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Dans sa présentation des actes du colloque de Cerisy sur la réécriture,
Claudette Oriol-Boyer écrit que " tout texte est le résultat
d'une série de transformations, et, en même temps, le point
de départ d'une infinité d'autres. " Pour reprendre la définition
qu'elle cite elle-même :
" Récrire, d'après Littré,
c'est :
1. écrire de nouveau ce qui est écrit.
2. rédiger de nouveau. (Ce morceau n'est
pas bien écrit, il faudra le récrire) ".
"Réécrire a été choisi
plutôt que "récrire" " le signifiant se conformant davantage
à ce qui est signifié ".
Réécrire, c'est copier et améliorer.
" Apparaît en filigrane, la fondamentale duplicité de la réécriture
qui, de la duplication, conduit sans rupture à la complication :
car réinscrire le même ouvre un nouvel espace, oblige à
toutes espèces de métamorphoses minuscules, bref, incite
à mieux rédiger. " C. Oriol-Boyer s'attache plus particulièrement
aux transformations " qui sont mises en oeuvre au cours de la production
d'un texte objet d'art scriptural ", mais l'expérience montre que
la réécriture est au centre de tout apprentissage de l'écriture.
Et si enseigner l'écriture, c'est enseigner
les règles d'amélioration d'un texte, on peut espérer
que le logiciel Genèse, en permettant l'observation, puis la mise
en oeuvre des gestes correcteurs est un outil précieux pour l'enseignant.
L'utilisation de ce logiciel, en donnant accès
au processus d'élaboration des textes d'élève oblige
les enseignants à reconsidérer leurs manières d'intervenir
sur des textes qui se construisent mot après mot sous leurs yeux
et dévoilent une part de leur complexité.
Leur attention ainsi sollicitée se porte
sur le travail d'écriture qui se manifeste par des choix, des redites,
des réécritures. Si " savoir écrire, c'est savoir
changer ce qu'on vient d'écrire " (Ricardou) l'enseignant utilisateur
de Genèse ne peut pas faire l'économie d'une réflexion
sur la réécriture comme moyen d'appropriation de la langue.
I. LA REECRITURE SUR PAPIER :
résistances et difficultés
de la mise en pratique.
Pourtant, ces pratiques de réécriture
ne se sont pas généralisées dans les cours de français.
A quelles résistances se heurtent-elles
? En quoi transforment-elles les pratiques déjà mises en
place et les représentations de l'écrit scolaire qui les
ont générées ?
De façon générale, l'école
ignore les tâtonnements, les erreurs, les impasses, et enseigne des
savoirs qui apparaissent comme des vérités absolues, éternelles
et intangibles parce qu'elle n'en montre jamais les conditions d'émergence.
Ceci se vérifie plus particulièrement
dans les cours de français : souterraine, mais bien présente,
l'idéologie suivant laquelle écrire n'est que le résultat
d'un don rend impossible une véritable didactique de cet art sacré
et secret qui reste l'apanage d'une minorité.
Pourtant de plus en plus d'écrivains acceptent
de discourir sur leurs pratiques ; d'autre part l'étude et la parution
de manuscrits témoignent que la production d'un texte est le résultat
d'un long travail plus que le fruit d'une capacité innée.
Ces "avant-textes" révèlent comment avec de la langue on
finit par fabriquer du texte.
Une tendance à l'intégration d'outils
théoriques (Ricardou, Perec...) renvoie à une conception
de l'écriture comme travail "sur le matériau langage".
Mais si la réécriture permet d'envisager
une véritable didactique de l'écrit, encore faudrait-il analyser
les diverses modalités de réécriture et avoir les
moyens de la théoriser : comment passe-t-on de la correction à
la réécriture ? Existe-t-il des modes d'intervention intermédiaires
? Qui réécrit ? Dans quel but ? Quels moyens donne-t-on à
l'élève de réécrire son propre texte ou celui
d'un pair ? L'enseignant peut-il être considéré comme
un "expert" en réécriture ?
Enfin, si réécrire c'est améliorer,
il n'en reste pas moins vrai que la notion même d'amélioration
serait à interroger. Elle suppose en effet que l'enseignant ait
une idée claire de ce qu'est un "bon texte" vers lequel tendraient
les stratégies de révision. Et s'il ne s'est jamais confronté
lui-même à la pratique de l'écrit, comment éviterait-il
de proposer un modèle de réécriture qui lui serait
imposé non par sa pratique scripturale mais par sa pratique d'enseignant
de Lettres ? Les réécritures produites par différents
enseignants montreront qu'elles s'appuient sur les goûts, les lectures
de chacun, mais surtout sur une conception d'un écrit à l'école.
Comment enseigne-t-on l'écrit aux élèves
? Leur permet-on, à l'école, de construire leur savoir sur
l'écrit ?
L'école fait entrer les enfants dans l'écrit
par un seul volet : la lecture. L'enseignant de Lettres, lui-même,
a été formé à la lecture des textes, à
leur commentaire, et non à leur production. L'art de lire est la
préoccupation dominante. Pourtant, comme nous le verrons, certaines
expériences "d'action-lecture" ont conduit les enseignants à
infléchir leur politique, conscients de ce que la prise de risques
de l'entrée par l'écriture rend les élèves
plus actifs dans la constructions de leurs propres savoirs. Ecrire un texte,
le travailler comme un objet, permet la lecture distanciée d'autres
textes. Mais la question de l'apprentissage se pose ici d'une manière
particulière puisque l'objet à connaître est aussi
un objet pour connaître. Il est vrai aussi que l'école privilégie
l'écrit comme moyen de communication et donne peu de place à
une réflexion sur sa spécificité comme outil de pensée.
Apprentissage de l'écrit du côté
de l'élève.
Il semblerait que les élèves soient
plus souvent enseignés qu'apprenants et que "l'expression écrite"
leur apparaisse comme un donné, et non comme un "construit en réponse
à des questions".
Ceux qui "réussissent" en français
sont ceux qui ont su se plier à ce que l'école attendait
d'eux. Ils produisent sans souffrance un texte correct du point de vue
de l'orthographe et de la syntaxe, un texte enfin qui ne bouleverse pas
les attentes du lecteur correcteur. Et c'est ce produit-là qui sera
présenté comme référence, but à atteindre,
à ceux qui ont quelques difficultés à se soumettre
aux normes.
Si on se réfère aux données
recueillies par la recherche Articulation Ecole-Collège citées
par H. Romian (Apprendre/enseigner à produire des textes écrits),
" le travail en classe porte sur ce qui inspire ou organise la rédaction,
pas sur ce qui en fait un exercice d'écriture ". Le travail de préparation
de la rédaction le plus courant est la mise au point des plans,
la recherche collective des idées et le travail sur les champs lexicaux
qui doivent traverser le texte. Enseigner le français au collège
doit permettre de résoudre ne priorité des problèmes
de "correction de la langue" même si les critères les plus
importants pour une bonne rédaction sont " la cohérence des
idées et dans une moindre mesure, le respect du sujet. "
La correction portera donc sur tout ce qui écarte
le texte d'un modèle d'écrit proche du "français standard
normalisé". Le scripteur de ce texte-là ne connaîtra
ni les affres de la création, ni ses joies ! Mais aura-t-il appris
à écrire, celui qui s'est contenté d'organiser - dans
un ordre pré-"établi" - les séquences narratives ou
les arguments qu'on avait programmés pour lui ? Et quel est ce texte
qui, loin d'ébranler les attentes de son lecteur, s'applique au
contraire à s'y conformer au plus près en gommant les effets
de surprise et en s'interdisant tout interstice où le lecteur pourrait
se glisser !
La rédaction ou l'expression écrite
- mais qu'a-t-on changé à travers ce changement de dénomination
? - ne permet pas aux élèves de faire l'expérience
de l'écriture. Tout au plus auront-ils appris les règles
d'un rituel en usage uniquement dans la communauté scolaire.
Du côté de l'enseignant.
L'enseignant de son côté obéit
aux règles tacites : il lit rarement les productions de ses élèves
comme il a appris à lire d'autres textes. Devant son paquet de copies,
le correcteur n'éprouve pas souvent cette jouissance du "bruissement
de la langue" dont parle Barthes ! Il peste contre les poncifs égrainés
dans les devoirs ; il s'ennuie et accumule les "plat", "lourd" ou "mal
dit" dans la marge... loin de considérer ce produit comme une force
nouant une écriture-lecture, " force activée par son entrée
en jeu ", il reste en-deça d'une position de lecteur expert, et
ne parvient qu'à émettre des suggestions de corrections superficielles.
Mais - c'est bien le paradoxe - l'école
ne génère-t-elle pas elle-même ce dont elle se plaint
?
2. TENTATIVES DE REECRITURE
avant l'utilisation du logiciel Genèse
Quelles vont être les conséquences
d'une pratique de réécriture sur l'enseignant et sur sa représentation
du texte scolaire ?
S'il introduit la pratique de réécriture,
l'enseignant, de correcteur deviendra lecteur. Chercher dans le texte des
pistes de réécriture exige de se placer dans une position
de lecture distanciée. Le regard porté sur les productions
des élèves s'en trouvera changé. En retour, ces productions
évolueront puisqu'elles seront considérées comme des
textes destinés à être lus et non plus comme des devoirs
destinés à être corrigés. Dans ce mouvement
de va-et-vient pourrait être envisagée une didactique de l'écrit.
De la norme linguistique on passerait à une autre représentation
de l'écrit.
Soit un élève de 6ème. Il
s'agissait d'un article destiné à être publié
dans le journal du collège. Il a été distribué
à un groupe d'enseignants de français en formation.
Dans un premier temps, on a demandé aux
enseignants de corriger ce texte comme ils le font pour les textes de leurs
propres élèves.
DOC.1A. Les observations portent sur " l'expression
des sentiments et des impressions " de l'élève, mais rien
n'est dit de ce que le lecteur en a compris. Les mots de conclusion " Le
collège, c'est bien ! " ont été entourés et
annotés. "Mot vide de sens" note le professeur. S'agit-il là
d'un encouragement à trouver un synonyme moins rebattu ou bien a-t-il
pointé - à son insu ? - la contradiction qui faisait que,
derrière ce discours explicite ("le collège, c'est bien !")
tout le texte laissait entendre implicitement le contraire ?
L'élève lui-même a-t-il été
conscient de ce qu'il donnait à voir derrière son argumentation
si "bien menée" ?
" Il faudrait retravailler le plan " conseille
le professeur. Si l'élève retravaille son texte en réorganisant
ses phrases, il aura répondu à ce qu'on attend de lui ; une
description du collège en introduction, puis une discussion. Il
connaît probablement ce plan canonique qui répond au sujet
: Décrivez et donnez vos impressions... Son texte perdra alors ce
balancement qui lui était propre, et l'élève, qu'aura-t-il
gagné ?
DOC.1B. : La décomposition de la note en
quatre critères d'appréciation participe d'une volonté
d'échapper au flou qui caractérise l'évaluation d'une
copie de français. Mais la mise au point d'une fiche de critères,
même si elle est élaborée avec les élèves
et renouvelée pour chaque devoir, élimine de fait la spécificité
de l'écrit, le débordement du projet initial.
Dans la correction citée ici, les critères
eux-mêmes sont à la fois trop vagues et paralysants. Les présupposés
dont ils témoignent obstruent toute possibilité de prise
en compte du texte. Le fonctionnement bien particulier du texte, son côté
"décousu" justement, est évalué ici à l'aune
d'une composition modèle conçue en dehors de toute mise en
mots.
Dans un deuxième temps, il a été
demandé à d'autres professeurs d'analyser ce même texte
d'élève dans l'optique de réécritures possibles.
Le fait d'avoir à proposer des possibilités
de réécritures a incité les enseignants à faire
de la production de l'élève une lecture analytique et à
reconsidérer à la fois leur propre statut et celui du texte.
De correcteurs, ils sont devenue lecteurs d'un texte porteur de multiples
possibles.
DOC.1C : Ce qui était apparu comme effet
d'une maladresse et d'une méconnaissance des règles de composition
est cette fois reconnu comme "signant" le texte. L'enseignant est entré
dans la logique de l'élève et c'est de ce lieu qu'il élabore
une stratégie de remédiation. Jean Bellemin-Noël, dans
Interlignes. Essais de Textanalyse (Ed. Presses Univers. de Lille) attire
notre attention sur le fait que " les mots ont tendance à faire
écran. Seule la syntaxe ne ment pas (...) Au lecteur d'entendre
derrière la manoeuvre de séduction d'un texte ce qu'il "déparle"
en l'écrivant ailleurs. "
Naturellement il n'est pas question de demander
aux enseignants de faire ce que Bellemin-Noël appelle de la "textanalyse".
Avoir l'oeil en éveil suffit pour traquer ce qui transparaît
d'une autre structure possible derrière le bel ordonnancement argumentatif
du texte d'élève présenté ici. Alors que dans
la première partie le "nous" était sujet ("nous étions",
"nous avons", "nous savons"...), "nous" devient objet dans la deuxième
partie du texte, et c'est le collège, "ses fenêtres", "ses
carrelages", "ses couloirs" qui devient sujet. Si, guidé par l'enseignant,
l'élève relit son texte, conscient de cette disparition,
il comprendra que l'utilisation ou non d'un pronom personnel donne du sens
à son texte et lui permet même d'aller plus loin dans sa réflexion.
Sur un mode ludique, d'autres professeurs ont
proposé des réécritures possibles en s'inspirant de
titres de films faisant autant que possible référence à
la culture des élèves :
- A la recherche du "nous" perdu
- J'ai rétréci les gosses
- Le grand Bleu
- Y a-t-il un pilote dans l'avion ?
- Sauvés par le gong
- La piscine
- Un monde fou, fou, fou
Chaque titre, chaque réécriture
possible, a été motivé par ce qui était en
germe dans le texte devenu pré-texte. Plusieurs élèves
pourraient travailler à la rédaction de ces articles qui,
chacun à sa manière, exploiterait un aspect du texte. Certaines
de ces pistes seraient peut-être des impasses, mais qu'importe, si
d'autres permettaient d'avancer encore plus loin dans la maîtrise
de la langue et dans la connaissance de soi et du monde, puisque, n'ayons
pas peur des mots, c'est aussi de cela qu'il s'agit !
L'enseignant ne se contenterait pas d'imposer
un titre à chaque réécriture. Il proposerait pour
chaque réécriture un travail de recherche ou apporterait
son aide dans l'élaboration des reprises thématiques ou des
reprises de structures : Emploi métaphorique de "nager" ou de "poissons
dans l'eau" ; exemples volontairement absurdes d'articulations cause/conséquence
induites par le texte lui-même (" Nous avons grandi donc nous sommes
plus petits... comme le collège est très grand, on se bouscule
dans les couloirs étroits... ").
Le choix des enseignants a été dicté
par la volonté d'obtenir des textes qui retiennent l'attention des
lecteurs potentiels en leur dévoilant des aspects surprenants de
cette rentrée en sixième, chaque année recommencée,
chaque année différente.
La pratique de la lecture en vue d'une réécriture
conduit donc l'enseignant à repenser son rapport au texte. Dans
cet acte, il accepte de reconstruire ses attentes. Cela lui permet de mettre
en question ses présupposés et de faire apparaître
la complexité de ce qui lui paraissait univoque et simple, voire
simpliste. Les propositions de réécriture renforcent les
réseaux qui sont en germe dans le texte. C'est sur ce texte, objet
d'un fonctionnement interne qu'il travaille et non plus sur ce que le scripteur
a voulu dire ou aurait dû vouloir dire. Cette recherche exige qu'il
soit particulièrement attentif au matériau signifiant alors
que des lectures du sens négligent ce matériau langagier
au profit de l'"idée" bien ou maladroitement exprimée.
Dans l'exemple que nous venons de développer,
aucun professeur n'a proposé sa propre réécriture.
On se heurte là à une très forte résistance
de la part des professeurs de Lettres qui imaginent rarement devoir faire
ce qu'ils enseignent à faire !
Il semble, en revanche, que l'entrée dans
la pratique de la réécriture par la lecture est mieux tolérée
par les enseignants parce qu'elle leur permet de renouer avec les pratiques
de lecture analytique auxquelles ils ont été formés.
Différentes conceptions de la réécriture
par l'enseignant/formateur.
Il existe pourtant des lieux où les adultes
se livrent eux aussi à une activité d'écriture. Mais
cette activité scripturale a donné lieu à des interventions
divergentes sur les textes d'élèves.
A)
Il y a huit ans par exemple, une conception de
la réécriture a été mise en oeuvre dans les
Classes-Lecture de Bessèges. La pratique de la réécriture
s'était imposée contre l'idée à la fois vague
et répandue selon laquelle le texte écrit par l'enfant étant
l'expression de sa subjectivité, il est interdit d'y toucher au
risque de violer son intimité. Pourtant, en acceptant de publier
dans un journal scolaire le moindre bredouillement on ne permet pas à
son auteur de progresser ; on lui laisse croire que ce qu'il a produit
peut être lu par d'autres. On ne lui donne pas les moyens de se désengluer
de la relation fusionnelle et paralysante qu'il entretient avec sa production
et qui l'empêche d'accéder à un véritable travail
d'écriture.
Pour contrevenir cet état de fait, dans
les Classes-Lecture, les formateurs ont retravaillé à la
mise au point d'une pratique de réécriture permettant un
travail de théorisation et de systématisation.
Jean Foucambert l'a présentée dans
les Actes de Lecture nø24 : " Les adultes responsables du journal
prennent le texte en l'état où il se trouve et le travaillent
pour lui donner le maximum d'efficacité sans trahir l'intention
qu'ils perçoivent que l'enfant a choisie ni les moyens qu'il a utilisés.
Ce qui paraît, le lendemain, magnifié par une mise en page
professionnelle, c'est bien le produit d'un groupe de compétences
hétérogènes. Un travail systématique est alors
entrepris pour comparer, entre les auteurs, l'état 1 et l'état
2 : les techniques se justifient quand l'enfant analyse le décalage
entre l'endroit où il s'est arrêté et le chemin que
l'adulte a encore parcouru. C'est dans cet espace que se trouve le sens
des savoirs nouveaux à acquérir. "
Beaucoup d'enseignants ont eu des difficultés
à accepter cette conception de la réécriture, et ceux-là
même qui étaient conscients des enjeux mis en oeuvre ont exprimé
quelques réticences.
Si le processus d'écriture engendre la
réflexion, l'objet produit est porteur de projets différents
de celui qui l'a engendré. En réécrivant un "état
1" 'et non un texte en devenir) l'enseignant est amené à
modifier ce produit pour le faire entrer coûte que coûte dans
ce qu'il imagine être le projet initial de l'élève
afin de produire à son tour un "état 2".
Cet "état 2" publié dans le journal
quotidien n'admet pas de modification et l'auteur ne peut rien y changer,
il se trouve devant le fait accompli : voilà comment son texte a
été compris et réécrit. A lui de chercher,
dans le texte primitif, ce qui a induit la réécriture. Outre
que le texte réécrit n'a plus le même auteur - confusion
accentuée par le fait qu'il est toujours co-signé (Laëtitia,
réécrit par Nadine) - ces états 2 ont quelque chose
des "corrigés-type" dont on connaît l'inefficacité
sur le plan pédagogique. Celui qui réécrit est confronté
à un paradoxe : parce qu'il ne " veut pas trahir l'intention qu'il
perçoit que l'enfant a choisie ", il s'interdit toute dérive,
résiste aux sollicitations des signifiants et produit un texte anodin
à ses yeux, qu'il se refuse d'ailleursÿà assumer totalement
; d'autre part, on n'emploie pas indifféremment tel ou tel mot,
chacun est porteur de ce que Michel Chaillou appelle "la mémoire
de la langue" ; réécrire pour écrire mieux, c'est
écrire autre chose.
Certes cette confrontation auteur-état
2 revendiquée par les formateurs des Classes-Lecture permet à
l'élève de mesurer l'écart entre ce qu'il voulait
faire et ce qu'il a fait (ou peut-être davantage entre ce qu'on a
cru qu'il voulait faire et ce qu'il a fait ?). Mais cette stratégie
ne résout pas la difficulté manifestée par le scripteur
à se décentrer de sa propre production pour l'évaluer
afin de la modifier. Les séances de lecture du journal le matin
ont pu montrer combien les enfants se désengageaient de ces textes
dont ils étaient co-signataires, mais qu'ils n'avaient pas écrits,
ni réécrits ! En revanche, étaient exacerbés
leur sentiment d'avoir été trahis et leur repli sur leurs
textes (état 1 ou non, c'était le leur !) Pourtant, les conditions
de production (journal - discussion...) favorisaient naturellement l'accès
à l'écrit. Les enfants qui se livraient par ailleurs à
une réflexion sur leurs propres stratégies de lecteurs et
sur les enjeux de l'écrit avaient la possibilité de s'emparer
à leur tour de la plume pour écrire des textes qui fonctionnaient
vraiment pour des lecteurs. Mais l'activité réflexive menée
ne les conduisait pas à s'approprier des stratégies de scripteurs
et les discussions houleuses qui opposaient les animateurs aux enfants
- et quelquefois à leurs instituteurs - n'ont pas permis de faire
avancer la problématique de la réécriture.
B)
Non loin de là, au Collège Armand
Coussens, à Saint-Ambroix, une équipe expérimentait
une politique globale de lecture largement influencée par les thèses
de l'AFL et par le travail mené dans les Classes-Lecture. La publication
d'un journal quotidien avait conduit les enseignants à s'interroger
sur la réécriture, persuadée qu'ils étaient
eux aussi de ne devoir publier les textes d'élèves que s'ils
satisfaisaient à certaines exigences. Mais la pratique est différente
qui fait participer l'enfant à la réécriture. Il faut
y voir la volonté de montrer à l'élève que
ce qu'il présente comme un article "fini" n'est qu'une étape
qui demandera à être longtemps travaillée pour devenir
du texte. Le fait de réécrire avec l'enfant - mais quelquefois
aussi, devant lui - permet un échange qui s'enrichit des idées
et des formulations de l'un comme de l'autre. Les enfants se montrent timorés
: ils s'arrêtent à leurs premières idées alors
que l'écriture est un outil pour en faire émerger d'autres.
Lorsque les enseignants de Saint-Ambroix réécrivent avec
les élèves, ils les interrogent, essaient de faire avancer
leur réflexion en se servant de certains éléments
du texte comme d'un ferment. Sans ce travail, les élèves
se censurent eux-mêmes et, par crainte ou laisser-aller, sont tentés
de n'exprimer que des banalités. Mais si, comme ce fut aussi le
cas à Saint-Ambroix, la réécriture est le fait de
l'enseignant cautionnée en quelque sorte par la présence
de l'élève, elle a un statut ambiguë. Il est rare que
le texte publié se présente clairement comme une réécriture
par l'enseignant (ce qui correspondrait à l'état 2 de Bessèges)
et le travail conduit avec les élèves, s'il permet un approfondissement
de la réflexion, ne les amène pas à creuser l'écriture
elle-même.
3. La pratique de la réécriture
après l'introduction du logiciel
Genèse.
Les présupposés théoriques issus
de la Critique Génétique qui mettent l'accent sur la notion
d'inachèvement et l'utilisation du logiciel Genèse qui montre
le déroulement, la dynamique du texte en acte pourraient permettre
d'avancer dans le questionnement autour de la réécriture.
L'émergence des possibles et leur utilisation conduit à ne
plus considérer le texte comme un état, mais comme une étape.
Ce changement de statut du texte pose autrement le problème de la
réécriture. La réflexion menée autour de Genèse,
la prise en compte des théories de l'écriture, de la génétique
des textes et de l'apprentissage permet d'envisager un apprentissage de
l'écrit davantage centré sur le cheminement de l'élève,
ses errances et ses erreurs dans son propre texte.
Cependant l'utilisation de ce nouvel outil est
différent suivant la structure pédagogique dans laquelle
il s'inscrit. S'agit-il de faire un projet pour écrire ou s'agit-il
d'écrire pour le projet ? Suivant les finalités de l'écrit,
les réécritures induites et l'intervention de l'enseignement
seront différentes.
A)
Dans une classe de sixième, à partir
du logiciel Genèse, une séquence pédagogique a été
construite, dont les objectifs étaient de développer l'activité
réflexive par la confrontation et de rendre nécessaire la
relecture et la réécriture des textes. - Les élèves
ayant étudié un extrait de Poil de Carotte, il leur avait
été demandé de faire le portrait d'Honorine, la bonne.
- Le professeur avait, au préalable, proposé à la
classe l'étude des procédés employés par trois
auteurs pour faire le portrait d'un personnage. - Les élèves
écrivent un premier jet.
- Relecture individuelle avec grille de consignes
formelles : images, utilisation du présent...
- Réécriture du premier texte après
discussion. - Aide technique : lecture et analyse d'un texte de J. Renard
Histoires naturelles : les portraits caricaturaux d'animaux (étude
de procédés de style : métaphores...)
On reconnaît là cet enchaînement
d'opérations que Claudine Oriol-Boyer a schématisé
par une spirale et dont elle dit qu'il " s'accomplit depuis l'art du rapt
jusqu'à celui de la rature. "
Toutefois, la grille de consignes, même
si elle n'est donnée qu'après le premier jet, présente
les mêmes limites qu'une fiche de critères. Elle ne prend
pas en compte la spécificité de chaque texte. Les textes
de la "bibliothèque" choisis au préalable par le professeur,
n'étant pas convoqués par des règles de fonctionnement
latentes dans chaque texte mais plutôt par sa propre représentation
d'un portrait bien écrit, s'ils fonctionnent comme "réservoirs"
de la réécriture risquent bien d'en noyer les effets.
Portrait d'Honorine. 1er jet - 11 janvier
Honorine est assez vieille, simple.
elle n'est pas méchante, son visage est plein de trous. ne parlont
pas de son nez. et aussi de sa bouche. Elle est petite.Ces molais ne sont
pas gros.on se demande si ele a déjà fait du sport. honorile
a de très beaux yeux plissés un regare claire. quand elle
vous regarde on voit la lumière qui reflète,comme quand vous
vous regarder dans l'eau.Honorine est toujours habiller avec un tablier
bleu.et des grosses lunettes rondes blanches et noire, ces cheveux blonds
tombent sur son visage on ne voit plus ces yeux.Ces bras sont tous petits.
- Le travail se poursuit par groupes de 3 élèves
qui analysent la genèse du texte d'un de leur pair. Les élèves
relèvent les 4 opérations effectuées par l'auteur
lors de sa réécriture. - Ils parlent des améliorations
portées ou non au portrait.
Chaque groupe propose une réécriture
de ce même texte.
L'auteur reprend également le sien en
tenant compte des remarques.
Portrait d'Honorine. Texte final
Honorine est assez vieille, simple,
elle n'est pas mechante, son visage est plein de trous,ne parlont pas de
son nez et aussi de sa bouche. Elle est petite. Honorine a de très
beaux yeux plissés, un regare claire, quand elle vous regarde on
voit la lumière qui reflète, comme quand vous vous regarder
dans l'eau.
Honorine est toujours habiller avec un tablier
bleu, et des grosses lunettes rondes, blanches et noire. Ces cheveux blonds
tombent sur son visage on nevoit plus ces yeux. Ces bras sont tous petits,
elle adore courire dans les bois le Dimanche matin et l'après-midi.
Les enfans sont son passe temps favorie, parce que Honorine adore aussi
les enfants qui jouent dans le parc. Cédric 6ème 4
Ce travail permet aux élèves de prendre
conscience des gestes de remédiation d'un texte et de leur pertinence.
Mais il ne semble pas que l'utilisation du logiciel Genèse ait apporté
davantage que ne le feraient des brouillons sur papier. Là encore
le travail d'observation se fait sur des états du texte et non sur
une dynamique. Rien n'est analysé des attentes, des impasses abandonnées.
La lecture, canalisée par les représentations "littéraires"
induites par les textes de référence, rabote toute possibilité
de dérive, et ne permet à la réécriture aucun
dépassement du projet initial qui en ferait un texte.
Texte réécrit pas l'enseignant.
Honorine est une assez vieille servante.
Ses cheveux encore un peu blonds commencent à blanchir et son visage
parcouru de rides lui donne l'air d'une petire pomme reinette fripée.
Quant à ses lèvres minces, elles s'étirent en un doux
sourire. Ses yeux bleus reflètent aussi la bonté et la douceur.
D'ailleurs, elle est simple et pas méchante pour un sou. Son regard
est clair et quand elle vous regarde, on croit voir une lumière
comme dans une mer calme.
Honorine porte toujours un tablier bleu sur
sa robe sombre. Elle aime l'égayer d'un peit col en dentelle. Elle
n'est pas vraiment coquette, mais toujours soignée.
Le dimanche après-midi, elle va marcher
dans les bois, lorsque Madame Lepic lui accorde quelques heures de repos.
Elle aime aussi par dessus tout les enfants car elle souffre encore de
n'en avoir jamais eu.
Honorine est une brave femme.
La réécriture proposée par l'enseignant
va dans le même sens, qui fait rentrer le texte de l'élève
dans une écriture canonique. Les petites phrases courtes qui signaient
le texte de Cédric ont été amplifiées, "balzacisées"
par l'adulte. Comme pour les "états 2" des Classes-Lecture, nous
nous retrouvons devant un produit qui semble généré
par la situation pédagogique : cette écriture n'est plus
celle de l'élève, mais n'est pas davantage celle de l'enseignante
qui a signé le texte ; c'est l'écriture modélisée
d'un professeur de français !
Les pratiques ont pourtant évolué
puisque ce texte d'enseignant ne se présente plus comme un état
final unique auquel les élèves devraient être confrontés.
Il sera proposé à l'auteur du texte de départ au même
titre (?) que les autres réécritures produites parallèlement
par ses camarades. Et la réécriture se poursuivra, intégrant
ce qui peut l'être des différents textes proposés.
Il n'en demeure pas moins que, comme dans les
"états 2" des Classes-Lecture, on chercherait en vain l'émergence
d'un sujet dans le texte de l'adulte. Mais pourquoi l'adulte s'impliquerait-il
dans une activité d'écriture qui a sa fin en elle-même
? A quoi sert-il d'écrire dans ce contexte ?
B)
La conception de la réécriture sera
différence si l'écrit est rendu nécessaire, s'il est
finalisé par un projet qui lui donne de véritables enjeux.
Le texte était destiné au journal
quotidien du collège lu et discuté tous les matins par l'ensemble
des classes de sixième. Il s'agissait ici de faire découvrir
un roman de Roald Dahl, mais aussi d'induire des discussions sur lesquelles
auraient pu "rebondir" d'autres écrits.
James et la grosse pêche.
C'est un livre de Roald Dahl, de la
collection Folio Junior Edition Spéciale. Il y est question d'un
petit garçon, James Henry Trotter, qui se retrouve dans les mains
de ses deux méchantes tantes Piquettes et Eponge, car ses parents
sont mangés par deux énormes rhinocéros. Ce garçon
habite dans une petite villa sur une colline au bord de la mer. Il est
très triste parce que ses tantes ne veulent pas l'emmener sur la
plage. Un jour, un magicien lui donne un sac plein de minuscules bestioles
vertes. Il lui dit que s'il les mettait dans l'eau et qu'il les buvait
il découvrirait le bonheur. Mais il s'entrave a une racine et fait
tomber toutes les petites choses qui s'infiltrent dans le sol. Tante Piquette
s'aperçoit qu'une pêche vient de pousser à la cime
du pêcher qui n'avait jamais donné une seule pêche.
Elle grossit à vue d'oeil ! Elle se dit qu'ils feraient fortune
en la faisant voir à tout le pays. Ce livre est très original
parce que les personnages sont des animaux. Il est très simple à
lire et pleins d'aventures extraordinaires : James, le jeune garçon,
qui est si seul et malheureux au début du livre, retrouve la joie
de vivre grâce à la fantaisie de ces "bestioles vertes" qu'a
données le magicien. A la fin du livre, il y a des tests, des questions
et des jeux. Camus Noëlle 6.1
Dans son texte, l'élève est au plus
près de ce qu'elle se représente d'une bonne "présentation"
de livre. Elle ne mobilise pas ses connaissances de lecteur et ne convoque
pas celles de ses camarades.
James et la grosse pêche.
C'est un livre de Roald Dahl, de la
collection Folio Junior Edition Spéciale. Ca parle d'un petit garçon,
James Henry Trotter, qui se retrouve dans les mains de ses deux méchantes
tantes Piquettes et Eponge, car ses parents sont mangés par deux
énormes rhinocéros. Il habite dans une petite villa sur une
colline au bord de la mer. Il est très triste parce que ses tantes
ne veulent pas l'emmener sur la plage. Un jour, un magicien lui donne un
sac plein de minuscules bestioles vertes. Il lui dit que s'il les mettait
dans l'eau et qu'il les buvait, il decouvrirait le bonheur. mais il s'entrave
à une racine et fait tomber toutes les petites choses qui s'infiltrent
dans le sol. Tante Piquette s'apercoit qu'une pêche vient de pousser
à la cime du pêcher qui n'avait jamais donné une seule
pêche. Elle grossit à vue d'oeil ! Elles se sont dit qu'elles
feraient fortune en la faisant voir par tout le pays. Ce livre est très
original parce que les personnages sont des animaux. Il est très
simple à lire et plein d'aventures extraordinaires : James, le jeune
garçon, qui est si seul et malheureux au début du livre,
retrouve la joie de vivre grâce à la fantaisie de ces "bestioles
vertes" qu'a données le magicien. A la fin du livre, il y a des
tests, des questions et des jeux. Camus Noëlle 61
La première réécriture d'adulte
accentue cette distance du texte avec le scripteur comme avec son lecteur.
Il s'agit d'une correction qui témoigne surtout d'un souci de lisibilité
et de "normalisation". Mais le statut de ce texte est ambigu, qui se présente
comme réécriture et qui, de ce fait, s'interdit de poursuivre
un "toilettage" trop méticuleux. Ainsi peut se justifier, parallèlement
au remplacement de "ça parle" par "Il est question", le maintien
de "il s'entrave" qui appartient au vocabulaire d'une élève
de sixième vivant dans le Midi de la France !
De même le remplacement de "Elles se sont
dit" par "Elle se dit" vise la cohésion textuelle, mais la lecture/écriture
du texte de l'élève n'ayant pas été gérée
dans sa globalité, le remplacement du pronom substitut est ici inopportun.
Ce produit, qui n'est plus le texte de l'élève,
qui n'est pas non plus le texte d'un adulte expert, révèle
par son ambiguïté même, le fonctionnement équivoque
de certaines réécritures, lorsqu'elle ne s'inscrivent pas
dans un projet.
James et la grosse pêche.
Roald Dahl, vous le connaissez et vous
aimez ses livres. Peut-être parce dans ses histoires tendres et farfelues,
les enfants les plus faibles et les plus petits peuvent enfin prendre leur
revanche sur les adultes impitoyables autant que méprisables. Nous
avons déjà parlé de Mathilda, de Charlie, voici aujourd'hui
James. James et la grosse pêche. Ca parle d'un petit garçon,
James Henry Trotter, qui, devenu orphelin, se voit contraint de vivre avec
ses deux méchantes tantes Piquettes et Eponge. Il habite dans une
petite villa sur une colline au bord de la mer. Mais, de la mer, il ne
peut en profiter, ses tantes lui interdisent de sortir du jardin. Alors,
prisonnier et malheureux il rêve à d'autres horizons. Un jour,
un magicien lui donne un sac plein de minuscules bestioles vertes. "Si
tu les mets dans l'eau et que tu bois ce breuvage magique, tu découvriras
le bonheur." Malheureusement le pauvre James trébuche et laisse
tomber les petites choses qui s'infiltrent dans le sol. James ne connaîtra-t-il
donc jamais le bonheur ? Allons, dans les romans de Roald Dahl on n'abandonne
pas les pauvres enfants orphelins !... Et cette pêche, que Tante
Piquette aperçoit à la cime du pêcher jusqu'à
ce jour stérile, va permettre à James de vivre enfin l'amitié,
la fantaisie, et de merveilleuses aventures. Ce livre est très original
parce que les personnages sont des animaux. Et des animaux qu'on n'a pas
l'habitude de rencontrer dans les contes : une chenille, un puceron, toute
une population qui vit dans la pêche où James lui-même
a trouvé asile. Il est très simple à lire et plein
d'aventures extraordinaires. Alors, laissez-vous glisser à l'intérieur
de la grosse pêche vous aussi ! A la fin du livre, il y a des tests,
des questions et des jeux que vous pourrez trouver amusants. Camus Noëlle
aidée de son professeur.
La réécriture est celle qui a
été proposée par un professeur impliqué dans
le projet de Lecture/Ecriture. Même si la structure du texte d'élève
est respectée, ont été réinjectés tous
les éléments qui le transforment en texte incitatif.
Les traces d'énonciation ("vous le connaissez",
"nous avons déjà parlé", "laissez-vous glisser"...)
renvoient à une situation commune et impliquent à la fois
le scripteur et les lecteurs, les phrases segmentées, les mises
en relief, le renforcement de certains réseaux sémantiques
provoquent les lecteurs.
La réécriture a ici une fonction
dans un projet de Lecture/Ecriture ; par son intervention, l'enseignant
révèle sa volonté de renvoyer les élèves
(lecteurs ou scripteurs) à leurs lectures, il les convoque dans
un réseau de communication sociale qui donnera du sens à
leurs propres écrits.
Mais l'enseignant, dans sa volonté de se
battre contre des textes neutres, et lui-même étant fortement
engagé dans un projet d'écriture, peut aussi prendre un tel
plaisir d'écrire qu'il en oubliera l'élève. Le texte
qu'il produit, s'il flatte son narcissisme, dans la mesure où il
excède largement les capacités d'un apprenti lecteur/scripteur,
renforcera le préjugé selon lequel décidément
écrire, c'est l'affaire des experts !
Entre la prise de pouvoir encombrante et paralysante
du sujet ou son éviction totale, y a-t-il dans la pratique de réécriture
des modalités qui permettraient à l'élève d'être
au centre d'un dispositif l'apprentissage ?
4. Apports du logiciel Genèse dans
une exploitation positive de "l'erreur".
Car, enfin, du côté des élèves,
comment "s'y apprennent-ils" ?
Comment un apprenti-scripteur s'y prend-il pour
s'apprendre à écrire ? Les seules traces perceptibles d'une
construction d'un savoir écrire sont à chercher dans ce que
l'enseignant considère comme des maladresses ou des erreurs. La
rature manifeste la capacité de l'élève à percevoir
une erreur et son désir d'améliorer son texte. C'est donc
à partir des brouillons que peut s'élaborer une didactique
de l'écrit.
A quelles difficultés se heurte-t-on dans
l'utilisation des brouillons de papier pour l'aide à la réécriture
? Quels sont les apports du logiciel Genèse ?
Les évaluations en 6ème établissement
que les élèves n'éprouvent pas le besoin de faire
un brouillon. Ils se contentent de recopier une transcription de l'oral
qu'ils ont jetée sur le papier. La représentation que l'élève
se fait d'un "bon" écrit le conduit à soigner la graphie,
à corriger la ponctuation et l'orthographe ; l'essentiel étant
"la présentation". Ils ont rarement eu l'occasion de voir des manuscrits
d'experts, les textes qu'ils ont eu sous les yeux se présentent
à eux comme des produits finis auxquels on ne peut rien ajouter,
rien retrancher. Les enseignants, par souci de clarté, ne raturent
pas lorsqu'ils écrivent au tableau et, par souci de rentabilité,
prennent rarement le risque d'écrire aux côtés de leurs
élèves. Ceux-ci ont donc le même souci de clarté
apparente et sacrifient le foisonnement de leur pensée à
cette exigence qu'ils croient être celle du maître, et qui,
nous l'avons vu, est celle de l'écrit "scolaire".
De plus, en collège, les élèves
ont du mal à gérer l'espace de la page, ne dominent pas leur
graphie, ils écrivent lentement et il leur en coûte trop de
raturer puis de reprendre un texte qu'ils ont mis du temps à copier.
Claudine Fabre, dans les Brouillons d'écoliers, note que les opérations
de correction les plus usitées sont d'abord les remplacements (qui
permettent de marquer des interrogations portant sur l'orthographe et contribuent
faiblement à la mise en discours), les ajouts, les suppressions.
Plus rares sont les déplacements. En effet, " si les trois autres
opérations sont incidentes à un seul point du discours, quelle
que soit l'extension de ce point, le déplacement se caractérise
par le survol d'étendues syntaxiques et discursives plus larges.
" Ce survol n'est possible que si le scripteur parvient à sortir
de sa position énonciative première pour devenir lecteur
de son propre texte. Déplacement d'autant plus difficile que l'élève
n'est pas un lecteur expert : en se relisant, il craint de perdre du temps
et le fil de sa pensée. L'élève, habitué à
faire propre, ne se risque que rarement à ces déplacements
qui brouillent sa feuille en l'entachant de flèches ou de signes
parasites. Toute son énergie est mobilisée par des corrections
de proximité. Les ratures consenties par l'élève ne
remettent pas en cause l'ensemble du texte. Selon Claudine Fabre " l'âge
des écoliers nous engage à donner de l'importance aux modifications
dites formelles sur des graphèmes ou des signaux de ponctuation
comme indices potentiels de réflexion et comme marques de l'entrée
dans le domaine du signifiant graphique. "
Sans nier que des continuités peuvent exister
entre les modifications "superficielles" et celles qui ne le sont pas,
un travail régulier avec le logiciel Genèse nous a conduit
à noter que l'utilisation du traitement de texte facilitait certaines
opérations de correction sur des segments de texte plus longs. La
fonction "couper-coller" permet de dupliquer, de déplacer, d'insérer
des portions de textes sans nécessiter de douloureuses et laborieuses
copies. Les élèves, séduits par la facilité
de manipulation, osent ces opérations qui deviennent moins rares.
Lors du déroulement de la genèse,
s'il porte son attention sur ce type de corrections en les justifiant,
le scripteur prend conscience de la nécessaire gestion des relatifs
entre les phrases ou les paragraphes. L'étude de plusieurs genèses
d'un même élève témoigne d'une évolution
qui va vers une plus grande sensibilité à la cohérence
de l'ensemble du texte.
D'autre part, depuis trois ans l'introduction
de Genèse sur certains sites a fait progresser les pratiques vers
une plus grande autonomie de l'élève. En effet, la même
tâche proposée à un groupe d'élèves peut
correspondre, pour chacun d'eux, à des activités très
différentes, en fonction des problèmes qu'ils rencontrent.
Enfin, seul ce logiciel permet de réécrire
un texte à partir des hypothèses abandonnées par un
scripteur. Cette pratique de réécriture se révèle
très féconde : en dévoilant ce qui est forclos, elle
permet une mise à distance du texte, donc une plus grande maîtrise
de la lecture/écriture.
Propositions de réécritures à
partir d'une lecture de la Genèse. Hadrien Ouhmani, élève
de CM2, écrit à la demande du maître, un article de
journal pour présenter une émission de télévision
sur l'illettrisme visionnée en classe. (Cf. Place d'une série
de séquences de Genèse dans une activité d'écriture
au CM2. Gilbert Saby. A.L. nø45, mars 93, p.112).
L'observation des pistes abandonnées permet
de s'interroger sur le lecteur supposé de ce texte. Deux arguments
sont inversés dès le début de l'écriture. "
Cette émission permettait de s'exprimer " prend la place de " les
personnes interrogées devaient se sentir énormément
gênées. " Cette inversion des arguments donne une plus grande
importance au deuxième argument ; ce choix semble avoir traversé
tout le texte dont le lecteur, qui n'est pas pris en compte au début,
paraît faire l'objet d'une leçon de morale. La suppression
de "aidez-les" et son remplacement par "Dites-vous" va dans le même
sens. De l'Agir on passe au Discours moralisateur. Ainsi se justifie l'inversion
initiale des arguments. L'élève ne pouvait développer
" Cela permettait aux illettrés de s'exprimer" puisqu'il abordait
le problème sous l'angle du constat (même si c'est gênant
et triste. Il n'y a rien à faire !). Les propositions de réécritures
pourraient permettre à l'auteur du texte de prendre conscience de
ses choix qui ne sont pas uniquement des choix d'ordre linguistique, mais
qui sont révélateurs d'une prise de position - ou plutôt
d'un désengagement de sa part. - Faire écrire un groupe à
partir de la première remarque et un autre groupe à partir
de la seconde permettrait de vérifier l'hypothèse suivant
laquelle l'inversion des arguments induit une importance plus grande donnée
à l'un ou à l'autre.
- Un travail sur la ponctuation pourrait être
envisagé à partir des hésitations du jeune scripteur
à la fin de son texte. Points de suspension, point-virgule, point
ou point d'exclamation devraient conduire à la poursuite de paragraphes
différents.
Ainsi, l'enseignant n'intervient-il plus sur le
produit mais sur le processus pour pointer ce qui méritait une relecture
et une réécriture du texte sous un autre angle. Il fait découvrir
à l'auteur que son texte est gros de possibles et qu'il a fait un
choix dans ce foisonnement. S'il aide l'apprenti-scripteur en apportant
les états nécessaires à la construction du texte,
il ne se substitue pas à lui. La mise en oeuvre d'une méthodologie
d'apprentissage qui prenne en compte le cheminement expérimental
de chaque élève pour lui permettre d'élaborer son
propre texte, est rendue possible par la mémorisation de toutes
les opérations d'écriture.
L'observation de la reconstruction sur Genèse
permet à l'enseignant de prendre en considération le travail
à l'origine du texte le plus maladroit.
Les élèves sont incités à
réécrire le texte d'un camarade en exploitant les pistes
ouvertes par certains signifiants à l'insu de l'auteur, ou même
des pistes abandonnées qui se révèlent fertiles. Rendus
plus habiles à "triturer" la manière même d'un texte
pour en comprendre le fonctionnement, on peut espérer qu'ils sauront
transférer ces compétences et retrouver une attitude distanciée
pour relire/réécrire leurs productions et découvrir
ce que leurs propres textes leur apprennent d'eux-mêmes. En pointant
ce qui, dans le matériau langagier lui-même, ouvre au texte
des directions imprévisibles, les enseignants permettent aux élèves
de découvrir l'opacité des mots qui peuvent être autre
chose que simples références d'une idée préexistante.
On les introduit ainsi à la fois à la maîtrise du signifiant
et à la conception du texte comme outil de pensée.
Geneviève RECORS-DAUTRY.
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