La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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AU TRAIN
OÙ VONT
LES CHOSES...

Ville

Identité

Écriture

 

Voyage, voyages

Au retour des Assises de 1995, deux participantes au colloque et au séminaire, Solange Dumay et Gervaise Knoff, toutes deux membres de l'AFL et respectivement conseillère pédagogique et institutrice, la première, conseillère municipale, la seconde, animatrice ZEP, décidèrent, arrivées chez elles, de poser les jalons d'une politique de lecture dans leur région, autour de Compiègne, en organisant deux classes-lecture.

Il fallut presque une année au groupe local de l'AFL pour monter le projet et, À la fin de l'automne suivant, en novembre 1996, deux classes-lecture virent le jour, mêlant pour quinze jours, des enfants d'une ZEP de Compiègne À ceux d'un quartier d'une ville proche, d'une ville attenante, Margny-les-Compiègne.

Près de 60 enfants se retrouvèrent donc sur le quai d'une aventure, réunis autour de projets reliés À des équipements locaux comme la bibliothèque municipale Mourichon et surtout le centre culturel de Compiègne "Espace Jean Legendre" partenaire dans l'organisation d'événements de taille comme la visite d'une exposition en présence de la sculpteuse, la sortie au théâtre prolongée par un débat avec les comédiens et le metteur en scène ; découverte également des écrits du quartier en présence d'un conseiller pédagogique en arts plastiques... autant de points forts pour des enfants qui regrettèrent tellement le retrait de cette vie au terme de leur voyage en écrit, via la classe-lecture.

 

Quand les voyages forment les adultes

Et puis, autour des enfants, tous les jours, une vingtaine d'enseignants en formation. Un stage qui fut impliquant puisque, de simples spectateurs les premiers jours, ces adultes, formés et formateurs en même temps, se mirent À préparer ensemble les séances du lendemain, À les animer le jour suivant, poursuivant, après le départ des enfants, chaque soir, leur apprentissage dans une mise en commun de retours réflexifs sur des journées chargées.

Heureux, les enfants rentraient alors chez eux, impatients de pouvoir retrouver le lendemain, dans une école, un quartier, une ville, autant d'adultes pour les écouter, pour réaliser avec eux des projets inhabituels, dont la réussite, voulue par tous, dépendait, en grande partie, d'une bonne maîtrise de l'écrit, lecture et écriture mises en pression, pour l'occasion.

Ce n'était déjA pas si mal et pourtant ce ne fut pas tout...
En plus des enfants et des enseignants, tous stagiaires, tous acteurs ; en plus des artistes et des responsables d'équipements culturels, en plus des animateurs informatiques... cinq autres personnages complétaient le tableau (un animateur du Club de Prévention de Compiègne, une parente d’élève, une bibliothécaire de formation en recherche d'emploi et deux élus de Margny-les-Compiègne : la première, aux Affaires Scolaires, le second, À la Communication. Tous les deux, assis aux mêmes tables que leurs administrés, jeunes et moins jeunes, partagèrent, quinze jours durant, les mouvements d'une même formation).
Ajoutez À ceux-lA trois formateurs de l'AFL et vous aurez les ingrédients d'une drôle d'histoire À laquelle personne n'avait envie de coller le mot fin. Ce furent les élus qui assurèrent la suite, affirmant leurs exigences.

 

1ère Classe : Lecture

Imaginez donc deux élus, acceptant de se former en compagnie d'enseignants tout entier tournés sur leurs pratiques et qui ne profitèrent peut-être pas vraiment de leur présence. Mais les élus le savent bien que leur rôle est d'écouter et de bien se représenter les logiques des différents publics dont ils ont la responsabilité. Ceux-lA firent tellement mieux : ils entrèrent dans l'action aussi souvent que leurs obligations municipales leur en laissèrent l'occasion.

Enregistrant attentivement les définitions théoriques, assistant patiemment À des échanges pédagogiques parfois houleux, préparant avec les pédago. les exercices du lendemain, animant volontiers les groupes d'enfants, jamais ils n'ont, au cours de ces deux semaines d'action, mis leur problématique en avant. C'est comme s'ils avaient fait le choix d'entrer dans la logique d'un projet qu'ils avaient financé afin d'imaginer la mise en réalisation d'une décision politique importante pour une petite ville, profitant aussi de la situation exceptionnelle qui leur était offerte de vivre en continu avec de jeunes administrés, attendant le moment de discuter, avec les enseignants, les professionnels de la culture, le groupe local de l'AFL, des possibilités ouvertes pour transformer en action citoyenne ces quelques instants particulièrement scolaires.

On sentait des élus sensibles À la fois aux manières qu'ont les enfants de dire leur confiance, leurs espoirs, leurs désirs, leur disponibilité ; des élus conscients de leurs obligations qui consistent À lever les obstacles, ouvrir des perspectives, maintenir l’enthousiasme et donner du sens À la vie démocratique. C'est sûrement pour ces raisons que Denis Cureaux, À la Communication et Yasmina Duployé, aux Affaires Scolaires avaient décidé de s'investir dans cette classe-lecture, représentant un conseil municipal prêt À mutualiser attentes et acquis des citoyens, objectifs et moyens de l'équipe élue. L'écrit leur a semblé l'outil de cette quête.

Alors, quand le temps leur sembla venu, les élus posèrent une question : " Comment pouvez-vous nous aider À devenir ville-lecture ? Notre ville n'est pas riche mais nous sommes prêts À faire des efforts. Nous avons invité cette jeune bibliothécaire car nous aimerions l'embaucher pour animer la bibliothèque que nous souhaitions créer. Mais ensuite ? Comment passe-t-on d'une classe lecture À une ville-lecture ? "

 

Station
Cette question est une des plus redoutables posées aux militants de l'AFL. S'il existe bien une charte des Villes-Lecture (1), si un dossier entier leur a été consacré dans les actes de lecture (2), s'il y a des actions au long cours montrant l'engagement de certaines villes dans des politiques globales (3), si, tous les deux ans les Assises Nationales de la lecture sont le rendez-vous des élus désireux d'augmenter le nombre de lecteurs dans leur commune, aucun protocole immédiatement applicable n'existe qui pourrait aider À monter, ipso facto, un projet d'une telle envergure.
Autre difficulté : peu d'acteurs sont aujourd'hui À même de piloter ce genre d'expériences. Toutes les initiatives en ce domaine consistent donc À ouvrir un vaste chantier de réflexion où chacun devra donner libre cours À son imagination, son esprit d'initiative. Difficile argument pour des élus qui pensaient trouver comme un contrat À signer pour déployer, hors de l'école, l'enthousiasme rencontré par les enfants durant la classe-lecture. Après ce séjour qui avait juste tissé des liens entre l'école et des équipements culturels, il restait À réfléchir, réfléchir encore, réfléchir ensemble, ce que sûrement nous savons le moins faire, raison essentielle pour s'abriter derrière le manque de temps. Depuis la fin des classes-lecture, nous n'avons en effet trouvé l'opportunité que de deux rencontres et, pourtant, c'est avec ce mince bagage et l'engrangement des événements qui auront lieu jusqu'À novembre, que nous avons décidé d'ouvrir un atelier dans le séminaire des Assises. Histoire de travailler, non sur un produit fini, mais sur une politique de lecture en train de se construire tant c'est cette élaboration qui semble difficile.

Etat des lieux

Ce sont toujours les deux mêmes marraines qui sont les plus promptes À se pencher sur le berceau des Villes-Lecture : la bibliothèque municipale et l'école. À Margny, la coopération avec le milieu scolaire existe. Quant À la bibliothèque, elle est en conception : un local a été trouvé qui n'est pas suffisant ; les murs, bruts, nécessitent un ravalement et une enveloppe budgétaire a donc été prévue pour 1997. On compte, après, s'occuper de l'aménagement, des achats de mobilier et de livres, prévisions de 1998. Alors, viendra le temps des animations, globalement destinées aux enfants. Mais autour de quels besoins d'une population plus large pourraient autrement s'articuler les activités de la bibliothèque qui influenceraient l'équipement d'un fonds ?

C'est sur cette question que nous avons travaillé avec les deux élus, les invitant alors À nous parler de leur ville, de leurs projets, de leurs forces.

 

Ecrit et identité

Margny-les-Compiègne est une commune plutôt pavillonnaire de 8 000 habitants, 2ème commune du SIVOM de Compiègne. La proximité de la grande ville pose un problème de reconnaissance À Margny qui doit s'affirmer. La gare qui est, par exemple, sur son territoire, est appelée gare de Compiègne. On comprend alors que le premier souci des élus de Margny-les-Compiègne est de travailler l'identité de leur ville.

Ecrit et mémoire

La gare, justement, va fêter son 150ème anniversaire, courant octobre 1997.
Occasion d'associer la population À une commémoration de l'épopée du Rail pour Denis Cureaux qui préside l'Association Culture, Histoire et Patrimoine Ferroviaire en Picardie dont les activités consistent À organiser des conférences, collectionner des objets liés À la passion du train, projeter un train historique mais aussi, par devoir d'histoire et de mémoire, tenter de faire classer monument historique le quai d'où partirent tant de déportés.

 

Poser les jalons d'une politique de lecture

C'est avec ces éléments que nous avons essayé de définir les bases d'une politique de lecture et d'écriture.
La bibliothèque
est immédiatement passée en tête des opérations. Concevoir cet équipement comme une base logistique qui accompagnerait les actions entreprises par la ville, qui serait au plus près des actes des gens, pourrait inverser la logique qui consiste À faire venir les gens À la bibliothèque transformant ce lieu en repaire des seuls lecteurs.
En outre, amenée À lire et À écrire pour les besoins d'actions collectives, la population prendrait conscience de la quantité et de la qualité des écrits disponibles pour des actions utiles À son développement. La bibliothèque pourrait alors, en plus de ses fonctions naturelles de diffusion de l'offre, devenir un observatoire des logiques éditoriales, une source de production d'écrits À circuit interne, un instrument de formulation d'une autre demande de lecture, moins axée sur la seule consommation de produits culturels médiatisés.

Munis de ces deux arguments : réunir les écrits qui pourraient accompagner les actions collectives, et passer ces écrits au crible d'une exploration, nous plaçons la bibliothèque au-delA de l'alliance immédiate et intime avec les écoles plaçant cette activité dans un mouvement plus large qui la rendrait sûrement plus efficace.
Alors, le premier volet de propositions, le 150ème anniversaire de la gare apparaît plus clairement associé À l'écrit. Les thèmes transversaux qui pourraient être travaillés, du collège au centre de loisir, du milieu associatif en passant par la presse locale, de l'école au centre social, des comités d'entreprise jusqu'aux vitrines des commerçants, s'égrènent : trains et autres moyens de transports dans leurs aspects techniques, historiques, sociologiques etc., voyages, région, emplois, événements historiques, évolution sociale... Romans, documentaires, poèmes, presse mais aussi films, etc.

L'autre volet, celui du devoir de mémoire et d'histoire, peut alors être automatiquement lié À l'écriture et À la lecture, deux activités sensibles et intellectuelles, si prêtes non seulement au souvenir mais aussi au travail de compréhension. Attentes dramatiques d'un départ aux destinations sans retour, longs désespoirs sur ce bout de quai où en dépôt, les êtres humains, se délestaient de leurs derniers biens, des objets divers jetés comme d'ultimes lambeaux de vie. " Aujourd'hui, dit l'élu, on a recouvert cet endroit, on l'a remblayé, on l'a couvert de graviers et, par-dessus, on a construit des pavillons. On voudrait pouvoir creuser À nouveau, sortir cette mémoire avant qu'elle aussi ne soit déportée de nos souvenirs. "

 

Ecrire la mémoire avant qu'elle ne s'efface.

On parle alors de l'écriture comme d'une autre manière de creuser la terre, extraire le souvenir de l'enlisement où on l'a mis : la venue d'un écrivain en résidence qui collecterait questions, souvenirs, témoignages, savoirs... et associerait les enfants, les adultes, À cette reconstitution d'une partie importante de l'histoire de la ville.
Et cette proposition d'ouvrir le troisième volet, celui de l'identité de la ville, au bout du travail collectif de mémoire, de l'intériorisation individuelle de son passé commun sans quoi peu d'avenir durable peut être construit.
À la fin de cette réunion, nous avions l'impression d'être devant un grand chantier, enthousiasmant, nécessaire, tout en ayant bien conscience de disposer de peu de moyens. La municipalité trouvait lA une de ses attributions et l'écrit partagé, les recours À la lecture et À l'écriture favorisés, mutualisés, apparaissaient bien dans toute leur importance. Mais comment faire partager ces actions avec la population ? Avec quelles ressources humaines et financières?

 

Horizons.

Tout de suite, nous nous tournons vers les possibles alliances politiques et financières.
Du côté de la SNCF deux axes sont évoqués : le CE Paris-Nord et la SNCF elle-même.
Du côté de l'écrivain en résidence la DRAC bien sûr ou le Centre Régional des Lettres.
Du côté des écoles, l'Inspection de l'Education Nationale de Margny, l’Inspection Académique et la MAFPEN, évidemment... Une nouvelle classe-lecture est prévue en mars 1998 dans une autre école de Margny.
Et, pour créer, un grand mouvement populaire, les commerçants et les associations.
Mais les vacances déjA pointaient leur nez et, avant elles, des élections anticipées. D'ici la rentrée nous aurons sûrement pris le temps de transformer ces idées en projets, argumentés dans leurs objectifs, examinés dans leur faisabilité, budgétisés dans leurs divers postes. Alors, les acteurs de Margny-les-Compiègne pourront animer au séminaire un atelier fort intéressant : la mise sur rails d'une politique de lecture, entre mémoire et avenir.

Le groupe local de Compiègne.