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La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°51  septembre 1995

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ÉDTORIAL

Le temps où le politique était en permanence et délibérément présent en éducation (comme en art et en littérature) n'est pourtant pas si lointain. À qui le monde ne convenait pas, s'offraient alors des perspectives. Nous sommes maintenant dans l'abrogation du réfractaire, du subversif, du mutin. Les controverses sont de méthodes. Aux yeux des "échaudés de l'idéologie" et de ceux "qui ont eu raison avec Aron", la conviction militante est malséante et il est bon d'ironiser sur ceux qui choisiraient encore "d'avoir tort avec Sartre". Nos maîtres à penser, ayant convaincu de l'absence d'alternative en sont réduits à de fausses colères. Les problèmes sont perçus comme des imperfections ou des insuffisances d'un système qui s'impose et les propositions sont d'aménagement et techniciennes, les solutions morales et sentimentales. Bien évidemment nul n'est dupe : cette évacuation du politique est... politique. Mais il ne convient ni de le reconnaître ni de l'assumer. 

     Donner toujours aux rapports à l'écrit, comme nous le faisons, leurs dimensions sociale et historique ; voir dans les différences de maîtrise de la lecture les effets de l'injustice et placer leur réduction dans le cadre des luttes sociales ; considérer la lecture non pas seulement comme une pratique culturelle et consommatrice mais comme un moyen d'accroître le pouvoir de penser et d'agir... c'est donner priorité à la compétence sociale sur la compétence technique (pour reprendre les termes de Bourdieu) et affirmer la primauté du politique sur le psychologique. De cela sans doute, dans le contexte actuel et bien plus qu'à cause de différents sur les procédures d'apprentissage, ces accusations de dogmatisme et de sectarisme à notre endroit, notre relative marginalisation et la mauvaise image des Actes de Lecture déjA évoquées ici. 

          Ces considérations - du genre procès-verbal de la "pensée unique"... ou le nouvel ordre mondial et nous ! - viennent à vrai dire de la présence dans cette nouvelle livraison de notre revue, d'une part de l'invite de Raymond Millot que les A.L. (re)deviennent un lieu de débat et d'expression de points de vue divergents afin que " face au désarroi et à la démoralisation (...) la revue soit consacrée à discuter et préciser le sens qui nous unit " et d'autre part d'articles regroupés dans la rubrique "Lecture". On n'imaginait pas à l'origine - et leurs auteurs bien sûr moins que d'autres - combien la juxtaposition de ces textes illustrerait la prépondérance contemporaine du non-politique dont nous faisons état plus haut. Car on peut gloser sur la dramaturgie militante et la croyance naïve dans le pouvoir libérateur du savoir qu'expriment les larges citations contenues dans l'article de Rolande Trempé... On peut aussi douter, comme Daniel Denis, du pouvoir innovateur des Bourses du Travail en matière d'éducation, comparé à celui qu'il confère à l'État précisément à la même époque... Il n'en reste pas moins que les discours et les actes des responsables syndicaux de la fin du siècle dernier, à propos de la lecture, à propos du rôle assigné à l'école nouvellement instaurée par ces "réformateurs" dépeints par Daniel Denis, révèlent une perception de la problématique sociale aux antipodes de celle, consensuelle et a-politique, que suggère toute la réflexion qu'on connaît sur l'illettrisme et l'exclusion. De même, la conception de l'Etat et de son rôle en matière d'innovation scolaire de Daniel Denis, pour originale et intéressante qu'elle soit, évacue du fonctionnement social toute idée d'intérêts antagonistes... De même - et écrire cela, ce n'est pas contester la pertinence des analyses sur les conséquences des mutations technologiques - cet "intellectuel collectif" auquel fait référence Raymond Millot est-il aussi contestataire de la "pensée unique" que ce dernier semble le penser ? 

            Mais cessons. Cet éditorial n'est pas le lieu approprié pour ce débat et souhaiter qu'il ait lieu pour les raisons qu'exposent Raymond Millot, c'est espérer que nos lecteurs participent à la rédaction des numéros à