La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°54  juin 1996

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Note de lecture

MIKA, méthode interactive
d'apprentissage de la lecture
G.Chauveau - E. Rogovas Chauveau
Ed. Retz. Diffusion Nathan.

Une excellente campagne publicitaire suffit-elle pour faire d'une nouvelle méthode une méthode nouvelle ? Avec le printemps, les éditeurs sortent leurs collections d'automne. Il est toujours intéressant d'y rechercher les nouveautés, car, dans un contexte politique donné, elles peuvent nous indiquer des frémissements, des tendances, des évolutions, des résistances, des héroïsmes. Les exigences commerciales ne sont pas obligatoirement démagogiques et conservatrices. Les outils pédagogiques peuvent parfois s'inscrire dans une perspective progressiste.

Le contexte est, actuellement, peu favorable à des grandes avancées, les discours forts sur la nécessité de réformes ont été soigneusement rangés dans les tiroirs. Les rapports de l'Inspection Générale, les interprétations médiatiques des évaluations qui se multiplient, inciteraient plutôt au repli sur des méthodes qui "auraient fait leurs preuves", comme on dit si bien, même si ce sont les mêmes preuves qui avaient conduit les responsables de l'institution à susciter des recherches et des réformes.

Dans ce contexte, on peut s'attendre au pire en termes de triomphe du conservatisme. Les catalogues des éditeurs, de ce point de vue, ne nous déçoivent pas. Certes, chacun se recommande des Instructions Officielles, chacun prend en compte les cycles, les compétences (sauf les compétences transversales qui ont une fâcheuse tendance à disparaître, à nouveau étouffées par les compétences disciplinaires), l'exigence de placer l'enfant au centre du système. La réalité est souvent tout autre et les novateurs ont intérêt à faire preuve de cet esprit critique qu'il conviendrait de former chez les futurs citoyens, avant de s'engager ou d'engager leur établissement dans des dépenses, parfois très lourdes.

Le nom de Gérard Chauveau, "chercheur, spécialiste de la lecture", fortement mis en évidence dans la campagne publicitaire remarquable en faveur de MIKA, méthode interactive d'apprentissage de la lecture nous a incité à une bienveillance certaine. La cohérence apparente du matériel proposé paraît séduisante au premier abord : une marionnette (MIKA), une valise avec 40 posters en couleurs s'il vous plaît, 4 albums en couleurs reprenant les textes et les illustrations des histoires étudiées dans l'année, trois cahiers individuels d'exercices de 80 pages chacun, un livre du maître comprenant des textes et réductions d'illustrations à reproduire et des propositions de bilans pour chaque période de l'année... Le tout, offert avec une réduction de 20% jusqu'au 15 juillet 96 et la marionnette gratuite, coûtera 490F. Il conviendra d'ajouter 30F par cahier et 24F par album. Si l'on ne se laisse pas aller au photocopillage des cahiers individuels (on sait que c'est interdit), l'équipement normal d'une classe pour un an dépasse largement les 3 000F. C'est un investissement considérable pour une classe ordinaire dont le budget moyen varie entre 2 500F et 4 000F (dans les communes riches et généreuses). Il faut donc y regarder de plus près et ne pas se laisser séduire par les campagnes publicitaires, même si quand on aime, on ne compte pas !

Me comportant comme un praticien normal, je feuillette d'abord (c'est un tort, mais...) les cahiers individuels pour enfants... Je n'y perçois franchement rien de nouveau par rapport à toutes les méthodes dites mixtes (pour lutter contre l'image désastreuse de la fameuse méthode globale que personne n'a jamais mise en oeuvre dans sa classe mais que l'on accuse de tous les maux). Mêmes exercices nombreux et variés, mêmes étiquettes, mêmes consignes rigolotes (colorie les dessins si tu entends (i), cahier n°1 p.65. J'ai toujours envie d'ajouter : "tends bien l'oreille..."), mêmes planches à découper... Un regard sur les fiches d'évaluation (livre du maître, p.210 à 228) me confirme cette impression de déjà vu. La marionnette ne m'intéresse pas même si elle est mignonne et les posters superbes me rappellent trop de souvenirs de l'école de mon enfance, avec sa pédagogie collective frontale et le rôle très dominant du maître (il y a déjà longtemps).

Comment est-ce possible ? Gérard Chauveau m'a si souvent enthousiasmé, incité à, convaincu de... J'ai utilisé ses textes, ses articles pour essayer de convaincre à mon tour. Je ne peux pas balayer tout cela d'un revers de main. Voyons les explications, les attendus théoriques et pédagogiques de la méthode MIKA. Après tout, je suis moi aussi un spécialiste de la lecture (pourquoi pas moi ? et pourquoi pas vous ?). La publicité ne précise-t-elle pas que MIKA s'appuie sur les recherches pédagogiques les plus récentes et qu'elle " dépasse les clivages traditionnels entre méthodes syllabiques, mixtes, globales, idéovisuelles... " ? Une lecture sélective de la vingtaine de pages d'explications théoriques ne manque pas d'intérêt. On y trouve des affirmations non ou peu contestables :

- page 12 : il n'y a lecture que s'il y a situation de communication et recherche de sens, de compréhension d'un texte écrit inconnu.

- p. 14 : L'acte de lire est une activité stratégique. Le savoir-lire de base apparaît composé de 8 opérations cognitives : 1. repérer le support et le type d'écrit. 2. interroger le contenu du texte. 3. explorer une quantité d'écrit porteuse de sens. 4. identifier des formes graphiques. 5. reconnaître des mots globalement. 6. anticiper des éléments syntaxiques ou sémantiques. 7. organiser logiquement les éléments identifiés, reconstruire l'énoncé. 8. mémoriser l'ensemble des informations sémantiques.

- p. 20 : c'est en observant comment les enfants s'y prennent qu'on pourra...

- p. 21 : l'acquisition de la lecture est une affaire d'intelligence et non pas seulement une affaire de mécanique... La langue écrite, c'est le langage sans la voix, sans l'intonation, sans l'expression, sans son aspect sensible. L'enfant doit accéder à un langage seulement imaginé et pensé, à un langage qui utilise, non les mots, mais les représentations des mots, bref, à un langage abstrait.

- p. 24 : ces apprentis lecteurs doivent apprendre à apprendre à lire...

Comment peut-on, avec de tels attendus, en arriver à quelque chose qui ressemble tellement à " Daniel amène la mule à l'écurie " ?

On remarque à la deuxième lecture que des références théoriques sont sommaires ou détournées ou non pertinentes :

- Nina Catach : L'orthographe PUF (l'analyse, pas si nouvelle que cela, 1978, ne traitait pas vraiment du problème de l'apprentissage de la lecture)

- Piaget : Les formes élémentaires de la dialectique (encore moins nouvelles... elles ne traitaient pas le rapport oral/écrit). Mais d'autres références sont pertinentes et confortent les extraits cités ci-dessus :

- A. Léontiev : Le développement du psychisme Ed. Sociales (pas si nouvelle non plus, 1976, mais claire : " Tout acte de lecture comprend trois volets indissociables : action culturelle, action compréhensive, action instrumentale ")

- Vygotsky (pas très nouvelle, 1930, mais incontournable pour les interactions entre l'adulte et l'enfant, et entre les pairs, dans des situations de résolutions de problèmes).

Il faut donc une troisième lecture pour comprendre. Comment cela a-t-il pu m'échapper ? C'est la page 11 : " Comment un élève pourrait-il traiter - et a fortiori maîtriser - la langue écrite s'il en ignore les principes de base ? Comment en particulier pourrait-il devenir lecteur s'il méconnaît l'importance et le fonctionnement du code phonographique ? La connaissance des phonogrammes et la combinatoire apparaît comme une condition sine qua non de la formation réelle et solide à la lecture. " Gérard Chauveau précise après l'avoir souligné lui-même : " Condition sine qua non ne veut pas dire condition unique ou exclusive : le futur lecteur doit également connaître le code des graphèmes qui ne notent pas du son mais du sens ". Ainsi la boucle est bouclée. La condition sine qua non devient inévitablement, dans la pratique quotidienne, un préalable. Et nous voilà bien avec une nouvelle méthode et non une méthode nouvelle, une nouvelle vieille méthode mixte bien enveloppée, en totale contradiction avec les 9 dixièmes des attendus théoriques présentés, induisant un enseignement frontal classique avec des supports exclusivement scolaires et activités massivement mécaniques.

La publicité pour les méthodes de lecture est bien de même nature que la publicité pour les lessives. Toute nouvelle lessive est nécessairement nouvelle et lave plus blanc que blanc. On sait ce qu'il en est réellement.

Pierre FRACKOWIAK.

 
  AL54LU4 La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°54  juin 1996

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Note de lecture

MIKA, méthode interactive
d'apprentissage de la lecture
G.Chauveau - E. Rogovas Chauveau
Ed. Retz. Diffusion Nathan.

Une excellente campagne publicitaire suffit-elle pour faire d'une nouvelle méthode une méthode nouvelle ? Avec le printemps, les éditeurs sortent leurs collections d'automne. Il est toujours intéressant d'y rechercher les nouveautés, car, dans un contexte politique donné, elles peuvent nous indiquer des frémissements, des tendances, des évolutions, des résistances, des héroïsmes. Les exigences commerciales ne sont pas obligatoirement démagogiques et conservatrices. Les outils pédagogiques peuvent parfois s'inscrire dans une perspective progressiste.

Le contexte est, actuellement, peu favorable À des grandes avancées, les discours forts sur la nécessité de réformes ont été soigneusement rangés dans les tiroirs. Les rapports de l'Inspection Générale, les interprétations médiatiques des évaluations qui se multiplient, inciteraient plutôt au repli sur des méthodes qui "auraient fait leurs preuves", comme on dit si bien, même si ce sont les mêmes preuves qui avaient conduit les responsables de l'institution À susciter des recherches et des réformes.

Dans ce contexte, on peut s'attendre au pire en termes de triomphe du conservatisme. Les catalogues des éditeurs, de ce point de vue, ne nous déçoivent pas. Certes, chacun se recommande des Instructions Officielles, chacun prend en compte les cycles, les compétences (sauf les compétences transversales qui ont une fâcheuse tendance À disparaître, À nouveau étouffées par les compétences disciplinaires), l'exigence de placer l'enfant au centre du système. La réalité est souvent tout autre et les novateurs ont intérêt À faire preuve de cet esprit critique qu'il conviendrait de former chez les futurs citoyens, avant de s'engager ou d'engager leur établissement dans des dépenses, parfois très lourdes.

Le nom de Gérard Chauveau, "chercheur, spécialiste de la lecture", fortement mis en évidence dans la campagne publicitaire remarquable en faveur de MIKA, méthode interactive d'apprentissage de la lecture nous a incité À une bienveillance certaine. La cohérence apparente du matériel proposé paraît séduisante au premier abord : une marionnette (MIKA), une valise avec 40 posters en couleurs s'il vous plaît, 4 albums en couleurs reprenant les textes et les illustrations des histoires étudiées dans l'année, trois cahiers individuels d'exercices de 80 pages chacun, un livre du maître comprenant des textes et réductions d'illustrations À reproduire et des propositions de bilans pour chaque période de l'année... Le tout, offert avec une réduction de 20% jusqu'au 15 juillet 96 et la marionnette gratuite, coûtera 490F. Il conviendra d'ajouter 30F par cahier et 24F par album. Si l'on ne se laisse pas aller au photocopillage des cahiers individuels (on sait que c'est interdit), l'équipement normal d'une classe pour un an dépasse largement les 3 000F. C'est un investissement considérable pour une classe ordinaire dont le budget moyen varie entre 2 500F et 4 000F (dans les communes riches et généreuses). Il faut donc y regarder de plus près et ne pas se laisser séduire par les campagnes publicitaires, même si quand on aime, on ne compte pas !

Me comportant comme un praticien normal, je feuillette d'abord (c'est un tort, mais...) les cahiers individuels pour enfants... Je n'y perçois franchement rien de nouveau par rapport À toutes les méthodes dites mixtes (pour lutter contre l'image désastreuse de la fameuse méthode globale que personne n'a jamais mise en oeuvre dans sa classe mais que l'on accuse de tous les maux). Mêmes exercices nombreux et variés, mêmes étiquettes, mêmes consignes rigolotes (colorie les dessins si tu entends (i), cahier n°1 p. 65. J'ai toujours envie d'ajouter : "tends bien l'oreille..."), mêmes planches À découper... Un regard sur les fiches d'évaluation (livre du maître, p 210 À 228) me confirme cette impression de déjA vu. La marionnette ne m'intéresse pas même si elle est mignonne et les posters superbes me rappellent trop de souvenirs de l'école de mon enfance, avec sa pédagogie collective frontale et le rôle très dominant du maître (il y a déjA longtemps).

Comment est-ce possible ? Gérard Chauveau m'a si souvent enthousiasmé, incité À, convaincu de... J'ai utilisé ses textes, ses articles pour essayer de convaincre À mon tour. Je ne peux pas balayer tout cela d'un revers de main. Voyons les explications, les attendus théoriques et pédagogiques de la méthode MIKA. Après tout, je suis moi aussi un spécialiste de la lecture (pourquoi pas moi ? et pourquoi pas vous ?). La publicité ne précise-t-elle pas que MIKA s'appuie sur les recherches pédagogiques les plus récentes et qu'elle " dépasse les clivages traditionnels entre méthodes syllabiques, mixtes, globales, idéovisuelles... " ? Une lecture sélective de la vingtaine de pages d'explications théoriques ne manque pas d'intérêt. On y trouve des affirmations non ou peu contestables :

- page 12 : il n'y a lecture que s'il y a situation de communication et recherche de sens, de compréhension d'un texte écrit inconnu.

- p. 14 : L'acte de lire est une activité stratégique. Le savoir-lire de base apparaît composé de 8 opérations cognitives : 1. repérer le support et le type d'écrit. 2. interroger le contenu du texte. 3. explorer une quantité d'écrit porteuse de sens. 4. identifier des formes graphiques. 5. reconnaître des mots globalement. 6. anticiper des éléments syntaxiques ou sémantiques. 7. organiser logiquement les éléments identifiés, reconstruire l'énoncé. 8. mémoriser l'ensemble des informations sémantiques.

- p. 20 : c'est en observant comment les enfants s'y prennent qu'on pourra...

- p. 21 : l'acquisition de la lecture est une affaire d'intelligence et non pas seulement une affaire de mécanique... La langue écrite, c'est le langage sans la voix, sans l'intonation, sans l'expression, sans son aspect sensible. L'enfant doit accéder À un langage seulement imaginé et pensé, À un langage qui utilise, non les mots, mais les représentations des mots, bref, À un langage abstrait.

- p. 24 : ces apprentis lecteurs doivent apprendre À apprendre À lire...

Comment peut-on, avec de tels attendus, en arriver À quelque chose qui ressemble tellement À " Daniel amène la mule À l'écurie " ?

On remarque À la deuxième lecture que des références théoriques sont sommaires ou détournées ou non pertinentes :

- Nina Catach : L'orthographe PUF (l'analyse, pas si nouvelle que cela, 1978, ne traitait pas vraiment du problème de l'apprentissage de la lecture)

- Piaget : Les formes élémentaires de la dialectique (encore moins nouvelles... elles ne traitaient pas le rapport oral/écrit). Mais d'autres références sont pertinentes et confortent les extraits cités ci-dessus :

- À. Léontiev : Le développement du psychisme Ed. Sociales (pas si nouvelle non plus, 1976, mais claire : " Tout acte de lecture comprend trois volets indissociables : action culturelle, action compréhensive, action instrumentale ")

- Vygotsky (pas très nouvelle, 1930, mais incontournable pour les interactions entre l'adulte et l'enfant, et entre les pairs, dans des situations de résolutions de problèmes).

Il faut donc une troisième lecture pour comprendre. Comment cela a-t-il pu m'échapper ? C'est la page 11 : " Comment un élève pourrait-il traiter - et a fortiori maîtriser - la langue écrite s'il en ignore les principes de base ? Comment en particulier pourrait-il devenir lecteur s'il méconnaît l'importance et le fonctionnement du code phonographique ? La connaissance des phonogrammes et la combinatoire apparaît comme une condition sine qua non de la formation réelle et solide À la lecture. " Gérard Chauveau précise après l'avoir souligné lui-même : " Condition sine qua non ne veut pas dire condition unique ou exclusive : le futur lecteur doit également connaître le code des graphèmes qui ne notent pas du son mais du sens ". Ainsi la boucle est bouclée. La condition sine qua non devient inévitablement, dans la pratique quotidienne, un préalable. Et nous voilA bien avec une nouvelle méthode et non une méthode nouvelle, une nouvelle vieille méthode mixte bien enveloppée, en totale contradiction avec les 9 dixièmes des attendus théoriques présentés, induisant un enseignement frontal classique avec des supports exclusivement scolaires et activités massivement mécaniques.

La publicité pour les méthodes de lecture est bien de même nature que la publicité pour les lessives. Toute nouvelle lessive est nécessairement nouvelle et lave plus blanc que blanc. On sait ce qu'il en est réellement.

Pierre FRACKOWIAK.