans l’école laïque française, qui ne tient compte ni de leur vécu ni de leurs acquis. Les programmes n’ont aucune résonnance chez ces enfants. Les habitudes culturelles propres à leur milieu (importance du concret pour l’appropriation des connaissances, importance des savoirs-faire manuels) n’étant pas prises en compte ni valorisées, les enfants ont des difficultés à progresser. Ils sont continuellement laissés pour compte et n’ont pas l’occasion de réinvestir chez eux ce qu’ils ont appris à l’école.

Quand on interpellait des enseignants au sujet de l’échec scolaire d’enfants par ailleurs capables de s’organiser et de se débrouiller dans leur vie quotidienne, ils nous répondaient que chez eux, ces enfants n’avaient pas de livres, qu’ils ne voyaient pas leurs parents écrire, que l’échec était fatal et qu’il venait de là.

On se contentait donc, à la CSF, d’organiser des “aides aux devoirs” dans les quartiers, en sachant bien qu’il s’agissait là de dépannage et non pas d’entraide.

À La Villeneuve de Grenoble, la CSF s’est trouvée devant des instituteurs très désireux de communiquer et de coopérer avec les parents, qui pouvaient participer à la classe et aux concertations d’équipe.

Petit à petit, on a compris que les enfants s’approprient des savoirs quand ils en ont besoin pour résoudre les situations de la vie quotidienne.

Certains parents du quartier commençaient à regarder le calcul et la lecture autrement que par le petit bout de la lorgnette scolaire. Ils pouvaient aider leurs ­enfants à acquérir des compétences et des connaissances nouvelles en les aidant à téléphoner à leur copain, en faisant les courses, en consultant avec eux le programme de télé, en les laissant libres d’organiser leurs loisirs, en leur apprenant à mettre le couvert et non plus seulement en les aidant à faire des devoirs.

La situation était mûre dans le quartier pour qu’on transforme “l’aide aux devoirs” et c’est comme ça que s’est constitué le “groupe d’aide aux apprentissages”.

L’aide aux apprentissages, c’est d’abord laisser l’enfant exercer ses capacités ici et maintenant.

Bien sûr le rôle de l’adulte est capital : il peut donner des informations, aider l’enfant à réfléchir pour trouver des solutions, l’encourager, l’aider à s’exercer.


Pour pratiquer l’aide aux apprentissages et non plus l’aide aux devoirs il est nécessaire de reconnaître que l’enfant est une personne à part entière avec ses besoins, ses désirs, ses projets, ses limites, qu’il est capable d’initiatives, de responsabilité, de solidarité, de créativité, qu’il peut et doit jouer un actif dans son environnement (école - famille - quartier...).

On ne peut plus le considérer comme un futur adulte qui doit attendre et apprendre avant d’avoir le droit d’entreprendre.

Avec l’aide aux apprentissages, les parents peuvent faire autre chose que s’effacer devant l’école pour mieux la seconder. Ce qui se vit dans les familles peut nourrir la progression de leurs enfants. Ce n’est pas seulement l’aide que les parents apportent qui change de nature : d’une part leur culture devient le point de départ de l’apprentissage, d’autre part ils retrouvent un pouvoir dans l’éducation de leurs enfants.


Un groupe de militantes de la CSF, aidé d’une institutrice, a décidé de passer à l’action.

Les objectifs de groupe (qu’on appellera maintenant groupe d’aide aux apprentissages) étaient les suivants:

- assurer aux membres du groupe une formation continue sur l’aide aux apprentissages,

- venir en aide à quelques enfants en difficulté et réfléchir sur les types d’aide àleur apporter,

- témoigner à l’école du travail fait dans le groupe en participant à des concertations d’équipe,

- sensibiliser et informer les familles pour leur permettre d’aider elles-mêmes leurs enfants dans les apprentissages de lecture, d’écriture et de calcul à partir de situations de vie quotidienne.


Ainsi les mères de famille du groupe ont acquis une formation sur les aides aux apprentissages et sont devenues peu à peu capables de la transmettre aux autres familles.

Elles organisaient des rencontres par petits groupes dans un local du quartier, dans la salle d’attente de la consultation des nourrissons ou dans un appartement ; chacun invitant ses voisins. Ensemble, on recherchait les situations d’apprentissage que les enfants rencontrent dans la vie de tous les jours et sur l’aide qu’on peut leur apporter.

Des diapositives et des panneaux avaient été fabriqués pour faciliter la discussion et enrichir la réflexion.


A.L : C’est donc dans le cadre de l’aide aux apprentissages que vous en êtes venus à parler de lecture. Quelle place y a-t-elle prise ?



C.S.F. : Il n’y a pas de mystère, l’échec scolaire, c’est avant tout l’échec en lecture. Aider les parents (tous les parents) à se réapproprier un rôle d’aide aux apprentissages, c’est d’abord les aider en lecture.

Très vite, le montage AFL “L’acte lexique” est apparu comme un outil précieux. Pourtant, quand il était présenté par des instituteurs, le public croyait voir la présentation d’une nouvelle méthode d’enseignement de la lecture. Entre parents, la situation était différente. Nous avons donc tenu à le diffuser nous mêmes (*).

En quatre ans, nous l’avons projeté une quarantaine de fois dans le quartier (dans les familles, auprès du personnel des équipements).

Auprès des autres sections CSF de l’lsère et de Lyon, nous l’avons projeté une vingtaine de fois.

Enfin, il nous a permis d’animer 5 séances de travail au niveau national CSF. Al’heure actuelle, plusieurs groupes départementaux le possèdent et l’utilisent (Chamberry, Brest, Lorient, Rouen, Marseille).

On nous demande souvent comment ce montage est reçu dans les milieux populaires. D’abord, il faut signaler que nous prenons un peu de liberté par rapport à la notice qui l’accompagne : nous n’hésitons pas à discuter longtemps après telle ou telle diapositive et à parler des différents aspects de la lecture à partir des réactions du public. Cela dit, notre public “accroche” bien. Les personnes qui se bloquent, figées sur leurs vieilles conceptions sont rares, en fait nous les rencontrons souvent chez les enseignants. Plus le niveau d’étude est élevé, moins nous avons le sentiment que le montage est compris !


(*) “D’un montage diapos à la descolarisation de la lecture. (Utilisation d’un outil de l’AFL pour l’information du public sur la lecture).” Raymond MILLOT, A.L. n°1, fév. 83, p.64.


En général, les “spectateurs” saisissent ce qui se passe quand on lit ; ensuite ils réfléchissent sur la manière dont ils ont appris à lire, évoquent des souvenirs d’école puis imaginent une autre école pour leurs enfants. Mais même alors l’apprentissage de la lecture par les enfants reste un problème.

Même convaincus que lire ce n’est pas syllaber, les parents de milieu populaire admettent difficilement qu’on puisse s’en passer pour apprendre à lire. Ils conçoivent mal qu’un enfant devient lecteur simplement parce qu’il trouve de plus en plus souvent dans l’écrit, des réponses aux questions qu’il se pose.

Ces parents pensent que leur vie quotidienne ne nécessite aucun recours à l’écrit et qu’eux-mêmes ne sont guère capables de lire. Nous, devons leur faire découvrir qu’ils utilisent l’écrit, dans leur famille ou dans leur profession, pour s’informer, communiquer, se souvenir.., et qu’il en est de même pour leurs enfants.

Pour que la diffusion du montage AFL “l’acte lexique” ait un réel impact sur l’attitude des parents à l’égard de leurs enfants, il fallait impliquer ces familles de milieux populaires dans une réflexion sur la lecture.


Avec une institutrice, nous avons donc lancé dans le quartier une campagne sur la lecture ayant pour thème : “Et vous, aujourd’hui, qu’avez-vous lu ?” (*)

450 dossiers ont été rapportés et 1.200 situations de lecture ont été relevées pour une même journée. Elles ont servi de matériau à l’élaboration d’un montage diapositives : “La lecture, c’est l’affaire de tous”.

Ce montage a été réalisé sans l’institutrice, dans et avec les familles, car nous tenions à ce qu’il soit l’émanation de ces dernières. En 6 mois, 65 d’entre elles ont participé à la prise de vue ou aux enregistrements. Actuellement, ce sont elles qui organisent des soirées de projection, auxquelles sont invités voisins et amis.

La réalisation a permis de nombreux contacts et joué un rôle dans l’implication de mères, de pères, ou de jeunes du quartier. A la projection, les gens reconnaissent leurs conditions de vie. C’est très important pour qu’ils s’expriment et discutent alors de leurs lectures, de celles des enfants, de l’apprentissage de la lecture et des aides qu’ils peuvent apporter.


(*) “La lecture, c’est l’affaire de tous. (Une opération lecture à la Villeneuve de GRENOBLE).” Monique EYMARD, A.L. n°3, sept 83, p.78.

Lire, en outre, de Monique EYMARD, “On n’est jamais trop petit pour lire” A.L. n°2, mai 83 p.8O et “Petite histoire”, A.L. n°8, Déc 84, p.15.



A.L. : Malheureusement, dans les milieux auxquels vous vous adressez la lecture tend à se réduire à l’indispensable. On la qualifie parfois de lecture de survie. Peut­-on espérer développer la lecture et son apprentissage en améliorant ces pratiques­-là ? A l’AFL, l’essentiel nous paraît au contraire de permettre à ces couches de population de changer de lecture, c’est-à-dire de trouver dans des réseaux de communication écrite multiples, une insertion qu’ils n’ont pas actuellement.


C.S.F. : Effectivement, le montage “la lecture c’est l’affaire de tous” ne présente que des activités de lecture très réduites. Il faut l’utiliser comme un point d’appui pour aller plus loin, lire autre chose, s’approprier d’autres connaissances, reprendre du pouvoir sur l’éducation de ses enfants mais aussi sur tous les domaines qui font la vie des gens (logement, informations, loisirs, ...).


A.L. : À travers votre montage, vous avez établi un parallèle entre l’aide à apporter aux enfants en difficulté et les besoins des adultes concernés par l’illettrisme. Quelles ont été dans la pratique les conséquences de ce rapprochement?


C.S.F. : Après le passage de notre montage ou à la suite de l’entraide familiale, des femmes immigrées illettrées nous ont demandé de les aider à suivre la scolarité de leurs enfants. Une fois réunies, elles ont exprimé des attentes plus personnelles qui révélaient un immense besoin de... disons de sortir de leur coquille. Cela a entraîné des actions assez diverses. Ces femmes ont découvert des recettes écrites, appris à utiliser l’annuaire et même à téléphoner. Il a fallu les aider à être autonomes dans le bus, à se servir des informations du quartier concernant l’école, les loisirs, le logement...

En plus de faire preuve d’une très grande énergie pour s’approprier l’écrit (repérer les mots, les retenir) ces femmes ont toujours manifesté un grand besoin d’informations : besoin d’aller voir sur place ce qu’est un gymnase, une B.C.D.,

Avant de lire une information sur les loisirs du quartier il a fallu qu’elles échangent ce qu’elles en connaissaient, puis que l’animatrice apporte de nombreuses informations manquantes. C’est alors seulement que le travail sur le texte a été possible.

L’entraide a été un facteur décisif de progrès. Lors du travail à propos du téléphone, celle qui parlait était aidée par les autres : “Dis-lui au docteur que ton fils a de la fièvre, c’est important”. Après l’étude d’une information telle que celle concernant les loisirs elles se retrouvaient entre elles, reprenaient le texte étudié, puis quand il était périmé, s’attaquaient au nouveau programme.

Leurs progrès ont été également liés au statut qu’elles avaient lors des réunions du groupe. Elles n’étaient pas considérées comme des assistées, mais comme des personnes à part entière devant se prendre en charge, mener leur vie, prendre des décisions.

Les y aider, c’était possible.


Pour en revenir à la lecture, on se rend bien compte que ces femmes ne sont pas en train d’apprendre à lire, il ne s’agit que d’un premier stade, d’une première façon de sortir de chez soi, d’une nouvelle manière d’aborder les informations du quartier, les problèmes administratifs, la technologie quotidienne... Mais c’est une préalable indispensable. Si un minimum d’autonomie n’est pas conquis, aucun apprentissage ne peut se faire, les besoins de lecture n’existent pas. Ce n’est que plus tard que ces femmes seront aptes à entamer un apprentissage plus pointu de la lecture et l’écriture.


A.L. : Par les actions définies plus haut la CSF a trouvé sa place comme co­éducateur dans les familles, son terrain d’intervention privilégié ! Mais l’absence de cohérence dans le quartier en matière de lecture s’est bientôt fait sentir.


C.S.F. : On peut citer 3 exemples de cette incohérence.

La démarche d’apprentissage de la lecture dans les écoles était complètement différente de l’alphabétisation pratiquée à la formation continue.

À la crèche et à la garderie, des enfants repéraient leur casier à l’aide d’images,alors qu’à l’école maternelle, des enfants du même âge repéraient le leur grâce à une étiquette marquée de leur nom.

Les animateurs de l’animation enfance rédigeaient les informations concernant leurs prestations dans un langage incompréhensible pour les enfants pendant que l’école et les groupes d’entraide essayaient de les rendre autonomes à l’égard de leurs loisirs.


Face à cette incohérence, la CSF a réuni plusieurs fois, différents professionnels. On a proposé par exemple au personnel du Centre de santé de faire un affichage clair et lisible pour indiquer les différents services (Docteur Untel, infirmerie, radiologie, ..).

On a suggéré que le personnel d’accueil aide les non-lecteurs à trouver des points de repère sur cet affichage plutôt que d’accompagner les gens comme ils avaient l’habitude de le faire.

Certains travailleurs sociaux ont très bien reçu ces idées. On a vue des assistantes sociales amener des familles à faire participer leurs enfants ou amener certaines femmes immigrées à participer au travail du “groupe femmes” de la CSF.

A la formation continue, le travail s’est rapidement transforme dans le sens de l’aide à l’apprentissage de la lecture. En revanche, le travail n’a guère avancé avec le collège.

Quelquefois, les contre-sens étaient énormes (on a vu un médecin du Centre de santé envisager de rédiger des ordonnances illustrées, les moniteurs de l’animation enfance ont mis longtemps à se poser en éducateurs à part entière et préféraient s’en tenir à un rôle de prestataires de loisirs).


Ces résistances montraient bien qu’il ne s’agissait pas seulement d’une question de cohérence éducative mais bien d’une question de statut c’est seulement si on considère les gens (enfants ou adultes) comme capables de se prendre en charge et capables d’apprendre par eux-mêmes, qu’on peut les “aider” au lieu de les “assister” ou de les “enseigner”.


A.L. : On voit que vous vous souciez de sensibiliser les institutions du quartier aux questions d’aide aux apprentissages. Les travailleurs sociaux ont un rôle-clé auprès des habitants. S’agit-il là de formation de formateurs?


C.S.F. Quand on s’adresse au Service d’action sociale, au Centre de santé à l’Office public de HLM, à la formation continue... nous nous posons en mandataires des usagers qui interpellent les services publics.

Pourtant la formation des formateurs est un choix politique. Les forces militantes de la CSF n’ont pas à être largement mobilisées par les groupes d’aide aux apprentissages ; il vaut mieux engager des moniteurs comme nous le faisons désormais à Grenoble, grâce à une subvention du Fond d’Action Sociale.

Notre action de formateurs s’effectue auprès de 3 publics différents :

- les moniteurs d’entraide scolaire de la ville de Grenoble,

- les aides familiales de l’A.F.P. (au niveau local et national),

- les responsables CSF (nationaux ou des groupes locaux).


A.L. : Vos actions de formation sont-elles le reflet de votre pratique dans les groupes d’aide aux apprentissages?


C.S.F. : Oui, parce que nous tenons à rester proches de ce que les gens vivent sur terrain.


A.L. : Cette manière de travailler peut être illustrée par les réunions des moniteurs d’aide aux apprentissages du groupe de La Villeneuve. Peux-tu raconter?


C.S.F. : Tout d’abord, nous recrutons dans la mesure du possible, des étudiants(tes) habitant le quartier. Nous participons avec eux à des réunions mensuelles où chaque moniteur fait le point sur les demandes qui s’expriment dans le groupe dont il a responsabilité et sur la façon dont il répond à ces besoins.

Un instituteur de chacune des 5 écoles du quartier participe à ces réunions, ce qui permet une aide technique appréciable (sous forme de modèle - type de jeu, d’exercices, d’entraînements) et une harmonisation du travail auprès des enfants en difficulté.

Bientôt, les moniteurs renoncent à la pratique des manuels, ils s’aperçoivent qu’il n’y a pas de recette magique pour enseigner mais qu’ils doivent fabriquer des outils pour aider les enfants à progresser à partir de leurs propres préoccupations.

Par exemple un moniteur a fabriqué un jeu de mémory sur toutes les inscriptions qu’on peut trouver dans un hôpital (maternité, accueil, visiteurs, radiologie) à l’occasion de la visite que les enfants ont faite à leur mère hospitalisée.

La même démarche est adoptée pour la formation des aides familiales, et plus ponctuellement (à cause de l’éloignement), c’est encore la même démarche que nous adoptons avec les militants CSF chargés d’entraide scolaire ou d’aide aux apprentissages dans les autres groupes locaux de la CSF.


En plus de ce type de travail, essentiel à nos yeux, nous en retenons 3 autres.

Nous assurons une information théorique :

- sur l’échec éducatif dans les milieux populaires et sur ses causes économiques, politiques, sociales ou scolaires (avec la participation d’intervenants de l’AFL, du CEFISEM, du GFEN et d’instituteurs de la Villeneuve)

- sur la lecture. En présentant des textes, le montage de l’AFL sur l’acte lexique et le montage de la CSF “la lecture c’est l’affaire de tous”.


Nous provoquons la réflexion :

- en faisant apparaître le parallèle qui existe entre l’aide aux apprentissage et la lutte contre l’illettrisme (avec l’intervention de responsables de la formation continue et d’instituteurs(trices) de la Villeneuve.)

- en s’attachant , s’il s’agit de militants CSF concernés par l’entraide scolaire à analyser la réalité de leur quartier pour envisager ce qu’il sera possible d’entreprendre quand chacun sera retourné dans son union locale.


A.L. : Sais-tu ce qui se passe quand vos militants sont rentrés chez eux à la suite d’un de ces stages?


C.S.F. : On peut dire que “l’aide aux apprentissages” semble combler un vide, apporter le chaînon manquant à nos militants, qui sont enthousiasmés par le contenu des stages.

Par conséquent, le réinvestissement est immédiat. En zone rurale ou urbaine, des groupes de parents, le plus souvent des mères, se constituent, avec parfois la participation d’instituteurs. Sous des formes différentes, ils réfléchissent à l’apprentissage de la lecture dans et hors des écoles, construisent des jeux de lecture, réalisent et diffusent des expositions. Quelquefois même, comme à Saint Etienne, à Roubaix, ils essaient de produire des écrits adaptés aux besoins des enfants.


Emmanuèle Buffin-Moreau et Albert Sousbie