La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°5 mars 1984 ___________________ Intervention de Jean GATTEGNO Directeur du livre au Ministère de la Culture
Dans la mesure ou je représente une administration qui n'est pas celle de l'Éducation Nationale, on a souhaité ce matin, que ce soit moi qui accepte de répondre à la question que vous avez posée sur la formation professionnelle. La réponse sera brève, et vous paraîtra peut être un peu sèche. C'est le renvoi a la prise de conscience, et à la volonté politique exprimée par le Conseil des Ministres d'il y a quelques jours à peine, sur la lutte contre l'illettrisme. Je vous cite la proposition n°7, qui montre que le gouvernement a eu la conviction, que lutter pour la lecture, ce n'est pas lutter simplement à l'école ou dans le domaine culturel mais c'était prendre en compte tout une série de lieux où se retrouvent des gens exclus de la lecture, et où on doit lutter pour que cette exclusion cesse. La proposition n°7 dit : Équiper d'une dimension explicite de lutte contre l'illettrisme, le dispositif d'éducation des jeunes en difficulté, notamment sur les stages d'insertion professionnelle et sur le temps du service national. Pour l'instant c'est une proposition d'action, qui va demander à être affûtée, à être concrétisée, à trouver un peu de chair. Mais je crois que c'est bien le sens de la réponse que le gouvernement voudrait apporter à une situation que vous connaissez encore mieux que nous... ... Ce que nous avons essayé de faire depuis deux ans, et ce que nous allons intensifier à partir de 1984, c'est une collaboration avec d'autres administrations, avec les mouvements associatifs, dès l'instant qu'ils ont la volonté d'agir dans le secteur culturel, et notamment sur le domaine particulier de la lecture. Les secteurs les plus promoteurs, si vous me pardonnez l'expression, étant : Celui de l'administration pénitentiaire, où il y a une volonté très forte de l'administration et une volonté d'une force surprenante de la part d'une partie des détenus pour prendre en charge un certain nombre d'actions nouvelles, en liaison étroite avec les bibliothèques centrales de prêts, ou les bibliothèques municipales, suivant l'implantation de la prison. Deuxième secteur, le secteur des hôpitaux. Avec des difficultés beaucoup plus grandes, qui tiennent aux statuts juridiques des hôpitaux, à la difficulté qu'il y a à trouver les secteurs où des patients restent suffisamment longtemps pour qu'une action soutenue puisse être menée. Ce que nous avons décidé de privilégier, ce sont les secteurs de la pédiatrie et de la gériatrie, et probablement en collaboration avec la Mutuelle Générale de l'Éducation Nationale, le secteur psychiatrique. Mais cela étant, c'est quand même avec l'Éducation Nationale que l'on est tout naturellement appelé à se rapprocher, ou à mettre sur pied une collaboration.
On n'a pas attendu ni le nouveau gouvernement, ni le nouveau Directeur du livre, ni le nouveau Directeur des écoles pour le faire, puisque les Bibliothèques Centrales de Prêt, mais aussi les bibliothèques municipales, mènent une action privilégiée en liaison avec les écoles depuis leur création en Le danger que mes prédécesseurs avaient vu, c'était que cette action ne soit pas trop privilégiée, vu le dynamisme des instituteurs notamment dans l'accueil des jeunes et des adultes, au moment où des dépôts de livres se constituent, mais vu aussi l'appétit des instituteurs et des enseignants en général pour tout ce que pouvaient apporter en termes de dépôt de livres, les bibliothèques centrales de prêt, pour la lecture suivie par exemple. Il est certain qu'on courrait le risque si les B.C. P. en particulier concentraient tous leurs moyens sur la desserte des écoles. Le premier Directeur du livre, en 1978, a voulu mettre un frein à cette identification. Déscolariser la lecture, ce qui est la vocation première par exemple des B.C. P., c'est desservir les milieux ruraux, et non pas les écoles des milieux ruraux. Cette collaboration, elle existe, elle est rendue possible par le bénévolat des instituteurs qui acceptent non seulement l'accueil des dépôts de livres, mais aussi de faire bénéficier les enfants, mais aussi les adultes de ce dépôt de livres. Cependant, il nous semble aujourd'hui que les choses doivent changer. Elles doivent changer au moins pour deux raisons ; la première c'est que le Ministère de l'Éducation Nationale a, à nouveau, la volonté d'agir dans le secteur qui lui est propre, selon des modalités sur lesquelles on peut réfléchir, mais cette volonté existe ainsi que les moyens mis à la disposition de cette volonté. Il y a une autre raison qui nous oblige à voir les choses différemment. Nous avons la volonté au Ministère de la Culture, d'agir à la fois dans des secteurs où se trouve potentiellement le plus grand nombre possible de lecteurs, sans pour autant négliger les secteurs comme ceux que j'ai mentionnés tout à l'heure, des prisons, des hôpitaux, mais aussi des quartiers d'habitations sociales, où se trouvent des gens qui, à l'heure actuelle sont totalement exclus de la lecture, alors que ceux de l'Éducation Nationale, par définition, ne le sont pas totalement. Ce que nous avons demandé, une fois conclu l'accord de haut niveau, entre le Ministère de l'Éducation Nationale et le Ministère de la Culture, dans le courant de l'année 1983, c'est a partir de quelques expériences qui ont été menées ces deux dernières années, d'intensifier une collaboration en mettant l'accent sur au moins deux aspects. Le premier, c'est la phase de formation des futurs enseignants. Le deuxième, c'est que les BCD et les bibliothèques centrales ou municipales de prêt, suivant la dimension de la commune dans lesquelles s'ouvre une B.C.D., fonctionnent ensemble. Mais là, attention. Nous avons clairement décidé, en plein accord, aussi bien avec le Directeur des écoles, qu'avec M. LUC, des missions d'action culturelle, qu'il n'entrait pas dans la mission de la Direction du livre et de la lecture de simplement apporter une aide à une B.C.D. qui voulait se développer parce qu'elle voulait se développer. Une B.C.D. reste une structure de l'Éducation Nationale, ce n'est pas au Ministère de la Culture de régler les problèmes. En revanche, là où nous nous sentons partie prenante d'un accord, c'est chaque fois qu'une B.C.D. se crée ou se développe avec une volonté d'ouverture. Et j'emploie ouverture dans un sens très précis: ouverture à un public extérieur au public de l'école. Autant dire que si une B.C.D. ne s'ouvre qu'aux élèves, aux enseignants et aux parents d'élèves, personnellement, je ne suis pas absolument convaincu que c'est une véritable ouverture. Et en terme d'horaires, il est évident, pour nous, qu'une B.C.D. qui ne fonctionne qu'aux heures scolaires est une B.C.D. qui remplit certes une mission très importante et très positive à l'intérieur de l'établissement scolaire, mais qui ne semble pas garantir pour nous l'ouverture a d'autres, qu'au public de l'école. Donc, ce sont les deux conditions que nous mettons à toute aide financière, puisque c'est de cela qu'il s'agit, je pense. Une fois ces conditions satisfaites, nous sommes prêts à toute forme de collaboration, financière, mais aussi, car c'est cela qui est peut-être le plus intéressant, dans l'élaboration de programmes nouveaux, que l'équipe faisant fonctionner la B.C.D., l'équipe de lecture publique qui peut se trouver dans le secteur et éventuellement les associations peuvent vouloir élaborer. Ce que je voulais dire, c'est que nous nous sentons pris dans une contradiction qui, pour nous, est positive. C'est à la fois ne pas concentrer les moyens de notre action sur les établissements scolaires, tout en prenant acte de ce que, s'il n'y avait pas eu les enseignants pour faire fonctionner les B.C.P., elles n'auraient que très peu fonctionné. Ce n'est pas à nous de mettre l'accent sur le développement de la lecture en milieu Éducation Nationale, et en même temps, maintenant que l'Éducation Nationale a affiché une priorité dans son action éducative et culturelle en faveur de la lecture, il nous semble plus important que jamais que nous collaborions à des actions. À condition, je le répète, qu'elles soient ouvertes sur l'extérieur.
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