La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°63
septembre 1998
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"Qu'est-ce que lire au cycle 1 ?"
ou
"Langages en formation"
Quel cirque la vie !
ou
nos émotions A l'emprise de l'écrit court
Gratte, gratte, douce, douce couverture
Passe, passe l'aspirateur.
Il a neigé sous le lit.
(Clément)
Catherine Bernard et Nicole Casier ont participé A une
classe lecture intégrée dans un stage du plan
départemental de formation A Margny lès
Compiègne (Oise). Enseignantes en cycles 1 et 3 ayant
déjA vécu une classe lecture l'an passé
avec leur classe, elle sont devenues cette fois intervenantes et
tutrices des enseignants qui rencontraient pour la première fois
cette modalité de formation en situation. Elle ont, en amont de
la classe lecture qui s'est déroulée avec une classe de
CP, préparé avec leurs élèves de cycle 1 et
de cycle 3, des outils pour lancer la réflexion et la production
d'écrits en classe lecture.
Le contexte et les raisons de regarder notre quotidien
La classe lecture s'inscrivant dans un projet d'ouverture de
l'école A son environnement, la programmation du centre
culturel a été reliée A l'organisation
pédagogique de cette semaine encore « hors norme ».
Un spectacle présenté aux enfants de cycle 2 pendant la
classe lecture et intitulé « Quel cirque la vie ! »
allait donner son fil conducteur A la semaine.
En effet, A travers l'histoire de saltimbanques ordinaires du
cirque qui réussissent l'extraordinaire sur la piste et
s'emmêlent les pieds dans le quotidien, il était
intéressant de fouiller, en coulisse, le sens que pouvait donner
ce spectacle sur notre manière de regarder et de dire notre vie.
Parmi les nombreuses entrées imaginables (qui incarne
l'extraordinaire de nos vies : les acteurs de l'imaginaire
féerique ou les constructeurs de notre ordinaire quotidien ?,
etc.) nous avons donc choisi cette question de réflexion :
comment un enfant de 6 ans s'emmêle-t-il dans la vie ? quels sont
les soucis qu'il aimerait exprimer ?
Le réseau de textes et les raisons d'entrer dans la communauté des lecteurs
Pour introduire le débat avec les enfants que nous allions
rencontrer pendant la classe lecture et les aider A produire des
écrits sur les ennuis et les plaisirs de la vie, nous avons
décidé de faire paraître dans le numéro 1 du
journal interne A la classe lecture, des haïkus (1)
écrits auparavant avec les enfants de nos classes. Cette forme
d'expression nous a paru convenir parfaitement au sujet : petits
poèmes denses sur les petits soucis importants des enfants. Il
s'agissait de faire entrer de plain-pied les enfants de la classe
lecture dans la rencontre avec des écrits dont on peut
identifier la fonctionnalité (la mise en relation avec la vie du
groupe, un événement commun qu'on ne se contente pas de
vivre mais A qui l'on demande de nous munir d'un pouvoir de
transformation), la textualité (la construction des haïkus
d'autant mieux repérée qu'ils sont
présentés groupés dans un même journal, la
répétition des formes phrastiques, des rythmes, etc.) et
l'existence d'un réseau (entre tous les livres de
littérature jeunesse et générale qui s'empare du
quotidien banal, entre les lecteurs de classe lecture et les auteurs de
cycle 1 et 3 que l'écrit permet de relier par les soucis,
intimités, violences et bonheurs des jours et de la nuit).
On fait le pari que les lecteurs en classe lecture mesurent alors que
ces écrits ont été l'aboutissement d'une
réflexion des uns transmise A d'autres pour qu'ils la
poursuivent. Un écrit relais entre lecteurs, un relais comme un
rebond pour penser sa vie du jour et ne pas la vivre au jour le jour.
Les conditions d'une production intellectuelle de savoirs sur le quotidien
Les enfants de cycle I débattent des questions «
existentielles » avec beaucoup de sérieux et de
manière instituée dans la classe. La proposition qui leur
a été faite de communiquer leur pensée A
des inconnus a intensifié la portée de leur
réflexion : savoir que leurs avis allaient intéresser des
grands a été un élément attractif pour les
enfants.
La consigne préalable A l'écriture était la suivante :
Il faut : penser A un moment de la journée,
retrouver les sensations que l'on a A ce moment, choisir des
mots qui vont bien avec, les organiser sur 3 lignes, pour que celui qui
le lira comprenne ce qu'on a voulu exprimer et ressente la même
chose.
Après avoir précisé aux enfants que je
réécrirai leurs interventions, j'ai introduit le
débat et j'ai pris des notes lors des échanges
collectifs. Evoquer les petits ennuis du quotidien a amené les
discussions autour de thèmes récurrents : les relations
familiales, la place dans la fratrie, la peur dans la nuit, le
rôle du « doudou ».
Dès lors qu'il ne s'agit pas de produire des écrits de
traduction des échanges et débats sur les tracas
quotidiens, quels écrits produirait-on pour proposer le
décalage choisi pour parler de la réalité qu'est
le point de vue d'écriture ? Nous avons choisi de
présenter une série de haïkus autour d'un
thème chaque semaine selon trois séries : la famille, la
nuit, les doudous. Ce genre littéraire nous a semblé
particulièrement convenir pour « saisir
une pincée de réel, révéler les plaisirs,
surprises ou légères tristesses qui passent par les mots.
Le haïku oscille toujours entre la nécessité de dire
l'émotion et celle de la taire ou de la retenir. »
Série 1 : la famille
Mon grand frère me tape
Ma grande sœur m'embête
Au CP ce sera terminé.
(Julien)
Papa a triché
Antoine est le premier
C'est pas juste ! je vais me venger
(Damien)
T'es moche a dit Justine
Moi, je lui ai dit :
« Toi aussi ! »
(Clémence)
Je me suis battue avec Mélanie
Papa s'est fâché
J'ai eu la fessée.
(Estelle)
Série 2 : La nuit
Ma petite lumière éloigne
Les monstres, les loups, les bêtes
Qui veulent entrer dans ma chambre.
(Mehdi)
Je voudrais regarder la télé
Bien cachée sur le canapé.
Mais demain il faut se lever.
(Manon)
De réseau typologique en réseau thématique
J'ai ensuite présenté Petits haïkus des saisons de JH Malineau (2)
: les enfant ont reconnu la structure du poème en trois vers
ainsi que le choix des mots. Les poèmes ou comptines
déjA rencontrés les avaient sensibilisés au
langage poétique : métaphore, humour, rythmes, …
mais cette nouvelle forme a bien été
différenciée, notamment par sa brièveté.
Parallèlement des albums ont été mis en réseau autour du thème de la famille comme Chut, chut Charlotte (3), Melba l'oursonne (4), Bien plus grand que Martin (5). Il en a été de même sur le thème de la nuit avec Peurs (6), La première nuit loin de la maison (7), Max et les maximonstres (8) et Nuit blanche (9).
Prolongements
Les haïkus ont été imprimés et collés
dans les cahiers de vie et ont prolongé leur parcours dans les
familles. Ils ont également fait l'objet d'un échange
avec la classe de cycle III également concernée par la
préparation de la classe lecture ce qui a permis de prendre
conscience d'une communauté réelle de
préoccupations au-delA des âges !
En fin d'année, un professionnel de l'écriture, Jo
Hoestlandt a travaillé avec nous sur le thème de
l'amitié : les enfants de grande section se sont
individuellement appropriés la structure du haïku en
travaillant avec l'auteur.
Haïkus des petits bonheurs :
Un ami c'est
Grand comme un frère
Que j'aime.
(Julien)
Etre heureux
C'est d'avoir plein d'amis
Toute la vie
(Manon)
Des fois, un ami
Ca fait peur
Comme les loups
(Vincent)
Un ami c'est
Un copain
Plus beau que les autres
(Mehdi)
A
notes
(1) Poème japonais en trois vers distribués en 5-7-5 syllabes in : La petite fabrique de littérature. Les petits papiers tome 3. Magnard p. 113
(2) École des loisirs
(3) Rosemary Wells, Gallimard
(4) Collection « Belles Histoires », Bayard Presse
(5) Steven Kellog, Lotus
(6) Jo Hoestlandt. - Syros, (Petits carnets)
(7) Rosemary Wells, École des Loisirs
(8) Maurice Sendak, École des Loisirs
(9) Frédéric Stehr, École des Loisirs