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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°5  mars 1984

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BCD - LES INTERVENTIONS


Nous faisons figurer, ci-après, des extraits des interventions des personnalités ayant pris la parole à Soissons. Les textes, transcriptions d'enregistrements, conservent la forme et le style propres aux allocutions. Seules ont été faites les modifications nécessaires à leur lecture.


CONFÉRENCE DE Yves PARENT

Vice-président de L'AFL


Le sujet, c'est ''la BCD, la lecture, l'école". J'ajouterai, ''et le milieu". Ce simple énoncé, pour moi, traduit déjà une conviction et un acquis important. La conviction qu'il n'y a pas de solution partielle à l'intérieur de l'école, ni de solution qui ne concernerait que l'école. Autrement dit, toutes les tentatives pour que l'on change au sein de l'école les pratiques de lecture des enfants, et qui se borneraient à ne changer que les pratiques de lecture des enfants, toutes les tentatives qui viseraient à implanter une bibliothèque sans que par ailleurs l'école se transforme profondément, l'expérience nous dit aujourd'hui que ces tentatives sont vouées à l'échec.


De la même manière toutes les tentatives qui ne concerneraient que l'école, et son fonctionnement, sans que l'école modifie ses relations avec le milieu, avec les réalités sociales, toutes ces tentatives sont vouées à l'échec.

C'était clair, dès l'origine de l'expérience de L'ADACES. C'est ce que nous résumions dans une formule que je trouve toujours importante: une école et une BCD, ça ne doit pas rester la même école, fut-elle renforcée, ça doit être une autre école. C'est le débat aujourd'hui sur le renforcement de l'école ou la transformation de l'école.


C'était clair dès l'origine, et un autre élément qui était : la libre circulation des enfants entre la bibliothèque et l'école, traduisait à la fois l'idée qu'on pouvait se faire de la bibliothèque, et des transformations à induire dans l'organisation de l'école. Je précise d'ailleurs, que l'équipe qui a animé cette expérience, dans sa composition même, montrait l'importance d'aborder par des voies multiples, les problèmes de l'école.

Cette équipe était composée de bibliothécaires, d'enseignants, de chercheurs, et de chercheurs qui travaillaient sur la lecture certes, mais aussi sur l'organisation inter- ne de l'école. Des gens qui pensaient que l'organisation classique de l'école, qui isole les maîtres et les groupes d'enfants dans les classes, était déjà une cause des difficultés qu'on rencontre. C'était aussi une équipe dont les membres travaillaient sur ce que nous appelions alors l'ouverture de l'école. Autrement dit, des l'abord, les choses étaient claires, et je crois qu'un acquis important c'est qu'elles sont aujourd'hui évidemment claires.


En ce qui concerne l'intégration de la bibliothèque, la libre circulation définissait à la fois l'idée qu'ils se faisaient de la bibliothèque, et des conditions d'accès des enfants. L'idée qu'ils se faisaient de la bibliothèque, c'est ce que FOUCAMBERT résumait dans un article en disant que c'est un foyer permanent d'animations et de productions autour de l'écrit, qui propose des activités aux enfants, différentes parfois de celles qui étaient proposées dans les classes, mais aussi des activités qui, par le passé, étaient dévolues aux différentes classes. C'était un lieu de rencontre, de choix de lecture, de confrontation et d'information.

Un lieu auquel les enfants, tous les enfants, individuellement ou en petit groupe, devaient pouvoir avoir accès, dans des conditions qui leur permettent d'aller de leur attente, de leurs questions, de leurs besoins, aux réponses qui se trouvent dans l'écrit. Il est évident que les transformations induites dans l'école sont importantes. On pourrait les résumer comme suit: comment l'école doit-elle se transformer, c'est-à-dire transformer ce que vivent les enfants, transformer ce que font les maîtres, de telle façon que les enfants puissent accéder dans de bonnes conditions à ce foyer d'animation ? Comment l'école doit-elle se transformer pour que les enfants aient des raisons d'y accéder, pour y venir lire, et comment doit-elle s'organiser pour que les enfants qui viennent à la bibliothèque pour agir, pour s'informer, pour lire, trouvent les idées dont nécessairement ils auront besoin ? Alors, il est évident que ces transformations concernent l'ensemble des maîtres de l'école, et qu'elles ne peuvent pas être du domaine d'une personne spécialiste de l'animation de la bibliothèque ou de quelques enseignants isolés. Dès l'abord, on parlait de l'ouverture externe de la bibliothèque, c'est-à-dire, de l'ouverture de la bibliothèque vers la réalité sociale.


De deux manières. On a souhaité que des enfants ou d'autres utilisateurs puissent venir à la bibliothèque en dehors du temps scolaire ou pendant le temps scolaire. Je dois dire que les tentatives faites dans les écoles expérimentales, et dans d'autres écoles, n'ont pas toujours été couronnées de succès dans ce domaine. Il sera bon de comprendre pourquoi. Mais surtout, on a souhaité que d'autres personnes que les enseignants viennent à la bibliothèque pour participer à son animation, et réfléchir à son fonctionnement. On peut résumer la position aujourd'hui, en disant que l'on parlera moins d'ouverture de l'école que d'insertion de la bibliothèque de l'école dans le réseau des bibliothèques municipales, de gestion communautaire, et d'approche communautaire. Aujourd'hui, s'il n'y a pas de solution partielle, toute solution passe par l'idée que la bibliothèque dans l'école doit être l'instrument, un instrument parmi d'autres, d'une politique générale de la lecture au sein de l'école. Plus largement, un instrument parmi d'autres d'une politique générale de la lecture dans un quartier, dans un secteur, dans un canton. L'acquis essentiel aujourd'hui, c'est que sans politique de la lecture, la bibliothèque n'a pas de sens. Tout le travail de réflexion et les efforts à consacrer portent sur la définition communautaire de cette politique. C'est ce que je voulais dire en introduction.


Je vais maintenant survoler très rapidement les pratiques pour prendre quelques points et montrer les résistances, les difficultés, les blocages, les enjeux. Je n'insisterai pas sur le bilan numérique et les extensions ''spontanées'' des bibliothèques. En 1975, 6 bibliothèques dans des écoles expérimentales; aujourd'hui, l'enquête de l'AFL montre que plusieurs milliers de bibliothèques existent dans des écoles maternelles et élémentaires.

À ce sujet je voudrais souligner un point important. Il suffit de regarder les demandes d'information dans les Zones d'Éducation Prioritaire, de regarder les Projets d'Action Éducative, qui parviennent aux Inspections Académiques ou aux Rectorats, dans les stages de formation : partout des demandes d'information et de formation sont liées à l'implantation de BCD.

Très souvent, les demandes émanent de minorités, qu'il s'agisse de parents, de bibliothécaires, d'enseignants, et très souvent, ces minorités demandent une aide pour faire face à une majorité qu'elles caractérisent et qu'elles qualifient de conservatrice dans l'école.

Autrement dit, il y a là des pressions, et parfois de la part de formateurs, d'inspecteurs, professeurs d'École Normale, pour accentuer ce mouvement, qui aurait tendance à s'accroître tout seul, et qui signale en même temps, les difficultés rencontrées avec d'autres partenaires.

Ces demandes sont beaucoup plus souvent techniques, biblio économiques, animations, connaissance de la littérature enfantine, que des demandes sur la lecture, le projet lecture dans l'école, ou dans le quartier. Par exemple, dans beaucoup d'écoles, on a mis en place des systèmes de gestion du projet. Dès lors que le projet existe, que la bibliothèque fonctionne, les instances mises en place pour la gestion se réunissent de moins en moins. Le projet, les instances mises en place visaient à Installer matériellement et pratiquement la bibliothèque et quand le système tourne, quand il s'est ritualisé à la satisfaction de tout le monde, et quand généralement, il n'a pas changé grand chose dans le fonctionnement de l'école, alors, à ce moment là, on n'a pas besoin de se réunir pour travailler sur le projet lecture.


Les pratiques : ce n'est pas utile de dire très longuement ce qu'on fait dans les bibliothèques. Je veux simplement donner des indications sommaires.


- La BCD est devenue, très souvent, un lieu où l'on a rassemblé tous les livres de l'école, non indispensables ailleurs sur les lieux de vie des enfants.


- On a cherché à assurer une permanence adulte suffisante et avec difficulté, c'est un point que j'aborderai tout à l'heure, pour assurer l'animation de la bibliothèque.


- Les enfants y accèdent le plus souvent dans un planning rigide, qui met en relation tel groupe d'enfants, telle classe, ou telle fraction de classe, avec une fraction de l'horaire de fonctionnement de la bibliothèque, ou avec un certain type d'activité. On voit que les enfants entrent dans un planning que certains ont caractérisé d'une manière un peu brutale, en disant que c'est le même que celui qui permet de faire fonctionner une piscine ou un atelier quelconque dans une école.


- Parfois, les enfants y accèdent réellement, en libre accès. Je n’en dirais pas plus mais l'expérience montre que ce libre accès ne conduit pas à faire l'éloge du caprice, bien au contraire. Pour effectuer des choix, il est nécessaire d'être informé, donc que l'on soit considéré comme un partenaire qu'il faut informer sur le fonctionnement de la bibliothèque, et sur le fonctionnement des classes, sur l'enseignement.


- Et puis, on a tout un ensemble de solutions intermédiaires d'accès semi-rigide, soit que la bibliothèque est réservée à des groupes d'enfants et qu'au sein des groupes de base on négocie les conditions dans lesquelles les enfants accèdent. Je souligne que ce point : libre circulation, et la difficulté rencontrée dans sa mise en oeuvre doit nous faire réfléchir au fait qu'il ne suffit pas éventuellement de donner aux enfants la possibilité d'aller à la bibliothèque, pour qu'ils aient des raisons d'y aller. Dans un premier temps, on a cru que c'était un progrès très important de donner aux enfants la possibilité d'aller à la bibliothèque. Il faut réfléchir aux conséquences. Tout un travail de réflexion s'engage maintenant sur les non-lecteurs, le statut du non-lecteur, sur ce qui fait qu'on lit ce qu'on lit et les conditions dans lesquelles on le fait. C'est une réflexion importante, sinon on risque encore de servir les plus nantis ou ceux qui ont le plus d'appétit pour l'écrit qui est mis à disposition dans les bibliothèques.


- Je résumerais les activités proprement dites, en disant que la bibliothèque est devenue le lieu d’affichage, d’exposition, d’information de l’école ; le lieu de rencontre, de discussion, de confrontation; un lieu où l'on participe à des animations. C'est un lieu qu'on apprend à gérer; c'est un lieu de lecture bien sûr, de formation, d'ouverture vers l'extérieur, la bibliothèque d'école devant être un lien entre l'enfant et l'écrit social.

Je vais prendre maintenant 4 ou 5 points, et essayer d'aborder une réflexion sur chacun d'eux, parce qu'ils me semblent apporter des informations importantes aujourd'hui.


Le premier point : la fréquentation de la bibliothèque par les enfants les plus jeunes, singulièrement par les enfants d'école maternelle. On observe deux comportements apparemment contradictoires. Le premier consiste à dire: ces enfants sont trop petits pour lire, ils ne savent pas lire, donc ils ne vont pas à la bibliothèque. Ou le comportement qui pourrait être considéré comme inverse : ces enfants peuvent venir à la bibliothèque, et bénéficier des écrits qu'ils vont y trouver. Les choses changent radicalement, lorsque ces mêmes enfants abordent le cours préparatoire. Dans des écoles que je connais bien, des parents et des enseignants qui avaient réfléchi à l'implantation d'une bibliothèque, lorsque le jour est venu que les enfants la fréquentent ont trouvé très bien que les petites sections enfantines le fassent dans des conditions tout à fait informelles, mais c'est devenu très différent, lorsqu'il s'est agi d'enfants de cours préparatoires. Cette attitude conduit à affirmer que la bibliothèque est un lieu qu'on fréquente quand on sait lire, donc que c'est ailleurs et généralement auparavant, qu'on apprend à lire. De la même manière, une certaine tendance des écoles maternelles consiste à laisser les enfants fréquenter la bibliothèque de manière très libre, mais à ne pas leur apporter les aides dont ils ont besoin plus que d'autres certainement, quand ils questionnent l'écrit et cherchent à construire de l'information à partir de lui. C'est implicitement la critique de l'enseignement et du bain d'écrit qui est ainsi mis en cause.


Le deuxième point : la question des moyens.

Dès qu'on essaie d’implanter une bibliothèque dans une école, deux questions immédiatement sont exprimées, à propos des moyens. Puisqu'on doit acheter des livres en supplément de ceux qui existent dans les différentes classes il faut de l'argent et puisqu'on veut faire fonctionner la bibliothèque, il faut du personnel supplémentaire pour assurer son fonctionnement. Ces deux attitudes montrent qu'on n'a pas vu combien l'implantation d'une bibliothèque dans une école doit changer le fonctionnement interne de l'école. Je disais tout à l'heure que des activités qui étaient dévolues à différentes classes, sont maintenant réalisées à l'intérieur de la bibliothèque, donc que du temps qui était, par le passé, distribué individuellement par chaque maître dans chaque classe, doit être consacré au fonctionnement de la bibliothèque. Demander un moyen supplémentaire signifie qu'on reste dans la perspective du renforcement de l'école et que le fonctionnement interne des classes n'a guère évolué. On pourrait faire la même remarque à propos des moyens financiers. L'implantation d'une bibliothèque, certes, conduit à faire des achats nouveaux, mais devrait conduire aussi à ne plus faire certains achats qui étaient faits par le passé et je pense particulièrement à des manuels d'enseignement de la lecture. Il est nécessaire, dans toutes les écoles où on implante une bibliothèque, lorsque ces remarques émergent, de les approfondir et de voir à quoi elles renvoient.


Un autre point : les animations.

Leur évolution est particulièrement intéressante. Je vais être un peu caricatural en essayant de décrire des étapes. Les choses sont beaucoup plus nuancées dans la réalité, mais il me semble que l'évolution est conforme à la réalité. Dans un premier temps, lorsqu'on implante une bibliothèque, les animations sont des activités ponctuelles, dont la caractéristique principale est qu'elles doivent être attrayantes.

Elles doivent concourir à la publicité des livres et de l'écrit sinon d'elles-mêmes. Je pense à l'heure du conte, à la présentation de livres, à l'intervention d'un auteur, à la dramatisation du texte, aux spectacles ou expositions, etc. Autrement dit, on essayait de donner aux enfants des raisons de venir à la bibliothèque mais pas nécessairement des raisons de lire. Un témoignage récent : il y a quelques jours, dans une école je rencontre un enseignant qui assurait une animation dans la bibliothèque. Il n'y avait pas beaucoup d'enfants ; on parle pendant un quart d'heure, et au bout d'un quart d'heure, les enfants étalent encore à la même place. Ces gosses étaient clairement venus pour participer à une animation, et seulement pour cela. Quel effet ce type d'animation a-t-il sur le comportement réel du lecteur ?


Dans la deuxième étape, les animations, parfois les mêmes, constituent une politique plus permanente, centrée sur une préoccupation dominante, celle de faire connaître ce qui existe dans la bibliothèque, et d'aider les enfants à en prendre la maîtrise et qui, dans certains cas s'étendent aux autres sources d' écrit social. C’est la promotion du livre. Pour reprendre le vocabulaire et les images de SMITH, c'est essayer d'aider à la constitution des 80 % qui aident à aborder l'écrit. On fait connaître un livre qui existe, comment il fonctionne, les séries, les thèmes.


Depuis peu, apparaît une politique d'animation, permanente également mais centrée sur le lecteur, sur le statut du lecteur, sur l'enfant, sur sa vie, sur tout ce qui l'aide à aller de ses questions, de son expérience de vie, de ses attentes, aux réponses qui trouvent dans l'écrit social et dans l'écrit de la bibliothèque. Aider chacun, à partir de ce qu'il vit, à comprendre l'écrit et à comprendre ses choix et ses rejets. Cette attitude est tout à fait liée au travail qui est entrepris depuis quelques temps sur le statut du lecteur, l'exclusion de la lecture, ce qui fait que chacun de nous lit ce qu'il lit.

En résumé, les objectifs, les intentions les limites et les dangers sont clairs. La bibliothèque n'existe et n'a de sens que dans la mesure où elle est un instrument parmi d'autres d'une politique de lecture à l'intérieur de l'école et dans le quartier, une politique qu'il s'agit de définir avec tous les partenaires, intéressés ou concernés.

Cette politique vise à faciliter les rapports de chacun avec les formes diversifiées d'écrit social, partout, à l'école et à l'extérieur de l'école.

Donc, en même temps, à changer les choses à l'intérieur de l'école, et la demande sociale vis à vis de l'école.


Tout ça est clair, et ce qui est aussi clair, ce sont les réticences et les difficultés qu'on rencontre.

Réticences profondes, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l’école, liées à des a priori quant au fonctionnement et aux rôles de l'école, restés le plus souvent inchangés. Même si la soumission à une sorte de mode, à des pressions diverses, conduit à des changements formels ; (on a assez bien réussi à implanter le rayon enfance dans les bibliothèques publiques, dans l'école, mais on a plus de difficultés à changer le fonctionnement de l'école, et à changer les rapports de l'école avec le milieu social). On reste le plus souvent dans une perspective de renforcement de l'école, et non pas dans une transformation de 1'école.

Ce qu'on voit bien, à travers la ritualisation d'un certain nombre de pratiques, là où la bibliothèque est en place. Mais parfois, il suffit que quelqu'un quitte l'école, qui en assurait le fonctionnement, pour que la bibliothèque n'existe plus.

Dans beaucoup d'écoles longtemps après la rentrée, par exemple, on n'a pas encore ''ouvert'' la bibliothèque. Ça veut quand même dire que ce n'est pas un instrument d'une importance capitale.


Il faut aussi souligner les réticences du milieu social et le désintéressement fréquent de ce milieu, qui reste encore largement consommateur critique du projet de l'école. A l'école, on n'a pas l'habitude d'exploiter les conflits et les désaccords, qui sont plus souvent sources de repliement qu'occasions de dégager des idées et des stratégies nouvelles. Les moyens de faire évoluer cela nous conduiront nécessairement à parler de la lecture, de l'apprentissage de la lecture, du statut de l'enfant et de l'école. C'est semblablement parler de la même chose à des niveaux différents ou selon les axes d'entrée différents. Je vais seulement indiquer quelques réflexions.


Le statut de la lecture. L'école pense que la lecture est une discipline scolaire, et nous affirmons que la lecture est une pratique sociale. Nous lisons tous avec ce que nous sommes, avec les actions que nous conduisons à partir de notre statut, avec les rêves qu'on a, avec les difficultés qu'on rencontre, etc. La lecture est une pratique sociale, parmi d'autres, en interaction avec d'autres, conditionnée par d'autres, et conditionnant les autres. On sait bien qu'on lit avec les questions qu'on a, avec l'expérience de vie qu'on a, sa situation sociale. C'est sur ce plan que le débat doit porter, qu'il s'agisse de le faire de façon abstraite, en organisant un débat sur la lecture, ou qu'il s'agisse de le faire à partir des pratiques dans les écoles. Nous disposons d'une information suffisamment claire et de moyens pratiques suffisamment nombreux, pour faire rapidement le débat sur l'essentiel, et l'AFL met à la disposition de chacun les moyens de travail et d'interpellation théorique. En ce qui concerne l'apprentissage de la lecture, ce qui est en jeu, c'est l'idée qu'on se fait des conditions dans lesquelles un enfant apprend, ou un être apprend : est-ce qu'il apprend dans des situations spécialement agencées pour cela, et en lisant des écrits qui sont destinés à l'aider à apprendre à lire, ou bien est-ce qu'il apprend à lire en lisant des écrits qui lui apportent l'information dont il a besoin, ou les rêves qu'il recherche. C'est aussi le problème des techniques du savoir lire. Est-ce que ces techniques ont à être communiquées avant les pratiques pour en garantir l'efficacité, voire la possibilité. Est-ce qu'il faut enseigner les techniques du lecteur à quelqu'un qui ne sait pas lire, pour qu'il devienne lecteur ? Et c'est, grosso modo, la position de l'école. Ou bien on pense que les techniques sont toujours le produit sans cesse en évolution des pratiques réelles qu'on a. Que c'est dans la pratique que j'ai que je construis à la fois le sens dont j'ai besoin, et les moyens techniques, dont j'ai besoin pour construire ce sens, grâce aux aides qu'on peut m'apporter par ailleurs. Dans la première perspective, l'enseignement est avant tout une communication des savoirs et des savoir- faire jugés nécessaires pour lire, et en préambule à l'action, et dans le deuxième cas, l'enseignement ce sont les aides qu'il s'agit d'apporter à tout individu qui cherche à questionner l'écrit pour produire du sens.


Mais de même qu’il produit son sens, de même il construit progressivement les techniques dont il a besoin pour produire ce sens. Tel est le débat. En ce qui concerne le statut de l'enfant, c'est-à-dire l'idée qu'on se fait d'un enfant, de l'importance de son présent, de son développement, des conditions dans lesquelles il apprend, des fonctions, des responsabilités, du pouvoir qu'il peut assumer ou partager, des conflits à la résolution desquels il peut participer, des domaines, des sujets dont il doit être protégé.

Quelle est la part du savoir, et des savoir-faire qu'il construira dans l'exercice de son pouvoir ? Dès lors que l'on prive un enfant, un individu, de responsabilités, de pouvoir d'agir, d'avoir un statut actif de partenaire parmi d'autres, dans la réalité sociale, de la même manière on le prive de rapport à l'écrit et on le prive des occasions de construire les moyens de maîtriser l'écrit. Là aussi, sur le plan théorique et sur le plan pratique, les expériences qu'on a sont suffisamment claires pour permettre des débats et diffuser les informations qui sont nécessaires. On pourrait reprendre cette discussion à partir de l'exposition que l'AFL a largement diffusée entre alphabétisation et lecturisation ou des deux manières d'aborder l'écrit. Comme une langue pour l'oeil, et on parlera de lecture. Ou, perspective traditionnelle, comme une langue qu'on traduit en oral, cet oral permettant de produire du sens.

Dans les deux cas, l'enseignement n'est pas le même. On communique les moyens du déchiffrement à l'école, et dans une période qui est généralement courte, alors qu'apprendre à lire, c'est-à-dire maîtriser l'écrit directement comme une langue pour l'oeil, ça ne peut se faire qu'en ayant des livres avec de vrais écrits, et en fonction des attentes qu'on a soi-même, en fonction de son expérience de vie, et de ce qu'on sait de l'écrit et de ce qu'on y cherche. L'enseignement prend un autre sens et de savoir si ça commence à six ans ou un peu plus tôt ou un peu plus tard, n'a plus guère de sens.


Le rôle de l'école n'est pas le même dans l'un et dans l'autre cas et celui de la bibliothèque n'est évidemment pas le même.


L'école a été conçue pour l'alphabétisation. Son architecture, son organisation interne, la fonction du CP, le rôle ou le non-rôle de l'école maternelle, les redoublements, les classes homogènes, le rôle des maîtres, tout a été organisé en vue de l'alphabétisation. C'est ce qui explique que des maîtres qui essaient de sortir de cette perspective, recentrent des difficultés à tous les éléments de l'édifice qu'ils veulent transformer. L'école est inconsciente des ressorts et des implicites épistémologiques sur lesquels elle fonctionne. Elle est aussi largement inconsciente de ses pratiques réelles : on sait mal ce que vivent les enfants à l'école. On a aussi des informations, qu'il importerait de diffuser et qui pourraient lever des obstacles.


J'ai eu l'occasion de rencontrer des parents qui étaient tout a fait d'accord pour que les jeunes enfants viennent à la bibliothèque mais qui trouvaient anormal que des gamins du CP participent à la gestion de la bibliothèque, pensant qu'ils auraient mieux fait d'apprendre à lire pendant ce temps-là. Or la description du budget-temps des enfants du CP totalisée par I'INRP montre que dans ces activités-là le taux d'actes de lecture des enfants est plus important que dans beaucoup d’activités traditionnelles de l’école, les activités traditionnelles ne faisant problème par ailleurs pour personne. Par méconnaissance de la réalité, beaucoup d’obstacles subsistent qu'il serait sans doute facile de faire tomber.


L’école est assez inconsciente de ses résultats réels : approche des résultats bien souvent individuelle: c’est l’échec de tel enfants ; et approche individuelle du côté du maître qui se sent coupable de l’échec de certains de ses élèves.

La dimension sociologique des questions serait un élément de déculpabilisation, mais aussi un élément qui aiderait à transformer sensiblement les choses. L'école n'a jamais été considérée comme un lieu de recherche, un lieu de formation, et les maîtres comme des partenaires à la fois dans la recherche de la théorisation et l’évolution de leurs pratiques.




Ces remarques sur la lecture, l'apprentissage de la lecture, le statut de l'école, l'alphabétisation, la lecturisation sont des points de passage obligés pour la réflexion.

On ne peut pas, aujourd'hui, faire fonctionner une bibliothèque dans le cadre d'une politique de la lecture sans avoir approfondi ces points-là au moins. Une réflexion a priori, dans l'abstrait, peut-être, ce n'est pas sûr que ce soit le meilleur moyen. Je crois plutôt à une réflexion qui s'organise à partir de pratiques qui conduisent à des désaccords et à des conflits, et l'approfondissement des désaccords et de conflits passe par ces points.


Quelques propositions pour l'action quotidienne. Il s'agit de définir, sur le terrain, une politique commune et nouvelle de la lecture.

Pratiquement, ça conduira à repérer des secteurs assez vastes pour que les sources d'écrits soient diverses et assez proches pour qu'on ait, à l'intérieur, le sentiment d'appartenir à une communauté.

Définir les projets, et définir les instances de gestion, d'animation, de ces projets. Je crois beaucoup, à l'importance des instances communautaires de définition et de gestion des projets et à la mise en place des moyens de formation correspondante. Lorsque la bibliothèque est un élément moteur d'interpellation, lorsque les choses commencent par la bibliothèque, les questions qui se posent sont souvent les questions des alliances et des moyens à mettre en oeuvre pour interpeller le corps social c'est-à-dire débats, expositions, campagnes de sensibilisation, etc.

L'AFL met l'accent sur ce point, et propose des montages, des films vidéo et des expositions, etc.


Souvent, les enseignants, nous sommes maladroits dans l'utilisation des médias. Or, il existe des moyens : télévision, radios libres, presse locale, etc. qui devraient pouvoir jouer un rôle plus important. En ce qui concerne l'aide aux co-éducateurs, il s'agit d'aider chacun pour qu'il acquière des comportements de lecteur, pour qu'il prenne conscience de ses pratiques et pour qu'il puisse changer dans ses rapports, éventuellement avec ses enfants, vis à vis de l'écrit. Autrement dit, on voit là que l'école devient, parmi d'autres, un lieu où les co-éducateurs se donnent des moyens et des stratégies pour changer leur intervention vis à vis de leurs enfants dans la réalité sociale. Des expériences et des lieux montrent que c'est possible. La politique de formation particulièrement importante concerne tous ceux qui interviennent dans la bibliothèque, sans considération de statuts. On voit ici ou là, mais pas très fréquemment encore, des stages du type école-quartier. Dans un quartier tous les partenaires dans le projet, se retrouvent, enseignants, non-enseignants, professionnels du livre, etc. pour travailler à l'approfondissement de leur projet.

Une formation permanente, beaucoup moins une formation pré ambule à l'action, même s'il est nécessaire d'engager des actions de formation avant de commencer, ou au tout début. Une formation régulière qui permette de faire l'analyse critique des pratiques qu'on met en place, et donc de les connaître. Le groupe doit rechercher, pour son ensemble, ou pour certains de ses représentants, dans les instances de formation qui existent, ou auprès des personnes compétentes, les moyens de répondre aux besoins qui sont exprimés, sur la littérature enfantine, l'exclusion, la bibliothéconomie...


Si une BCD est l'instrument d'une politique commune, il est important de se donner directement les moyens de ses ambitions, en particulier les moyens en personnel. Sur le budget-temps disponible dans l'école, tout confondu: décharges GAPP, intervenants extérieurs, etc. il est important de dégager une présence suffisamment permanente pour assurer le fonctionnement de la bibliothèque, faute de quoi l'expérience montre qu'on va plus au devant de difficultés et d'échecs que de satisfactions. Au sein de l'école, il est nécessaire dès le début de l'opération d'associer tous les partenaires possibles à cette opération, alors que la tendance serait plutôt de dire : commençons entre nous soyons à l'aise entre nous, et ensuite, on s'ouvrira aux autres. Ce n'est évidemment pas une bonne stratégie. Il faut mettre en place les instances de gestion nécessaires, qui gèrent le quotidien: un groupe d'enfants et d'adultes, qui se réunit très régulièrement sinon tous les jours, pendant une durée qui peut ne pas être très longue, pour régler les problèmes quotidiens en particulier, pour régler les problèmes de circulation, d'information entre la bibliothèque et l'école, dans les deux sens. Pour informer les enfants sur ce qui se passe dans les bibliothèques et essayer de comprendre les besoins des individus et des groupes dans les différentes classes. Cette information orale ou écrite demande une réflexion, des moyens, du temps. Et on ne peut pas ne pas le faire, et en même temps dire qu'on veut donner aux enfants la liberté de faire des choix.


Gestion du court terme: la politique d'animation, la politique à l'intérieur ou à l'extérieur de l'école ; la manière de gérer un certain nombre de projets d'une durée assez longue. C'est généralement un groupe composé d'enfants, d'enseignants, et de non-enseignants, qui se réunit régulièrement pour faire ce travail.

Dans certains cas, c'est, par exemple, une association loi 1901 qui gère la politique du secteur, c'est-à-dire aussi bien la politique de la bibliothèque dans l'école, que les autres sources d'écrit social, et les autres actions dans le cadre de la politique commune dans le secteur en question.


Pour conclure, constatons qu'un mouvement existe et que ce mouvement est important. Nous sommes tous convaincus que des transformations importantes sont nécessaires et qu'elles ne se feront pas spontanément, qu'elles ne se feront pas si elles ne sont pas épaulées, aidées. Les risques sont clairs et les déceptions garanties, si on laisse les choses se faire sans aide, sous les pressions d'une mode.

C'est dire l'importance d'un nouveau travail d'expérimentation et de formation.

Voilà ce que je voulais dire sur la situation aujourd'hui et ce qu'on peut en penser.


Quelle priorité pour les exclus ?

Apprendre à lire autrement les écrits anciens.

Produire de nouveaux écrits.