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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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éditorial

Mais chacun sait aujourd’hui que des textes officiels se préparent qui favorisent l’immobilisme, quand ce n’est pas le repli frileux.

Personne aujourd’hui ne doit se sentir très à l’aise dans les débats de politique éducative. Trop d’éléments contradictoires interviennent, depuis la flatterie d’une opinion publique à qui on n’a pas donné les moyens de prendre la mesure des problèmes jusqu’au “tableau d’honneur” décerné récemment à l’ensemble des mou­vements pédagogiques. Est-ce en cela que réside l’art politique ? Plonger chacun dans de telles ambiguïtés que tout engagement devient contradictoire ? Mais la limite apparaît rapidement, qui marque la nocivité d’une telle attitude ; car à défaut de pouvoir s’engager, chacun se dégage. Une politique de l’ambiguïté, même quand elle rencontre l’approbation de l’opinion, se condamne a échouer à moyen terme par la simple désertion des actifs sans qu’en contre partie, on assiste à la mobilisation des passifs...

C’est pourquoi, quelle que soit l’admiration que de tels trésors tactiques peuvent susciter, elle doit être sereinement combattue, en tant que politique de l’am­biguïté, et non sur tel aspect qu’elle propose et que tel autre s’empresse de contredire.

Le slogan « Soyez moderne, lisez ! » tout autant que les dix propositions récentes pour la lecture, s’ils n’apportent pas de solutions nouvelles, confirment des actions entreprises et officialisent des choix nécessai­res. Mais chacun sait aujourd’hui que des textes officiels se préparent qui favorisent l’immobilisme, quand ce n’est pas le repli frileux. Et l’on a encore en mémoire l’intention de rétablir l’examen d’entrée en sixième ou les devoirs du soir... Tout cela ne peut aller ensemble.

À l’AFL, comme au sein des Mouvements pédagogiques, nous nous sommes réjouis et nous nous réjouissons qu’un Ministre de l’éducation rappelle que l’école constitue, pour un pays, et davantage encore en période de crise, le premier de tous les investissements.

­Et si des milliers de militants pédagogiques se battent depuis si longtemps pour que la pédagogie se transforme, c’est qu’ils ont mesuré l’inadaptation croissante de l’école au rôle qu’on attend d’elle. Ils ont fait, eux aussi, l’analyse du manque d’efficacité croissant du système éducatif, mais sans en faire porter la responsabilité aux enseignants et encore ­moins aux quelques poignées d’innovateurs. Les résultats actuels ne sont pas le fruit des bavures, des disfonctionnements, du laxisme ou des idées nouvelles. Ils marquent seulement la limite que l’excellente de la troisième république ne peut dépasser. C’est une autre école qui doit naître et cette naissance, qui suppose la transformation radicale de ce qu’on connaît est nécessairement douloureuse. Tout doit être fait dans la fermeté et le respect de chacun, pour l’aider.

Aussi, ne comprenons-nous pas que des instructions ne s’imposent pas cette transition pour objectif. Le rôle historique d’un ministère qui se veut comparable à celui de Jules Ferry, c’est de faire naître l’école du 21ème siècle, non de maintenir en état de coma dépassé, celle qui a su être l’outil que l’on sait au moment où il le fallait. L’histoire jugera le ministère actuel, non à son pouvoir de restauration mais à son pouvoir de mutation. Etre une charnière, être l’indispensable transition...

Les Mouvements pédagogiques ont fait ce qu’ils devaient pour avoir le droit d’attendre d’un gouverne­ment de gauche qu’ils ont voulu, un engagement clair en ce sens. Or, il est à craindre que tout le monde ne s’empêtre aujourd’hui dans une conception fausse de la solidarité, qui conduit à ne pas s’élever contre l’ambiguïté, voire même contre l’erreur. Nous n’avons pas à oublier que nous aurons aussi demain d’autres combats à mener, cette fois contre des adversaires, et que nous ne pourrons le faire que si nous avons montré envers nos alliés autant de vigilance, d’exigence et de fermeté.

Félicitons-nous que le Ministère “fasse prendre l’école au sérieux” mais pesons de tout notre poids pour que ce sérieux soit vraiment sérieux. Il s’agit bien ­de changer l’école ; et donc d’affronter, pour reprendre les termes de M. Pair, directeur démissionnaire des lycées “la peur du mouvement, la soif d’autorité, le corporatisme des disciplines, l’élitisme aveugle, la défense des privilèges donnés par le savoir”... tout autant que de s’opposer à la dénaturation permanente ­de l’innovation dès lors qu’elle est reprise par système traditionnel.

Ce combat que les Mouvements pédagogiques ont ­l’habitude de mener sera gagné si nous parvenons à libérer les qualités du plus grand nombre des enseignants. Et nous n’y parviendrons qu’en imposant des solutions cohérentes avec les intentions. Aussi devons-nous répondre à l’ambiguïté par la clarté : c’est là le seul sens du mot solidarité.


Jean Foucambert