La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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USAGES EXPERTS DE L’ECRIT


Intention générale 

Depuis 1990, des terrains expérimentaux INRP ont participé À deux recherches successives sur l’enseignement de la lecture. La première (1990-1994) a été consacrée À la mise en place des conditions qui permettent d’aborder l’écrit dans le cycle des 5-8 ans comme un apprentissage linguistique et non d’abord comme un système de notation de l’oral. La seconde porte sur les pratiques qui rendent effectif l’usage de la voie directe (orthographique) en lecture. Elle s’achève dans les classes en juin 1997 et le rapport de synthèse paraîtra en novembre. Ces sept années de recherche ont permis aujourd’hui À une trentaine d’enseignants de maternelle et de l’élémentaire d’acquérir une expérience et une maîtrise pédagogiques dans une démarche qui est au cœur de tous les débats et de toutes les recherches en lecture, autant dans leur dimension didactique, psychologique que sociologique. C’est maintenant plus de 200 élèves chaque année qui apprennent À lire autrement depuis le cycle 2 et dont les plus anciens achèvent en juin leur classe de cinquième. On dispose ainsi d’un terrain d’observation et de développement pédagogique sans doute unique en France tant du point de vue du contrôle scientifique de l’innovation que de la cohérence et de la continuité de la démarche.

L’objet général de cette nouvelle étape de la recherche vise donc À tirer le meilleur parti de cette possibilité d’étudier les modalités et les effets d’un enseignement de la lecture qui s’est construit de manière progressive autour d’une alternative au paradigme phonocentriste dominant. Affirmer, comme le fait l’Observatoire National pour la Lecture, que l’apprentissage de la lecture " n’est ni naturel ni surnaturel ", c’est souligner en effet l’importance de son enseignement. Donc la nécessité de recherches sur cet enseignement puisqu’on peut faire l’hypothèse que celui-ci est pour quelque chose dans la manière que chacun a eue de devenir et d’être aujourd’hui lecteur. Si bien que même les recherches en psychologie ne peuvent décider si ce qu’elles observent chez l’adulte ou l’enfant caractérise le comportement absolu d’un lecteur (naturel ou surnaturel) ou si, au contraire, elles ont nécessairement accès À un comportement relatif produit pour partie (laquelle ?) par un enseignement (lequel ?) bien concret. Mais dans ce cas, les résultats de leurs observations doivent être utilisés avec prudence pour fonder en retour des prescriptions pédagogiques. C’est comme si on devait conclure du constat que la majorité des adultes ne lisent pas plus d’un livre par an qu’il est indispensable de tenir les débutants le plus longtemps possible À l’abri de l’écrit. On comprend bien dès lors que le développement de recherches, notamment en psychologie, dont les résultats pourraient se réinvestir dans une réflexion pédagogique sur la lecture dépend prioritairement du développement de recherches sur la pédagogie de la lecture qui offrent un nouvel observable aux études psychologiques.

La question, déterminante pour tout le monde, est alors au plan scientifique, de contrôler la variable pédagogique, ce qui implique qu’on se préoccupe aussi de créer les conditions de sa variation. Ce souci est en général rapidement expédié dans les rares recherches comparatives par l’utilisation de catégories (méthodes phoniques opposées aux méthodes visuelles, par exemple) dont le flou n’a guère À envier À la mention vulgaire faite de la méthode globale pour dénoncer le vecteur de toutes difficultés scolaires. Il est pourtant assuré qu’une méthode ne se réduit pas À une déclaration technique mais constitue un système cohérent incluant aussi bien les usages effectifs que l’école maternelle permet aux enfants d’avoir avec les écrits de toutes sortes, que la relation que les enseignants établissent avec les pratiques de lecture des parents ou que le statut de responsabilité et de pouvoir qu’on reconnaît À l’élève sur sa manière d’apprendre, le rapport qu’on choisit d’établir initialement entre code graphique et code phonologique, la définition que l’on donne de l’autonomie devant un texte, la nature des liens entre la lecture et la production de textes ou le contenu sur lequel se développent les leçons de lecture, pour ne citer que quelques aspects qui n’ont d’ailleurs jamais de signification isolable de l’ensemble qu’ils constituent. Ce caractère systémique de la pédagogie de la lecture, joint au fait qu’il n’y a guère de continuité d’une année sur l’autre, conduit au constat que l’enseignement reçu par un élève se décrit À travers l’intersection commune aux pratiques successives dont il est l’objet, intersection qui va finalement être très semblable d’un lieu À un autre. Ce qui semblerait pouvoir varier plus aisément, c’est la " qualité " du maître ; la centration des recherches pédagogiques sur l’étude d’un tel coefficient personnel témoigne indirectement de la difficulté de prendre en compte la variable méthode dans sa cohérence et sa durée.

C’est qu’un système d’enseignement de la lecture ne se décrète pas dans un laboratoire et ne se répartit pas entre des acteurs comme on le ferait d’un taux d’humidité ou d’une quantité d’engrais dans un plan expérimental. On ne saurait non plus s’en tenir au sentiment des auteurs et des acteurs que ce qu’ils proposent et entreprennent est différent. Encore faut-il s’assurer À travers un certain nombre de capteurs que le fonctionnement prescrit crée effectivement des conditions nouvelles aussi bien dans les usages que les élèves font des divers écrits que dans les investissements et les systématisations que les temps d’enseignement prennent en charge. Enfin, il est nécessaire de suivre l’évolution des compétences et des performances des élèves afin de s’assurer qu’À terme elles sont (mieux) assurées et de décider en quoi les cheminements pour les atteindre peuvent différer. On est donc devant un important dispositif d’innovation contrôlée dont la mise en place et le suivi représentent un effort exceptionnel sur la durée. La question est ici d’exploiter au mieux cet investissement humain et matériel spécifique pour en tirer toutes les informations qui permettront de mieux comprendre ce qui est en jeu en général dans la lecture et dans son apprentissage grâce À l’alternative qu’il propose quant À son enseignement.

En conséquence, l’actuel projet de recherche consiste À prendre appui sur le dispositif existant pour construire de l’information dans ces directions. Après avoir rappelé brièvement les hypothèses que cherche À tester le dispositif expérimental nous exposerons les acquis des recherches précédentes dont la dernière s’achève en juin. Enfin, nous détaillerons les objectifs de ce projet

 

Rappel des hypothèses du dispositif expérimental

Nous ne reprendrons pas ici l’élaboration théorique de ces hypothèses qui ont déjA fait l’objet de longs développements (Cf. À.L. n°33, mars 91, p.49 et n°34, juin 91, p.53). Nous ne reprendrons pas non plus le récit des réactions convulsives que l’énoncé de ces hypothèses provoque parfois et qui ne peuvent s’expliquer par l’existence de réponses scientifiques et définitives aux problèmes posés. Nous nous en tiendrons seulement À un rappel sous forme de mise À plat non argumentée et non polémique.

  • On estime généralement (Cf. J.P Jaffré) que chaque système d’écriture réalise une complémentarité singulière entre un niveau phonographique et un niveau sémiographique. Question : que peut-on en déduire quant À la manière dont un enfant apprend À lire et/ou dont il est préférable de lui enseigner la lecture ? Réponse : rien, ou ce qu’on veut À condition de préciser que c’est alors une hypothèse À soumettre À l’épreuve des faits. Deux réponses sont néanmoins fréquemment données :
  1. Il doit apprendre d’abord À utiliser le niveau phonographique pour acquérir rapidement une autonomie face À l’écrit en reconnaissant, grâce au décodage grapho-phonologique, la forme phonologique du mot pour accéder alors À son identification sémantique. L’automatisation de ce traitement du niveau phonographique doit conduire l’enfant, À partir du CE1, À opérer prioritairement au niveau sémiographique.
  2. Il doit apprendre simultanément À traiter de manière complémentaire les informations données par le niveau phonographique et par le niveau sémiographique. Cette réponse ne précise pas si cette complémentarité subsiste sous cette forme dans la lecture experte ou si elle s’estompe pour laisser l’initiative au niveau sémiographique.
  • On estime généralement que la lecture résulte d’une interaction entre traitements de bas niveau et de haut niveau, entre processus d’identification du signifiant et hypothèses de traitement de l’information prélevée. Ici, pas de question mais une précision pour éviter une confusion : le niveau phonographique ne correspond pas au ‘bas niveau’ et le niveau sémiographique au ‘haut niveau’. Niveau phonographique et niveau sémiographique appartiennent également au signifiant. Ils sont tous deux de nature graphique et constituent (sans en être probablement les seuls constituants) le signifiant. Autrement dit, il n’y a pas du son en bas et du sens en haut, du phonographique d’un côté de l’interaction, du sémiographique de l’autre ! Rien ne permet de penser que, dans l’interaction experte, les hypothèses de traitement du signifiant se différencient selon que ce qui le constitue a eu ou a encore À VOIR avec le niveau phonographique ou avec le niveau sémiographique. Ces éléments établissent l’objet graphique qui va entrer en tant que tel dans l’interaction et celle-ci ne différencie probablement pas ses processus selon l’origine des éléments qui ont constitué le signifiant. D’ailleurs, qu’est-ce qui serait du niveau phonologique dans ‘cheval’ sans être aussi de niveau sémiographique ? Peut-on dire que, tous les graphèmes ayant ici une correspondance avec des phonèmes, le signifiant graphique ‘cheval’ ne contient aucun élément du niveau sémiographique ? Ne serait-ce pas alors inférer un mode de traitement du code linguistique de la nature des éléments qui l’ont constitué ? Sachant que l’eau est composée d’oxygène et d’hydrogène, décrivons comment Lucien apprend À nager ! 
  • La manière de concevoir l’enseignement de la lecture semble dépendre étroitement de la nature qu’on attribue À l’écrit. Dans la perspective phonocentriste dominante, l’écriture étant perçue d’abord comme un système de notation de l’oral, on aborde prioritairement l’écrit À travers l’étude d’un système de codage. Mais si on envisage la question pédagogique À partir de l’usage qui est fait d’un système linguistique et non À partir d’une manière formelle de le décrire, la priorité sera d’une autre nature. Si l’écrit est d’abord fonctionnellement un langage, sa rencontre va suivre la règle de tout apprentissage linguistique : c’est par le message qu’on accède au code. Ce qui caractérise un système linguistique, c’est le lien qu’il établit organiquement avec des opérations intellectuelles dans leurs différentes phases, aussi bien de conception que de communication (Cf. J. Goody). L’écrit est au même titre que l’oral un outil de pensée, tous deux des outils spécifiques À des opérations spécifiques, des outils dont les effets sont liés À la dimension dans laquelle ils fonctionnent : le temps pour l’oral, c’est-À-dire l’éphémère, le successif, le remis en cause, dimension qui permet que la pensée s’éprouve dans le dialogue et l’échange, s’essaie et se transforme ; l’espace pour l’écrit, c’est-À-dire le permanent, le simultané, l’établi, dimension qui oblige la pensée À chercher une cohérence, une perspective, une unité. À l’oral, la pensée se construit en se confrontant À l’autre, À l’écrit, elle se construit en se confrontant À elle-même. Dans un cas, c’est la contradiction qui est le principe dynamique de l’exercice intellectuel, dans l’autre, c’est la mise en système, la construction d’un point de vue, au sens originel, d’une théorie.
  • Une première hypothèse pédagogique peut être produite. Il existe évidemment une intersection entre l’oral et l’écrit mais celle-ci est établie par le linguiste comme résultat d’une recherche du plus grand commun diviseur entre deux systèmes, une reconstruction a posteriori qui reste largement (comme toute intersection) en deçÀ de chacun des deux ensembles. C’est une espèce d’abstraction linguistique qui, pour les besoins de l’étude, ne se préoccupe pas de prendre en charge la pratique que permet l’un ou l’autre système. Aucun comportement linguistique n’a jamais fonctionné sur cette intersection. L’enfant n’a pas appris sa langue maternelle en rencontrant ce qui fait correspondre l’oral À l’écrit. Le pari phonocentriste s’établit pourtant sur l’idée qu’il pourra apprendre À lire en rencontrant ce qui fait correspondre l’écrit À l’oral. La démarche pédagogique prévoit qu’en connaissant l’oral d’une langue et en recevant un enseignement portant sur l’intersection existant entre cet oral et l’écrit, on a créé les conditions de l’accès au fonctionnement de l’écrit. C’est ignorer le fait qu’un système linguistique n’est jamais que l’outil d’une pratique sociale À laquelle l’individu participe et À travers laquelle il rencontre ce système linguistique. Inverser le processus en prétendant qu’on peut accéder au message grâce À un enseignement du code, c’est nier la réalité fonctionnelle de tout apprentissage linguistique. Et plus encore lorsque cet enseignement du code se préoccupe d’abord de ce qu’il a en commun avec un autre code, donc lorsque, d’emblée, il le réduit À ce qui ne lui est pas spécifique. La première hypothèse pédagogique consiste donc À vérifier s’il est possible d’entrer dans l’écrit non pas indirectement par l’intersection des systèmes linguistiques mais directement comme on le fait d’une pratique sociale qui se développe autour d’un langage fonctionnant comme un outil de pensée, de production et d’échange.
  • Une seconde hypothèse prolonge la première : cette entrée dans l’écrit À travers la pratique culturelle qu’il autorise donne des résultats d’une autre nature que l’entrée dans l’écrit par l’intersection des systèmes linguistiques oraux et écrits, intersection qui se réduit À une série de correspondances entre code phonologique et code graphique, correspondances qui laissent de côté l’essentiel du fonctionnement respectif de l’oral et de l’écrit. En d’autres termes, il y aurait davantage d’efficacité À attendre d’un apprentissage linguistique que de l’acquisition de techniques de traduction en direction de, ou vers un système linguistique préexistant, en l’occurrence ici l’oral. Cette hypothèse rejoint celle qui a transformé la pédagogie des langues étrangères en substituant au thème et À la version, qui laissent inchangé le pilotage du mode de pensée par la langue maternelle, une plongée directe dans les fonctions de communication et d’échange que la langue cible autorise chez ceux pour qui elle est outil de pensée. L’économie initiale espérée par l’utilisation des correspondances grapho-phonologiques ne risque-t-elle pas d’enfermer À terme la rencontre de la langue cible dans les seules fonctions linguistiques exercées par l’intersection avec l’oral ? Ce risque est sans doute volontaire À la fin du 19ème siècle lorsqu’il s’agit précisément d’alphabétiser, c’est-À-dire de s’assurer À la fois que les travailleurs disposeront des informations nécessaires pour produire mais ne développeront pas (Jules Ferry ne s’est-il pas engagé À " fermer l’ère des révolutions " ?) des savoirs susceptibles de mettre en cause les principes économiques et sociaux dans lesquels s’intègre ce processus de production. D’où le choix de cet entonnoir étroit et réducteur de la correspondance grapho-phonologique qui tourne le dos aux fondamentaux de tout apprentissage linguistique en faisant dépendre la compréhension d’une langue de sa traduction préalable vers une autre. En ce sens, la réaffirmation officielle (Cf. le rapport de l’Inspection Générale de janvier 95) que lire n’est pas comprendre de l’écrit mais pour comprendre de l’écrit, en quelque sorte l’opération qui précède et rend possible la compréhension, ne déroge pas À cet ancrage phonocentriste de l’apprentissage malgré les concessions répétées que la lecture experte emprunte massivement la voie directe ou orthographique. Comment passe-t-on alors de l’un À l’autre ? Est-il même possible de faire pour apprendre autre chose que ce qu’il faut apprendre À faire ? Les recommandations officielles (1992) le pensent puisqu’elles ne mettent pas en doute le fait que " les enfants se dotent sans en prendre conscience et À notre insu des moyens d’un traitement direct du code orthographique. " Bel optimisme de nos responsables qui semblent ignorer les résultats des élèves de 6ème donnés par la DEP du même ministère. Optimisme que devrait tempérer l’observation de Michel Fayol (1992) selon laquelle les résultats des recherches actuelles ne permettent pas d’expliquer comment les élèves passent de la voie alphabétique À la voie orthographique. Et s’ils n’y passaient pas, ou bien mal, ou bien peu ?

C’est donc autour de cette problématique que se sont engagées successivement deux recherches dont on peut présenter quelques traits principaux.

 

Les apports des deux recherches précédentes

La lecture dans le cycle des 5-8 ans

Cette recherche (1991 – 1994) se proposait essentiellement d’observer le développement de quelques compétences dont on peut faire À la fois l’hypothèse qu’elles interviennent dans le processus de lecture et qu’elles sont sensibles au type d’intervention pédagogique. C’est donc un important dispositif qui a été mis en place afin de :

- produire des instruments pour décrire les pratiques pédagogiques : emplois du temps, nature des textes utilisés et description linguistique, conduite de la leçon de lecture

- produire des outils pour décrire le cheminement des stratégies et des performances : capacité lexique (lecture de mots isolés et en contexte), capacité graphique (exigence orthographique), capacité grapho-phonologique (oralisation de pseudo-mots), compréhension en lecture, culture de l’écrit

- conduire l’observation dans 16 sites en suivant 5 enfants pendant 3 années

- comparer le cheminement des stratégies et des performances selon les 3 types de pédagogie que l’observation dans les classes a permis de distinguer.

Il est facile d’imaginer la diversité des informations qu’un tel dispositif permet de recueillir et de traiter. En bref, et pour synthétiser au plus simple, six points ressortent de ce travail :

  1. la voie directe et la voie indirecte coexistent chez chaque élève tout au long de l’apprentissage
  2. il est difficile de déterminer laquelle " automatise " ou " pilote " l’autre et on observe, en ce domaine, un effet significatif de la " méthode " pédagogique
  3. il est prouvé qu’on peut apprendre À lire sans un enseignement de la médiation phonologique et du système de correspondance grapho-phonologique
  4. on constate un effet différé dans les pédagogies de la voie directe au début de l’apprentissage
  5. ce sont des classes qui travaillent sur la voie directe qui ont obtenu les meilleurs résultats au début du CE2 ; ce sont aussi des classes qui font le même choix qui ont obtenu les résultats les plus faibles. C’est dire qu’il y a encore beaucoup À faire dans la mise au point d’une pédagogie satisfaisante qui ne peut se réduire À la simple absence d’investissements de type " phonique "
  6. les compétences graphiques, lexiques et grapho-phonologiques semblent contribuer, À la fin du CE1, de manière différente À la performance de lecture selon le type de pédagogie. Pour la pédagogie qui mise clairement sur le recours initial À la voie indirecte, en prenant comme base et principe de la lecture la correspondance grapho-phonologique, la seule compétence technique qui contribue À la performance de lecture, et de manière positive, est la maîtrise de ce code de correspondance. Pour la pédagogie qui mise clairement sur le recours initial À la voie directe, la seule compétence technique qui contribue À la performance de lecture, et de manière significative, est le niveau d’identification du lexique. Pour une pédagogie mixte, celle qui pourrait se reconnaître dans l’apport théorique de Jaffré, celle qui considère que les niveaux phonographique et sémiographique doivent être abordés en parallèle et de manière complémentaire, deux compétences contribuent de manière significative À la performance de lecture, mais l’une de manière positive, le niveau d’identification du lexique et l’autre de manière négative, la maîtrise du code de correspondance. Tout semble se passer comme si, À compétences lexicales et graphiques équivalentes, meilleur on est dans l’établissement des correspondances grapho-phonologiques et plus faible on est en lecture. Plus précisément, cette faiblesse semble liée À la précocité de la maîtrise phonographique comme si cette performance dispensait de faire ou faisait obstacle À des apprentissages spécifiques portant sur la maîtrise sémiographique.

On voit combien l’ensemble de ces conclusions a rendu souhaitable la poursuite de ce travail de recherche dans deux directions : un approfondissement de la démarche pédagogique autour de la voie directe ; un suivi de la cohorte des élèves jusqu’en 6ème .

 

Lecture et voie directe

Les résultats de la seconde recherche (1994-1997) donnent lieu actuellement À exploitation et À rédaction. Deux directions ont été retenues :

- Le suivi de la cohorte initiale dont l’effectif a été ramené À 60, du fait des circonstances finales de passation des épreuves en CM2. Vérification a été faite que l’effectif restant est représentatif des groupes initiaux et de leur évolution jusqu’au CE2 (recherche précédente). On dispose en outre pour une cinquantaine de ces élèves de leurs résultats À l’évaluation en 6ème (DEP), ce qui permet de mieux situer les résultats obtenus avec nos propres épreuves. Celles-ci sont de deux ordres. Une première série mesure des compétences techniques supposées intervenir dans le processus de lecture et actualise les aspects liés À l’identification des mots, À l’utilisation du code de correspondance grapho-phonologique et surtout À ce que pourrait être une conscience graphique faisant pendant, pour l’écrit, À ce qu’est la conscience phonologique pour l’oral. Une seconde série d’épreuves mesure les performances en lecture proprement dite au cours de 3 situations : une recherche documentaire dans un texte complexe utilisant également des graphiques et des photos ; l’interprétation d’un texte de fiction assez subtil jouant avec son lecteur pour infléchir sa décision sans avoir l’air de prendre parti ; une évaluation de la culture écrite À travers la familiarité avec divers aspects de la littérature jeunesse. Dans l’état actuel du travail statistique, il se confirme de manière significative l’efficacité de l’entrée initiale dans l’écrit par la voie directe et, inversement, la médiocrité, À terme, du choix de prendre appui sur le niveau phonographique. Ces résultats semblent confirmer l’hypothèse que, si l’écrit est un langage qui permet des opérations intellectuelles spécifiques, on a tout intérêt À l’aborder dans la complexité d’un apprentissage linguistique plutôt que de privilégier, dans sa rencontre, les mécanismes de notation de l’oral qui en réduisent initialement (définitivement ?) l’usage À ce qui ne relève précisément pas de l’exercice d’une raison graphique. L’interprétation de nos résultats devra évidemment prendre en compte la nature des activités pédagogiques qui se sont déroulées au cycle 3 bien que cette question ne semble pas méthodologiquement déterminante pour plusieurs raisons, notamment celle-ci : il n’y a aucune fatalité pour que les cycles 2 misant sur la voie directe regroupent des enseignants ayant fait des mauvais choix tandis que, dans les mêmes écoles, les enseignants de cycle 3 seraient des athlètes de la pédagogie, capables de renverser les effets d’un apprentissage initial défaillant. Et, inversement, que les collègues de cycle 3 des écoles dont le cycle 2 mise sur la voie indirecte ou mixte n’aient de cesse d’employer des démarches détruisant systématiquement les acquis antérieurs de leurs élèves. Tout laisse penser au contraire que les variations au sein des cycles 3 se neutralisent d’un type de pédagogie À l’autre et qu’il y a une tendance au sein de chaque école À une sorte de cohérence autour de présupposés communs vis-À-vis de l’écrit plutôt qu’À des pratiques antagonistes qui, selon les cas, auraient des effets positifs ou négatifs. Enfin, l’essentiel de l’analyse statistique ne porte pas sur la comparaison entre méthodes mais sur la contribution des compétences techniques initiales (fin de CE1) et finales (CM2) À la performance de lecture finale (CM2), ceci de manière générale, pour tous les enfants, quelle que soit la pédagogie dont ils ont bénéficié qui n’intervient alors que pour sa capacité À développer plus ou moins certaines de ces compétences.

- L’approfondissement de la pédagogie de la voie directe a été pendant ces 3 années l’objectif prioritaire, prenant appui sur les travaux précédents, de ce groupe de recherche. Aujourd’hui, sans considérer qu’un modèle soit construit, il semble possible de dégager un socle commun robuste, assez facilement descriptible et analysable. C’est ce que propose le rapport de recherche en cours de rédaction : fournir le cahier des charges de l’organisation d’un cycle 2 qui permette de dire qu’un enseignement de la voie indirecte (correspondance grapho-phonologique) n’est pas nécessaire dans la mesure où celle-ci n’apporterait aucune aide par rapport aux stratégies de la voie directe. C’est donc une pédagogie de l’écrit qui définit l’enseignement comme l’ensemble des conditions et des interventions nécessaires À un apprentissage linguistique. Le rapport insiste particulièrement sur la nature des textes utilisés, leur mise en réseau au sein de la littérature jeunesse, le déroulement de la leçon de lecture, les retours réflexifs sur l’activité de lecture et l’activité d’apprentissage, les procédures d’accumulation primitive du lexique et de la syntaxe, les démarches pour passer au système de l’écrit, le fonctionnement en groupes hétérogènes, l’importance et la signification de la relecture et de la réécriture, les situations d’évaluation, en bref en quoi l’enfant se comporte comme un linguiste au contact des textes pour devenir lecteur ou comment À travers le fonctionnement des messages écrits il accède au code graphique.

Y. Chenouf, J. Foucambert