La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°58 juin 1997 ___________________ TABLE RONDE
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À. Petite histoire d'un mot malmené
Première question, question commune. Qu'est-ce que l'illettrisme
pour vous ?
Sur le terrain, on a 90% des personnes issues de l'immigration et 10%
d'illettrés au sens un Français, scolarisé en France...
Alors pourquoi ce décalage entre le sentiment qu'on a d'agir dans
des zones géographiques où le taux d'illettrisme est bien
supérieur au pourcentage national - quel que soit ce dernier - et
le faible taux de personnes qu'on réussit à toucher. Pourquoi
y a-t-il si peu de passerelles entre le monde de l'apprentissage de la
lecture pour adultes et cette réalité sociologique ? " (EFI)
Question qui montre rapidement qu'on a besoin de clarifier ce terme qui émeut ponctuellement mais régulièrement les journaux, les couloirs des cabinets ministériels et les conversations de comptoirs. " C'est aujourd'hui une nécessité de continuer de casser le sens commun sur ce qu'on entend immédiatement par illettrisme. Chacun se croit en mesure de parler d'illettrisme parce qu'on croit savoir ce que c'est que lire, on croit savoir ce que c'est qu'écrire, on croit savoir que c'est naturel, qu'il n'y a rien de plus simple, qu'après tout "moi je sais bien donc...", cette illusion d'une connaissance immédiate constitue un problème majeur. " (GPLI) On amorce un retour à l'histoire qui nous conduira en 1989 et au rapport Espérandieu/Lion/Bénichou (1). Jean-Pierre Bénichou, président de l'AFL participait aux travaux de ce groupe de réflexion en tant que chargé de mission au ministère de l'Education nationale. Son discours manifestait sa distance avec le groupe et proposait de déplacer le questionnement : il nous semblait qu'" il y aurait lieu de reconsidérer l'enseignement de la lecture qui, s'il avait fait ses preuves, était peut-être daté et inadapté aux nouveaux besoins et au contexte culturel et économique. Il nous semblait temps pour l'école d'enregistrer que les lecteurs à former étaient désormais d'une autre nature." Simultanément, Jean Foucambert signait pour Libération un article intitulé "5 millions d'analphabètes" c'est-à-dire les gens dont la maîtrise technique de l'écrit ne permettait pas la fréquentation minimale selon la définition qu'en donnait l'UNESCO. " (2) L'analphabète se caractérise par l'absence technique. Immigrés ou pas, cela correspond à moins de 6% de la population " L'illettré c'est l'envers du lecteur, c'est une question de rapport à la culture de l'écrit. Alors si l'on considère avec optimisme qu'il y a dans la société française 25% de la population faisant un usage régulier et diversifié de l'écrit, on aboutit à un taux de 70% d'illettrés dans les pays industrialisés. C'est dire que l'école a réussi dans sa mission d'alphabétisation mais échoue dans la fonction de lecturisation, traduction française de la "litteracy". " B. Regarder le doigt qui pointe la lune
Cet effort de comptage, d'étiquetage, de qualification de certaines
fractions de la société, revient " à innocenter complètement
un système social ou un système scolaire puisque c'est finalement
acceptable de conduire à la "réussite" 90% des gens. On innocente
ainsi une société qui ne souhaite pas que les gens soient
autre chose que des déchiffreurs, se débrouillent dans les
comportements rudimentaires, mais sûrement pas dans le recours à
l'écrit comme outil de pensée. Le parallèle s'établit
avec les compétences de base, approfondies et remarquables énoncées
par la DEP : tant qu'on n'accède pas aux compétences remarquables,
on est encore illettré. On ne sait pas se servir de l'écrit
puisque on n'accède pas aux raisons pour lesquelles ce texte a eu
des raisons d'être écrit par quelqu'un. On est pieds et poings
liés devant un écrit dont on ne comprend pas pourquoi il
existe ; on a simplement la capacité de le recevoir de plein fouet.
" (AFL)
Ce faisant, on voit se mettre en place un mécanisme de stigmatisation
d'une part de la population par une autre. " Lorsque ATD Quart Monde a
introduit le premier le terme d'illettrisme pour parler d'analphabétisme,
un classement "analphabètes, illettrés, lettrés" s'est
effectué. Ce faisant, la catégorie sociale qui nomme et désigne
opère un reclassement professionnel et déclasse parallèlement
ceux qu'elle désigne comme étant l'objet de ses soins. (GPLI)
" C'est aussi le moyen pour ces catégories sociales, en désignant
comme illettrées des personnes qui sont très loin d'elles,
de préserver un glacis. C'est une mise à l'abri formidable.
La catégorie intermédiaire entre les analphabètes
et les lettrés se vide ; l'écrit comme outil de pensée
est nié. " (AFL) Benoit Falaize précise que " ce glissement
s'opère sans intention maligne, par la simple position professionnelle
des acteurs ; à ce titre le parallèle avec l'action humanitaire
peut être fait : les associations comptent un grand nombre de salariés,
des entreprises satellites en vivent. Le travail social est inséré
aujourd'hui dans cette nouvelle forme d'intervention sociale. "
Concourant à cette confusion générale, la montée
de termes englobants comme "Exclusion" permettent " de ne rien dire du
tout : c'est presque aujourd'hui une hérésie de rappeler
que l'illettrisme est une toute petite partie en conséquence d'une
situation sociale que tout le monde connaît mais qu'on ne dit plus.
Comme si devenaient innommables les inégalités de tous et
l'inégale distribution des compétences et des savoirs, des
inégalités socialement déterminées. " GPLI)
Cette manière de dire - ou de ne pas dire - éclaire une évolution
de la société " le monde du travail qui évolue, des
associations caritatives qui s'installent et qui deviennent de véritables
professionnels de l'assistance " et traduit " ce que Bourdieu décrit
avec à la fois l'expansion du nombre de diplômés et
la dévaluation corrélative des titres : des gens travaillent
dans le social qui constitue un nouveau marché du travail.
C. Parler de culture de l'écrit
Comment échapper alors à cette entreprise redoutable de
construction par la langue d'une sorte de glacis qui protège ceux
qui qualifient les autres d'illettrés et qui imaginent pour eux
des "remèdes" ? En choisissant d'aborder l'illettrisme comme " la
loupe qui nous permet de parler d'un faible taux général
de lecteurs dans la société, et d'un mauvais rapport à
l'écrit très présent dans l'ensemble de la population.
" (AFL) En interrogeant d'abord, comme le fait le GPLI, le rapport à
la culture écrite de l'ensemble de la société : "
le GPLI essaie d'aller contre l'émotion périodiquement suscitée
par les médias et les politiques et contre les aveuglements car
il y a de moins en moins d'illettrés - si on avait fait des études
dans les années 45-50 on aurait été surpris du nombre
de gens incapables de lire et d'écrire. On contextualise donc la
définition de l'illettrisme. On essaie de prendre en compte, non
pas tant le fait que les gens ne sachent pas lire et écrire, mais
le fait que cela constitue aujourd'hui un phénomène de société.
C'est lié à ce que l'on a cru être des modifications
du monde du travail à partir des restructurations des années
70. Mais aujourd'hui cela constitue un scandale précisément
parce qu'ils sont rendus d'autant plus visibles qu'ils sont moins nombreux
et que cette vivibilité est renforcée par les mutations en
cours ou par ce qu'on suppose être les mutations en cours.
II. La formation : pour quoi, pour qui ? À. Que devient la fonction socialisante de la formation ?
Aller vers la maîtrise de la langue et la maîtrise des compétences
approfondies dont parle la DEP a des conséquences dans le quotidien,
dans le professionnel. On ne travaille pas l'un sans l'autre mais " le
discours tenu actuellement n'est pas celui-là. L'idée de
la promotion sociale qui était présente dans la loi de 1971
(3) a complètement disparu au profit de la formation
professionnelle. La formation générale a disparu alors que
ça pouvait être un moteur pour un individu, pour son avenir...
" (FAS) Il reste que si les orientations de politique générale
font reculer l'objectif de socialisation, certains organismes sur le terrain
parviennent à imposer cette entrée " en accueillant sur des
stages comme l'"Atelier permanent de formation de base" des mères
au foyer, des retraités qui sont en difficulté de lecture
et qui viennent sur une démarche complètement étrangère
à la démarche économique. " (EFI) C'est pour ces organismes
un moyen d'affirmer une ligne de conduite, une éthique de formation
: dans une association de formation comme EFI " le plus important n'est
pas tant les capacités d'apprentissage que la fonction socialisante
des formations. On voit des groupes de femmes maghrébines constituer
des réseaux de solidarité et savoir se débrouiller
pour acheter moins cher, obtenir le soutien scolaire, etc. Il s'opère
là une forme d'intégration qui est un effet secondaire mais
qui n'est pas le moins important. C'est un effet induit majeur de la formation
qui ne correspond pas à la demande première d'alphabétisation
mais qui est bien réel. " (EFI)
L'absence de travail rend la situation paradoxale : pourquoi ne pas
utiliser les stages pour autre chose que la préparation d'un avenir
de "travailleur" plus qu'hypothétique ? Pourquoi ne pas utiliser
le stage pour autre chose, la construction d'une prise sur le présent
par exemple. Faisons le pari que ce travail s'accompagnerait d'un changement
de statut des individus dans la société. Ce travail qu'amorce
en partie l'association EFI contient aussi ses limites institutionnelles.
" L'association est implantée dans un quartier très jeune,
plaque tournante de la drogue, où 30% sont chômeurs, 20% immigrés
et 15% RMIstes. Dans quoi EFI peut-elle s'inscrire ? En épaulant,
par un journal, des stagiaires et de manière plus concrète,
en épaulant des comités anti-expulsion. Mais l'association
fonctionne avec de l'argent public ; peut-on aller plus loin sans le détourner
de ses fonctions ? " (EFI)
On revient toujours à l'emploi qui est au cœur du problème
au point qu'au GPLI, " certains pensent qu'une politique volontariste consisterait
à choisir de socialiser par l'entreprise : l'argent dépensé
pour réunir les stagiaires plusieurs fois par mois pourrait être
transféré pour les intégrer à l'entreprise,
y compris en surplus de poste, pour asseoir une immersion de l'individu
dans la société et pouvoir accrocher une formation à
cette condition retrouvée de salarié. " Cette extension de
l'alternance à des publics en situation d'illettrisme et qui sont
considérés comme étant hors marché de l'emploi
pourrait constituer une réponse à la contradiction majeure
: la demande première, c'est de l'emploi, la société
peut fournir - et de plus en plus difficilement - de la formation.
B. Quand l'économique dicte les politiques, l'étau
se resserre
Un seul point de mire pour la formation en Europe : l'insertion professionnelle
directe. "
Tout se passe comme si, lorsqu'on parle d'illettrisme et d'emploi, on cherchait à établir une correspondance logique : l'un doit être responsable de l'autre et " l'idée dominante consiste à faire de l'illettrisme la cause de l'exclusion. " On retrouve à l'œuvre la confusion déjà évoquée : le FAS précise qu'" il y a d'une part une première confusion entre les capacités et les compétences des individus, et d'autre part, l'exploitation par l'environnement social et économique de l'étroite articulation entre qualifications et emploi pour rendre encore plus difficile l'accès au travail des personnes faiblement qualifiées. Une agence locale pour l'emploi peut, dans ce contexte, ne pas recevoir des personnes en situation d'illettrisme puisqu'elles ne trouveront pas de travail ! Il y a confusion entre la compétence individuelle et l'environnement social et économique dont la personne n'est pas responsable. " (FAS) Ira-t-on jusqu'à parler d'un aveuglement des esprits face à ces conditions nécessaires d'accès à l'emploi, comme des préalables posés pour justifier qu'on laisse sur le bord de la route, dans le fossé... qui se creuse ? Le FAS précise que " dans la manière dont les entreprises peuvent voir les immigrés, les personnes sans qualifications et qui justement ne maîtrisent pas bien la langue, quelques jalons sont posés : on voit bien que dans un certain nombre de métiers, des personnes immigrées ou françaises qui maîtrisent mal l'écrit arrivent à avoir des postes non négligeables. La Fédération du bâtiment a exprimé le besoin d'une formation linguistique pour la moitié de ses grutiers. Ce sont d'excellents grutiers, il n'y a aucun problème sur les chantiers, mais une norme européenne exigera bientôt de tous qu'ils sachent lire, transmettre les consignes. C'est l'environnement social et économique qui fait monter l'exigence sur la maîtrise de la langue et non pas l'environnement professionnel. " S'engage alors sans doute la responsabilité des opérateurs de formation pour profiter de ces cadres et mettre en œuvre des logiques de formation poussées, dépassant la seule adaptation à la demande, le strict usage des écrits de la branche. Et cela est difficile parce qu'" en France, la formation est liée à l'entreprise. L'entreprise forme mais pour adapter les gens à l'emploi. " (FAS) De cet ensemble se dégage une contradiction - à moins
qu'il s'agisse d'une subtilité (4) - concernant
les immigrés : les autorités font de la formation linguistique
la priorité ; la manière de traiter cette priorité
- des stages où la langue ne se rencontre pas dans ses usages, où
elle ne s'expérimente pas dans ses effets - fait passer à
côté d'une intégration plus socialisante, une intégration
par l'économique.
Peut-être en conséquence de ce durcissement des préalables
à l'emploi et des difficultés à articuler des contenus
de formation à un réel un tant soit peu tangible, il semble
qu'on s'achemine vers une politique de prévention à la perte
d'emploi : la question sur laquelle réfléchit l'association
EFI par exemple, n'est pas " comment faire entrer à nouveau dans
le monde du travail quelqu'un qui est en situation d'illettrisme mais bien
plus comment l'y maintenir.
Quand l'économique tire les ficelles
Lorsque l'état finançait 100 stages, les 100 "bénéficiaires" étaient globalement contents. Certains allaient vers l'entreprise, d'autres pas et d'autres repartaient dans le circuit. Aujourd'hui, il n'y a plus que 40 financements, 60 personnes restent de côté. On mise sur les 40 personnes pour qui il faut une solution parce qu'il sera d'autant plus impossible de les maintenir dans la position de stagiaire qu'on aura laissé les 60 autres sans réponse. " (EFI) Une nouvelle forme de sélection et de distinction se met en place
entre ceux qui seront les "privilégiés" du sauvetage social
sur qui - parions-le - on fera peser la pression psychologique du devoir
d'insertion professionnelle et ceux qui n'ont pas eu cette "chance", un
jour, d'être stagiaire !
À quoi pense-t-on pour leur apprendre la langue ?
1. Il n'y a pas de lien entre difficulté de lecture et chômage Le GPLI alerte sur la fallacieuse " adéquation qui est faite
entre le fait qu'un individu "ne sait pas lire/ne sait pas écrire"
et le fait qu'il est au chômage. Aucune étude ne permet de
l'affirmer. La difficulté pour ces gens à trouver du travail
tient moins au fait qu'ils ne savent pas lire et écrire qu'au fait
que les employeurs en font un critère d'embauche. Ce sont les représentations
patronales et de l'entreprise qu'il faut ici interroger. " L'association
EFI ajoute qu'il ne s'agit évidemment pas de nier le fait que "
des personnes sont en difficulté professionnellement du fait de
leur non maîtrise de la lecture et de l'écriture. Les mutations
technologiques extrêmement récentes liées aux nouvelles
technologies de communication, et informatiques, les changements organisationnels
au sein de l'entreprise (la réduction de l'échelle hiérarchique,
par exemple) sont des vrais problèmes posés aux personnes
en situation d'illettrisme. "
2. Analyser les besoins, ne pas stigmatiser les publics, individualiser
les réponses
Face à ce raccourci pratiqué dans le domaine de la formation au travail, faut-il revenir aux clarifications précédentes et les convertir en manières de concevoir et d'agir ? On a vu comment "Illettrisme et analphabétisme" devraient nous renvoyer à la familiarité avec l'écrit, le rapport avec la culture écrite en général ce qui peut conduire le FAS à exprimer ainsi l'une de ses priorités : " éviter de ghettoïser les personnes étrangères vivant en France et éviter de faire de l'apprentissage initial de la langue un domaine à part. D'autres personnes, françaises, scolarisées en France ont aussi des problèmes de langue. Le FAS souhaiterait qu'on puisse globaliser l'approche de la maîtrise de la langue afin de créer des passerelles. " On a vu également comment l'approche de l'illettrisme se centre sur l'individu, correspondant à un moment de son parcours personnel, ce qui nous conduira à retrouver une préoccupation forte : " ne pas annuler les différences. " Cette approche globalisée aurait pour conséquence soit
de réduire la spécificité des publics auxquels les
différentes institutions se consacrent ou bien d'imposer une cohérence
dans la manière de construire la pédagogie de la langue à
l'échelle du territoire, au moins. Vers une charte commune des choix
pédagogiques en matière de maîtrise de la langue ?
Les courants pédagogiques qui innervent les dispositifs de remédiation scolaires ou en direction des adultes sont présents dans les réflexions. Le FAS exprime sa volonté de " regarder de près comment des individus peuvent progresser par rapport à la maîtrise de la langue française. Mesurer, définir des objectifs, des choses qui peuvent être travaillées en commun. " Etape diagnostique. Et poursuivant : " Il y a une différence importante entre des
personnes scolarisées en France et à l'étranger, ceux
qui ne l'on pas été. Il y a par ailleurs les personnes qui
ont suivi une scolarité poussée dans leur pays. Les besoins
et les méthodes doivent être différents. On ne peut
pas passer à côté de l'analyse personnalisée
des besoins des gens. " Pédagogie différenciée et
parcours individualisé.
1. Expérimentations et diffusion Considérant qu'on apprend la langue en la faisant fonctionner
et qu'on accède à sa fonction d'analyse de la réalité
en l'exerçant sur le réel, on n'a guère intérêt
à dissocier contenus et apprentissage de l'instrument... Aujourd'hui,
c'est sous forme d'expérimentations que le FAS conduit des formations
sur le lieu de travail avec les équipes réunies dans leur
diversité de statuts et de fonctions. " Il s'agit d'une forge de
250 salariés. La formation d'opérateurs de très faible
niveau - 74% sont d'origine étrangère - a été
très articulée avec l'analyse des dysfonctionnements et des
conditions de travail et ses relations (causes et effets) avec l'apprentissage
de la langue. On a pu constater une évolution du changement d'attitude
des chefs d'équipe, une participation à la formation avec
les équipes. " Restent que les conditions qui ont permis la réalisation
de ce qui apparaît dès lors comme une expérimentation
sont lourdes : " un chargé de mission pour le montage a été
financé par le FAS pendant un an ; le directeur était conscient
des mutations du travail en cours, il voulait former ses salariés
- y compris de bas niveau - pour les maintenir dans l'entreprise, et voulait
dynamiser son équipe d'agents de maîtrise, un syndicat a dynamisé
les salariés. L'organisme de formation était prêt et
compétent. Cela a fait beaucoup de paramètres pour aboutir
mais cela a abouti. Il y a eu des échecs aussi : en Ile de France
et en Lorraine, des lenteurs en Nord Pas de Calais. Des choses peuvent
se mettre en place mais de manière expérimentale tant l'énergie
dépensée est grande. De là à parler de diffusion...
"
Le GPLI, quant à lui, travaille à capitaliser ces expériences, à relier les actions de formation à la recherche universitaire. Une des perspectives, pour l'association EFI, semble que la formation
soit gage d'insertion à la fois sociale et professionnelle : " Le
stage "Lecturisation/restauration" demande un investissement des personnes
concernées, constitue un système complexe mais intéressant
: Les personnes en situation d'illettrisme sont prises en charge à
la fois, sur le ressort "nouvelles qualifications" et sur leur accompagnement
dans l'entreprise. L'entreprise formative paie le centre de formation sur
la montée en qualification, les retours en centre sont uniquement
et également pour travailler sur la lecturisation. Ce type de stage
fait accéder à des ressources supplémentaires au titre
de l'innovation ou de l'expérimentation mais les moyens restent
très faibles néanmoins.
2. Quel est notre optimisme aujourd'hui ? L'optimisme, si on le trouve dans les propos tenus lors de cette rencontre, est manifestement réservé... Optimisme de survie pour les organismes de formation " qui sont pris dans un étau qui en a vu 8 000 disparaître depuis 4 ans sans pour autant que cela corresponde à une concentration en faveur de centres forts. Cela correspond plutôt à une chute du nombre de formateurs. La profession est très précaire. Il n'y a pas de réaction parce qu'il y a démarche d'instrumentalisation. On a des missions à remplir, on est payé pour cela. L'optimisme, c'est d'être en vie aujourd'hui. Et d'espérer être en vie demain. (EFI) L'optimisme se situe dans le travail effectif, sur le terrain " lorsqu'on suit une personne pendant 6 mois ou 1 an c'est moins ses performances en lecture, même si on n'a pas à rougir des résultats, que de voir la progression de la personne au bout de 6 mois, 1 an. Est-ce qu'elle est sortie d'un statut d'exclus ? Est-elle entrée dans une vie normale, dans une dynamique sociale ? " (EFI) Il faut miser sur la durée, la permanence des dispositifs et des professionnels. C'est la condition pour commencer à travailler en profondeur. Optimisme dans les hommes et dans leur capacité à occuper
les interstices du système. " Ce qui sauve c'est le dévouement
des personnes que ce soit les formateurs ou dans le secteur associatif.
Un dévouement personnel qui dépasse largement la stricte
attention à l'apprentissage de la lecture. Les partenaires sociaux,
à travers des expérimentations, se sentent concernés
par cette question. À Nancy, avec la CFDT, ou ailleurs encore lorsque des
entreprises de plasturgie ont pris des initiatives pour éviter le
chômage des " bas niveau de qualification". Chaque fois que des gens
arrivent à faire fonctionner des choses intéressantes, tout
se passe comme si l'administration travaillait contre l'administration
pour faire avancer un projet, que le chef d'entreprise était atypique
dans le monde de l'entreprise, que les syndicats eux-mêmes acceptaient
l'idée qu'il y a, parmi les salariés des personnes en grosse
difficulté. Tout se passe comme s'il fallait que chacun travaille
contre son propre camp et utilise les failles de celui-ci. " (GPLI)
V. Deux questions pour conclure La résignation est-elle aujourd'hui si grande qu'on n'a plus
besoin d'acheter la paix sociale ?
Y a-t-il encore de la place pour l'idéologie ?
Mais pour quoi forme-t-on ces gens ? À quoi cela sert-il ? Quel but cherchons nous à atteindre ? Et quel pouvoir conférons-nous à notre travail d'acteur social ? Quel enjeu mettons-nous tous dans notre action professionnelle ? " Quel est le degré de résistance des réseaux de formation. Les ouvriers polonais apprenaient à lire en travaillant, avec leurs collègues de travail et ils "prenaient" de la conscientisation en même temps que de l'alphabétisation. Aujourd'hui, en ayant séparé cette fonction "alphabétisation" de l'emploi et en la conférant à des gens qui sont en situation précaire eux-mêmes on est sûr que ce qui va s'enseigner dans ces cours d'alphabétisation c'est savoir remplir la feuille de sécurité sociale, savoir signer un chèque. Quelque chose qui devrait mettre le feu au stage dès qu'il débute " (AFL) alors qu'on pourrait imaginer dans toutes les formations des cours d'économie politique dont l'objectif serait d'aider à comprendre les causes réelles du chômage. Si la professionnalisation de la formation et la pression économique très forte qui pèse et fait craindre les retraits de subventions, les licenciements... permettent de comprendre cette situation, on peut parier que nombreux sont ceux qui " sentent la nécessité de construire avec les gens des outils qui leur permettent de comprendre un fonctionnement social pour le moment masqué sous la fatalité, la crise et les restrictions budgétaires... " Faut-il parler de dépolitisation ? " Plus sûrement de la
certitude que les structures traditionnelles porteuses du changement, les
partis politiques, sont complètement obsolètes. On est un
peu dans la situation des années 30 : la SFIO inexistante, qui ne
se positionne pas sur les problèmes importants parce qu'elle est
coincée dans des stratégies de conquête et de sauvegarde,
et des intellectuels qui se sentent enfermés dans des structures
de pensée. "
(1) Des illettrés en France : rapport au premier ministre. La documentation française. Paris : 1989 (2) in : De l'illettrisme : état des lieux de la recherche universitaire concernant l'accès et le rapport à l'écrit, Centre INFFO, Paris 1995. " On considère aujourd'hui comme relevant de situation d'illettrisme des personnes de plus de seize ans - âge légal de fin de scolarité obligatoire en France - ayant été scolarisés, et ne maîtrisant pas suffisamment l'écrit pour faire face aux exigences minimales requises dans leur vie professionnelle, sociale, culturelle et personnelle. Ces personnes qui ont été alphabétisées dans le cadre de l'école, sont sorties du système scolaire en ayant peu ou mal acquis le goût de cet usage. Il s'agit d'hommes ou de femmes pour lesquels le recours à l'écrit n'est ni immédiat, ni spontané, ni facile, et qui évitent et/ou appréhendent ce moyen d'expression et de communication. " (3) référence à demander à JP Mangon. (4) Le Fas mentionne qu'il est de plus en plus interpellé par
les cas de discrimination à l'embauche.
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