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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°16  décembre 1986

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Note de lecture

La logique de l’écriture”

Jack Goody

Éd. Armand Colin


Nous pensons être les héritiers des civilisations gréco-latines. Erreur, écrit Jack GOODY, ancien res­ponsable du département d'anthropologie de l'Uni­versité de Cambridge, dans son dernier livre « LA LOGIQUE DE L'ÉCRITURE. Aux origines des sociétés humaines», paru aux éditions Armand Colin. Et pourquoi ? Parce que l'écriture est née en Mésopotamie et à Sumer, il y a 5 000 ans, et que l'organisation de ce qu'il est convenu d'appeler la société occidentale est un des effets de cette innovation.

L'originalité de la thèse de Jack Goody réside dans l'impor­tance accordée au rôle des moyens de communication dans le fonctionnement et l'évolution des sociétés, minimisant par là même, celui généralement imputé aux modes et aux struc­tures de production. (Encore qu'elle est bien dans « l'air du temps», en cette période de réfutation du marxisme.)

En comparant la naissance et l'essor de sociétés orales et de sociétés connaissant l'écriture, Jack GOODY illustre à l'envi la responsabilité de l'écrit dans la construction de notre civili­sation. Les seuls titres des chapitres de son livre sont en eux­mêmes significatifs en attirant l'attention sur des aspects dont on sait qu'ils sont à la fois constitutifs de notre société et nés de l'écrit : Les religions du Livre... La parole de Mammon... L'État, le bureau, le dossier... La lettre de la Loi...

Pour Jack GOODY, l'écriture a introduit «l'emploi partielle­ment décontextualisé du langage dans des contextes for­mels». C'est ainsi que les religions écrites - contrairement aux cultes oraux particularistes et traditionnalistes - se sont diffusées grâce à leur « universalisme » (c'est-à-dire « l'impor­tance qui est attachée au fait de traiter tous les hommes selon les mêmes normes généralisées et impersonnelles») et de leur « rationalité » (définie comme « une attitude réceptive à l'égard de solutions nouvelles» préparant les individus «à remplir de. fonctions spécialisées et à se laisser gouverner par des normes universalistes»). Cet universalisme étant relié «à 1a présence d'un État rationnel juridique et d'un système juridique universaliste ». Mais l'écriture a aussi provoqué l'émergence d'une classe de lettrés, l'apparition de la bureaucratie, le développement d'une économie complexe, la réalisation d'échanges commerciaux géographiquement étendus, la création de la comptabilité, du crédit, du recensement, etc.

Est-il convaincant ? Il est difficile pour un non-spécialiste de juger de la pertinence de certaines démonstrations dans l'ignorance où il se trouve des faits et des références invoqués. Car la grande question est bien celle-là : l'écriture est-elle une cause ou une conséquence de l'organisation capitaliste de la production et des échanges ? L'a-t-elle instaurée ou n'en est-elle que le moyen, l'outil privilégié? Quand GOODY réfute l'affirmation de PIGGOTT selon laquelle l'écriture cunéiforme mésopotamienne «n'était pas une invention délibérée mais le sous-produit accidentel d'un sens aigu de la propriété privée», il semble pourtant, aux yeux d'un béotien en anthropologie, qu'il fait état d'arguments qui renforcent l'idée qu'il condamne et que ce sont bien les impératifs économiques (avec toutes leurs conséquences au niveau des rapport sociaux) qui ont conduit les hommes à « inventer» ce moyen indispensable qu'est l'écriture.

Laissons aux historiens et aux sociologues le soin de débattre de la validité de cet apport original sur les sociétés « primitives ». L'intérêt de ce livre est de rappeler aux non-spécialistes toute l'importance historique et sociale de l'écrit. C'est en cela, sans doute, qu'il peut intéresser les lecteurs des A.L.

M.V.