La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°57  mars 1997

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Quoi de neuf sous le soleil de Charleville ? 

Être reconnu par les institutions pour favoriser le développementde nos pratiques. 

La question n'est pas neuve : régulièrement posée en conseil d'administration, en réunion de travail, elle est partagée par les mouvements pédagogiques lorsqu'ils se réunissent au Comité de Liaison des Mouvements Pédagogiques (CLIMOPE) par exemple. Etre identifié comme un acteur à part entière de la réflexion et de la recherche pédagogique, être reconnu comme tel par les institutions et les structures de l'administration centrale et conserver son identité, sa liberté de pensée et d'initiative. Exister. Pour permettre aux idées et aux pratiques d'être appliquées sans détournement, dans le respect des conditions complexes qui les font naître et des propositions globales dans lesquelles elles s'incarnent. 
Cette question est apparue dans trois ateliers de travail au moins : l'atelier sur les classes lecture, l'atelier chargé des Assises nationales pour la Lecture, l'atelier sur la formation enfin. 
On sait la diversité des situations institutionnelles qui entourent la naissance d'un centre de classe lecture (soutien de l'Education Nationale par les inspections de circonscription, indifférence, projet municipal en quête d'une forme d'agrément par l'Education nationale, etc.). Ici comme dans les Villes lecture, on mesure le degré de légitimité qu'on nous accorde lorsque l'on veut associer des adultes non enseignants aux classes lecture comme temps de formation (a-t-on l'agrément des employeurs ?), lorsqu'on veut dépasser l'approche scolaro-centriste de la lecture (les villes s'engagent-elles à associer les agents municipaux des centres de loisirs, des établissements culturels et sociaux, des centres de prévention, etc. ?). Comment faire pour que la particularité de notre projet global soit compris et lisible ? Comment faire pour que les villes appréhendent réellement l'idée de Ville lecture et la transversalité comme moyen de produire autrement en forgeant de nouvelles compétences professionnelles et non comme une politique culturelle qui s'affiche parce qu'elle apparaît (encore) nouvelle. 

Les congressistes répondirent d'une seule voix : nos productions, nos réalisations restent le moyen de démontrer le professionnalisme des équipes, la cohérence des propositions de l'AFL. Faire, convaincre en faisant, produire avec un souci de communication sans simplification. 

L'atelier chargé de réfléchir à la politique du secteur formation de l'association conclura également sur les productions (stages de formateurs, outils d'analyse des écrits produits en formation d'adultes). LA aussi s'est posée la question de l'identification de l'AFL dans le monde des organismes de formation d'adultes :  être l'un d'entre eux et intervenir en formation directe ? se situer sur le registre de la formation de formateurs dans le champ de la maîtrise de l'écrit et, ce faisant prendre le risque de s'éloigner du terrain et des stagiaires ? initier un observatoire systématique des outils de la formation d'adultes donnant lieu à une diffusion large et posant l'AFL comme " observatoire des écrits de la formation d'adultes " ? 
 Mettre en place les conditions qui permettront aux membres de l'association de maîtriser les dernières avancées pourmieux les diffuser.

La spécificité de l'association est double : reposer sur un réseau national de militants structurés en groupes locaux et professionnellement engagés sur des terrains d'application (lieux d'enseignement, structures de formation, collectivités territoriales, structures culturelles, etc.) ; être en relation directe avec des recherches et constituer des terrains, non seulement d'application, mais de construction conjointe des idées et des outils. Lorsque ces deux données se croisent, comme ce fut le cas autour de la production d'ELSA, la spécificité devient une force : les acteurs-producteurs se plongent dans la recherche en pédagogie, se forment et représentent, par leurs retours au terrain, un élément d'avancée pour la recherche et l'outil qui s'élaborent simultanément. 

Les ateliers Genèse du texte, Analyse, la recherche 5-8 ans ont évidemment affirmé la richesse de cette modalité de travail qui permet aux militants qui s'y engagent de maîtriser les avancées en terme de pédagogie de l'écriture, de réflexion sur l'acte d'écriture, sur la voie directe, etc. Ils ont aussi cherché ce qui permettrait d'éviter un déphasage entre ces premiers groupes investis dans la recherche et la production et les militants qui sont, dans leur groupe local, des instances de diffusion en direction d'un public large. Se donner les moyens de maîtriser vraiment les discours que l'on tient, de reprendre pour soi-même dans sa classe, sa bibliothèque, son organisme de formation, etc. les avancées de la recherche et ses applications pratiques. Seule condition pour que les pratiques et les idées se diffusent. 

Des groupes de travail ayant pour objet affirmé cette transmission, une diffusion large des recherches et des publications spécifiques constituent les pistes lancées en ce congrès. 
 
 La formation au cœur des préoccupations. 

Outre la question du "positionnement" de l'AFL dans le mouvement de la formation d'adultes, s'est posée celle de la relation à l'adulte en formation. Les différents stages organisés autour de l'analyse des outils et des méthodes pédagogiques produits et utilisés dans les stages de formation d'adultes confirment que l'on choisit généralement de conférer un statut de faible ou de non lecteur aux stagiaires. Cette entrée est complétée par une fréquentation d'écrits non complexes (ou de non écrits) au cours des stages. Dès lors, où se situer lorsqu'on pense que la transformation du statut social précède la question de l'acquisition ou de la maîtrise de l'écrit ? Où se situer lorsqu'on n'est pas porteur de la logique de remédiation qui "adapte" des écrits aux compétences (capacités ?) des publics ? 

Le groupe a fait apparaître que la personne est appréhendée dans le stage de formation comme porteuse d'un statut qu'elle ne construit pas elle-même mais que l'institution (la société) lui attribue : le statut de demandeur d'emploi, celui d'adulte en réinsertion, celui de travailleur. Un statut à venir, à atteindre, encore hypothétique au moment de la formation. Statut dont on sait que les personnes en stage, en toute clairvoyance, le tiennent souvent à distance ; ne pas trop s'y projeter pour se protéger d'une déception. Quelle serait notre position alors ? Choisir une autre porte sans doute et faire le pari de dénicher avec la personne le statut social actuel dont elle se dote elle-même (comment se définit-elle ?) et s'attacher à transformer l'exercice de cette position. Politiser le rapport à l'écrit des adultes en formation, donc. 
 La politique de production

Présentes dans l'ensemble des groupes de travail, les productions de l'AFL telles que les logiciels, livres, collections, revues sont évoquées, citées, commentées ; elles sont vite rejointes par les tout aussi présentes productions internes et quotidiennes des équipes telles que les journaux internes, les outils d'aides à la lecture et à l'écriture, les grilles d'analyses, etc. qu'il conviendrait de faire circuler entre les équipes. Des éléments de politique de production sont apparues comme des caractéristiques existantes ou à atteindre. Les productions devraient à la fois : 

- se soucier de rendre lisibles et accessibles auprès du grand public les principes d'action et les cadres de pensée de l'AFL, 
- permettre de gagner en légitimité et en reconnaissance auprès des acteurs de terrain, des fonctionnels plus même que des institutions, 
- résulter d'un travail de transformation et constituer une occasion de rebondissement pour l'équipe qui participe à son écriture, 
- être  une occasion pour les équipes très étroitement mobilisées dans les recherches et les productions (logiciels, rapports de recherches, livres) de diffuser auprès des adhérents. Ceux-ci deviennent, à leur tour, des "agents de transmission" dans leur réseau de proximité (collègues directs, parents d'élèves, acteurs dans la ville ou dans la circonscription, dans le bassin d'emploi) 

En arrière-plan de ces orientations, une réflexion permanente sur l'adéquation des productions à leur public, à des publics plus ou moins proches de la "pensée AFL". Le classique débat sur l'accessibilité et l'intérêt du texte pour le public initié comme pour le public non initié trouve, semble-t-il, sa réponse dans l'attention que nous devrons porter au couple "production/équipe qui porte le projet ou l'action". Si, en effet, cette équipe est étroitement associée à la production et utilise l'écrit comme outil de pensée alors le livre, l'article ou la contribution en question doit pouvoir être à la fois source d'information, élément qui permet de regarder autrement la pratique personnelle du lecteur/acteur et enfin outil de formation par l'analyse de pratiques pour les acteurs/auteurs. 

Enfin et pour compléter, les lieux existants à disposition des équipes pour rendre compte de leurs projets sont complémentaires (bulletin, revue, Théo'Prat., production autonome hors collection). Tous supposent qu'on recoure à l'écrit pour mettre à distance mais chacun se situe différemment pour l'équipe qui l'utilise : le bulletin permet de faire savoir et de favoriser des maillages entre adhérents ; la revue autorise la publication d'une pensée en cours de construction quand on est en projet ou lorsqu'on l'a récemment  porté à terme ; une production autonome, au sein de la collection Théo'Prat. par exemple, rendra compte, sans la clore, d'une expérience ou d'un ensemble de pratiques dont on pense qu'elle a suffisamment été explorée, réajustée pour être exposée. En exploitant ces outils, les équipes se situent finalement dans leur propre distance à l'espace-temps du projet dont elles rendent compte. 

Charleville, ton congrès te ressemble un peu. 

Rouges, les forêts traversées pour venir. 
Rigueur et harmonie. La place ducale arbitre un match entre brique, ardoise et pierre blonde. Le soleil blanc, à première vue simple spectateur, crée les occasions de jeu. 
Questions. Politiques, les rencontres internationales annuelles des arts de la marionnette ? 
 

Nathalie BOIS