La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

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L'IDENTIFICATION DES FORMES ECRITES.

Dans la lecture interviennent et intéragissent les composantes de deux types de traitement : celles qui portent sur le code graphique et participent à l'IDENTIFICATION d'unités porteuses de sens et celles mises en oeuvre dans l'interprétation du message. Sans aborder pour l'instant la question controversée de savoir - du fait de l'anticipation sémantique et de la simultanéité que suppose l'interaction des informations de "bas" et de "haut" niveau - si le lecteur active au cours de l'identification un lexique mental de signifiants (de formes) ou de signifiés, notons que plus les processus d'identification sont automatisés - moins ils nécessitent de "contrôle attentionnel" - plus la compréhension est aisée.

Les séries A et C du logiciel ELMO, ont pour but de favoriser chacune de manière différente, l'identification de mots ou de groupes de mots. Elles stimulent et perfectionnent donc des comportements appartenant au premier type de traitement dont l'intégration facilite la compréhension.

Savez-vous qu'elle fait tout

pour nous séduire cette série A ?

D'abord, elle s'offre immédiatement

après le test d'entrée, alors que

l'on est encore tout ému du premier

pas franchi, tout frétillant de la

lecture des résultats - même s'ils

ne sont pas mirobolants, tout alléché

par l'aventure espérée : elle sentait

bien, la série A, que c'était une

bonne place. (*)

La série A.

Cette série vise à élargir le champ utile lors d'une fixation de l'oeil en donnant l'habitude d'englober des empans écrits très larges.

Les exercices consistent à identifier dans des temps de plus en plus courts des mots ou des groupes de mots de plus en plus longs. Cette contrainte de temps qui n'autorise qu'une seule fixation, interdit la reconstitution des mots ou des expressions proposés à partir des unités courtes et oralisables (lettres ou syllabes) qui les composent. Le lecteur qui ne peut recourir au déchiffrement est conduit à adopter et/ou à perfectionner des stratégies de traitement d'"images orthographiques constituées". Il sollicite ainsi la dimension significative des unités linguistiques que l'écrit rend "visibles".

Outre cette automatisation par des exercices systématiques d'une procédure d'accès direct au sens, le second objectif de la série est la familiarisation avec les unités linguistiques susceptibles d'être le plus souvent rencontrées. On sait en effet que " 70 mots constituent à eux seuls la moitié du matériel utilisé dans n'importe quel texte ; en rajoutant 500 mots, on atteint 80% de n'importe quel texte ; avec 5 000 mots, on est à 93%... ". C'est pourquoi les mots à identifier appartiennent au vocabulaire fondamental établi et hiérarchisé par Dubois-Buyse.

Les utilisateurs d'ELMO savent que le jeu consistait à signaler la présence d'un mot, indiqué soit avant, soit après la présentation (en colonnes ou au centre de l'écran) de listes de mots (ou d'expressions) comportant un nombre croissant de signes (5 à 8 dans les premières séries, 12 à 24 dans les dernières), dans un temps d'apparition calculé en fonction des résultats aux tests et des réussites ou des échecs aux exercices eux-mêmes et ne permettant qu'une perception globale.

Si le côté "mécanique" des exercices est facilement admis, eu égard à leur brièveté et à leurs objectifs précis, les critiques portent sur le fait qu'au cours de la lecture, on n'identifie pas ex abrupto des mots dont la présence serait totalement improbable mais qui s'inscrivent au contraire dans un contexte.... Faut-il répéter qu'il s'agit d'entraînement à une perception exploratoire et rapide qui s'exercera d'autant mieux, au cours de lectures authentiques, qu'elle servira à la "vérification" des hypothèses de l'anticipation. Qui s'habitue à identifier le fortuit, n'en identifiera que plus aisément le probable !

La nouveauté introduite dans cette série consiste à ne plus présenter des listes de mots de longueurs croissantes mais de confier à l'ordinateur le calcul - à partir des performances aux tests - du nombre de signes des mots et de la vitesse de projection et le réajustement de ces deux paramètres à l'issue de séries d'essai. Par ailleurs, le vocabulaire à identifier par les lecteurs performants ne se limite plus aux premiers degrés de l'échelle Dubois-Buyse mais est extrait d'un corpus important de textes.

Si je vous dis : "Sûreté -

Rapidité - Facilité ", vous me

répondez évidemment : "Série C !"

sans hésiter. Bravo. Vous avez

compris sans doute combien mon

confort de lecteur eût trouvé son

compte, si mes yeux - et mes neurones -

avaient perçu la forme exacte par

des prises d'indices fiables !

La série C.

Une fixation de l'oeil c'est, a-t-on écrit, " l'accès à une forme dans laquelle tous les détails comptent sans qu'aucun ne puisse être vu ou privilégié ". Cette vision globale et rapide, qui concourt elle aussi à l'identification des formes écrites et donc à la compréhension, cela s'acquiert, cela se perfectionne... cela s'entraîne. C'est l'objectif de la SERIE C, complémentaire de la série A dans la mesure où on ajoute à l'élargissement de l'empan la fiabilité de la discrimination.

Les exercices de cette série C étaient composés de mots - encore une fois hors contexte - ayant même début, même milieu ou même fin que le mot signal. Dans le nouvel ELMO, la réflexion sur la différence entre les largeurs respectives de l'empan visuel et de l'empan de lecture et par voie de conséquence sur la nature exacte des informations graphiques prises en compte dans la lecture, dont Jean Foucambert a fait état dans un article de cette revue (Empans et silhouettes. A.L. n°49, mars 95, p.84) a incité à élaborer des séries de mots ayant même silhouette. Il est évident que la similitude ainsi obtenue entre ce qui apparaît sur l'écran et ce que l'oeil perçoit quand on lit, si elle rend plus problématiques les possibilités de discrimination, procure des conditions d'entraînement beaucoup plus proches de celles de la lecture. La reconnaissance des mots y est relativement indépendante de la reconnaissance des lettres qui les constituent comme c'est le cas dans un texte où ce qui appartient à l'empan de lecture mais se situe de part et d'autre de la zone de vision n'est perçu que sous forme de silhouette imprécise. Nous revenons au problème évoqué plus haut, à savoir la nature du lexique mental que l'identification active... et donc de la "conscience graphique", à la fois ferment et fruit du savoir-lire.

Une meilleure connaissance des phénomènes complexes d'identification en jeu dans la lecture et l'expérience acquise au cours d'une décennie d'observation des effets d'innombrables entraînements ont ainsi contribué, nous l'espérons, à faire d'ELMO un outil plus performant.

Michel VIOLET