Les Actes de Lecture n°56 décembre 1996
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CARACTÉRISER L'ÉCRITURE.
Nous avons rendu compte de la recherche-action INRP/AFL sur la
Genèse du texte en publiant des extraits du premier tome du rapport
final consacré aux interventions didactiques nouvelles provoquées
dans le cadre de l'enseignement de l'écriture par la création
d'un observable (A.L. n°52, déc.95, p.45 et n°54,
juin 96, p.24).
Pour plus de 550 textes, majoritairement écrits en classe par
des élèves, il a été réuni des informations
appartenant à 7 domaines distincts :
Au total, la réunion d'environ 150 variable pour chacun des textes ; l'ensemble constituant un fichier rectangulaire avec en ligne les "individus textes" et en colonnes les variables les décrivant en fonction des 7 domaines précédents. On imagine les possibilités d'investigation qu'offre un tel dispositif (qui constitue d'ailleurs vraisemblablement une première dans le domaine des recherches sur l'écriture) puisqu'il devrait permettre de trouver quelques éléments de réponse à des questions aussi variées que : - existe-t-il des relations entre certains aspects du processus d'écriture
et certaines caractéristiques linguistiques du texte achevé
?
Le texte ci-après suit, dans le rapport final, la présentation
et l'analyse des 30 variables décrivant la genèse des textes
et constituant le sixième des 7 domaines d'informations récapitulés
plus haut.
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Les 30 variables pressenties pour décrire la genèse des textes
ont été définies a priori comme autant d'éléments
susceptibles d'apporter au total une information significative mais tout
cela n'est qu'une somme d'hypothèses qui n'ont guère d'antécédents
dans la recherche puisque l'outil que nous avons utilisé crée
une situation d'observation complètement nouvelle. Aussi avons-nous
"testé" ces variables dans une analyse factorielle.
I . Une analyse en composantes principales Toutes ces variables étant quantitatives, nous procéderons à une analyse en composantes principales. La somme des valeurs propres des quatre premiers facteurs que nous décrivons ici s'élève à près de 50 %. 1 - Le premier facteur se construit nettement dans l'opposition d'une écriture qui : - d'un côté (à l'ouest), multiplie les opérations
en lecture (LE/O) donc de retour dans le texte ainsi que les suppressions/remplacements
en écriture (SROE) précédés souvent d'une assez
longue attente (ASRE) donc les tâtonnements à la source et
les suppressions en général et les remplacements et les ajouts
en lecture (ALAé), ce qui donne évidemment in fine un temps
long pour produire un mot du texte terminé (TMOY).
Donc ce premier facteur semble celui du principe de production de l'écrit,
prenant appui sur l'opposition reprises <--> ajouts qui va de l'opiniâtre
bataille pour faire exister chaque mot jusqu'à la coulée
paisible d'une plume progressant au fur et à mesure que les mots
s'inscrivent. C'est en quelque sorte un facteur qui décrit le mode
d'activité du scripteur mais sous l'angle de la spécificité
de l'écrit : à l'ouest, une écriture qui pose l'écrit
comme un matériau à travailler dans sa simultanéité
et sa permanence ; à l'est une production qui croît par ajouts
à son extrémité, ce qui n'en fait pas quelque chose
de très différent de la production orale.
- au sud, une écriture qui prend ses décisions à
mi-chemin, au cours du second tiers. C'est alors que les opérations
en lecture (L/L2) ont massivement lieu et c'est alors que les suppressions/remplacements
(S/S2) se produisent. On a l'impression que du matériau a été
rassemblé lors du premier tiers de l'écriture, et que l'auteur
se préoccupe maintenant, depuis une position de lecteur et grâce
aux modifications immédiates qu'elle entraîne, d'organiser
le texte dont l'écriture et l'achèvement vont occuper le
troisième tiers du temps de travail ; mais le texte final (troisième
partie) est issu de la lecture critique (deuxième partie) d'un texte
provisoire (produit dans la première partie). Le deuxième
tiers de l'écriture est en quelque sorte celui où le texte
se conçoit à partir d'un premier apport.
On voit bien que cette opposition temporelle traduit en fait le mode
de constitution du texte : un texte qui découvre son principe d'organisation
au milieu du travail, telle une "crise" se nourrissant du déjà
écrit et, à l'inverse, un texte qui s'écrit comme
il a été conçu, sans crise réorganisatrice
mais avec une phase finale de révision. Ce deuxième facteur
marquerait ainsi l'origine du texte.
- à l'ouest, une écriture rapide avec une forte activité
moyenne (ACTI), c'est-à-dire un nombre important de mots manipulés,
et un "empan" d'écriture long (MACR), c'est-à-dire des séquences
d'ajouts de mots que n'interrompt pas une attente significative. En quelque
sorte, un dynamisme de l'écriture qui se retrouve aussi dans la
proportion importante des suppressions/remplacements en lecture (L/LE)
et des ajouts en lecture (ALAé) comme si le territoire du texte
était complètement investi en un chantier global.
Force est d'avouer notre embarras car ce que nous venons de présenter
n'a pas de précédent. Il n'existe pas, à notre connaissance,
de traitement statistique de quelque ampleur sur des données quantitatives
décrivant le processus de production des textes. Quelle est alors
la pertinence des informations initiales que nous avons choisi de prélever
et, en conséquence, quel est l'intérêt des composantes
que l'analyse nous renvoie ? Prenons la question à l'envers et demandons-nous
si ce jeu de quatre oppositions nous semblent ou non toucher à des
aspects sensibles de l'écriture.
Le deuxième facteur porte moins sur l'écrit que sur le texte et surgit encore au milieu d'un vaste débat pédagogique. Que n'a-t-on pas dit de la nécessité de réunir ses idées, de faire un plan, de rédiger puis de réviser ! C'est ce que décrit cet axe dans son extrémité positive (ici au nord) : quelques tâtonnements et réflexions au début pour trouver le démarrage puis une "rédaction" assez homogène jusqu'au troisième tiers du temps d'écriture où l'auteur revient alors en lecture et met au point. Mais cette "conception" s'oppose évidemment à une autre manière de produire un texte qui consiste, dans un premier temps, à amasser du matériau puis à prendre conscience, à partir de ce donné, d'un fonctionnement textuel possible pour le mettre en oeuvre ensuite. Beaucoup de choses se jouent alors dans le second tiers. Finalement, cet axe, comme le précédent offre un regard sur une question centrale de toute écriture qui concerne l'extériorité ou l'intériorité de la production : d'où provient ce qui va finalement rester et comment devient-il ? De quelque chose qui précède l'écriture ou de l'écriture elle-même ? Le troisième facteur renvoie sans doute moins au débat sur la spécificité de l'écrit comme outil de production d'une pensée grâce aux caractéristiques du matériau lui-même qu'à des caractéristiques du scripteur. Il s'agirait, en quelque sorte, de tonicité et de productivité, de degré d'activité, presque d'activisme. Mais c'est sans doute moins une affaire de tonus qu'une manière de prendre le texte à bras le corps dans sa matérialité et de le travailler dans sa totalité : puisqu'il faut écrire, autant s'y mettre et de partout à la fois. L'image qui vient ici est un peu celle du peintre en proie à la jubilation de la matière qu'il emploie sur toute la surface de son tableau en même temps et qui ne s'en montre pas avare, image opposée à celle d'une démarche beaucoup plus cérébrale, beaucoup plus intérieure, beaucoup plus spéculative, beaucoup plus chronologique où tout se déciderait avant que d'être. Le quatrième facteur semble concerner le même aspect, à la différence qu'il ne s'applique pas à l'espace du texte mais à celui du mot ou de la phrase. Rappelons d'ailleurs que le principe de construction de ces facteurs à partir des variables initiales, c'est justement leur orthogonalité et donc le fait qu'il n'existe aucune corrélation entre eux : ce sont des points de vue sur l'écriture dont aucun ne peut se déduire du précédent. Ici, il s'agit bien de la place de la rature dans la production locale de l'écrit, non pas des corrections en lecture lors d'un retour dans le texte, mais des opérations en écriture, celles à la source des ajouts, lorsque les mots s'écrivent, s'essayent et que le nouveau venu met en cause ceux qui le précèdent. Là encore, on retrouve cette idée qu'il faut bien essayer pour voir, dont l'inverse est plutôt qu'il est préférable de réfléchir avant d'écrire, comme s'il fallait se méfier de la rature. Sans doute, cette quatrième composante explore-t-elle, comme les précédentes, des modalités différentes de la même réalité, laquelle tourne toujours autour de la même question : quel est le rôle de l'écrit dans l'écriture ? Autrement dit, si l'écrit est un outil de pensée, le langage d'opérations intellectuelles particulières qui ne peuvent jamais se faire aussi bien qu'avec ce langage, peut-on penser le texte à venir dans un autre langage que le langage écrit ? Certes des scripteurs experts semblent parfois penser à l'écrit même sans écrit ; ils fonctionnent dans l'espace du texte en train de devenir sans la nécessité que le texte soit réellement sous les yeux, un peu comme les maîtres des échecs peuvent jouer des parties mentalement hors de tout échiquier. Mais pour le scripteur moyen et, a fortiori, pour le débutant, l'absence de manipulation de l'écrit dans l'écriture renvoie probablement à une réalité différente : l'écrit n'est encore ni un outil de pensée ni un langage spécifique mais simplement un système de notation. Le texte se construit alors par des opérations intellectuelles qui font appel au langage oral, lequel reste le langage opératoire, le langage de la pensée intérieure qui se prépare à la transcription mais qui conserve la dimension de l'oral contre celle de l'écrit, la succession contre la simultanéité. Passera-t-on de la transcription à l'écriture ? Aussi ferons-nous l'hypothèse, compte-tenu des lieux d'initiation et d'apprentissage où notre corpus s'est constitué, que la position de la genèse d'un texte par rapport aux polarités de chacun des 4 facteurs que nous venons de décrire n'est pas indifférente en ce qu'elle témoigne d'un rapport global au matériau écrit dans l'écriture. Nous avons recherché parmi les 550 textes du corpus celui dont
la genèse se situe simultanément au plus extrême de
chacun des quatre axes du côté de la prise en compte du matériau
:
Nous allons donc présenter deux genèses opposées
sur les 4 composantes principales que nous avons décrites.
Texte A Texte B Nombre de
sessions
4
Taille finale 139 mots 210 mots La différence qui apparaît le plus nettement ici réside
dans le rapport entre le nombre de mots posés sur la feuille et
le nombre de mots restants. Dans le premier cas, 139 mots subsisteront
pour 315 qui seront venus sous la plume ; dans l'autre, 210 restants pour
260 ajoutés. Il reste 44 % des mots dans le premier texte, 81 %
dans le second, pas loin du simple au double. Il a fallu la venue de 2.26
mots pour qu'il en reste finalement 1 dans un cas, 1.24 auront suffi dans
le second.
Texte A
Texte B
Ces fils de la plume sont fortement dissemblables. Le texte A arrive
rapidement (moins du premier tiers du temps d'écriture) à
une taille proche de sa taille finale, puis il sera presque exclusivement
travaillé de l'intérieur, réorganisé en reprenant
par le début, sans que d'ailleurs sa taille s'en trouve sensiblement
modifiée. Le fil de la plume traduit bien l'impression qu'il aura
finalement été écrit 2 fois. Le texte B, à
l'inverse progresse de manière quasiment linéaire jusqu'à
son achèvement qui se situe au-delà des deux tiers de la
durée de l'écriture. Il fait alors l'objet d'une relecture
avec quelques opérations de correction et de mise en cohérence.
C'est vraiment une rédaction linéaire suivie d'une révision
qui ne modifie rien en profondeur.
Texte A
Texte B
Les 2 courbes confirment l'observation précédente. Le
matériau est réuni assez rapidement pour le texte A puis
ce matériau fait l'objet d'un travail de réécriture
; dans le texte B, c'est l'accumulation du matériau qui constitue
le travail d'écriture.
Texte A
Texte B
Il s'agit du nombre moyen de mots "passés dans les doigts" en
une heure. Le rapport est bien plus que du simple au double : 345 mots/H
pour le texte A contre 128 pour B. En supposant, comme y invitent les 2
fils de la plume, qu'il y ait eu la même implication dans les deux
cas, on comprend bien que leÿlieu de la conception n'est pas le même,
beaucoup plus "matériel" et concret avec le texte A (il faut des
mots écrits pour écrire), beaucoup plus abstrait et préalable
avec le texte B (les mots sont choisis avant de s'écrire).
Texte A
Texte B
Ces deux courbes sont assez semblables, si ce n'est le temps moyen des
attentes qui est plus long pour le texte B. Dans les deux cas, les attentes
sont plus longues dans la dernière partie de l'écriture.
texte A ajouts avec attente
<00:05:06> [qu]
texte B : ajouts avec attente
<00:01:48> [En]
La nature de ces mots est pour le moins surprenante : hormis, dans chacun des 2 textes, un mot "lexical" et un seul (enfants pour l'un, cheval pour l'autre), les autres mots sont des mots organisateurs de la complexité de la phrase (que, et, mais, et pour le premier, En, Quand, Après, et, et pour le second) ou des pronoms personnels (Je, elle, elle, elle, Elle pour le premier et on pour le second) ou encore des déterminants (uniquement pour le second une, l'). Ce sont les mots dont la venue a été précédée de la plus longue attente, sans doute, sauf circonstance particulière, ceux qui demandent le plus gros coût cognitif. Pour ce qui concerne les mots organisateurs de la complexité, on peut comprendre que leur ajout demande une certaine anticipation de la suite et notamment l'établissement d'un lien de subordination ou de coordination. Pour les pronoms personnels, ceux de la conjugaison, la chose peut paraître plus surprenante. Certes, le pronom personnel est sujet donc en tête d'une proposition qui nécessite sans doute d'être anticipée ; mais il y a bien d'autres mots dans ces textes qui débutent eux aussi des groupes sujets et qui apparemment n'exigent pas la même attente On sait aujourd'hui, à travers de multiples recherches sur la
compréhension en lecture, la difficulté spécifique
que semble revêtir le traitement des anaphores. Se pourrait-il que
cette charge se retrouve symétriquement du côté de
la production ? Un rapide sondage dans notre corpus montre au moins que
de telles explorations s'imposent et qu'en tout état de cause les
pauses longues ne précèdent qu'exceptionnellement la venue
d'un mot rare ou d'un beau synonyme qui embellit le lexique et davantage
la venue de ces petits mots quasiment outils qui organisent la syntaxe.
Serait-il possible qu'à l'écrit on ne cherche pas ses mots
mais au minimum ses sous-phrases ?
Texte A
Texte B
On notera d'abord la distance qui sépare les deux valeurs moyennes
puisque, dans le texte A 35% des opérations d'écriture ont
consisté à procéder à des suppressions tandis
que, dans le texte B, seulement 16.1% de ces opérations sont des
suppressions. L'autre différence importante concerne le moment de
ces suppressions. Dans le texte A, il semble qu'elles constituent l'opération
ordinaire par lequel le texte évolue dès lors qu'un matériau
initial a été réuni. Dans le texte B, les suppressions
semblent nécessaires au début pour mettre le texte "sur ses
rails" puis à l'arrivée pour la mise au point, l'élagage
et la révision. Il s'agit bien de deux usages diamétralement
opposés, l'un qui est une manière d'écrire, l'autre
de corriger.
Texte A
Texte B
Là encore, la différence est nette rien qu'à comparer les moyennes. Dans le texte A, 53% des opérations ont lieu en lecture, dans le corps du texte qui se transforme de l'intérieur. Dans le texte B, simplement 8.9% comme si le texte s'engendrait presque exclusivement par son extrémité. Mais la place de ces opérations est encore plus contrastée, une manière de faire permanente dans le premier cas, des recours limités dans le second à l'issue du démarrage et à la relecture finale. IV. Bilan de cette confrontation
EN
LECTURE
EN ECRITURE
Suppr/rempl. A 24,2 sec.
23% 12 sec.
16,3%
Ce tableau résume bien les oppositions essentielles entre 2 textes représentatifs des pôles antagonistes des 4 premiers axes de l'analyse faite sur l'ensemble des variables que nous avons utilisées pour décrire la genèse des textes de notre corpus. Il s'agit bien de 2 manières de produire un texte, l'une qui manipule rapidement beaucoup de matière écrite et revient sans cesse la travailler, l'autre qui réfléchit à l'écrit sans écrire et donc produit lentement mais presque à coup sûr. Après avoir décrit la naissance de ces 2 textes, il semblerait
difficile de n'en pas montrer l'aboutissement. Vont-ils être si différents
et trouvera-t-on dans leur fonctionnement les traces évidentes des
tours de main qui les ont fait naître ? Pour faire durer quelques
instants encore le suspens, précisons que le texte A a été
écrit par un garçon de CM2 et le texte B par un garçon
de CM1, plus faible aux dires des instituteurs pour A (3ème quart
de la classe de CM2) que pour B (1er quart de la classe de CM1), de même
niveau d'études des parents (secondaire), avec des enseignants ayant
eux-mêmes une expérience de l'écriture et une expérience
professionnelle équivalente. Bref des auteurs assez proches dans
des structures scolaires innovantes assez comparables. Les deux textes
sont le résultat d'un sujet imposé par une commande extérieure
et remplissent une fonction sociale ; ils ont été préparés
par des discussions préalables sur le sujet et sur la pratique d'écriture.
Le visionnement de leur genèse a eu lieu dans les 2 cas avant la
fin de l'écriture. Bref, des conditions pédagogiques de production
assez semblables. Les deux textes sont des discours autonomes dans la mesure
où ils n'impliquent pas leur destinataire dans leur écriture.
Ils sont tous deux de type "expositif" car l'auteur pense donner à
connaître en respectant la plus grande neutralité et n'imagine
même pas qu'on puisse dire autre chose que ce qu'il dit. Les deux
textes diffèrent néanmoins sur un paramètre important
de la situation de production : "conjoint" pour A et "disjoint" pour B.
Ces notions concernent le rapport entre l'acte de production et le référent
du discours. Le texte A est produit en lien direct avec son référent
présent pour les deux co-producteurs : l'énonciateur écrit
au destinataire au sujet d'un objet (ici une personne) qu'ils ont sous
les yeux tous les deux, qu'ils connaissent parfaitement. La description
de cet objet n'a pas besoin d'être faite. En revanche, B est un discours
disjoint car l'énonciateur possède une connaissance du référent
qui n'est pas celle du destinataire. Il doit donc prendre en charge cette
ignorance et décrire, commenter, expliciter le référent.
Enfin A se présente comme une création, quelque chose qui
s'invente par l'écriture et B plutôt comme la restitution
de quelque chose de déjà élaboré.
Texte A
Isabelle est belle
Texte B
Quand nous sommes allès en classe verte nous avons vu coomment
ont met les fers à un cheval. Au débu pour enlever le fer
au cheval il faut une tricoise. Qand ont a enlevé le fer au cheval
on prend un fer à sa taille. On coupe les ongles du cheval avec
un rogne pied et une mailloche. Ensuite il faut prendre une râpe
et râpé l'ongle du cheval.
Thibault Renard
On aurait envie de remplacer châtains par blonds afin que le premier texte débute par un alexandrin à la césure par ailleurs bien classique. Et pourquoi ne pas essayer de continuer ? Non par goût de la contrainte mais parce que cette préoccupation formelle oblige à ne pas se focaliser uniquement sur ce qu'on croit vouloir dire mais aussi sur la manière de l'écrire. Des dominantes en ce qui concerne le matériau sont déjà visibles dans ce texte, conscientes ou non pour l'auteur. Un certain rythme, des sonorités, notamment des liquides avec le jeu entre le prénom, son qualificatif et le pronom répété 9 foisÿ; une reprise amusante à travailler (Elle ne crie pas beaucoup <---> elle ne fasse plus d'écrit) ; un vocabulaire assez précis et une attention à ses reprises (au total 73 mots différents pour 137 mots employés, soit un taux de renouvellement de 0.53). A l'inverse, les reprises dans le second texte sont moins à mettre
au compte de la négligence que de ce qui caractérise la dimension
dans laquelle le texte est produit et qui est une sorte de langage intérieur
qui, comme l'oral, n'offre aucune possibilité de simultanéité
donc jamais de mise en perspective. Aussi l'auteur n'a pas conscience de
cette structure de 4 éléments (pronom + verbe + déterminant
+ nom) présente 6 fois dans le texte : on met les fers --> on prend
un fer --> on coupe les ongles --> on prend la mailloche --> on met le
fer --> on met les clous, pas plus que des reprises innombrables qui se
justifient chronologiquement et localement mais prennent une autre charge
dans l'espace d'un texte. Ainsi en est-il encore du lexique avec 81 mots
différents pour 202 mots soit seulement un renouvellement de 0.40
et, surprenant pour un sujet technique, un niveau de polysémie presque
double de celui du premier texte, ce qui est ici simplement révélateur
de la banalité du vocabulaire. La révision finale n'y pourra
rien changer.
Texte A Isabelle est belle
Texte B LE FERAGE
Quand nous sommes allès en classe verte nous avons vu coomment
ont met les fers à un cheval. Au débu pour enlever le fer
au cheval il faut une tricoise. Qand ont a enlevé le fer au cheval
on prend un fer à sa taille. On coupe les ongle du cheval avec un
rogne pied e le t une mailloche. Ensuite il faut prendre une râpe
et râpé l'ongle du cheval.
Pour le texte A, on observe que tout est déjà là ou presque ; il reste à écrire quelque chose avec ces mots, ces intentions ou ces idées ; tout va se réorganiser et se transformer dans les deux tiers suivants. Pour le texte B, moins de la moitié du texte existe déjà mais quasiment dans sa forme définitiveÿ; ce qui va se jouer dans les deux tiers suivants, c'est simplement la continuation de ce qui est commencé. Nous en resterons provisoirement là. La question posée est loin d'avoir reçu un début de réponse. On sent pourtant combien elle devrait concerner la pédagogie : y a-t-il une relation entre un texte et le travail par lequel il est produit ? L'enseignant ne peut, en effet, aider l'apprenti que dans la conduite du travail. Mais a-t-on accès au travail réel à travers l'observation extérieure du processus ? Jean FOUCAMBERT |