La revue de l'AFL
Les Actes de Lecture n°61 mars 1998 ___________________ novembre 1997 3èmes Assises nationales de la Lecture La lecture en vacances Échirolles, de la belle ouvrage.... Il est rare qu'on se donne le temps d'analyser, avec leurs acteurs, des pratiques situées dans le même champ que les siennes propres. C'est pourtant ce qui s'est produit lors des Assises dans le cadre des ateliers. Moi qui suis impliqué dans un plan-lecture de grande ampleur dans les Hauts-de-Seine, j'ai profité de la présentation, par les gens de terrain, de ce qui se passe à Échirolles. Initié par la Ville et mis en oeuvre par l'agent de développement-lecture spécialement recruté dans l'intention de promouvoir des actions " vacances ", le projet a maintenant 7 ans d'âge. Pourquoi cet intérêt de ma part ? Les difficultés qui sont les nôtres à Nanterre portent principalement sur les limites du partenariat, limites qui nous tiennent à (grande) distance d'une vraie politique globale. Il était donc naturel que je me demande ce qu'il en est à Echirolles. Comme pour nous, l'objectif est double : contribuer à la réussite scolaire et créer les conditions de la cohérence entre les actions conduites par les différents opérateurs sociaux. L'élue Nicole Bolcato - qui est l'initiateur du projet - est une enseignante ; elle a beaucoup travaillé dans des dispositifs de lutte contre l'illettrisme ; elle défend l'idée que l'exclusion est cause de l'illettrisme et non sa conséquence. Ernest Bois, qui a été recruté pour mettre en oeuvre la politique de la Ville dans ce domaine est en phase avec cette orientation. Ils sont, ensemble, porteurs de l'action. Le dispositif mis en place est le suivant : des séjours-lecture ont lieu pendant les petites vacances (Toussaint, février, Pâques) en direction d'enfants en difficulté par rapport à l'écrit et en voie de marginalisation scolaire. Ils s'adressent aux enfants des cycles 2 et 3. Au cours du séjour, un journal interne est produit, des présentations de livres ont lieu et des temps de lecture individuelle sont organisés. La session, d'une durée de 10 jours, est construite autour d'un projet dont les enfants sont acteurs, le journal étant le lieu d'expression et d'analyse de ce qui se vit pendant les diverses phases de réalisation. L'équipe d'encadrement est composite : outre le responsable, elle comporte trois animateurs (type Bafa), des intervenants occasionnels (le plus souvent bibliothécaires à la B.M.), des responsables d'associations de prévention sont également invités à participer à une partie du séjour. Les parents sont accueillis, pour une demi-journée, au centre et cet accueil est évidemment exploité pour présenter des activités réalisées par les enfants et conduire avec eux une réflexion sur la nature et les enjeux de la lecture. Ils sont invités, par ailleurs, à produire des textes pour le journal. On le voit, les pratiques en cours sont proches de celles qui se développent dans les (bons) centres classe-lecture. Une originalité cependant, fort impressionnante. Les actions initiées pendant le séjour vacances sont prolongées tout au long de l'année. Pour le coup, le ré-investissement dans le champ scolaire et dans le champ partenarial devient effectif. La phase de préparation du séjour-vacances fait l'objet d'un travail approfondi : - le recrutement est opéré en liaison avec les écoles sur la base de critères scolaires et sociaux - des réunions individuelles et collectives sont programmées. - dès lors que la candidature d'un enfant est retenue, le voilà impliqué dans une stratégie d'ensemble à laquelle ses parents et son école sont associés. On peut parler d'un plan de travail, dans la durée. À l'issue du séjour-vacances des prolongements ont lieu : - d'une part, on organise des temps de bilan (avec les enfants, avec les familles, avec les enseignants, avec les assitantes sociales). Ces moments sont très appréciés ; ils permettent de faire évoluer les points de vue et de dépasser les a-priori, même si les tensions ne sont pas absentes (par exemple, de graves désaccords surgissent avec les enseignants et les problèmes de responsabilité servent de prétexte à l'expression des divergences ; par exemple, c'est l'occasion, pour certains de dire leur regret devant le fait que " l'école ne fait pas son travail ") Fort heureusement, c'est également l'occasion pour d'autres de constater que "finalement les enfants sont capables de bien des choses pourvu qu'on leur accorde un statut. ". - d'autre part, des ateliers de lecture sont offerts aux bénéficiaires des séjours ; d'une durée de 24 heures au total (en 12 séances de 2 heures, le plus souvent), ils permettent un enrichissement des acquis. Toutefois, pour éviter de courir le risque " de refaire la classe après la classe ", le lieu de l'action n'est pas l'école mais la bibliothèque municipale ou le centre de loisirs. À l'évidence, le module devient un lieu de médiation sociale. Et les apprentissages se pousuivent, pour tout le monde. Ainsi, de faire venir un auteur, Brigitte Smadja, pour parler de religion a des effets sur les enfants (bien sûr) mais aussi sur leurs parents. Cela contribue à faire comprendre combien les relations des travailleurs sociaux (et les enseignants sont aussi des travailleurs sociaux) avec les famillles sont nécessairement complexes et conflictuelles. La taille réduite du groupe constitué en atelier lors des Assises autour de l'expérience d'Échirolles a rendu possible de larges échanges. Ces derniers ont porté principalement sur cette question jugée centrale par tous les participants : comment passer d'une action réussie à une politique globale ? J'y ai retrouvé l'interrogation principale de tous ceux qui contribuent à la mise en oeuvre du Programme d'Aide à la Lecture des Hauts-de-Seine. De nombreux autres participants, eux aussi engagés dans des actions similaires, y ont repéré la trace de leurs préoccupations. Ce qui apparaît comme une constante, c'est une sorte de dérobade des parties en présence et leur refus de nouer les accords qui pourrraient aboutir à des actions pensées et voulues ensemble. Quelqu'un a même utilisé l'image de la " recherche de paternité " pour illustrer cette quête de reconnaissance qui semble habiter chacun et le conduire à se vouloir seul auteur de l'action. L'accord s'est fait sur la nécessité d'inventer une nouvelle manière de travailler, pour les partenaires, qui se tiendrait à distance à la fois de la fusion (l'équipe mythique) et de la confusion (des doublons dans l'action). À Échirolles, le travail décrit ici a été " regardé " par de nombreux acteurs sociaux. Regardé et évalué. Au-delà des satisfecits qu'il a recueillis, il a suscité, chez ses promoteurs, cette interrogation : comment transformer l'action de la mission-lecture (qui donne des fruits du côté des enfants) en voie d'accès à l'écrit pour tous (ce qui n'est encore pas le cas) ? Deux décisions ont été prises : - l'année 1998 sera l'occasion d'un bilan approfondi confié à un comité de suivi - un cahier des charges sera élaboré qui définira dans le détail le plan pluri-annuel auquel on souhaite aboutir. Dans le document de présentation de l'atelier, Nicole Bolcato et Ernest Bois proposaient déjà d'emprunter cette voie. À l'issue de nos travaux, leurs propositions ont conservé toute leur force. Qu'on en juge : "ce que l'on recherche dans le cas de projets inclus dans des politiques globales relève d'une (nouvelle) logique : accepter pendant le temps de conception commune du projet d'être seulement asssocié à la réflexion et attribuer collectivement le co-pilotage à l'un des acteurs, non pas du fait de sa position institutionnelle mais par rapport à la pertinence de conduite du projet qui vient de se penser ensemble, par rapport aux compétences et aux champs d'intervention requis." Ils voulaient que le pilote d'une action définie par un collectif soit encadré, dans son action, par un cahier des charges (élaboré en commun et on parle alors de politique globale) et, en aval, par des comptes-rendus périodiques. Comment être en désaccord avec leur définition du partenariat ? Comment vouloir autre chose qu'un véritable contrôle démocratique ? L'atelier a mis en évidence à la fois la nécessité d'en venir là et la difficulté d'échapper à la pente qui pousse chacun à se vouloir héros solitaire. |
Jean-Pierre Bénichou
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