La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°62  juin 1998

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Les écoles expérimentales ont 20 ans.
Un pari hier, un enjeu aujourd'hui.
Leurs contributions A la promotion collective.
L'hétérogénéité :
Une classe homogène est une classe hétérogène
qui s'ignore et qu'on déplore.



Hypothèses

Pour des raisons d'interaction et d'entraide, la forme de classe qui a été choisie a privilégié l'hétérogénéité.
L'organisation pédagogique des écoles de la Villeneuve s'est appuyée sur les acquis du travail effectué dans le 20ème arrondissement de Paris, autour de Robert Gloton.
Dans le projet de charte des écoles de la Villeneuve figuraient déjA :
- le suivi des enfants par le même maître de la grande section au CE1
- le non redoublement
- la pédagogie du projet
- d'autres relations maître/élèves
- le travail en équipe des maîtres
- l'ouverture aux parents
- le partenariat avec d'autres équipements du quartier et de la ville
On n'avait pas encore dit que le bébé était une personne ni qu'il fallait mettre l'enfant au cœur du système éducatif. On parlait seulement d'une « pédagogie de la réussite qui exige une école adaptée A l'enfant, respectant ses besoins, ses rythmes, son histoire personnelle et apportant les soutiens et les moyens nécessaires au meilleur développement de chacun.»
C'est sur ces bases que nous avons travaillé de 1972 A 1976. Le temps de démarrer, puis d'effectuer un cycle de 3 ans. Les 5 enseignants de cycle 2 se concertaient chaque semaine, préparaient le travail ensemble, avaient mis en place des projets communs et des moments de décloisonnement. Ainsi furent-ils les premiers dans l'école A sauter le pas : répartir l'effectif du cycle en 5 classes hétérogènes : GS/CP/CE1.
Cette organisation s'était peu A peu imposée comme la meilleure solution pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés. Le cycle 1, puis le cycle 3 y sont venus aussi.

Dans une classe homogène, les différences existent dans les compétences et les comportements des enfants. Même avec de la bonne volonté, elles sont souvent vécues par tous comme un élément négatif. Une classe homogène est une classe hétérogène qui s'ignore et qu'on déplore. La classe hétérogène ne nie pas ses différences. Elle place la différence A la base de sa pédagogie. Elle se propose de faire vivre et apprendre ensemble des enfants d'âges et de compétences différents. Nous avons fait ce choix en 1976, conscients qu'il nous obligerait A prendre en compte la réalité de cette différence. Nous allions devoir apprendre A le faire. Avoir tous les 5 une classe multi-âges nous a semblé une garantie d'être confrontés aux mêmes problèmes et de rechercher ensemble les solutions.

Le changement dans la continuité
Chaque année, la classe se renouvelle par tiers permettant d'insérer collectivement les nouveaux mais profitant aussi de leur expérience de nouveaux qui, « n'ayant pas encore intériorisé la logique du champ étaient porteurs de questions nouvelles et de prétentions déstabilisatrices dans la loi bien établie d'un groupe. » (1) Chacun est A son tour petit, moyen, grand au sein du groupe. A chaque rentrée, le groupe garde ses repères. Au terme des trois ans, on prépare soigneusement « la » rupture. Le passage au cycle suivant.
Pour les parents, cette continuité sur trois ans, c'est aussi le moyen
- de mieux connaître le groupe : enfants, parents, maître ; son fonctionnement, ses objectifs
- de mieux comprendre comment les enfants apprennent et comment ils peuvent les y aider.
C'est aussi l'occasion d'y trouver ou d'y prendre place.

Limites

Quand nous avons modifié notre organisation des classes de cycle 2, c'était une sorte de pari. Cela nous obligeait A apprendre A faire ce que nous ne savions pas faire : nous appuyer sur les différences. Cela répondait aussi A un besoin de continuité. Il fallait se donner du temps pour vivre les projets et accompagner les apprentissages, du temps pour que les enfants se connaissent, pour que le groupe vive bien, pour que l'enseignant connaisse les enfants, pour ne pas morceler le programme et suivre l'évolution des compétences.
Un des obstacles rencontrés : les variations démographiques d'une école et les déséquilibres entre le nombre de petits et de grands. Une insuffisance de grands conduit le groupe A manquer d'autonomie. Une insuffisance de petits peut rimer avec oubli et assimilation. Un groupe doit être un groupe et trois ou quatre enfants de Grande Section dans une classe risquent de devenir trois ou quatre individualités en marge du groupe.
Au départ, un référentiel de compétences nous a beaucoup manqué. Nous nous étions fabriqué des outils de suivi très lourds. La phobie de l'évaluation n'était pas encore ce qu'elle est devenue autour de nous mais nous avions besoin de repères. Nous : instituteurs, enfants, parents. Le risque existe lorsqu'on suit un enfant trois ans de penser qu'il progresse parce qu'il grandit, parce qu'on s'habitue A ses difficultés. Les principales réserves étaient celles des parents de Grande Section qui craignaient que l'on « primarise » les petits. Ils voulaient leur assurer de vivre heureux leur dernière année de maternelle avant d'admettre généralement l'année suivante que, parvenu en CP, leur petit ne « rigolerait » plus ! Et puis, par ailleurs, les inquiétudes des parents de CE1 qui craignaient que les petits ne tirent vers le bas et que l'organisation des classes multi-âges entraîne une baisse de niveau.

Questions

La condition essentielle pour exploiter cette hétérogénéité est certainement de maîtriser la gestion du groupe. Pour qu'une classe hétérogène fonctionne bien, il faut que les enfants soient impliqués dans une vie de classe où l'enseignant sait ne pas trop en faire. Une classe hétérogène peut-elle tourner sans autonomie des enfants ? Un autre risque serait de travailler exclusivement en petits groupes ou individuellement et que les enfants ne sachent plus fonctionner en grand groupe. L'écoute, la prise de parole, les relations dans un grand groupe sont nécessaires.
Comment s'adapter A chaque enfant ? Que faire individuellement et précisément des savoirs grossièrement émergeants du groupe ?
Ces questions sont-elles spécialement liées A l'hétérogénéité ?

(1) ACCARDO A., Initiation A la sociologie, L'illusionisme social, Le Mascaret, 1986

Monique Eymard
École du Lac - La Villeneuve de Grenoble