La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

___________________

Livre de poche 

Vous êtes lecteur. Lisiez-vous quand vous étiez enfant ? Sans vouloir que soient retracés de véritables et classiques "itinéraires de lecture", notre revue pour la 4ème fois sollicite les souvenirs de quelques personnes. À sa façon, cette suite de récits pourtant singuliers mais issus de générations différentes témoigne de ce que des enfants ont pu lire depuis un demi-siècle.  

 

Pierrot mon ami, Queneau mon ami, à cause de toi, Bâtons, Chiffres et Lettres, j'ai appris quel artisan est l'écrivain, "artisan des mots" disait Prévert. J'avais lu Pierrot mon ami vers la fin de l'enfance, lu sans me poser de questions, l'histoire venait à moi avec ses mots et c'était bien ; Pierrot était devenu un ami et Queneau avait atteint son but, enfin je crois. J'ai relu ce livre une dizaine d'années plus tard dans Bâtons, Chiffres et Lettres, relu car Raymond y indique comment il a construit son roman ; rien n'y est dû au hasard, à une inspiration... La construction y est mathématique, cyclique, le nombre de chapitres, etc., la contrainte y est immense. Cette genèse expliquée donna une autre dimension à ma façon de lire...

Souvenir ! Par quels livres suis-je arrivé à la lecture ? Oui, sans doute une histoire de souris des villes souris des champs, puis aussi la Bibliothèque Rose dont les Oui-Oui devaient occuper une grande part de rayonnage sur l'étagère commune que nous avions, mon frère et moi. J'enviais ses livres de la Verte, des histoires d'espionnage surtout avec la série des Michel. Puis les Tintin, les contes avec La petite vendeuse d'allumettes, déjà la lecture me prenait plus souvent la nuit ou au petit matin. C'est vers 8 ans je crois que l'aventure a réellement commencé. Ah ! les London ! Stevenson ! Ce voisin qui a eu l'étonnante idée un jour de m'offrir à Noël un bouquin sur Colas. Joie que ce récit. Marquant, l'Alain ! Les plans de son bateau, le tragique accident, la faute : son pied se prend dans le cordage de l'ancre qu'il vient de jeter. Perdu ! Non il repart de plus belle... Sur un 4 mâts ; le bateau que Tapie a racheté était au départ une formule 1 des mers skippé par un seul homme ! Héros ! Un vrai, lui. Passons Bombard qui dérivait... Ensuite ce fut le collège... tiens, on doit lire des oeuvres pour un cours ; en primaire rien, non, rien ne me revient. Ah ! ce prof. et son accent du midi, du Pagnol qu'il nous a fait lire ! Mais le livre devait se transformer en fiches, résumés, caractères des personnages, lieu, vie de l'auteur ; la lecture devait aboutir à l'écrit et c'était noté ! divin salaire ! Mais lire La gloire de mon père quand on a le même âge que le pp (personnage principal) qu'on est en vacances à la campagne, qu'on découvre cette vie hors ville, ça crée des liens... 

Mais les livres, je les dévore, depuis quand ou plutôt qui... Peut-être les dictées que nous faisait faire un de ces profs mythiques ; oui, il y en a. Son premier tic c'était de nous faire attendre dans le couloir, le deuxième de nous faire attendre debout près de nos places pour qu'il puisse atteindre son bureau ! La standing ovation se terminait par le célèbre "Assoyez-vous !" Ses dictées, pas toutes, mais... Une qui m'a marqué narrait une bataille de boules de neige : l'enfant arrivait à l'école par un froid, la neige tombait, emmitouflé dans habits et écharpe, il traversait la cour, son but en tête : Dargelos, le chef, le fort ; ce qu'il lui voulait : son amitié. Mais le combat s'intensifiait, quand il l'aperçut, enfin, il n'eut pas le temps de prononcer la totalité de son nom, il venait d'être terrassé, touché à la poitrine par une boule de neige. Bien sûr, il y avait une pierre sous la neige du projectile ; bien sûr, c'était Dargelos le lanceur. Autre dictée, la mobilisation de 1914, un certain Bardamu partait au front... A la fin des dictées, nous écrivions "Extrait de"... Les enfants terribles pour la première, et Le voyage au bout de la nuit. Ce n'était pas au programme de 4ème, mais l'incitation à la lecture, je l'ai prise. Quelle joie, ces deux bouquins. Je les avais trouvés dans la bibliothèque du père, que du livre de poche acheté sur les quais, une habitude que je fais perdurer. Posséder un objet d'occasion, un livre lu par quelqu'un d'autre, parfois annoté, fermé pendant quelque temps, attendant un nouveau lecteur qui le prendra malgré l'usure, malgré... L'odeur, sans doute, ça fait vivre un bouquin, respect du "a déjà vécu". 

Ensuite, tout s'enchaîne, tout sans chaîne ! Du Malraux, l'hystérique non historique, il aurait dû être bouquiniste celui-là ! Non ! Fabuleuses Anti-Mémoires... Joueur avec Dostoïevski, pilote avec Saint-Ex, perdu avec Kafka, Camus, Buzatti... Cervantès fait parler des chiens, Gorki court de nouvelles en nouvelles, je lus que les corbeaux poursuivaient Edgar Poe, Le portrait de Dorian Gray lui ne l'était pas, beau... etc. Et ce n'est pas fini... A Chacun sa chimère ! des livres il y en a ! A lire d'une traite pour moi ! C'est La promesse de l'aube.
 

 
? Vincent Giverne