La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

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LA VITESSE PRODUIT DE LA COMPREHENSION
LA COMPREHENSION PRODUIT DE LA VITESSE.

La célérité de la lecture assure au lecteur expert une compréhension performante : non seulement, ses empans de lecture larges lui fournissent des unités de sens plus complexes, mais en outre, le temps réduit de lecture lui fait appréhender le texte comme une unité construite selon une logique interne. Pour amener l'enfant à cette vitesse de lecture, la SERIE F consiste à "pousser" le lecteur en effaçant le texte à la manière d'une "poursuite" (c'est le nom de cet exercice dans ELMO International) au cours de laquelle le "poursuivi" serait l'oeil.

Reposant sur une "démarche volontaire" du lecteur, l'exercice vise à accroître progressivement la vitesse de lecture au-delà de ses lenteurs inutiles.

La difficulté principale est que l'entraînement sur chaque exercice et donc sur chaque texte ne fournit pas directement les moyens de ce dépassement. C'est donc sur "les moyens de cette accélération" que porte la transformation de cette série dans sa version sous Windows : il ne s'agit plus de se lancer tête baissée dans une course contre la montre - on voyait même des enfants prendre une avance de plusieurs lignes pour parvenir à battre la machine - mais de faire précéder l'ultime et désormais unique effacement, d'un bon moment face au texte au cours duquel le lecteur en découvrira petit à petit la charpente et la structure profonde.

La conscience du texte

Les recherches et les pratiques de l'AFL soulignent l'importance à accorder dès les premières années d'apprentissage au texte entier, considéré comme une unité organisée selon une logique propre. Les réflexions se font souvent à partir d'une préoccupation : quitter le plancher du mot à mot et du déchiffrage, faire du sens avec les "haut" indices du texte (Cf. l'épreuve d'évaluation consistant à retrouver la provenance d'un extrait parmi un lot de livres A.L. n°31, p.36, le comptage et les dictionnaires d'ELMO International, le travail sur les notes prises pendant les leçons de lecture, A.L. n°48, p.87, les repérages linguistiques effectués par le logiciel Analyse de texte.) Pour cela, silhouette et référence sont au menu de la série. Silhouette du texte comme un squelette sur lequel viennent s'accrocher une partie du lexique qui va aider à construire du sens ; référence comme une nécessité - que cette série transforme en réflexe - de porter son regard au bas du texte - où la référence apparaît toujours en clair - pour en connaître l'auteur, l'éditeur, la collection.... La nature diversifiée et actuelle des textes du logiciel donne encore plus de poids à ce type de choix. Dès lors, l'entraînement se fait bel et bien sur un texte. Et peut-être plus que jamais : ne se limitant pas à une suite de caractères, il a désormais une physionomie, une autonomie de sens, un style, une origine et une destination. C'est aussi cette conscience du texte que la série est susceptible d'induire dans la tête du lecteur.

Les 3 affichages successifs du lexique

Alors que la série sous Dos fait d'emblée disparaître le texte, la nouvelle fait précéder l'effacement de 3 apparitions progressives où 20% du lexique prend sa place sur la trame silhouettée. C'est évidemment le pourcentage qui doit permettre de construire des hypothèses sur le sens général. Intercalées entre des vérifications de la compréhension, ces 3 ensembles de mots sont en lien direct avec :

1 - la syntaxe (ponctuation, organisateurs, noms noyaux, verbes),

2 - le lexique (mots les plus fréquents du texte et mots les moins fréquents de la langue française)

3 - les thèmes principaux du texte. (La sélection du lexique s'est faite avec l'assistance du logiciel Analyse de texte).

Au total, ces 3 présentations successives s'appuient sur l'organisation des mots "lexicaux", le "complément" des mots-outils dont on sait qu'une soixantaine constitue à elle-seule 50% de tout texte écrit.

Que se passe-t-il alors chez le lecteur ? Il n'a d'autres ressources que de se construire le sens du texte avec tous les éléments qu'on lui fournit à chaque fois. Mis en situation de lecture active, il est en pleine interaction entre ce qu'il sait du type de texte qu'il a à l'écran (son genre, son style, son intention...) et ce que le logiciel lui fournit comme information lexicale. Ce n'est qu'au terme de cette lecture approfondie que le texte s'efface.

"Comprendre le texte"

Entre les 3 présentations de mots interviennent des moments d'évaluation de la compréhension. Il s'agissait jusqu'alors de "questions de compréhension". Il est plus judicieux de parler maintenant de "fiches d'indexation". Le projet est né de l'idée de remplacer les questionnements classiques par un classement du texte, comme si on était dans une BCD ou un CDI. Comme dans l'outil d'évaluation déjà cité, cette activité nécessite une lecture subtile et savante qui consiste à prendre des décisions qui soient aussi bien liées au sens qu'à la façon dont il est écrit.

Remplir cette fiche consiste donc à cliquer sur les éléments de classement du texte : la référence (auteur, maison d'édition, titre de documentaire...), les 4 mots-clés à retrouver parmi 12, son titre parmi 5, son résumé parmi 5. Au fur et à mesure du remplissage de la fiche, les rubriques correctement remplies sont validées et les autres qui restent actives, seront à remplir après la lecture suivante.

L'évaluation de la compréhension respecte la philosophie générale du logiciel - en particulier dans la série T - dans la mesure où les bonnes réponses font référence à des "éléments de haut niveau" du texte : un mot-clé peut aussi bien concerner le style d'écriture que l'emploi de certains temps ; le résumé est à distinguer d'une phrase du texte, d'un point de vue sur le texte ou d'une phrase construite avec des mots du texte ; la référence du texte est mêlée à d'autres véritables références ; le titre est parmi d'autres titres possibles mais moins pertinents. Ce questionnement développe un réflexe référentiel chez le lecteur en lui apprenant à regarder systématiquement l'auteur du texte et à l'associer à la façon dont il est écrit.

Tels sont tous les enjeux induits par une la célérité de la lecture : on arrive à lire vite parce qu'on saisit très tôt les effets visés par le texte. Y parvenir en attirant l'attention du lecteur vers ce qui structure le texte dans ses fondations, c'est l'objectif de la série F.

Hervé MOELO