La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°9 mars 1985 ___________________ ENTRAÎNEMENT À LA LECTURE SUR ORDINATEUR Sous peine de commettre un jugement erroné et de fort mauvais aloi, il conviendra ici de marier l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie selon Pascal.
Ce texte de Yves Bosquet, professeur dans un collège de La Réunion, s’inscrit dans la série de témoignages sur l’utilisation d’ELMO, commencée dans notre n° 7. Son auteur, qui l’a écrit pour convaincre de la nécessité d’équiper davantage son établissement, aborde les aspects financiers et les problèmes de rentabilité… ce qui est rarement fait et qui, pourtant, a son importance.
Ce rapport est le fruit d’une expérimentation de six semaines du logiciel d’entraînement À la lecture « ELMO ». Cette action pédagogique, qui résulte d’une initiative personnelle, dans le sens où nous avons acheté À nos frais un ordinateur Goupil pour le faire fonctionner au Collège, devrait pouvoir s’inscrire dans un Projet d’Etablissement global.
POURQUOI UN LOGICIEL DE LECTURE ? La rénovation pédagogique par groupes de niveaux mise en place À la rentrée 1983 en 6e a eu pour effet de dynamiser notre pédagogie. Ayant, par choix personnel, opté pour le groupe des élèves les plus faibles en Français, nous avons été évidemment amenés À faire un constat très alarmant de toutes les carences. En lecture, pour se vouloir optimiste, disons que les meilleurs lecteurs restaient de “bons déchiffreurs”. Nous avons donc axé notre travail pédagogique sur prise de sens et la vie des textes et des livres, par explication, questionnement, étude puis dramatisation, pratique hebdomadaire du coin lecture, animation en bibliothèque Municipale et CDI. Ces pratiques ont, certes, créé dans ce groupe une atmosphère très favorable À l’apprentissage du Français. Mais, sans doute parce qu’il n’est pas dans notre tempérament de nous contenter de petites satisfactions, peu À peu s’est dessiné en nous le projet de faire la preuve que les élèves en difficulté peuvent surmonter leurs handicaps, À condition de les y aider efficacement. Plus la situation est dramatique, plus importants doivent être les moyens mis en oeuvre pour y remédier. Que se passe-t-il lorsqu’un élève lit difficilement ? Entendons-nous bien : il s’agit de lecture difficile « en situation de vraie lecture », c’est-À-dire que l’enfant lit, de façon personnelle, un livre de son âge qu’il a lui-même choisi. Continuant d’oraliser, même en lecture silencieuse, il appréhende dans un temps donné une quantité de texte relativement infime. Lire est alors un exercice si pénible - les mots ne prennent un sens que lentement - et si long - l’histoire ne se construit qu’À regret - que l’élève se décourage et délaisse un écrit pour lui fastidieux ou rebutant. Comment, par comparaison, pourtant, ne pas évoquer ces heures palpitantes où les mêmes élèves sont pendus aux lèvres du professeur lorsqu’il lit tel ou tel conte, récit ou chapitre de roman. Nous déduisons donc logiquement : PUISQUE L’INTÉRÊT EXISTE, IL FAUT ENCORE QUE LA TECHNIQUE DE LECTURE SUIVE ! C’est pourquoi notre volonté de vaincre l’échec, en lecture, des élèves qui nous ont été confiés nécessitait une méthode sûre, attractive et plus rapide que nos constructions ou tâtonnements pédagogiques. Dans le cadre du Conseil d’Établissement, nous avons oeuvré pour que l’établissement s’équipe en ordinateurs. Malheureusement pour notre projet, pour des raisons budgétaires évidentes (6.000 F.), le choix s’est fait sur du matériel Thomson (MO 5) livrable dans le courant du premier trimestre 1984-1985. Or le logiciel que nous avions expérimenté lors d’un stage animé par J. FOUCAMBERT, M. VIOLET et Y. CHENOUF de l’AFL, ne fonctionne que sur Goupil 3. M. le Principal du Collège, accédait pourtant À notre requête pour que l’établissement prenne en charge le logiciel (3.762 F.), cependant que le Directeur de la SOGEHO (établissement vendeur), nous consentait une remise promotionnelle et personnelle sur l’achat du Goupil (payé 31.500 F.) (1). Disons encore tout de suite et clairement, que ELMO ne saurait se substituer au travail quotidien du professeur, tant dans notre esprit que dans celui des concepteurs ; c’est tout au plus un “auxiliaire” solide. Foucambert le dit nettement “ces quelques minutes d’entraînement À la lecture n’ont un sens et une efficacité que si elles s’inscrivent, À l’intérieur d’une politique générale qui multiplie les rencontres fonctionnelles avec l’écrit... En outre, ce serait une erreur d’imaginer un effet mécanique qui développerait, presque À l’insu du sujet, les qualités du savoir-lire “.
ORGANISATION MATÉRIELLE Avec l’agrément du Principal du Collège, l’ordinateur Goupil a été installé dans un coin silencieux du Centre de Documentation, c’est-À-dire lA où l’environnement des livres, des revues, des encyclopédies lui permet de prendre tout son sens. Pour cette première période d’expérimentation, 28 élèves du groupe faible (ou ayant fréquenté ce groupe) ont été peu À peu initiés au maniement de l’appareil. Les séquences ont lieu À raison d’un quart d’heure quotidien, pour un total d’une heure par semaine, pendant les heures de Français et heures creuses, voire pendant une heure d’Histoire et de Mathématiques avec le concours favorable des professeurs concernés. Pendant leurs exercices, les élèves reçoivent le secours généreux de la Documentaliste, ou du Conseiller d’Education, lorsque des problèmes matériels ou les incompréhensions surgissent. Pour assurer la garde À temps plein du C.D.I., nous avons dû avoir recours À deux élèves de 3e et À notre disponibi1ité personnelle. Actuellement donc, sur les 9 heures potentielles, l’ordinateur fonctionne 5 À 6 heures selon les jours.
QUELS RÉSULTATS ? SUR LE PLAN PSYCHOLOGIQUE Il serait difficile de ne pas mentionner l’enthousiasme que suscite ce nouvel auxiliaire d’apprentissage. Témoigne de cet enthousiasme, le volontariat général pour travailler sur ordinateur en sus des heures de cours : heures du midi, du soir et du mercredi matin (où les élèves les moins éloignés du Collège reviennent spécialement pour “leur” quart d’heure, sans défection notoire). Nous pouvons affirmer encore, sans excès d’optimisme, que le cours de Français participe de cette même bonne volonté. Alors qu’il avait fallu, par exemple, longtemps se battre pour que les travaux À la maison soient faits, les manquements deviennent l’exception. Dans le même temps, l’instauration d’études dirigées, deux soirs par semaine, a connu dans ce groupe la meilleure participation (selon le bilan établi, sur huit séances, 20 élèves de groupe C ont participé au moins une fois - dont une élève sept fois -). Outre le fait qu’ils apprennent À se familiariser avec son maniement, l’un des grands bénéfices de l’ordinateur, sur le plan psychologique, est aussi de rendre les élèves autonomes. Ainsi, tous les professeurs de l’équipe pédagogique se plaignaient-ils que ces élèves réclamaient d’être “assistés” attitude que nous combattons. Par exemple, un énoncé d’exercice du type “souligne les mots ou expressions qui marquent la peur” ou simplement “relève les verbes À l’imparfait” appelait presque invariablement la question “Monsieur, qu’est-ce qu’il faut faire ? ” Paresse ? Habitude acquise ? ou mieux, comme nous le croyons, l’écrit est facteur de trouble ? Si en cours, l’écrit passe encore quelquefois par l’oralisation magistrale, devant l’ordinateur, l’élève doit se débrouiller seul, et construire sa propre méthode d’analyse et de compréhension déductives, face au questionnement. En cas d’échec, l’ordinateur persiste et renvoie l’élève À son analyse. Il est un fait indéniable, c’est que même les moins bons lecteurs ne manifestent ni désintérêt, ni refus. Un dernier aspect mérite d’être signalé. L’attrait de cette technique nouvelle, et la fierté de “travailler sur ordinateur” font que TOUS les élèves sont très motivés. C’est un peu leur moyen de se sentir valorisés !
SUR LE PLAN PRATIQUE DE L’APPRENTISSAGE : Une analyse systématique des résultats enregistrés montre une progression rapide de l’efficacité de lecture (les “pères” de la méthode appellent efficacité” un rapport entre le nombre de mots lus en heure et le degré de compréhension du texte jugé un questionnement de type “questions À choix multiples”). Quatre exemples représentatifs montreront cette évolution. Pour être plus clair Foucambert situe la vitesse de lecture d’un élève de cycle d’observation au-delA 12.000 mots/heure, pour une efficacité de l’ordre de 60 (entre 25.000 et 50.000 mots/heure pour un bon lecteur adulte + efficacité 120 et au-delA). De même, une étude sérieuse des probabilités en QCM (compréhension) montre que des pourcentages de O À 20% dans le sens défavorable et de 60% À 100% dans le sens favorable sont fiables, et ne peuvent : relever du pur hasard (30%, 40% et 50%, par contre, ne sont pas probants).
Le tableau précédent montre donc que les élèves après 6 heures environ d’entraînement (le programme en prévoit de 15 À 20), sont encore très en-deçÀ des “normes”, mais que leurs progrès sont nets, et significatifs d’une technique maîtrisée. Il va de soi que si les stratégies de lecture sont ainsi mises en évidence, le rôle du cours et du professeur de Français est de permettre d’en amplifier l’efficacité et surtout D’EN ASSURER LE REINVESTISSEMENT DANS LES VERITABLES ACTE5 DE LECTURE. S’il est encore trop tôt pour juger très objectivement les résultats en ce domaine, nous pouvons affirmer sans erreur de jugement que les “réflexes” sont acquis (dans la lecture d’un article, par exemple, pour une recherche d’information). Une étude statistique menée par la Conseillère d’Orientation montre un net progrès de ces élèves sur toute l’année comparativement aux autres groupes de niveau identique.
PARLONS CHIFFRES ET ARGENT ! Compte-tenu des créneaux horaires disponibles, le Collège étant ouvert aux élèves 42 heures par semaine, il est possible de prévoir l’entraînement de 42 élèves À raison d’un quart d’heure par séquence. En prévoyant un entraînement trimestriel, les élèves inscrits bénéficieraient d’environ 12 heures. Soit en une année scolaire : nombre potentiel d’élèves formés : 42 x 3 = 126 nombre d’heures de fonctionnement de l’appareil : 42 x 12 x 3 = 1.512 Si l’on calcule en rentabilité financière À présent, et amortissement sur cinq ans, compte tenu du prix coûtant de l’appareil (ordinateur Goupil + méthode ELMO : 35.260 F.), chaque heure/élève nous reviendrait À 4,66 F. (35.260 F. : 1.512 heures/années/élèves 5 ans). (2) Si l’on veut bien ne pas en tirer des conclusions hâtives ou simplistes, poursuivons par une comparaison sommaire avec le “coût/élève d’un professeur”. Le traitement brut d’un professeur certifié au 7è échelon, comme nous le sommes, revient À 7,93 F. heure/année/élève (calcul approché : 120.000 F. sur un an pour 70 élèves À raison de 6 heures par semaine pendant 36 semaines)...
CONCLUSIONS POUR L’AVENIR Sous peine de commettre un jugement erroné et de fort mauvais aloi, il conviendra ici de marier l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie selon Pascal. Nos conclusions sont alors les suivantes :
Constat Goupil et Elmo sont de bons “AUXILIAIRES” pédagogiques : 4,66 F h/élève ! Le professeur de Français est la PIÈCE MAÎTRESSE DU RÉINVESTISSEMENT et du véritable enseignement : 7,93 F. h/élève I Actuellement, nous disposons en Français en cycle d’observation de 5h + 1h de soutien (auxquelles peut encore s’ajouter 1 heure de soutien renforcé pour les classes d’élèves en difficulté : SASR). Propositions d’avenir Nous proposons que L’HEURE DE SOUTIEN, ordinaire ou renforcé, SOIT EFFECTUÉ PAR L’ORDINATEUR, cependant que le professeur pourra utiliser ses compétences dans des actions pédagogiques qui aient des aspects moins techniques ou répétitifs le professeur et l’élève y gagnant en qualité, le budget de l’Etat… en économies ! DéjA, l’on peut compter, dans le cycle d’observation, pour la prochaine année 84-85, UN MINIMUM DE 320 ELEVES (dont 6 classes SASR) qui pourraient bénéficier utilement d’un tel renforcement pédagogique, soit trois fois plus que ne peut faire travailler notre ordinateur actuel. Non seulement, il convient d’effectuer la prise en charge financière par l’Établissement du Goupil, payé et assuré par nos soins, mais encore d’en prévoir un second. Pour ce faire, il serait nécessaire d’établir, en plus des ressources propres À l’établissement, des demandes de subventions aux Services Rectoraux, Conseils Régional, Général et Municipal et Association susceptibles de soutenir un projet de cette nature. Nous demandons donc au Conseil d’Établissement, après lecture de ce rapport, d’inscrire l’entraînement À la lecture sur ordinateur dans son Projet. Y. Bosquet
(1) Il s’agit des prix pratiqués À la Réunion. (2) Il s’agit toujours des coûts À la Réunion.
ELMO O a été produit par l’ASSOCIATION FRANCAISE POUR LA LECTURE À la demande du Ministère de l’Education Nationale afin de fonctionner sur T07 et T07 70. Il est le fruit d’un travail collectif de membres de 1’AFL et de chercheurs de l’INRP. ELMO O est composé de programmes, inscrits sur 11 cassettes, générant 14 exercices et 6 jeux À partir d’une bibliothèque évolutive (de mots, de phrases, de textes) que l’enseignant ou le formateur doit “entrer” en fonction de ce qu’il estime être le niveau et les besoins de ses élèves. Cette
caractéristique, le fait que son utilisation (pour
l’enseignant comme pour
l’élève) ne requiert
aucune compétence en informatique, et la
diversité des
exercices offrent des possibilités d’emploi aussi
bien dans
les écoles maternelles et élémentaires
que dans
les actions d’alphabétisation d’adultes
ou de remises â
niveau des 16/18 ans, etc.
POUR TOUS RENSEIGNEMENTS S’ADRESSER AU CNDP OU À UN GROUPE LOCAL DE L’AFL. L’AFL diffuse une version sur disquettes 5 pouces (augmentée d’un traitement de texte offrant des possibilités très intéressantes pour la production d’écrits dans les écoles) au prix de 900F TTC (650F pour les adhérents À l’AFL). RENSEIGNEMENTS, COMMANDES, ENVOIS CONTRE UN CHÈQUE À L’ORDRE DE : À.F.L. B.P. 13505 75226 PARIS Cedex O5 |