La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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LES ÉTATS GÉNÉRAUX. POURQUOI ? COMMENT ?   

Le Conseil d’Administration de l’AFL s’est constitué en comité de rédaction du présent numéro.  Après une longue discussion, il a pris la décision de consacrer un dossier entier des A.L. aux Etats Généraux. Pourquoi ce choix ?   

Il est apparu qu’un événement d’une grande importance venait de se produire et qu’il nous appartenait d’en rendre compte. En effet, les Etats Généraux de la lecture et des langages auront mobilisé l’énergie de très nombreuses écoles ou collèges lors de la phase préparatoire, réuni plus d’un millier d’enseignants les représentant pendant deux journées, les 4 et 5 mai dernier A Nantes,  autour de la  ministre, de son cabinet, de responsables (nationaux ou locaux),  de chercheurs de divers horizons et devraient inaugurer une série d’actions A décliner pendant les mois qui viennent, A partir des douze points présentés par la ministre au moment de clore les journées.  
Tant d’efforts réalisés au plus haut niveau comme A celui plus modeste des établissements méritaient un écho. Ce sera l’objet d’une première partie de ce dossier.  

Mais au-delA et parce que nous sommes engagés dans la recherche et  dans l’action et qu’A ce titre nous n’avons pas manqué ces vingt dernières années de nous constituer en force de proposition, il nous paraît utile d’examiner, dans une seconde partie, les conditions A réunir pour que, de notre point de vue, les axes définis A Nantes (les cinq qui ont retenu notre attention) aient une chance d’être opératoires.  
  
Enquête coordonnée par Jean Pierre Bénichou avec les contributions de : Solange Dumay, Jean Foucambert, Suzy Garnier, Rolande Millot, Yves Parent, Nicole Plée 

  

L’inspiration est d’essence démocratique : refus de se soumettre A la fatalité inégalitaire, volonté affichée de mettre en valeur le terrain et gestion du temps sur la durée avec une phase préparatoire d’une année,  un temps fort (deux journées) pour la rencontre et l’échange, une phase d’expansion derrière (la période qui suivra et au cours de laquelle des rencontres inter-académiques seront mises en place)  
Une fois de plus se vérifie l’idée que rien d’important n’est possible sans l’intervention de l’Etat. On pourrait s’en réjouir. On pourrait aussi déplorer qu’on recoure encore et toujours A cette même séquence simpliste : les héros innovent, la base applique. Les exemples ne manquent pourtant pas de ces innovations qu’on a voulu généraliser sans succès parce qu’on avait voulu faire l’économie des conditions dans lesquelles elles avaient été produites : de la durée, une équipe autonome qui définit son projet, une hiérarchie locale soucieuse d’aide, un environnement attentif aux problèmes d’éducation, etc…  
Pour comprendre ce qui a présidé A l’organisation de ces journées, dans l’intention et dans l’organisation, rien ne vaut le témoignage direct de son inspirateur. En effet, les Etats Généraux ont été voulus, pensés, animés et organisés par une seule et même personne : Ségolène Royal, ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire. Intéressons-nous donc aux propos mêmes de la ministre tenus lors de la séance d’ouverture..  
  

Pourquoi ? 
Les raisons sont exposées de manière équilibrée. Il en ressort : 

1) qu’il y a urgence («la maîtrise de la lecture et des langages est la grande question posée A l’école» 
2) qu’il ne faut pas dramatiser la situation («j’ai peu de goût pour les analyses catastrophistes qui simplifient A outrance la complexité.») 
3) qu’il est rendu hommage aux efforts des maîtres («j’apprécie A sa juste valeur le travail quotidien, ardu, des enseignants sur le terrain») 
4) que des obstacles se dressent sur leur chemin («il n’est pas question d’ignorer ici ce que les difficultés de l’école doivent  A ce qui se passe autour d’elle.») 

L’analyse des raisons de ces Etats Généraux se poursuit par :  
w l’évocation de la relance des ZEP («Dans les contrats de réussite des Réseaux d’éducation prioritaire que  j’ai mis en place la maîtrise des langages occupe la toute première place»). Il s’agit donc de prolonger l’effort partout. De ce point de vue, les ZEP auraient joué leur rôle de laboratoire. Il est dommage que l’analyse ne soit pas conduite jusqu’A son terme et qu’on n’ait pas marqué plus nettement l’importance d’une extension A l’ensemble des écoles de la dynamique qui s’est constituée, en effet, dans les ZEP les plus performantes. Affaire de coût peut-être ? Mais n’est-ce pas au représentant de l’Etat de rappeler qu’une politique véritablement ambitieuse pour l’école a effectivement un coût et ainsi faire son travail de préparation de l’opinion ? 
w l’annonce selon laquelle «le chantier de la mutation du  collège» est désormais A l’ordre du jour. Sans plus. La ministre le dit elle-même : j’en dirai plus le 25 mai prochain. Et lA on voit poindre ce qui fait l’essentiel aujourd’hui : ménager ses effets d’annonce. Il est plus important de ménager le suspense que d’éclairer l’auditoire et lui donner les éléments lui permettant justement de nourrir l’échange. Simple contradiction ou indication forte de l’ordre des priorités ?  
w elle se poursuit enfin par l’expression d’un sentiment : «malgré tous les efforts déployés, les réformes entreprises, l’abondance des textes réglementaires , les documents d’accompagnement et de publications en tous genres, beaucoup d’enseignants se sentent désemparés dans l’exercice d’un métier difficile.»  Double lucidité :  le malaise est profond, les initiatives n’ont jamais manqué.  

Deux options fortes nous sont annoncées qui sont destinées A enfoncer le clou de l’engagement résolument démocratique :  
Dans l’ordre méthodologique : «tenter d’aborder le problème en repartant des pratiques sur le terrain» 
Dans l’ordre symbolique, on a nommé ces rencontres Etats Généraux , parce «qu’ils sont dans la mémoire collective le prototype de l’assemblée active, celle où la parole se fait acte» 
  

Comment ? 
Clairement, l’intention est de renoncer au «colloque d’experts» et A «la grande messe institutionnelle» pour privilégier l’expression des terrains. «je voulais qu’on mette en valeur et A l’honneur celles et ceux qui sur le terrain font vivre dans leurs classes et leurs établissements une certaine idée de l’école» Il s’agissait donc d’une part de pointer des actions innovantes issues du monde de la pratique et d’organiser les conditions de la rencontre. Donc appel d’offre (A tous les directeurs d’école et principaux de collège), commission de choix (académique et nationale) et invitation pour des représentants de terrain A se rendre A Nantes. De fait, «beaucoup sont lA aujourd’hui, : enseignants, formateurs, documentalistes, directeurs et directrices d’écoles, principaux de collèges, tous conviés sur la base des actions qu’ils mènent» 

Le discours d’ouverture se poursuit par l’annonce du déroulement des journées :  
w Une exposition des 157 réalisations «primées» 
w Les 3 tables rondes : 1) diversité des  publics et de l’unicité des missions de l’école 2) l’évolution du métier d’enseignant 3) la conjugaison nécessaire des différents langages 
w Les 16 ateliers.  
- Maîtrise des langages et pratiques culturelles  
- Les pratiques sociales de l’écrit, l’écriture longue 
- Le français, langue seconde  
- Maternelle, maîtrise des langages et commencements 
- Les pratiques orales 
- Maîtrise des langages et apprentissage de la lecture 
- Maîtrise des langages, interdisciplinarité et savoir faire transversaux 
- La diversification des textes lus et des stratégies de la lecture 
- Les évaluations nationales (CE2, 6ème) et les évaluations de terrain 
- La place des parents dans l’apprentissage de la lecture 
- Lire et comprendre les images et les écrans 
- Internet : élèves et enseignants face aux nouvelles technologies 
- Maîtrise des langages et handicaps (malentendants, malvoyants …) 
- Les troubles du langage (dyslexie, dysphasie) 
- Elèves en grande difficulté : les réapprentissages de la lecture au collège 
- L’illettrisme. 

La ministre termine son discours en expliquant le choix du signe sous lequel elle a voulu que les Etats Généraux soient placés et qui figure en sous-titre de la rencontre : «Apprendre A partager le premier pouvoir». Elle ajoute : «Il s’agit d’organiser un égal accès de tous A ce pouvoir de dire, de lire, d’écrire, pouvoir d’apprendre, de comprendre, de penser et de se construire, pouvoir d’assurer sa prise sur le monde et, au bout du compte, de vivre ensemble». Autant de principes avec lesquels il est difficile de marquer un désaccord. Pourtant, on aimerait des précisions sur le sens donné A certains mots (et singulièrement celui de pouvoir. S’agit-il de travailler la question du statut de l’enfant ?). On aimerait aussi des explications sur des manques : la notion de transformation par exemple est absente (peut-on comprendre le monde sans le transformer ?) 

Au total, on a l’impression d’un maniement aisé du vocabulaire de la transparence sans que le prix, en termes d’autonomie véritable et de moyens substantiels, en soit payé. A-t-on bien mesuré combien le futur est imprévisible ?