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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°5  mars 1984

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LA LOGIQUE DE LA LECTURISATION


"Entrer dans ta logique de ta lecturisation n'est pas réductible à une méthode" lit-on dans le dernier éditorial des "Actes de Lecture", qui en conclusion "ouvre une tribune" sur ce dossier.


J'entrerai dans le débat en soulignant que la pente naturelle, ou plutôt culturelle, du corps social va dans le sens de la spécialisation des tâches. Ramener le problème à une méthode, c'est pour les uns l'évacuer et pour les autres conforter leur (maigre) pouvoir professionnel.

En diffusant "LIRE, C'EST VRAIMENT SIMPLE", nous sentons bien que la deuxième proposition du titre "QUAND C'EST L'AFFAIRE DE TOUS" n'est pas la mieux entendue. Ou encore qu'elle est elle-même réduite, ramenée à l'un des acteurs reconnus, la famille. Celle-ci comprend, somme toute aisément, qu'elle peut jouer pour l'écrit le même rôle que pour la parole. Cette redistribution des rôles n'est pas négligeable en ce sens qu'elle conduit à une réflexion bénéfique sur le fonctionnement des apprentissages. Mais elle constitue seulement un des éléments qui contribuent à une politique de lecturisation, au même titre que la prise en compte par l'école de la réalité de l'acte lexique, ou l'utilisation d'ELMO. Et l'éditorialiste a raison de souligner que "l’acquisition du statut de lecteur doit être pensée à l'intérieur de pratiques sociales et communautaires".

Maintenant que la bataille est (presque) gagnée sur le plan technique, le pus gros reste à faire, c'est-à-dire susciter et analyser ces pratiques sociales et communautaires.

La Villeneuve de Grenoble est l'un des lieux où la "voie communautaire" est ouverte (1). C'est peu de dire que la réflexion sur la lecture y a joué un rôle de catalyseur et d'accélérateur. Trois articles publiés dans les ACTES en ont déjà porté témoignage (n°l "d'un montage diapos à la déscolarisation de la lecture" n°2 "pour une lecture fonctionnelle" n°3 "la lecture c'est l'affaire de tous"n°2 et 3 "On n'est jamais trop petit pour lire"). Mais dès l'origine du projet, la volonté de déscolariser les apprentissages, de poser le problème en termes de coéducation, était affirmée. Depuis maintenant 12 ans, ce qui est peu, eu égard à l'énormité de la tâche et à l'ampleur des résistances, la réflexion sur ces thèmes se développe. Une association, l'ASPRO (2) s'est constituée et est devenue un lieu de réflexion et de théorisation des pratiques, et depuis peu, groupe local de l'AFL.

Il semble d'autant plus opportun de proposer à tous les éléments de cette réflexion qu'elle est de nature à établir un lien entre deux discours de l'AFL qui peuvent sembler divergents :

- à propos des BCD

"il faut changer l'école et non l'améliorer".

- à propos de l'illettrisme

"le problème n'est pas technique mais social - chacun a la lecture de son statut et non l'inverse", ou encore l'illettrisme n'est pas un raté de l'école".

Pour les militants de l'ASPRO -notons qu'un certain nombre d'entre eux sont également membres actifs de la CSF - le changement de l'école est déterminé par la modification des attentes du corps social. Les acteurs du changement doivent, en ce but, trouver à l'intérieur du corps social, des alliés susceptibles de peser sur ces attentes. Force est de constater que, sur le problème de l'éducation, les alliés potentiels - militants syndicalistes et politiques - subissent, plus qu'ils ne combattent, l'idéologie dominante...


Sous quel angle d’attaque pouvons-nous poser le problème ? Certes le scandale de l'illettrisme est susceptible de sensibiliser ces militants. C'est autour d'eux qu'il est le plus présent. Mais l'angle est peut être trop pointu et on risque de se retrouver devant une demande d'amélioration de l'école. Comme cela a été le cas quand BOURDIEU et PASSERON ont mis en relief le fonctionnement reproducteur de l'école, ou en d'autres termes le gâchis dont sont victimes les enfants de milieux populaires.

Les efforts faits par La Villeneuve pour établir le dialogue avec les syndicats ouvriers n'ont pas abouti (avec la CGT) ou pas eu de suite (avec la CFDT.) malgré des constats de convergence d'analyse.

Du fait de sa nature de syndicat familial et du cadre de vie, et de son lieu d'action (le quartier et non l'entreprise) la CSF a été, par contre, partie prenante du projet communautaire d'éducation et tire actuellement des fruits remarquables, aux plans local et national, de la réflexion commune sur les apprentissages (dont la lecture tout particulièrement).

En termes "d'allié" la CSF constitue le premier exemple (3) vraiment opérationnel. Il est donc intéressant de voir sur quoi porte précisément cette alliance.

La pratique de "l'entraide scolaire" mobilise depuis très longtemps la CSF dans des actions de solidarité en faveur des enfants des milieux populaires. Cette pratique a rendu ses militants particulièrement critiques vis à vis du fonctionnement de l'école – en général - et de son idéologie - en particulier - celle de la promotion individuelle. Aussi le concept de promotion collective a-t-il été particulièrement bien reçu lorsque 'l'ASPRO l'a évoqué. Le dénominateur commun entre les militants instituteurs et les syndicalistes du cadre de vie semblait se révéler...

L'ASPRO a fait le projet d'approfondir ce concept, d'analyser s'il décrit correctement les mobiles et les actions de ses militants et d'examiner dans quelle mesure il peut être effectivement le dénominateur commun pour le développement d'alliances en faveur du changement de l'école, de lecturisation, d'une éducation communautaire...

Le texte suivant a été écrit en contribution à une journée de travail tenue en Janvier. Une brochure concernant l'ASPRO en reprendra, sans doute l'essentiel. Je pense qu'il peut être utile au débat lancé par les Actes, et j'espère des réactions...


(1) "Une voie communautaire" R et R. Millot ed Casterman 1979.

(2) Association pour la promotion d'actions éducatives visant à la transformation du statut de l'enfant.

(3) Peut-être devons nous dans un premier temps nous tourner vers les mouvements d'éducation populaire, où se manifeste une certaine "réceptivité".


CONTRIBUTION À LA RÉFLEXION SUR LA PROMOTION COLLECTIVE

JOURNÉE D'ÉTUDE DE L'ASPRO 28-1-84


Refuser les notes, les classements, la compétition, les punitions, les récompenses, les redoublements, les ségrégations.

- Développer le travail en groupes, la vie coopérative.

- Créer des structures multi-âges pour favoriser les échanges, l'entraide, les apprentissages.

C'est s'opposer à la fonction sélective de l'école, c'est désorganiser la course d'obstacles, c'est, implicitement, contester la promotion individuelle.

- Mettre en oeuvre la pédagogie du projet et en faire la source des apprentissages qui s'opèrent à l'école.

C'est substituer a la transmission de connaissances en grande partie normatives, l'appropriation d'un savoir opérationnel dans des situations de vie collectives, c'est développer les compétences, faire jouer les cultures, agir sur le milieu, c'est transformer le statut de l'enfant.

La tentation est grande, quand tout cela devient réalité, d'opposer au concept de promotion individuelle, en cours d'abandon, celui de PROMOTION COLLECTIVE...

* L'usage de ce terme est-il réellement justifié?

* Peut-on imaginer une promotion collective à l'école, quand les attentes du corps social restent inchangées ?

* Peut-on cependant évoquer cet objectif dans la recherche "d'alliances" que nous conduisons précisément pour transformer ces "attentes" ?

Mais tout d'abord, quelles sont ces attentes ?


LES ATTENTES DES PARENTS, DU CORPS SOCIAL

Ce qui apparaît fondamental, c'est le désir, légitime, de chaque famille, d'obtenir pour ses enfants le maximum d'atouts pour "réussir dans la vie"...


RÉUSSIR, VOUS AVEZ DIT RÉUSSIR ?

Ambiguïtés, contradictions, malentendus, manipulations... Essayons de mettre cette idée de réussite à plat.

* L'idéologie dominante assimile la réussite à l'argent et au pouvoir.

L'amour vient en plus. Les héros de la collection Harlequin, les vedettes de Jours de France, ne sont jamais O.S. chez Talbot. Ils sont là pour faire rêver. Et ça marche.

* L'accès à une situation élevée dans la pyramide sociale est forcément limité et interdit pratiquement à certaines couches sociales... Mais, attention,

seulement par les statistiques !

Alors ça n'empêche pas l'espoir :

"La vie est une loterie". J'espère que mon enfant aura plus de chance que moi, et d'ailleurs on nous le dit assez: "II suffit de vouloir", "Ford a commencé en vendant des cravates".

* À cette "sagesse des nations", il faut ajouter la duplicité des arrivés :

"l'école n'est pas si mauvaise puisqu'elle a fait de moi (fils d'ouvrier) ce que je suis (professeur, par exemple)".


Ce qui est plus grave, c'est que ces illusions sont entretenues par le discours quasi général - et "généreux" - dont la gauche ne s'est pas encore dégagée sur la promotion sociale et "l'égalité des chances".


LA PROMOTION SOCIALE...

Si tout le monde est promu (qui ne le souhaite ?) il faudra faire venir des Esquimaux pour remplacer les Africains en bas de l'échelle...

Plus sérieusement, on peut décrire cet objectif comme une intention de "dégager des élites" d'une manière également répartie (en pourcentages) entre les différentes classes sociales. Dans la société "libérale", on en parle volontiers (pour obtenir le fameux consensus) sans vraiment chercher à l'atteindre (les privilégiés aiment se sentir entre eux). Dans les pays du "socialisme réel", on semble l'atteindre, ou s'en approcher.

Dans les deux cas, l'ordre établi, ou qui s'établit (et qui se reproduit ensuite aussi cyniquement semble-t-il) est le même : fortement hiérarchisé, fortement aliénant (et manifestement plus rigide quand la promotion sociale est mieux réussie !);

Si tous les professeurs (et instituteurs) "fils d'ouvriers", en s'installant dans leurs privilèges n'avaient pas quelque peu oublié leur classe d'origine, on les verrait se dresser avec violence contre une institution qui écrase les enfants de celle-ci.

On ne peut donc même pas attendre de la promotion sociale, quand elle s'opère, une humanisation de la société...


L'ÉGALITÉ DES CHANCES...

6 ans ? À vos marques ! Partez ! Mêmes programmes mêmes progressions, même bienveillante fermeté des maîtres, même dureté des bancs. L'égalité des chances est en marche depuis 1883...

L'objectif est un peu moins dérisoire depuis que la gauche, en dépit des résistances corporatistes, préconise, sinon réalise, une répartition inégalitaire des moyens.

Mais de quelles chances s'agit-il ? Peut-on sérieusement prétendre que, même avec des "soutiens", des rattrapages, un encadrement plus dense, les enfants des Z.E.P. auront autant de chances de devenir médecin ou ingénieur que ceux du centre ville ? Et si oui, ce dont on peut douter, on aura réalisé "la promotion sociale" de quelques-uns sans que cela change le sort des autres.

Le problème est donc de savoir si l'on donne à quelques-uns des chances d'accéder a des échelons confortables de la hiérarchie sociale, ou si l'on veut aider chacun à réussir sa vie, en lui fournissant la chance de développer au maximum son potentiel de capacités ( donc éventuellement d'être médecin ou ingénieur...).

CHANGER LES ATTENTES...

L'idée d'une autre réussite a fait son chemin, depuis 68... dans certaines couches, plutôt intellectuelles, du corps social. Ce n'est ni négligeable, ni sans ambiguïté: on souhaite une autre réussite et, en plus, les connaissances formelles exigées par le système, car on est réaliste et on connaît le poids des examens, si décriés soient-ils...

La première condition, pour s'attaquer au problème était de pouvoir proposer à la réflexion des exemples concrets d'une autre éducation préparant une autre réussite.

Nous avons bien avancé dans ce sens. Malheureusement, et inévitablement, ce n'est qu'une petite minorité de parents qui s'engage dans la réflexion; qui est sensible à notre discours...

Du fait que c'est un discours ? Alors on envisage que ce soit les enfants qui deviennent eux-mêmes les vecteurs de cette réflexion. Ils présentent leurs travaux, montrent les compétences acquises. Mais c'est souvent aux convaincus...

Alors, on leur fait pratiquer des auto-évaluations qu'ils soumettent régulièrement et fréquemment aux parents. "Pour les rassurer"... Et on retombe peu ou prou dans un système de contrôles, de jugements...

Et puis on se dit que ce combat les concerne, qu'ils doivent s'y engager consciemment, que cela modifiera leur statut. Et on a raison, mais ce n'est pas toujours opérationnel...

Notre expérience aura donc permis d'explorer tous les moyens possibles (et j'en oublie, tels les entretiens individuels) et d'en percevoir et la nécessité et les limites. Les limites de la pédagogie.

C'est pourquoi, depuis plusieurs années, nous recherchons des "alliances", non plus seulement avec des parents de bonne volonté, mais avec des forces actives dans le corps social, pour construire le projet d'une autre éducation et pour le faire partager par les intéressés.


DES ALLIÉS, DES ALLIÉS !

Ces alliés, nous ne les trouverons pas du côté de ceux qui bénéficient du système, qui ont intérêt à ce qu'il se reproduise.

Les choses sont maintenant plus claires. Le "consensus" fallacieux autour de l'"égalité des chances" de "la démocratisation" est rompu. L'hypocrisie laisse la place au cynisme.

Dans "L'école en accusation", le club de l'Horloge prône le retour à la sélection généralisée, à des filières strictement hiérarchisées, à un abaissement de la scolarité obligatoire à 14 ans, des maîtres payés au rendement...

Les alliés, il nous faut les chercher du côté de ceux qui ne désertent pas les idées de générosité et de solidarité, qui se soucient du plus grand nombre, des plus écrasés. A gauche donc. Mais il faudra que la gauche se dépêtre elle-même du consensus".

Elle a en effet longtemps entretenu la mystification d'une "école libératrice" assurant peu à peu la promotion sociale, l'égalité des chances, la marche vers le progrès. Quand BOURDIEU et PASSERON ont montré qu'il n'en était rien, ce fut une surprise énorme. Même SNYDERS n'en revenait pas d'avoir été aussi naïf et pendant si longtemps (1). Coup de tonnerre vite oublié...

Espérons que le cynisme de la droite aidera la gauche à retrouver sa lucidité... Mais, en ce qui nous concerne, le problème est de savoir si le concept de promotion collective, qui nous semble décrire notre démarche, est de nature à y contribuer efficacement, c'est-à-dire à éviter qu'une fois de plus on nous renvoie à notre problème, l'école, la pédagogie, à obtenir qu'on considère enfin que l'éducation comme l'école, comme

la lecture, c'est l'affaire de tous.


LA PROMOTION COLLECTIVE ?

L'expérience prouve que les milieux populaires sont plus sensibles qu'on ne le pense à notre réflexion sur le fonctionnement des apprentissages, sur les circonstances qui ont permis que se construise leur savoir réel et utile. Les exemples ne manquent pas pour illustrer la réalité de la promotion collective, et établir le parallèle avec la pédagogie du projet...

Les "Beurs" qui se sont lancés dans la "marche de l'égalité" ont ainsi appris en quelques mois plus que dans toute leur existence.

Ils ont élaboré et vécu un "projet", recherché "des aides" dans le milieu, procédé en permanence à "des activités réflexives" sur leurs stratégies. En revivant à chaque étape des problèmes comparables, ils ont consolidé les compétences acquises, "systématisé". Leur action a transformé le milieu et en retour les a transformés. Leur "statut social" s'en est trouvé changé.

Quel militant - y compris "de la lecture" - n'est pas conscient lui-même d'avoir acquis dans des actions, dans des luttes, en organisant, en gérant, des compétences que l'école n'avait su ni voulu développer ?

Prise de conscience sociale et émergence de militants ont toujours été le produit d'une promotion collective opérée dans l'action et pour l'action, et qui appartenait à la tradition du mouvement ouvrier. Dans la période féroce de l'industrialisation, celui-ci ne comptait pas sur l"'État bourgeois" pour développer l'éducation dont le peuple avait besoin.


(1) École, classes, et lutte des classes.


Éducation qui mythifiait sans doute le "savoir émancipateur" mais qui valorisait la fraternité, la justice sociale, la solidarité, à l'image de ce qui se passait de meilleur dans les luttes et la vie quotidienne.

Tous n'attendaient pas le "grand soir" et la conquête de l'État pour résoudre leurs problèmes, et jusqu'à la guerre de 14, nombreux étaient les socialistes qui, avec les anarcho-syndicalistes ne se laissaient pas abuser par le "modèle bourgeois" ou l'illusion d'une égalité des chances que prétendait apporter l'école laïque, et mettaient leurs espoirs dans cette promotion collective dont ils mesuraient le pouvoir.

Il faut rappeler que Jules Ferry plaidait en faveur de l'école gratuite et obligatoire, en évoquant la crainte que ne se développent des écoles populaires, et en agitant le spectre de la Commune. Les "Hussards noirs de la République "ont ainsi pu, les yeux fixés sur "la ligne bleue des Vosges" préparer la Grande boucherie, et étouffer l'utopie de la fraternité des peuples...

Devant l'impasse qui est totale, il y a donc lieu de penser qu'il est enfin possible de rompre avec une mystification centenaire, qu'il est plus urgent de renouer avec l'idée d'une autre école, avec d'autres objectifs de réussite que de s'épuiser dans des combats contre l'école privée. Il faut même oser dire que l'école privée est l'expression la plus cohérente d'une volonté de promotion individuelle poussée au bout de sa logique.

L'idée de promotion collective devrait permettre de rétablir une réflexion, d'ouvrir un dialogue entre ceux qui entendent changer l'école et ceux qui ont les moyens de changer les attentes, notamment dans les milieux populaires.

À notre échelle, nous constatons sur le terrain, avec les militants de la C.S.F. que c'est possible. Et nous voyons avec satisfaction que la réflexion engagée à la Villeneuve se propage très vite dans les différentes instances nationales et régionales de cette association.

Cela doit être possible avec d'autres.


Mais les arguments en faveur de la promotion collective ne relèvent pas seulement de la justice sociale et de la solidarité...


PROMOTION COLLECTIVE ET "SORTIE DE CRISE"

La mutation dans laquelle se trouve engagée la société donne à nos arguments un poids décisif. La crise, qui n'est qu'un symptôme de cette mutation, par l'immense inquiétude qu'elle engendre, encourage un retour aux "valeurs traditionnelles" et aux pires régressions (des socio-biologistes à Le Pen en passant par Reagan et le club de l'Horloge). Mais cela ne doit pas masquer les enjeux de cette mutation qui nous concernent précisément.

En effet :

Les objectifs "savoir - savoir faire - savoir être" ne relèvent plus de l'humanisme mais de la nécessité.

Au cours des années 60, on concevait déjà que chaque individu devrait changer de métier 4 ou 5 fois au cours de sa vie et qu'il allait falloir l'y préparer.

Aujourd'hui, l'informatique et la robotique obligent à considérer d'une autre manière le travail lui-même...

André GORZ (Les chemins du paradis - L'agonie du capital) parle du travail "hétéronome" qui restera nécessaire (ex. la fabrication des roulements à billes) mais demandera de moins en moins de travail humain, et du travail "autonome" (activités artisanales, sociales, culturelles, communautaires) qui devraient occuper une part croissante du temps de chaque individu. Pour cet auteur, qui n'est pas seul à développer ces thèses, "nous sortirons de la crise à gauche" si cette mutation débouche sur un partage du temps hétéronome, une valorisation et un développement du travail autonome et son intégration dans une nouvelle conception du "travail".

Dans cette perspective, le "savoir" reste évidemment nécessaire mais la capacité d'initiative, de coopération deviennent indispensables pour réaliser les projets sociaux et culturels, pour se réapproprier un pouvoir sur les choses (bricolage, réparations, économies d'énergie et de matière première, inventions de procédés techniques non sophistiqués et maîtrisables par de petites communautés, etc).

Qui plus est, ce projet éducatif, loin d'être un luxe réservé aux pays industrialisés, correspond aussi aux besoins du Tiers-Monde...

Aux capacités nécessaires pour développer le "travail autonome" qu'il soit invididuel ou communautaire, s'ajoutent celles qu'exigé aujourd'hui le "travail hétéronome". Au "Savoir" nécessaire pour poursuivre et développer les sciences et les techniques (libératrices de travail et productrices de biens) s'ajoutent également les "savoir faire et savoir-être" pour s'adapter à l'évolution des technologies, travailler en équipe, discuter de l'organisation du travail, de l'orientation de la production, des investissements etc... (cadre des lois Auroux et perspectives de l'autogestion).

La "sortie à droite", nous en voyons déjà les contours: c'est une société "duale" qui se dessine, avec, d'un côté les privilégiés qui ont encore accès au travail hétéronome et qui continuent de jouir d'un haut niveau de vie et de l'autre de larges couches de la population marginalisée, contraintes à l'assistance, aux petits boulots, au travail au noir, voire à la délinquance. Nous ne pouvons que la récuser  ?

Dans ces perspectives nos objectifs se trouvent confirmés, et il devient impératif de changer les attentes du corps social en matière de travail, de réussite, d'éducation.

PROMOTION COLLECTIVE ET OPINION PUBLIQUE...

Peut-être faut-il être prudents dans l'usage que nous faisons du terme promotion collective, qui peut être spontanément reçu comme une promesse de promotion sociale pour tous...

"tous les enfants d'ouvriers ne peuvent tout de même pas devenir ingénieurs !"

S'il est facile de montrer qu'il s'agit d'un contresens, c'est déjà plus compliqué d'assurer qu'il ne s'agit pas d'un "nivellement par le bas", que le développement de tous est également bénéfique aux meilleurs... Dans notre perspective. Car il est vrai que, dans le système actuel, s'acharner à faire entrer la majorité dans des normes établies pour une minorité, n'est bénéfique ni aux uns ni aux autres. C'est ce que fait l'école quand elle veut s'améliorer et non se transformer.

Enfin, il faut compter avec les connotations négatives du mot "collectif". Celles-ci ne sont pas seulement le produit de l'agitation hystérique des tenants d'un libéralisme, largement inspiré par les thèmes néo-darwiniens de la Nouvelle Droite. Elles sont aussi le fruit des échecs retentissants du "socialisme" totalitaire...


II faut en définitive s'attendre à ce que l'attente : "avoir un bon métier" s'exprime avec encore plus d'angoisse dans les années qui viennent. La demande d'une "transmission du savoir" plus efficace va se renforcer. Et ce n'est pas avec ce qui pourra être ressenti comme un slogan plus ou moins politique que nous devrons répondre.

C'est précisément dans le domaine du savoir qu'il va falloir aussi être convaincants et crédibles. C'est ce que nous faisons et de mieux en mieux avec la lecture. C'est ce qu'il va falloir faire dans les autres domaines, dans le même esprit. C'est-à-dire en affirmant qu'ils sont aussi dans une large mesure "l'affaire de tous".

Nous faciliterons ainsi une réflexion sur ce qui est indispensable à chaque enfant en termes de savoirs et de compétences.

*C'est en montrant concrètement comment on parvient à ces acquisitions par la réalisation de projets.

*C'est en s'appuyant sur des alliés pour entreprendre la déscolarisation des apprentissages dans l'esprit des milieux populaires comme le fait la C.S.F.

*C'est en construisant les bases d'une éducation communautaire que nous ferons progresser, dans les faits, l'idée de promotion collective.

Raymond Millot