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La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°27  septembre 1989

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ACCOMPAGNEMENTS DE PROJETS

Marie-France FREY, responsable du « secteur formation » de l’AFL, a déjà fait état dans nos colonnes d’un stage de formation de formateurs commodément appelé « stage d’analyse de pratiques ». Elle en décrit ici sa spécificité et sa logique propre, expliquant pourquoi son déroulement et ses objectifs ont permis de mesurer les limites de ce qui se fait habituellement en la matière. Les textes rédigés par les formateurs des divers organismes participant à ce stage, en même temps qu’ils rendent compte de projets multiples, illustrent implicitement son propos en montrant en quoi une analyse de pratiques « classique » ne peut que satisfaire très partiellement les préoccupations et les besoins ainsi révélés.

Ce stage, financé par le FAS, s'inscrit dans une logique de formation un peu différente. Un « stage » s'entend habituellement comme un regroupement de personnes (formateurs, bibliothécaires, par exemple) réunies autour du projet d'apprendre, d'approfondir un certain nombre de concepts théoriques - ici, lecturisation, acte lexique, lecture et statut, projet et apprentissage - et de les confronter à leurs pratiques professionnelles. Mais ces pratiques professionnelles de formateurs, de bibliothécaires, ne sont pas là, par définition. L'analyse des pratiques passe, bien entendu, par l'analyse des discours qu'on en fait, par la théorisation que chacun peut formuler, à un moment de sa trajectoire professionnelle.

Le groupe est généralement « animé » par un formateur dont la fonction est alors de le nourrir de références conceptuelles, d'aider les personnes à se lancer dans des expériences « innovantes » ou de guider l'avancée des pratiques telles qu'elles se disent... Sans échapper complètement à ce schéma relativement classique de la formation, le but de ce stage « d'accompagnement » est d'inverser la logique, autant que faire se peut dans les contraintes institutionnelles habituelles. Sur quoi se veut-il différent ?

     . Au départ, pour les six fois deux jours mensuels de rencontre c'est une équipe qui s'inscrit, porteuse d'un projet de lecturisation qu'elle lance au nom de son organisme d’appartenance. Quatre équipes, de quatre associations (AFIFA, ADFI, ASOFAC, CEFEP) se sont donc engagées dans cette formation sur des projets très divers comme le montage expérimental d'un stage pour jeunes très faibles lecteurs, la conception et la mise en place d'une documentation pour faibles lecteurs à partir d'un APP et généralisé sur l'ensemble de l'organisme, des ateliers lecture à monter sur un quartier d'une commune, des lieux à créer entre un groupe d'alphabétisation et les écoles du quartier.

     . La fonction du groupe de douze personnes ainsi constitué est d'aider à la conception et à l'analyse des projets : sorte d'auto-analyse des pratiques de formation à partir d'un référentiel commun, discuté et travaillé en amont. La base de ce travail, ici a été le texte des « 7 propositions » de l’AFL, puisque l'idée était d'agir sur les politiques des organismes de formation, des communes, en même temps que sur les démarches des acteurs techniques, porteurs des projets.

     . Pour que l'effet sur les organismes soit possible, le groupe s'est déplacé à chaque fois sur un des lieux de travail d'une équipe, invitant alors tous les personnels concernés à se joindre à lui pour une journée de travail - journée de réinvestissement sur les autres actions de l'association et sur sa politique d'ensemble - ceci permettant de favoriser la création d'un réseau inter-équipes, inter-organismes, réseaux de formateurs et de stagiaires....

    . Et puis, si l'on dit qu'apprendre c'est bouger aux frontières de son statut, pour le formateur, c'est souvent se mettre à écrire pour d'autres, à transmettre ce qu'il a compris de ce qu'il veut faire. La journée d'ouverture sur l'association est donc conçue, animée et écrite ensuite par les formateurs en stage.

Au fur et à mesure de l'avance du stage qui se déroule volontairement sur plusieurs mois, c'est la prise en charge de l'animation de cette journée qui donne de plus en plus de sens au travail du groupe. Pour être en position d'animation sur des thèmes tels que :

     - acte lexique et entraînement lecture,

     - l'exclusion par rapport à l'écrit,

     - projets et apprentissage,

     - entrée dans des écrits complexes,

     - lecture et statut,

     - réseaux d'écrits ;

     il faut avoir pris de la distance par rapport à ses pratiques de formation, les avoir analysées ensemble à partir d'un référentiel commun... et trouver des techniques pertinentes pour les faire partager à d'autres. Il se construit là, me semble-t-il, une qualification collective de personnes que l'on pourrait appeler des « agents de lecturisation » fonction qui déborde du métier habituel du formateur. Le profil du poste s'élargit avec, aux deux bouts de la chaîne, des fonctions aussi différentes que la manipulation d'outils performants d'entraînement à la lecture (par exemple, à l'ASSOFAC, travail informatique sur le « bureau lecture » de l’AFL) et des activités plus proches de l'agent de « développement local » que du formateur-pédagogue au sens où on l'entend habituellement. Ces aspects-là de la fonction supposent une formation et une pratique de la négociation avec de nombreux partenaires (politiques, professionnels ou administratifs voire, pour certaines expériences, des compétences proches de « l'expertise » auprès de différents services et élus de la municipalité. Sans compter, bien sûr, une autre qualification qui se construit aussi au fil du temps, celle de lecteur, observateur des écrits existants, et celle de producteur d'écrits... Les témoignages qui suivent en sont un exemple, Écrits en chantier à la croisée d'un compte rendu d'expérience, d'un temps de respiration par rapport à une pratique, d'un regard distancié sur ce qui a été fait... et reste à faire. Écrits « à la chaîne » pendant le temps très court de la formation, qui auraient pour ambition de susciter d'autres écrits, tant il est vrai qu'écrire permet aussi de comprendre et d'apprendre à voir autrement.

Marie-France Frey