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LA LECTURE, L'OUTIL DE L'ÉCOLIER
quels sont les écrits qu'on lui destine ?
Nous
sommes entrés dans une classe et y avons prélevé des
écrits pour voir… Comprendre ce que l'enseignant a dans la tête
quand il introduit dans la classe ces écrits pour s'entraîner,
pour informer, pour faire réagir ; ces textes individuels ou collectifs
; ces écrits supports d'échanges en sous groupes ou de réflexion
commune A la classe… Biopsie d'une classe de cycle 3 !
L'environnement pédagogique
La classe de Nicole Casier A Janville,
petit village industriel de 750 habitants, dans l'Oise, est une classe
de cycle 3 : 8 CE2, 3 CM1 et 7 CM2, dont certains sont dans cette
classe pour la 3ème année. Les enfants qui la fréquentent
sont tous issus de milieu ouvrier, milieu qui a une relation difficile
avec l'école : une grosse attente par rapport A la réussite
scolaire mais aussi une grande méfiance et parfois même une
certaine agressivité (mauvais souvenirs, sentiment d'échec
?), une relation difficile (voire inexistante) avec l'écrit.
Le souci majeur (la volonté) de l'enseignante
est que sa classe puisse être l'endroit privilégié
d'une rencontre riche en découvertes de ces enfants avec l'écrit
et que l'écrit devienne pour eux un instrument efficace et performant
(pour leur scolarité et pour après).
Une BCD dans l'école et, une fois par trimestre,
le passage du bibliobus.
Dans cette classe, il y a des projets nécessitant
l'usage de l'écrit, lecture et écriture : cette année,
par exemple, un échange avec une autre classe dans le cadre d'un
projet culturel "les racines du futur", mêlant arts plastiques et
écriture sur le thème, la mémoire, l'enfant et la
guerre. Un journal scolaire est rédigé et paraît régulièrement.
On y considère que l'apprentissage de la
lecture n'est pas terminé et on y "enseigne" la lecture.
La démarche de l'enseignante privilégie
la conscientisation dans l'apprentissage, la coopération, le développement
de l'autonomie et la prise en compte du statut de l'enfant : participation
des enfants A l'élaboration des bilans, plans de travail,
gestion de la classe et de la BCD.
Dans cette classe on a prélevé pendant
2 semaines (du lundi 1er au vendredi 12 mars 1999) des écrits circulant
dans la classe. C'est sur ce corpus que cette observation est réalisée.
Des activités variées sont proposées
:
- activités systématiques (leçon
de lecture)
- recherches personnelles (débouchant sur
des exposés) nécessitant d'analyser des documents, sélectionner
les informations utiles et les organiser, les synthétiser
- présentations de livres ou revues par
les enfants, nécessitant de saisir l'essentiel d'un texte, d'exposer
un avis personnel et argumenté pour communiquer son point de vue
- des activités d'acculturation (présentation
de livres en réseau par l'enseignante
- des activités liées A des
pratiques sociales : bilans et plans de travail A lire, A
écrire, lecture du Journal Des Enfants
- des projets et des écrits en relation
avec la vie, les intérêts et les besoins de la classe
- des activités d'entraînement sur
le logiciel ELMO pour les CE2, sur le logiciel ELSA pour les CM, adopter
la modalité de lecture qui convient, anticiper, discriminer finement,
augmenter l'empan de lecture, rechercher l'implicite, lire dans l'intertextualité
- des activités de réflexion sur
le fonctionnement de lecteur
- des moments d'évaluation et d'auto évaluation
- des activités différenciées,
selon le niveau
- des activités individuelles, de groupe
avec tutorat
On peut relever des séquences appelées
"lecture" A l'emploi du temps et pour une durée d'environ
4heures/semaine.
- une séquence hebdomadaire “Leçon
de lecture” sur des poèmes A structure facilement repérable
: Dans Paris, Eluard (CE2) et Il y a, Apollinaire (CM) avec les différentes
parties, découverte, théorisation, exercices et production
d'écrit (sur la leçon de lecture au cycle 3, cf. Théo
Prat N°6)
- une séquence lecture quotidienne : présentation
par les enfants de livres ou d'articles du JDE (lus et travaillés
en BCD et A l'heure d'études ou A la maison)
- entraînement sur logiciel
Mais de nombreuses autres séquences nécessitent
une activité réelle de lecture. D'autres écrits sont
travaillés ou servent de support A l'apprentissage en français
(autodictées, grammaire, conjugaison, production d'écrit...),
en mathématiques (énoncés de problèmes, consignes
d'exercices), en histoire, géographie, sciences, éducation
civique (document ou page de manuel), en musique (texte de chanson).
Une grande diversité d'écrits
Des écrits A lire |
Des écrits qu’on leur
lit ou dont on leur parle : JDE, exposés, présentation
de livres (élèves ou enseignante, des poèmes sur la
guerre, par exemple) |
Des écrits lus |
Des écrits produits (enseignante
et élèves) |
Des écrits courts :
énoncés de problème, consignes d'exercices, autodictées... |
Des écrits longs :
textes support de recherche en éducation civique : le recensement,
poèmes pour la leçon de lecture, livre de bibliothèque... |
Des écrits A lire
seuls |
Des écrits pour lesquels
on est accompagné (enseignante, grand) |
Des écrits traités
en séquence d'apprentissage de lecture - écriture |
Des écrits non étudiés
systématiquement |
Écrits pour s'entraîner
(ELMO, ELSA) et s'évaluer |
Écrits choisis librement
selon les émotions qu'on veut se donner ou les questions qu'on se
pose |
Écrits sociaux (JDE,
chanson de Manau, journal scolaire, bilans...)
|
Écrits "scolaires"
(énoncés, textes de grammaire ou orthographe, fiche d'éducation
civique sur le recensement...) |
Écrits de référence
(panneaux collectifs, classeurs personnels) |
Écrits qui disparaissent |
Écrits dont ils sont les
destinataires directs : bilans, plans de travail... |
Écrits A lectorat
élargi : poèmes, JDE, fiche d'éducation civique,
problème... |
Textes "vrais" ou "fonctionnels"
(1) (poèmes, extrait de la chanson de Manau,
énoncés de problèmes... ) * |
Textes "prétextes" (texte
de manuel fabriqué pour l'étude de règles grammaticales
ou orthographiques...) ** |
|
Tris selon les supports :
manuels, panneaux, affichages
de classe, tableaux, listes, livres de bibliothèque, circuit-court
(bilans réécrits par l'enseignante)
Tris selon les auteurs :
écrivains, journalistes,
pédagogues (manuels), enfants de la classe (expression écrite,
bilans), enfants d'une autre classe (dans le cadre du projet), enseignante
de la classe (synthèse des bilans, panneaux...)
Tris selon le type de texte
:
textes narratifs, poétiques,
informatifs, explicatifs, de point de vue, prescriptifs (beaucoup de consignes
: exercices)
|
Tris selon qui les apporte
et les raisons pour lesquelles ils arrivent dans la classe :
enseignante (pour des raisons
d'enseignement, pour le thème, pour l'aspect culturel, esthétique,...) |
élèves (L'avenir
est un long passé, chanson contemporaine, apportée pour le
thème abordé, la mémoire, et l'auteur, Manau, chanteur
de rap, Dans Paris, poème apporté pour montrer qu'ils reconnaissent
un fonctionnement textuel déjA étudié...) |
|
* Texte "vrai" :
L'avenir est un long passé (extrait)
Une pupille noire entourée
de blanc. C'est ce que je peux voir devant la glace A présent.
Je viens de me lever, il y a quelques instants.
C'est difficile A dire au
fond ce que je ressens. Après la nuit que j'ai passée, dur
a été mon réveil. A tout ce que j'ai pu penser avant
de trouver le sommeil. A toutes ces idées qui n'ont causé
que des problèmes. La réalité et toutes ces images
de haine... |
** Texte "prétexte"
Les portes de la classe s'ouvrent
une A une et la cour s'anime : c'est l'heure de la récréation.
Des enfants courent, d'autres jouent aux billes, d'autres enfin se racontent
des histoires. Les maîtres surveillent. La sonnerie retentit. Que
c'est court ! Le moment de repos tant attendu est déjA fini
et il faut retourner en classe. Les rangs disparaissent l'un après
l'autre, la cour redevient vide et silencieuse. |
Dans la masse des écrits donnés A
lire, différents tris sont possibles qui se recoupent parfois, par
ailleurs.
- Tris selon les fonctions, lire pour :
|
Textes lus par tous
|
Textes qu’on présente,
dont on parle A tous
|
Textes produits par les enfants
|
S’informer
|
5
|
8
|
8
|
Apprendre A lire et
A écrire |
2
|
5
|
18
|
Communiquer dans la classe avec
l’extérieur |
-
|
8
|
19
|
Avoir des émotions, des images |
2+2
|
4
|
19
|
Réfléchir sur ce qu’on
fait |
2
|
-
|
36
|
Servir de référence
(affichage)
cahier ou dossier |
5
3
|
-
|
-
|
Faire des exercices
- grammaire
- orthographe
- conjugaison
- mathématiques
- découverte du monde |
1
27+1
2
60 (dont 20 problèmes)
2
|
-
|
-
|
La catégorie "Réfléchir sur
ce qu'on fait" concerne les écrits qui aident A prendre du
recul sur ce qu'on vit, ce qu'on sait : élaboration de bilans (le
vendredi, individuellement, chacun écrit pour faire le bilan du
travail de la semaine, l'enseignante reprend ces bilans, en fait une synthèse
écrite qu'elle donne A lire et A débattre le
lundi matin suivant pour démarrer la semaine, des priorités
y sont décidées, des contrats de travail établis.
Extraits du bilan de la semaine 10, réécrit
par l'enseignante A partir des textes individuels des enfants
Moi, ce que j'ai bien aimé,
c'est la prévention routière
parce que les gendarmes sont venus.
C'est répondre A
Saint- Germain parce que tu lis une image et tu réponds en écriture...
C'est l'autodictée parce
que j'ai eu une bonne note...
C'est les exposés sur
les poissons parce que j'aime les poissons et ma grand-mère, elle
en avait...
Tout compte fait je crois que
j'ai réussi ma semaine. |
Ces différents tris qui ne se veulent ni scientifiques
ni exhaustifs font apparaître une nette volonté de faire entrer
les élèves dans la diversité des écrits, de
les faire plonger dans un bain d'écrits, de leur faire vivre l'expérience
de la fonction sociale et pas seulement scolaire de l'écrit.
Ils sont A regarder après certaines
remarques :
- un même texte peut entrer dans plusieurs
cases (les poèmes, supports de la leçon de lecture / écriture
figurent également en catégorie émotions ainsi que
l'extrait de la chanson de Manau, travaillé en orthographe)
- la longueur des textes n'est pas prise en compte
- les textes présentés A
toute la classe ont été lus et travaillés par quelques
uns et ne figurent pas dans la colonne "textes lus"
- les textes des exercices sont souvent courts
et répétitifs
- les textes lus en entraînement sur logiciel
ne figurent pas (Ils sont difficilement comptabilisables)
- les productions de type rédaction de
solutions de problèmes ou réponses A des questionnaires
ou des consignes ne figurent pas, les prises de notes, non plus.
On peut noter également le choix
de travailler dans l'interaction lire/écrire : présence de
textes qui permettent aux élèves de s'approprier des structures
typiques de l'écrit en les utilisant dans leur productions personnelles
après les avoir observées et dégagées.
Les handicapés
Il y a des jambes artificielles.
Il y a des maisons qui sont cassées
et des hommes blessés.
Il y a des gens souriants et
d'autres non.
Il y a des handicapés
souriants et d'autres non.
Les enfants handicapés
resteront toujours handicapés,
A cause des mines et des
guerres et ça continue encore.
Je ne voudrais pas devenir comme
eux. |
Une réécriture collective est prévue
en s'inspirant de Il y a d'Apollinaire
Dans cette classe, on lit beaucoup, et on peut
même dire que les élèves lisent tout le temps ! ou
presque ! Sur 6 heures de classe, 5 au moins se passent avec de l'écrit
sous les yeux, que ce soit pour continuer A apprendre A lire,
apprendre, s'informer, augmenter ses connaissances, élargir son
horizon, confronter des opinions, entrer dans des pratiques sociales, entrer
en culture, développer le sens esthétique, et aussi, échanger
des points de vue, des interrogations, des émotions, des images,
se construire socialement et individuellement.
La lecture, un outil, un instrument pour tous
les apprentissages
Rappel : Outil, objet fabriqué, utilisé
manuellement ou sur une machine pour réaliser une opération
déterminée. Élément d'une activité qui
n'est qu'un moyen, un instrument. (ex : les statistiques sont un outil
indispensable pour une bonne gestion.)
Ce constat sur le temps passé avec de l'écrit
sous les yeux n'est pas sans appeler quelques remarques et quelques interrogations...
Et dans les autres classes de cycle 3 ? Et au collège ? Ferait-on
le même constat ? Il semble bien que oui... A l'école, la
majorité des apprentissages se fait A partir d'un matériau
: l'écrit qu'il faut traiter avec un outil : la lecture, pour recueillir
des informations, des connaissances, pour exécuter des exercices,
pour apprendre le fonctionnement de la langue, pour apprendre des leçons,
pour se lire et se relire quand on écrit et réécrit
soi-même (textes de création ou réponses A des
consignes). L'écrit est le support majeur de l'enseignement, la
lecture, l'outil indispensable de l'écolier.
Sauf en EPS, dessin, musique, et encore ! Il n'est
pas exceptionnel que des écrits soient donnés A traiter
dans ces séquences (consigne de jeu, texte parlant d'un peintre,
d'une technique picturale, d'une période musicale, d'un musicien,
paroles de chanson...).
Sauf dans les activités orales, quand le
maître parle ou un camarade, et encore ! car il s'agit la plupart
du temps de parler de ce qu'on vient de lire, de ce qu'on est en train
de lire : texte de grammaire ou conjugaison ou orthographe A analyser,
correction du problème dont on vient de lire l'énoncé,
A partir duquel on a rédigé soi-même une solution,
et pour lequel il faut lire au tableau éventuellement une autre
solution, page de manuel de sciences, document d'histoire A étudier...
A l'école, donc on apprend majoritairement
sur, avec, de l'écrit, il faut traiter de l'écrit, pour apprendre,
pour comprendre. D'où, pour les enfants, la nécessité
de bien maîtriser cet outil, la lecture, d'en explorer, pour les
connaître et pouvoir les exploiter pleinement, toutes les possibilités,
faire d'eux des " ouvriers " experts qui sauront le maîtriser, l'utiliser
au mieux, sur toutes les diverses caractéristiques du matériau,
dans toutes les circonstances. D'où, pour les enseignants, l'obligation
de prendre en compte cette nécessité.
Comment faire ? La question n'est pas nouvelle,
on peut essayer d'y réfléchir, de chercher des éléments
de réponses… Commençons peut-être par observer nos
pratiques
Enseigne-t-on A lire (et écrire)
tous les types de textes y compris les textes typiquement scolaires (consignes,
énoncés, pages de manuels...) ?
En apportant dans la classe une masse considérable
d'écrits divers pour familiariser les élèves, les
confronter A la diversité des fonctions de l'écrit,
toutes les conditions d'un véritable apprentissage pourraient sembler
réunies mais, si on ne leur donne pas les moyens de les traiter
de façon experte et efficace, ne favorisera-t-on pas alors que ceux
qui sont déjA A l'aise ? Nécessité sans
doute d'accompagner ces écrits d'un apprentissage de lecture systématique,
méthodique, avec programmation, entraînement, évaluation,
remédiation..., comme on le pratique pour les textes littéraires
ou documentaires. Cela supposerait de les avoir répertoriés,
analysés dans leur fonctionnement, pour les théoriser avec
les élèves et leur proposer des exercices d'entraînement.
La question de la nature des aides et de l'autonomie
se pose également. Les aides ponctuelles apportées (lecture
collective de la consigne, de la page de manuel, tutorat par les "grands
"..., au cours desquelles ce sont ceux qui ont déjA les bonnes
stratégies qui répondent) permettent certainement A
l'élève en difficulté en lecture de réussir
son exercice de maths ou de conjugaison et donnent l'illusion qu'il a compris
la consigne mais lui permettent-elles vraiment d'être autonome par
la suite devant d'autres consignes ? devant tout autre type de consigne
?
Une autre question se pose aussi sur l'évaluation
du travail écrit. Qu'évalue-t-on effectivement ? Les connaissances,
les savoirs de l'élève seulement dans telle discipline ?
Prend-on en compte la compréhension de la consigne ou du document
A traiter ?
Comment faire pour que les enfants se sentent les
destinataires de tous ces écrits ? quel " sens " donnent-ils A
l'activité lecture A l'école ? Leur fait-on bien prendre
conscience de la nature et des enjeux de l'écrit qu'on leur donne
A traiter ? Comment les aider A opérer cette prise
de conscience ?
Faut-il attendre le cycle 3 pour que soit fait
ce travail d'enseignement systématique de tous les écrits
?
(1) pour la définition
de la fonctionnalité des textes supports A l'enseignement
de la lecture, (Cf. A.L. n°19, sept. 87, pp.
28-32)
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