Les actes de lecture n°56 décembre 1996
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note
de lecture
L'illettrisme : une question d'actualité.
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Ce livre, édité à l'initiative du Groupe Permanent
de Lutte contre l'Illettrisme, présente un panorama assez vaste
de réflexions et de propositions d'actions autour du thème
de l'illettrisme. La qualité générale du message qu'il
délivre réside peut-être dans la diversité des
regards de ses auteurs parmi lesquels on compte deux historiens (Catherine
Bouvet et Benoît Falaize), un professeur de Sciences de l'Education
(Pierre Freynet) et Fabienne Federini - diplômée de Sciences
Politiques.
Prenant en compte les domaines de recherches variés (histoire, sociologie, psycholinguistique, didactique... ) mais aussi les plus récents (les travaux de Bernard Lahire figurent en bonne place), ce livre se singularise aussi par sa dimension internationale - tant dans la prise en compte de réalités non francophones que par l'évocation de travaux étrangers. Dans une première partie, les auteurs présentent le phénomène
de l'illettrisme sous ses aspects historiques, culturels, sociaux et politiques.
En prenant de nombreuses précautions, insistant avec Bernard Pudal
sur " le danger de l'institutionnalisation d'une définition de l'autre
", le livre montre que l'illettrisme est un concept socialement construit
qui évolue en fonction des discours ambiants. Une hypothèse
forte sur les causes de l'illettrisme ressort de cette analyse : à
l'inverse de celle traditionnellement admise selon laquelle les jeunes
deviendraient illettrés pour cause de passivité et/ou d'absence
de sens dans leur existence scolaire, les auteurs suggèrent l'idée
d'une construction active de la personnalité d'illettré.
" C'est dès l'école que se constitue la personnalité
analphabète (...) il s'agit là d'un processus dynamique de
rejet dans lequel l'enfant, loin d'être seulement objet, est en fait
un acteur, qui met en oeuvre ses propres stratégies " (p 45). Sans
nier complètement les effets d'influence et de contre-identification
que peut générer l'ensemble d'une scolarité, il me
semble qu'une telle position évacue la représentation de
l'illettrisme comme incapacité à établir une relation
de familiarité fonctionnelle et symbolique avec l'écrit.
Dans la même veine, on peut s'étonner de la position qui consiste
à affirmer (p 61) que " ne pas maîtriser l'écrit n'est
pas discriminant en soi ; c'est dans la société française
d'aujourd'hui (...) que cela le devient. " S'il est bien vrai que c'est
l'économisme qui montre du doigt l'illettré, peut-on cependant
considérer que la non-lecture n'est discriminante que dans la perspective
industrielle ? Serait-il alors possible d'imaginer une vie culturelle et
démocratique qui se priverait de l'usage de l'écrit comme
possibilité de rencontrer d'autres expériences humaines par
delà le temps et l'espace ?
On peut par ailleurs regretter que le livre ne soit pas assez clair sur les finalités des actions à mener pour réduire le phénomène et, par voie de conséquence sur le contenu des apprentissages. Face à l'illettrisme, on admet, sans plus y réfléchir, la nécessité d'une alphabétisation qui - comme son nom l'indique - repose essentiellement sur l'enseignement du déchiffrage (automatisation d'une technique : la combinatoire). Or, cette entrée dans l'écrit, si elle fournit au sujet un outil pour débrouiller le quotidien, ne lui permet cependant pas de changer l'ordre établi, d'infléchir le cours de sa vie. En alternative à l'alphabétisation, on peut choisir la lecturisation (néologisme forgé par Jean Foucambert) qui ne se résume pas à l'assimilation d'un code, mais vise, à travers l'instauration d'un rapport de familiarité avec l'écrit, la conquête d'un statut de lecteur. Etre lecteur, dit Jean Foucambert, " c'est se sentir concerné par l'état et la transformation des autres, de soi, des choses ; c'est sentir qu'il y a prise sur le monde dès lors qu'on entre dans la compréhension de ce qui le fait être ce qu'il est. " Cela étant, le livre ne s'enferme jamais dans le cadre étroit
d'une réflexion partisane et ouvre une large place aux positions
divergentes ainsi qu'aux actions concrètes. À noter le caractère
parfois un peu trop consensuel du propos qui se contente par exemple de
décrire la succession des politiques publiques face à l'illettrisme
sans chercher à les analyser véritablement ni à les
opposer ou les critiquer, cette attitude étant certainement dictée
par la situation "institutionnelle" du GPLI. De même, s'ils sont
assez précis et concrets sur les outils et dispositifs pédagogiques
existant sur le marché, les auteurs présentent parfois des
situations un peu idylliques en particulier quand ils affirment (p. 77)
que l'Education Nationale a mis en oeuvre " des moyens sans précédent
(qui) ont permis d'offrir aux élèves du primaire comme des
collèges, des lieux d'information et de documentation où
se trouvent non seulement des livres mais aussi d'autres supports d'information
(CD-Rom notamment) et d'entraînement aux apprentissages scolaires
(didacticiels) ". Le livre se clôt enfin sur un état des lieux
de l'illettrisme dans les DOM TOM, en Europe et plus généralement
sur les autres continents.
La clarté et la diversité de ce livre le destinent tout naturellement à tout citoyen préoccupé du problème. Par ailleurs, il ne laissera pas insensibles les animateurs ou concepteurs de formation qui y trouveront une quantité d'informations pratiques mettant en valeur et en résonance les différentes initiatives destinées à permettre l'accès à la lecture de ceux qui en sont exclus. |