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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°17  mars 1987

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note de lecture

MÉTHODE D'APPRENTISSAGE DE LA LECTURE POUR LES TRAVAILLEURS IMMIGRÉS
Bernard GILLARDIN
Éd. Retz, 2 tomes et un guide pédagogique

L'édition de la « méthode Gillardin » était attendue. Des versions provisoires et incomplètes étaient en effet utilisées, « en attendant »*, et parmi tous ceux qui, pro­fessionnellement ou non, sont engagés dans des actions d'alphabétisation d'adultes fondées sur les techniques de correspondance oral/écrit, beaucoup mesurent l'inanité de leurs efforts et la considèrent comme une solution de rechange et un moyen pratique qui leur permettra, quand ils l'auront, d'adopter d'autres démarches.

Formateur d'adultes immigrés puis responsable pédagogique à l'Association pour l'Accueil et la Formation des Travailleurs Migrants (AFTAM), Bernard GILLARDIN est très vite insatisfait par les méthodes scolaires traditionnelles d'enseignement de la lecture, a fortiori quand elles sont utilisées, à peine modi­fiées, pour des adultes non francophones. Dans sa quête, il découvre d'abord ce qu'est la lecture dans les livres de Fran­çois RICHAUDEAU et de Jean FOUCAMBERT puis les propositions didactiques contenues dans les fichiers ATEL et dans Je deviens un vrai lecteur. On imagine la suite, notamment quand il se heurte aux réticences des formateurs qu'il est chargé d'aider, peut-être convaincus par les orientations qu'il prône, mais "ne voyant pas comment faire pratiquement »! C'est donc bien un manuel, composé de trente leçons, fruit de son expérience, qu'il propose aux personnes chargées d'enseigner la lecture aux «analphabètes complets» ou aux « ânonnants » ou encore aux étrangers « lecteurs dans leur lan­gue », pour reprendre sa terminologie.

Bernard GILLARDIN postule qu'il faut mener de front l'appren­tissage de l'oral et de l'écrit parce qu'«une lecture réussie suppose une connaissance sensée du langage » ou encore qu'enseigner la lecture c'est « élargir les possibilités d'identifi­cation par l'acquisition de vocabulaire et de structures orales et écrites sensées ». Chaque leçon commence donc par la présentation, à l'aide très souvent de figurines et d'un tableau de feutre, d'une saynète source de « nouveautés » d'abord orales (et presque toujours sous forme de dialogue, notons-le) puis écrites. Viennent ensuite les exercices classiques d'iden­tification, d'anticipation... sur l'écrit ainsi « acquis », des exer­cices d'écriture, de vocabulaire, de grammaire implicite, etc.

L'analyse de cette méthode nécessiterait de longs développe­ments. Nous nous contenterons de quelques remarques, ren­voyant nos lecteurs au texte que Jean FOUCAMBERT consacre dans ce numéro à la nature des écrits qu'on propose aux apprentis lecteurs. Notons quand même le caractère artificiel, préétabli, scolaire, des situations inductrices d'oral et d'écrit imaginées par B. GILLARDIN. On ne lit pas pour communiquer mais pour apprendre à parler et à lire dans ses leçons. Passons... la critique des manuels sco­laires a suffisamment été faite. D'autant plus qu'on comprend le souci de l'auteur d'apporter une aide directement utilisable à des formateurs, mais aussi à des animateurs non profession­nels confrontés à une tâche difficile et pas nécessairement prêts à abandonner - sans garantie - la sécurité de ce qu'ils ont l'habitude de faire. Néanmoins, on peut craindre que les utilisateurs de cette méthode considèrent que l'essentiel de l'aide qu'ils peuvent apporter à leurs stagiaires réside dans le travail systématique sur un écrit-prétexte dont la raison d'être et la nature importent peu.

Car nous sommes loin, dans les situations préconisées, «des raisons et des réseaux de la communication écrite » dont parle Jean FOUCAMBERT dans son article qui rappelle que si le type de travail qu'on fait sur l'écrit est certes important, ce sont les caractéristiques des écrits sur lequel le travail est fait qui sont fondamentales. Or, nous avons affaire, avec la méthode de B. GILLARDIN (qui insiste sur l'intérêt - au moins au début - du dialogue) à des écrits qui ne sont que de l'oral transcrit. La spécificité de la communication écrite est ignorée. On en arrive à cette gageure qu'une méthode qui veut rompre avec un enseignement de la lecture définie comme la recherche de l'oral dans l'écrit sous la forme d'unités sonores (le déchiffrement) considère la lecture comme la reconnais­sance dans l'écrit de formes orales réputées « sensées ». La référence à l'oral est autre mais n'en existe pas moins. En quoi cette relation maintenue à l'oral dans l'investigation de l'écrit est-elle contradictoire avec la communication écrite et le statut de lecteur ? C'est sur quoi il faut tous réfléchir.

Il n'est, bien entendu, pas question de nier la nécessité de l'apprentissage du français oral pour les publics auxquels s'in­téresse B. GILLARDIN. Mais il est indispensable, dès qu'on aborde la lecture, d'avoir présent à l'esprit, ce qui distingue la communication écrite de la communication orale. Si nous sommes critiques, dans le dossier sur la littérature enfantine de ce présent numéro, à propos de certains livres dans lesquels l'écrit n'est que de l'oralité transcrite, c'est pour les mêmes raisons. Ces « livres » ne supposent pas que les enfants soient lecteurs et ne les préparent pas à la lecture.

Ce qui est important dans la méthode de Bernard GILLARDIN (et nouveau, à notre connaissance, dans le domaine de l'al­phabétisation d'adultes) c'est l'abandon complet du code de correspondance et le souci de faire acquérir aux débutants des techniques authentiques de lecture. Il faut donc saluer sa parution. Reste pour tout ceux qu’intéresse l’apprentissage de la lecture, à continuer la réflexion sur la nature des écrits sur lesquels on apprend à lire.

Michel Violet

*Nous en avions rendu compte dans notre dossier sur l’alphabétisation des adultes (A.L n° 11, oct. 85, p.63)