Les actes de lecture n°56 décembre 1996
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...D'ÉLÈVE. Ce qui est difficile, c'est la mise ne relation d'un ensemble
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Pour moi, tout est neuf. L'erreur a peut-être été d'oublier que ce n'était pas le cas pour les enfants... Nouveau département : la campagne, impressionnant quand on vient de Nanterre ! Nouvelle commune : Mairie et Ecole ne font encore presque qu'une. Nouvelle école : l'école du village - la seule - celle qui existe depuis 1885, celle de La Guerre des Boutons. Nouveaux collègues : cinq classes. Nouveaux parents : 81 familles. Nouveaux enfants : 121. Nouvelles relations à établir. Image à créer. Réactions à guetter. Observer. Anticiper. Réagir. Me voilà propulsé à la direction d'une école et à la tête d'une population de 14 enfants de CP allègrement mêlés à 9 enfants de CE2. Pas de problème entre ces deux classes d'âge. Et ne vous méprenez pas, les raisons d'être de ce texte ne se situent pas du côté des apprentis lecteurs... Mon questionnement actuel est dirigé vers ceux qui ont déjà une longue carrière scolaire derrière eux... Trois, voire quatre années passées en classes maternelles puis un cycle 2 complet, ça forme au dur et long métier d'élève ! Le discours des parents, celui des enseignants : les CE2 ne sont vraiment plus des novices ! Des souffrances et des joies diverses, des idées et des convictions sur ce que l'école attend d'eux. En un mot, un vécu et des idées arrêtées ! Telle est la réalité. Et me voilà qui débarque parmi ces professionnels, osant un instant faire l'impasse sur ce passé. Je me voulais co-animateur d'un groupe cherchant des savoir-faire, alors que la situation me conduisait à être promu chef suprême avec les pleins pouvoirs ! Maître à penser en quelque sorte... Peut-être est-ce là le prix à payer en quittant un lieu où d'autres professionnels apprenants s'étaient forgé d'autres points de vue sur ce que l'école attendaient d'eux et s'étaient ainsi construit une autre expérience professionnelle. En définitif, ce qui est difficile aujourd'hui, c'est la mise en relation et la tentative de connexion d'un ensemble de vécus bien différents et la gestion des écarts qui en naissent. Pourtant, à première vue, rien n'indique ouvertement qu'il y a problème. Mis à part quelques regards hébétés qui me sont jetés de temps à autre en guise de réponse à des demandes que je formule ou à des réactions que je provoque, rien ne transparaît. En tout cas, rien de spectaculaire. Toutefois, je sens bien une déstabilisation chez ces enfants qui - puisant dans leur panoplie d'expériences accumulées durant leur scolarité - sentent bien qu'aucune ne correspond vraiment à mes attentes, qu'aucun de leur comportement quotidien ne semble vraiment me convenir ! Soyons clairs, pas de critères de qualité autour de ce problème. Il ne s'agit pas de discuter d'une bonne ou d'une mauvaise façon d'envisager l'école ni de rechercher des torts et des raisons. Dans la situation actuelle, je suis plutôt dans l'idée de développer autour de moi une autre façon d'envisager l'école et d'amener les gens que je fréquente - enfants, adultes - à concevoir d'une autre façon la vie scolaire, le rôle du maître et la façon dont on envisage l'apprentissage. Dans un premier temps, il s'agit de gérer le face à face de deux vécus scolaires, de combler ou d'aménager le sentiment de vide intérieur que je devine parfois derrière les yeux écarquillés d'un enfant ou d'un parent qui constate que ses réactions ne correspondent apparemment pas vraiment à celle que ce diable de nouveau maître attend... Galerie de portraits...
Celui qui a le sentiment d'avoir accompli son devoir et qui attend !
Faire ce que le maître a demandé. Pas plus. Pas moins non
plus pour ne pas dériver du côté des mauvais élèves...
Pas d'initiative. Attendre. Attendre que le maître voit... Attendre
que le maître juge... Attendre que le maître gouverne la suite
du temps et des événements... Quitte pour cela à patienter
héroïquement au côté du maître des dizaines
de minutes puisque le maître est occupé en tentant seulement
de temps à autre des " Maître... " ou des " J'ai fini... "
désespérés. L'école, lieu où l'enfant
ne prend pas d'initiative dans sa vie scolaire, où il obéit,
où il suit, où il s'habitue à la passivité
et à la docilité...
Celui qui se retrouve, dans le cadre de décloisonnement entre
classes, à travailler avec un autre adulte et qui est alors désemparé
devant cette fois deux tâches à réaliser, deux comportements
demandés, l'une qui se solde par la seule et simple réussite
(ou échec) de la mission à accomplir - exercice ou non -
l'autre qui aboutit à un résultat chiffré. L'école,
lieu où l'adulte a les pleins pouvoirs. Il évalue, il juge,
il sanctionne...
Celui qui guette le moment où enfin l'adulte capitulera, cessera
une surveillance attentive de l'enfant et portera son intérêt
sur quelqu'un d'autre ou sur autre chose, lui permettant ainsi de s'éloigner
à mille lieues de toute préoccupation scolaire. L'école,
lieu où la vie, les activités et les projets de l'enfant
sont entièrement régis par l'adulte...
Celui qui avec la meilleure volonté et la plus grande bonne foi
du monde se substitue totalement à l'autre dans l'unique but de
l'aider. L'école, lieu où on ne prend pas le temps de réfléchir
à comment on apprend...
Celui - parent - qui se demande ce qu'il adviendra de son enfant quand
il se retrouva placé dans un circuit au fonctionnement habituel.
L'école, lieu où chacun doit fonctionner comme son voisin
sous peine d'être regardé d'un oeil suspect...
Le pire dans l'histoire, c'est que chacun autour de moi s'active avec
la plus grande honnêteté intellectuelle et le plus grand sérieux
pédagogique. Même pas la possibilité de se battre sur
ce créneau ! Bien sûr je réalise bien que dans mon
ambition de faire basculer la vision que les enfants ont de l'école,
je dois me battre sur plusieurs tableaux.
Proposer ! Suggérer ! Inciter ! Documenter ! Il n'en demeure pas moins la difficulté de mesurer l'impact que l'ensemble de toutes ces actions peut avoir sur la vision des enfants et le sentiment qu'à certains moments le poids du passé est bien lourd. C'est peut-être à ce moment que je me réjouis les plus de cette cohabitation CP/CE2 car elle me permet bien de voir avancer et évoluer deux populations d'enfants d'âges et de passés différents. De mesurer donc les réactions des uns et des autres. Ce qui me semble vraiment positif à l'heure actuelle, c'est qu'une prise de conscience et une amorce de remise en question d'idées semblent se faire peu à peu du côté des plus âgés à force de voir évoluer et grandir les plus jeunes, à force de mettre cartes sur table et d'appeler un chat, un chat ! Jean Paul LECOMTE |