La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°51 septembre 1995 |
note
de lecture
|
Qu'est-ce qu'un livre ? Emmanuel KANT
Voilà un ouvrage dont la couverture et le titre laissent entendre qu'il est de Kant. En réalité, sur les 140 pages qui le constituent, 40 (117 à 139) sont de l'auteur désigné ! Le reste ? Une préface de Dominique Lecourt et une "introduction" de plus de 100 pages de Jocelyn Benoist accompagnée d'un texte de Fichte. Si nous en faisons état, c'est que malgré toutes les apparences (des textes d'auteurs du 18ème siècle), il aborde des préoccupations semblables à celles exprimées dans bon nombre d'ouvrages paraissant actuellement, à savoir : comment définir un livre et son propriétaire (car l'auteur autant que l'éditeur et que le propriétaire d'un exemplaire ont droit à dire : c'est mon livre) ? en quoi le livre, qu'on le considère comme un "message" ou comme l'instrument de sa diffusion, se distingue-t-il des autres produits de l'industrie humaine ? Et surtout, surtout, qu'advient-il de cet objet (et des droits de chacun) quand se multiplient des techniques qui en modifient radicalement les modes de diffusion et de reproduction ? Ainsi, qu'il s'agisse de la réflexion de deux philosophes allemands du siècle des Lumières ou de l'analyse des problèmes contemporains de Jocelyn Benoist, l'objectif est le même : déterminer les statuts juridiques des différents artisans de cet objet singulier et définir la propriété littéraire (notion "moderne" comme celle d'auteur et c'est la première fois, sous la plume de Kant qu'apparaît cette idée que le livre étant le rapport purement intellectuel d'une intelligence, celle de l'auteur, à celle du public, il est une exception au régime ordinaire de la propriété). Les textes de Kant et de Fichte sont rédigés à une époque d'explosion éditoriale due au développement d'une littérature profane et à une extension du lectorat au sein d'une bourgeoisie pour qui l'écrit, selon la formule de Françoise Parent-Lardeur, est le moyen " pour s'affirmer, pour se nommer, pour explorer sa situation et répondre au discours tenu sur elle, pour transformer l'écrit en instrument de sa lutte afin de prendre pied dans la responsabilité et le pouvoir ". C'est l'époque des contrefaçons, des éditions étrangères, des impressions clandestines pour lutter contre les censures. Période de confusion et de désordre qui rendait de plus en plus nécessaire la définition de règles susceptibles de protéger l'oeuvre littéraire et "l'instrument muet" qui la porte. Aujourd'hui, pour Jocelyn Benoist, le photocopiage (photocopillage) certes, mais surtout l'informatique et ce qu'il est convenu d'appeler les multimédia posent aux auteurs et aux éditeurs, des problèmes sinon tout à fait semblables au moins de même ampleur. L'évolution technique donne le sentiment que des intérêts économiques et intellectuels doivent être protégés et fait naître la crainte que le livre disparaisse, littéralement "tué" par des reproductions illégales et inconsidérées ou par des technologies aux conséquences imprévisibles. Indépendamment de leur intérêt historique, les solutions qu'ont pu proposer aux problèmes de leur temps deux éminents esprits -solutions très "modernes" mais aussi très juridiques- peuvent-elles aider à résoudre des difficultés de la fin du 20ème siècle ? M.V. |