La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°66  juin 1999

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LU

Apprendre A lire avant de savoir parlerUne nouvelle conception de l'apprentissage de la lecture
 

Rachel Cohen. Ragnhild Söderbergh 
Albin Michel Education : Biblioth. Richaudeau. 1999 - 199p. - 98F 

On connaissait les bébés nageurs, voici maintenant les bébés lecteurs ! Si pour les premiers, les objectifs poursuivis sont clairs, visent essentiellement une familiarisation avec un nouveau milieu et s'ancrent dans une véritable situation d'apprentissage, il en va tout autrement pour les seconds. 

"L'apprenti lecteur est d'abord un lecteur qui apprend en faisant ce que fait un lecteur devant un texte." (1) Dans les situations mises en place par R. Söderbergh, présentées par R. Cohen comme "une perspective foncièrement nouvelle, un processus d'apprentissage et non d'enseignement" on cherche, en vain, ce qui rapproche son bébé lecteur d'un apprenti lecteur... Comme chez G. Doman (2) on lui apprend A lire A partir d'étiquettes sur lesquelles sont écrits des mots. On montre et dit le mot simultanément, tout en pointant de son doigt l'objet auquel il est associé. La nouveauté réside dans le choix des mots : ceux-ci sont ancrés dans le quotidien du bébé lecteur. Ce n'est qu'après "un minutieux travail de décryptage" ayant permis la découverte de "la structure graphique des mots (...) c'est A dire des lettres" et qu'après avoir réalisé les correspondances grapho-phonologiques que les très jeunes lecteurs peuvent passer aux phrases (pas plus de 6 A 8 mots) puis aux textes (2 A 3 phrases). 

Où est "la révolution dans l'art d'apprendre A lire" que nous promet R. Cohen dans la deuxième partie de cet ouvrage ? Est-ce dans la prise en compte de l'environnement et de l'expérience personnelle de chaque apprenant ? dans la découverte "qu'il existe, dans le cerveau, une voie parallèle A la voie auditive, reliant directement les stimuli linguistiques visuels A leur signification, sans passer par une quelconque représentation phonétique" ? du côté de "l'importance du comportement et des choix didactiques des enseignants pour favoriser le développement des enfants" ?  

Et R. Cohen d'évoquer "ce mal qui nous ronge", les querelles de méthodes, les laborieuses et assommantes leçons de lecture et d'opposer "A cet enseignement la découverte vivante et la construction de l'écrit" au travers de situations fonctionnelles, pour atteindre le goût de lire... 

Etes-vous prêts A amorcer le grand virage auquel nous invite R. Söderbergh sur les traces de R. Cohen ? Au premier virage, on découvre qu'on peut apprendre A lire A tout âge, et bien avant 6 ans ; au deuxième, on réalise que l'apprentissage est un processus naturel ; au troisième, on envisage l'interaction comme clé de voûte de cette construction ; au quatrième, on se donne la possibilité d'apprendre A lire avant de savoir parler, par le truchement des étiquettes-mots, réservant les textes pour plus tard ; au cinquième virage, on change nos habitudes en se persuadant que le savor-lire n'est ni une lecture A haute voix ni "la lecture avec les yeux" ; au dernier, on se trouve un pas en avant, sur les traces de Vygotski, dans la zone proximale de développement. 

Rien de révolutionnaire dans cette nouvelle conception de l'apprentissage de la lecture ni dans la pseudo-analyse qui suit. Le plus gênant, A notre avis, se situe du côté du parti pris d'écriture de R. Cohen... "Apprendre A lire avant de savoir parler est bien une réalité A la portée de tous les enfants du monde. Alors..., alors....Courons-y,Courons-y vite,L'enfance n'attend pas !" En ce qui nous concerne, nous préférons rester sur le bas-côté...  (1) Foucambert J. 

(2) Doman G., How to Teach Your Baby to Read, New York, Random House, 1964 ; J'apprends A lire A mon bébé, Paris, Retz, 1978. 
 

 
Christiane Berruto & Mireille Teppa