La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°61  mars 1998

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Analyse d'un texte


Sentinelle d'Afrique

En pleine journée, dans la
chaleur suffocante de la savane,
une femelle girafe se repose
à l'ombre d'un arbre.
Soudain, inquiétée par la vue
d'un berger, elle agite la queue
en poussant un ronflement.
Aussitôt, les zèbres et les gnous
qui broutent près d'elle
sont eux aussi en alerte.
Ils apprécient la compagnie
de ces sentinelles qui voient
le danger de très loin.
Une grosse tête apparaît
au-dessus d'un arbuste ;
puis une autre, et encore une.
Les girafes, curieuses,
se sont dressées pour voir
l'intrus. Immobiles, elles étaient
presque invisibles dans la
végétation, sans pourtant
chercher à se cacher.
Elles ne vivent que dans les
savanes broussailleuses
d'Afrique.
Se déplaçant sans cesse,
elles évitent les forêts trop
denses difficiles à parcourir
et ne s'attardent pas dans les grandes plaines dénudées où
elles ne trouvent rien à manger.

Extrait de La Girafe, sentinelle de la savane.
Éd. Milan, coll. Patte à Patte.

Les éditions Milan publient, en direction des enfants, des journaux à visée scientifique répartis en deux tranches d'âge : Wakou (moins de 7 ans) et Wapiti (au-delà de 7 ans).

Les parutions sont mensuelles. Le choix des sujets se fait en relation avec l'actualité, le cycle saisonnier et les centres d'intérêts supposés des lecteurs. Attrayants, ces journaux valorisent l'accès à l'information par l'image (nombreuses photographies en couleurs), l'humour (petit oiseau hors du texte qui commente malicieusement les informations), la mise en page (peu de texte très aéré, paragraphes de taille différente, nombreuses légendes, explication des mots difficiles par des reformulations etc.), la valorisation d'un rapport affectif avec les animaux.
Les magazines sont sous la responsabilité de conseillers scientifiques qui rencontrent, tout au long de l'année, de nombreuses classes afin de recueillir des réactions utiles à l'évolution de la rédaction. Certains textes font parfois l'objet de livres qui reprennent des reportages déjà parus avec la possibilité de les exploiter plus profondément. Il s'agit là d'une pratique courante dans l'édition qui "décline" plusieurs fois le même produit sous plusieurs formes afin d'élargir sa clientèle.
Dans la foulée du journal Wapiti, une collection de livres est donc née qui présente un animal par volume. Cette collection s'appelle Patte à Patte ce qui sous-entend qu'on va suivre un animal à la trace, dans tous ses modes de vie.
C'est donc à travers un animal unique qu'on va faire rencontrer l'espèce, s'appuyant sur l'intérêt d'un lecteur pour un "personnage" à la fois qui pourra être traité aussi en tant que groupe animal au cours du texte.

Priorité à l'image

Cette collection se présente comme une suite d'albums cartonnés et donne la priorité aux photographies couleurs : chaque livre se construit à partir d'une centaine de photographies, aux angles de vue spectaculaires afin d'attirer immédiatement l'attention des jeunes lecteurs et de conserver leur intérêt. La maquette du livre privilégie le cadrage des photos, le texte étant inséré dans la place restante.
Valérie Tracqui, biologiste de formation et directrice de la collection Patte à Patte déclare : "L'objectif est de produire un documentaire basé sur une iconographie originale et spectaculaire pour parler d'abord avec des images." (1) L'intention est donc d'abord de communiquer une émotion esthétique susceptible d'attirer le jeune lecteur vers le texte supposé moins "naturellement" accessible ou attrayant.
Parfois, quand les photographies viennent d'une agence de presse et représentent le travail de plusieurs photographes, la diversité et la multiplicité des clichés peut rompre l'unité du discours comme c'est le cas pour Le Loup, par exemple. Mais généralement, une certaine cohérence est maintenue grâce à un fonctionnement thématique décrivant un à un les divers aspects de la vie animale.

Le texte, ensuite

Quand le lecteur a été séduit par l'iconographie, on espère le garder jusqu'au bout et le faire entrer dans la vie de l'animal en construisant une "histoire réelle, un cheminement entre les photos permettant de suivre, par l'image, la vie de l'espèce au fil des saisons et de la journée."
Le texte est écrit soit par le photographe lui-même, soit par la directrice de collection, soit par un journaliste scientifique spécialisé et s'adapte plus ou moins au contenu des images.
Les verbes sont au présent afin de renforcer une explication directe et concrète.
Les termes techniques sont reformulés à l'intérieur du texte et la recherche est celle "d'une communication rapide, sans ambiguïté".
L'organisation du texte est une suite de double-pages traitant chacune d'un thème (nourriture, naissance, lieu de vie, caractéristiques physiques...) Une certaine logique est pourtant respectée : on ne parle de la naissance qu'après avoir parlé de l'accouplement, si il y a hibernation c'est à la fin du livre quand on a évoqué tout le parcours de l'animal depuis le printemps etc.
On demande à l'auteur de communiquer, de surcroît, un certain enthousiasme, un ferveur scientifique, un étonnement devant les faits.
Si la directrice de collection évoque son souci de concilier le travail du photographe (visée esthétique) et celui de l'auteur (visée scientifique) elle avoue que c'est avec l'écriture qu'elle a le plus de difficultés l'auteur n'arrivant pas toujours à "se plier à {sa} conception de cette série de monographies documentaires." Chaque livre propose un titre (le nom de l'animal au singulier) et un sous-titre formé d'un nom et d'un adjectif (un commentaire sur le caractère de l'animal, visant subtilement à lui conférer des caractéristiques humaines) : Le papillon, gracieux baladin, le loup brigand des bois, l'escargot paisible dormeur, l'ours blanc seigneur de la banquise etc...
Le sous-titre peut donc laisser penser qu'un point de vue sur l'animal va être développé, qu'une clé de lecture est ainsi offerte.
J'ai choisi le volume sur la girafe à cause justement de son sous-titre probablement énigmatique pour de jeunes lecteurs : La girafe sentinelle de la savane.
Je supposais que les enfants de CE2 ne connaîtraient pas le sens de ces deux termes ou n'en connaîtraient qu'un seul et qu'ils pourraient alors s'aider du texte pour en trouver l'explication puisque ce genre de documentaire se propose d'informer sur le vocabulaire inconnu par l'écriture. (Aucun lexique n'existe en effet à la fin du livre, aucun système de renvoi en bas de page ou sur le côté, hors du texte, au moyen d'astérisque par exemple ou d'utilisation de la variété des caractères typographiques.)
D'autre part, la girafe me semblait un animal intéressant à cause de son appartenance au genre féminin ce qui allait obliger l'auteur à préciser son propos pour parler des mâles. De même que les girafes au pluriel allaient pouvoir aussi bien désigner des femelles que l'espèce qui, en général, pour les aures animaux est évoquée par un masculin, pluriel.

La couverture et la page de garde

Une grande photographie couleur de la girafe en marche dans des broussailles occupe le centre de la couverture sur un fonds constellé de petites pattes d'animaux, oiseaux et mammifères (on retrouve là un rappel du nom de la collection Patte à Patte).
Derrière l'animal figure la savane "formation herbacée, fermée, souvent parsemée d'arbres". Le titre, très gros, attire l'attention sur l'animal qui semble avancer vers le lecteur, des herbes jusqu'au milieu des pattes.
Sous le titre, le sous-titre, en corps plus petit et sans majuscule ni point : sentinelle de la savane. Sous la photographie, en corps plus petit et dans le même caractère, le nom de la collection sans majuscule, au singulier (patte à patte), expression soulignée d'un trait fin.
Sous le nom de la collection, en majuscules, le nom de l'éditeur : MILAN.
Aucun nom d'auteur, ni de journaliste, ni de photographe n'apparaît sur la couverture, pas même celui de la directrice de collection qui apporte pourtant sa formation de biologiste comme caution scientifique.

Il se dégage une double impression de reportage grâce aux photographies (véracité des informations) et de récit avec ce titre singulier qui confère presque à l'animal (La girafe) un statut de personnage renforcé par le terme de sentinelle, fonction humaine. L'approche "humaine" de l'espèce va être renouvelée avec un détail supplémentaire : en haut, à gauche, presque confondu avec les traces de pattes, un tampon avec un oiseau de dessin animé, qui rappelle le ton humoristique employé dans le magazine. Entourant cet animal à forme humaine, une expression : un livre WAPITI inscrivant, d'une part, les informations de cette collection dans la lignée du magazine, d'autre part, dans la durée (le livre), le journal mensuel ne garantissant qu'une vie éphémère.
L'autre avantage consiste à commercialiser deux fois le même produit avec le double espoir de fidéliser un lectorat en le renvoyant à une gamme de produits ainsi mis en synergie. (2)

C'est sur la page de garde que se trouvent, à droite, à côté du rappel du titre (qui a perdu sa majuscule), du sous-titre, de la collection et de l'éditeur, les noms des auteurs, en majuscules, et de la directrice de collection en caractères plus petits mais tout en haut de la page, chapeautant le tout.
Sur la page de gauche, une girafe qui n'a pas la même robe que celle de la couverture se désaltère dans une étendue d'eau très bleue, bordée d'un terrain pierreux et d'arbustes secs. Cette différence de robe attire déjà l'attention sur la variété des girafes (celle de la couverture est une girafe masaï qui vit au Kenya et en Tanzanie, celle de la page de garde est une girafe réticulée qui vit dans le nord est de l'Afrique p. 28 et 29) signifiant que le livre va parler des girafes et non d'une girafe et que le lecteur, attiré affectivement par un animal unique, va devoir en permanence faire le saut de l'animal à l'espèce animale.
Aucun sommaire, le livre va dérouler sans plus attendre le contenu de ses informations invitant le lecteur à le suivre pas à pas, mot à mot.

La première double-page.

L'iconographie
Une grande photo, encadrée de blanc, couvre la page de gauche et plus de la moitié de la page de droite, répondant à l'objectif principal de la collection : informer par l'image. Le regard du lecteur est tout de suite dirigé vers la végétation : sur un territoire légèrement vallonné, parsemé d'herbes sèches, deux hauts arbres encadrent un trio de girafes qui, resserrées, comme blotties, regardent au loin, dans la même direction, quelque chose que le lecteur ne voit pas. De taille inégale, elles semblent pétrifiées.
Leur regard croise, sur la page de droite, une tête de girafe, un portrait d'une échelle beaucoup plus grande qui, encadré, vient se superposer sur la grande photographie. Cette fois-ci la tête fixe le lecteur. Oreilles dressées, regard direct, naseaux pincés. Trois cornes, deux plus grandes qu'une troisième placée au milieu, surmontent le haut du crâne attirant manifestement le regard. Là encore, on retrouve les deux espèces de girafes, les Masaï à droite, la réticulée à droite, négligemment confondues dans le même territoire alors que des milliers de kilomètres les séparent naturellement, traitées selon des échelles très différentes.
Il se dégage de ces deux images à la fois un sentiment de quiétude et de sourde menace : que regardent les trois girafes au loin, pourquoi la tête isolée fixe-t-elle le lecteur ?
- Sous la grande photographie la légende substitue à l'intrigue l'émotion "scientifique" : Avec plus de 5 mètres de hauteur, la girafe est le plus haut mammifère du monde.
- Sous le portrait, l'information donne un cran supplémentaire à la crainte qui pouvait être ressentie à se voir ainsi fixé : Elle peut voir un homme en mouvement à deux kilomètres.
Un autre motif va revenir à toutes les pages, au-dessus du texte, c'est la silouhette rouge d'une girafe en marche, avançant à grandes enjambées, sorte de logo, rappel quasi commercial du livre, réduit à l'état de produit mais première abstraction avant l'abstraction ultime : les mots.

Le texte
En colonne, justifié à gauche, calé contre l'image, le texte occupe le dernier tiers de la double-page restante.
Il comporte trois paragraphes de taille inégale : deux d'entre eux, plus courts (7 et 9 lignes) encadrent un paragraphe plus long (15 lignes). Chaque paragraphe est séparé par un espace de quatre interlignes ce qui offre un ensemble aéré dans l'intention, probablement, de faciliter la mémorisation d'informations factuelles, permettant chaque fois de traiter des unités cohérentes, de les mémoriser globalement avant de libérer d'autres ressources attentionnelles pour de nouvelles informations regroupées dans le paragraphe suivant. Encore faut-il que les dites informations soient ainsi regroupées dans des unités aussi délimitées que des blocs de texte.
Beaucoup moins imposant que l'image, le texte l'accompagne discrètement, occupant cependant une place de choix, à l'extrémité de la page droite, là où le regard tombe le plus naturellement au cours de la lecture, là où les espaces publicitaires sont le plus coûteux.
Sous la silhouette rouge de la girafe, on retrouve le sous-titre de la couverture autrement formulé : Sentinelle d'Afrique. Avec deux majuscules il fonctionne cette fois comme un titre. On peut supposer que le cadre mental ainsi activé va aider à induire la construction de sens à moins que de nouvelles instructions, prises dans le texte, n'amène à se construire un autre cadre mental.

À la recherche des sens de deux mots inconnus ou juste pressentis : sentinelle et savane.
Par deux fois, sentinelle est mis en apposition du signifiant girafe soit près du mot (dans le titre) soit près de sa représentation (logo). La terminaison, elle , rapproche de la désignation au féminin de l'animal et le retour à l'image conduit directement à ce fier portrait d'une bête au regard pénétrant.
Savane, a disparu du sous-titre, remplacé par l'expression d'Afrique, ce qui peut orienter le lecteur vers une synonymie entre savane et le continent.
Aucun mot expliqué dans la marge ou au bas du texte, le lecteur est fortement invité à se lancer tête baissée dans le texte construisant progressivement un réseau de propositions. Outre l'effort que cela risque de représenter pour un lecteur moyen ou malhabile, le texte ne va pas l'aider puisque, pour comprendre les deux mots inconnus, même en les déchiffrant, il va falloir combiner des informations fragmentaires.

C'est le terme savane qui apparaît d'abord, à la fin de la deuxième ligne :
En pleine journée, dans la
chaleur suffocante de la savane,
une femelle girafe se repose
à l'ombre d'un arbre.
Associé aux deux éléments chaleur et ombre, il renforce son lien avec l'Afrique, pouvant apparaître comme un espace exposé au soleil et planté d'arbres. Mais, repoussé derrière l'évocation du temps et du lieu, ce qui dilue l'attention qu'on pourrait porter à un mot jugé difficile, le terme perd encore de son importance, détrôné par le vrai sujet de la phrase et du livre, la girafe. Si, par rétro-action et par conscience, le lecteur part à la recherche d'un signifiant associé il va buter sur un mot probablement inconnu et difficile (suffocante), difficile à prononcer de surcroît, sans doute par l'envie de retrouver un début de mot plus familier souff. (avec tous les dérivés connus de souffler, souffrir...) tandis que les dérivés des mots commençant par suff. sont moins courants (suffir, suffixe, suffoquer, suffrage...)
L'intérêt risque donc de se porter intégralement sur la girafe, d'autant plus qu'on suggère, depuis le début, qu'elle peut être l'héroïne de l'album est qu'elle est sentinelle, le deuxième mot dont le sens est à construire.
La girafe, sans doute à cause de la neutralité de son terme, est introduite par son genre (femelle), un mot plus ou moins bien repéré par les enfants dans cette redondance (on ne dit pas la femelle lionne puisque le mot possède un féminin) et que, placé avant girafe, il confère à ce dernier mot une fonction d'adjectif, de qualifiant quand on espère un substantif. Pas étonnant qu'il soit pris pour famille, lorsqu'à l'aide d'un rapide coup d'oeil à l'image, ce qui se fait toujours en cas de panne ou en préalable à l'entrée dans le texte, on voit un groupe en train de se reposer sous un arbre.
Si, comme c'est souvent le cas pour les faibles lecteurs qui oralisent, ceux-ci ne se servent pas de la ponctuation comme moyen de segmenter la phrase en propositions signifiantes le mot savane risque bien d'être sauté, noyé dans un déchiffrement qui chemine sans faire progresser la compréhension. Dans la deuxième phrase, la girafe réapparaît, introduite par l'adjectif, inquiétée, mis en apposition, et relié à la girafe par le e, marque du féminin, et la girafe est plus loin reprise anaphoriquement par le pronom elle . Quand on connaît la difficulté pour les lecteurs plus ou moins habiles à interpréter les anaphores, à distinguer différents types de marques (pronoms, articles) et à les associer aux entités déjà connues, évoquées ou non, on peut douter de la capacité, à l'intérieur d'une simple activité de déchiffrement, de rapprocher inquiétée de elle, donc de la girafe, elle-même nommée par l'expression trouble une femelle girafe.
Il va donc falloir faire appel aux connaissances du monde pour élaborer un modèle mental cohérent et compatible avec celui de l'auteur du discours. Mais là encore le texte déroute avec l'irruption d'un berger qui, lorsque sens est donné à ce mot, représente plutôt pour les enfants un personnage familier des animaux, un gardien. Pas de quoi avoir peur.
L'activité qui consiste à traiter linéairement le discours en attribuant la même importance à chaque terme risque de se révéler infructueuse si l'on n'a pas prioritairement porté son attention sur l'adverbe soudain qui indique un événement brutal justifiant l'inquiétude, deuxième terme important de la phrase, qui entretient avec le berger une relation causale, explicative de la phrase.
Donc savane a toutes les chances d'être laissé de côté, d'autant plus que le texte ne le fera réintervenir que dans le dernier paragraphe, au pluriel, et associé à un adjectif difficile à déchiffrer et pas forcément connu par avance c'est-à-dire à l'oral : broussailleuses.

Sentinelle
La deuxième phrase commence elle aussi par un adverbe : aussitôt mais, si la chaîne des événements a été interrompue, les lecteurs risquent de poursuivre sans relier cette action avec la précédente d'autant plus qu'elles sont séparées par un interligne important obligeant le lecteur à enjamber les deux paragraphes pour faire du sens.
C'est alors qu'apparaissent deux autres espèces : une connue (les zèbres), une autre probablement inconnue (les gnous) . Ils ne sont pas représentés dans l'image mais comme le texte dit qu'ils broutent près d'elle on peut supposer qu'ils sont hors champ. Ils sont eux aussi en alerte. Ce aussi risque de ne rien donner si le inquiétée n'a pas fait sens, d'autant plus qu'alerte est un mot peu fréquent dont la polysémie n'autorise pas, cependant, ici, à penser qu'il va falloir activer plusieurs sens (agilité, attention) pour en inhiber un au profit du sens général.
Zèbres et gnous apprécient , mot qui, même déchiffré, a peu de chance d'être signifiant quand arrive enfin le terme sentinelle... au pluriel tandis qu'on l'attendait au singulier. De l'animal on passe donc brutalement à l'espèce et cette reprise anaphorique là nécessite un traitement pour le moins particulier.
Qui voient le danger de très loin... Pour des enfants qui assurent depuis le début de la page une activité de déchiffrement soumise à tant d'obstacles, la traduction effectuée ne leur a probablement pas permis d'éclaircir ce pluriel de sentinelles et de l'associer aux girafes jusque-là singulières. Alors peuvent-ils éviter de penser que ce sont les zèbres et les gnous qui voient le danger de très loin lorsqu'on sait que, souvent, à l'oral, qui est dit à la place de qu'ils et qu'ici ce serait bien pratique d'autant plus que le dit danger est fort loin (7 lignes au-dessus sur 13 lignes traitées) et peut-être difficilement associé au berger, personnage aux fonctions plus domestiques quand il est mis en présence d'animaux.

Continuer ?
Admettons que les enfants poursuivent leur déchiffrement. Ils tombent sur l'expression "une grosse tête apparaît." Celle-là ils l'ont repérée sur la page d'à côté. Va-t-on savoir ce qu'elle regarde ? Pas tout à fait puis que une autre tête et une autre tête... on en est à trois têtes et l'intérêt se porte alors sur le groupe de girafes d'à côté qui voient... l'intrus, nouvelle reprise du berger, mot qui a pourtant toutes les chances d'être associé à cette tête curieuse sur la page d'en face dont on n'a toujours pas identifié la raison d'être.

Dernier paragraphe : savanes revient donc au pluriel, affublées d'un nouveau terme problématique : broussailleuse et de la reprise d'un ancien terme d'Afrique qui perd sa fonction de synonyme, entrant dans celle de complément.
La définition du mot savane va se construire par déduction : il ne s'agit pas de forêts, trop denses, adjectif reformulé par l'expression difficiles à parcourir ; il ne s'agit pas non plus de plaines dénudées, adjectif reformulé par une proposition relative. La savane est entre les deux sauf que, dans le texte, elle est placée avant, au début du paragraphe.



notes
(1) Lire, Agir, Comprendre, bulletin du centre de classes-lecture de Grenoble, n° 14, Avril 96
(2) BOUVAIST, J. M, 1990, Les enjeux de l'édition jeunesse avant le grand marché de 1993, CPLJ, 3 rue François Debergue, 93000 Montreuil
Yvanne Chenouf