La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°56  décembre 1996

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note de lecture  

L'illettrisme : une question d'actualité. 
Ouvrage collectif de Bouvet H., Falaize B., 
Federini F. et Freynet P., 
Ed. Hachette Education,  
Coll. Pédagogies pour demain, 1995, 176 p

 
 

Ce livre, édité à l'initiative du Groupe Permanent de Lutte contre l'Illettrisme, présente un panorama assez vaste de réflexions et de propositions d'actions autour du thème de l'illettrisme. La qualité générale du message qu'il délivre réside peut-être dans la diversité des regards de ses auteurs parmi lesquels on compte deux historiens (Catherine Bouvet et Benoît Falaize), un professeur de Sciences de l'Education (Pierre Freynet) et Fabienne Federini - diplômée de Sciences Politiques. 
 

Prenant en compte les domaines de recherches variés (histoire, sociologie, psycholinguistique, didactique... ) mais aussi les plus récents (les travaux de Bernard Lahire figurent en bonne place), ce livre se singularise aussi par sa dimension internationale - tant dans la prise en compte de réalités non francophones que par l'évocation de travaux étrangers. 

Dans une première partie, les auteurs présentent le phénomène de l'illettrisme sous ses aspects historiques, culturels, sociaux et politiques. En prenant de nombreuses précautions, insistant avec Bernard Pudal sur " le danger de l'institutionnalisation d'une définition de l'autre ", le livre montre que l'illettrisme est un concept socialement construit qui évolue en fonction des discours ambiants. Une  hypothèse forte sur les causes de l'illettrisme ressort de cette analyse : à l'inverse de celle traditionnellement admise selon laquelle les jeunes deviendraient illettrés pour cause de passivité et/ou d'absence de sens dans leur existence scolaire, les auteurs suggèrent l'idée d'une construction active de la personnalité d'illettré. " C'est dès l'école que se constitue la personnalité analphabète (...) il s'agit là d'un processus dynamique de rejet dans lequel l'enfant, loin d'être seulement objet, est en fait un acteur, qui met en oeuvre ses propres stratégies " (p 45). Sans nier complètement les effets d'influence et de contre-identification que peut générer l'ensemble d'une scolarité, il me semble qu'une telle position évacue la représentation de l'illettrisme comme incapacité à établir une relation de familiarité fonctionnelle et symbolique avec l'écrit. Dans la même veine, on peut s'étonner de la position qui consiste à affirmer (p 61) que " ne pas maîtriser l'écrit n'est pas discriminant en soi ; c'est dans la société française d'aujourd'hui (...) que cela le devient. " S'il est bien vrai que c'est l'économisme qui montre du doigt l'illettré, peut-on cependant considérer que la non-lecture n'est discriminante que dans la perspective industrielle ? Serait-il alors possible d'imaginer une vie culturelle et démocratique qui se priverait de l'usage de l'écrit comme possibilité de rencontrer d'autres expériences humaines par delà le temps et l'espace ? 
 

On peut par ailleurs regretter que le livre ne soit pas assez clair sur les finalités des actions à mener pour réduire le phénomène et, par voie de conséquence sur le contenu des apprentissages. Face à l'illettrisme, on admet, sans plus y réfléchir, la nécessité d'une alphabétisation qui - comme son nom l'indique - repose essentiellement sur l'enseignement du déchiffrage (automatisation d'une technique : la combinatoire). Or, cette entrée dans l'écrit, si elle fournit au sujet un outil pour débrouiller le quotidien, ne lui permet cependant pas de changer l'ordre établi, d'infléchir le cours de sa vie. En alternative à l'alphabétisation, on peut choisir la lecturisation (néologisme forgé par Jean Foucambert) qui ne se résume pas à l'assimilation d'un code, mais vise, à travers l'instauration d'un rapport de familiarité avec l'écrit, la conquête d'un statut de lecteur. Etre lecteur, dit Jean Foucambert, " c'est se sentir concerné par l'état et la transformation des autres, de soi, des choses ; c'est sentir qu'il y a prise sur le monde dès lors qu'on entre dans la compréhension de ce qui le fait être ce qu'il est. " 

Cela étant, le livre ne s'enferme jamais dans le cadre étroit d'une réflexion partisane et ouvre une large place aux positions divergentes ainsi qu'aux actions concrètes. À noter  le caractère parfois un peu trop consensuel du propos qui se contente par exemple de décrire la succession des politiques publiques face à l'illettrisme sans chercher à les analyser véritablement ni à les opposer ou les critiquer, cette attitude étant certainement dictée par la situation "institutionnelle" du GPLI. De même, s'ils sont assez précis et concrets sur les outils et dispositifs pédagogiques existant sur le marché, les auteurs présentent parfois des situations un peu idylliques en particulier quand ils affirment (p. 77) que l'Education Nationale a mis en oeuvre " des moyens sans précédent (qui) ont permis d'offrir aux élèves du primaire comme des collèges, des lieux d'information et de documentation où se trouvent non seulement des livres mais aussi d'autres supports d'information (CD-Rom notamment) et d'entraînement aux apprentissages scolaires (didacticiels) ". Le livre se clôt enfin sur un état des lieux de l'illettrisme dans les DOM TOM, en Europe et plus généralement sur les autres continents. 
 
 

La clarté et la diversité de ce livre le destinent tout naturellement à tout citoyen préoccupé du problème. Par ailleurs, il ne laissera pas insensibles les animateurs ou concepteurs de formation qui y trouveront une quantité d'informations pratiques mettant en valeur et en résonance les différentes initiatives destinées à permettre l'accès à la lecture de ceux qui en sont exclus.