La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°5 mars 1984 ___________________ L'ÉTAT DES BCD EN FRANCE
L'ÉTAT DES BCD en France Description et Estimation d'après une enquête réalisée par l'AFL et l'INRP avec le concours de la librairie Hachette. Situation en mars 1983
Le projet de cette enquête a été proposé au Ministère de l'Éducation pour être joint à un questionnaire national. N'ayant pas été retenu par "les instances scientifiques", ce projet a été remanié pour être porté par un "mailing" de la librairie Hachette à destination de 20 000 écoles élémentaires et maternelles. Bien que l'envoi d'un livre de bibliothèque remerciât les écoles qui répondaient au questionnaire, nous ne reçûmes que 580 réponses... Les spécialistes du marketing garantissent la normalité d'un tel taux de retour et le trouveraient même plutôt flatteur... Nous avons néanmoins été contraints d'infléchir la méthode de dépouillement pour transformer ces données en éléments pour une estimation. Nous
voulions répondre à trois questions :
1. Combien y a-t-il de BCD ? Il est impossible de considérer l'ensemble des réponses comme représentatif de l'ensemble des écoles. Pour des raisons trop évidentes... S'il est peu probable que toutes les écoles dotées de BCD aient ouvert la publicité de Hachette ou si, l'ayant fait, que toutes y aient répondu, les écoles sensibilisées à ce problème ont davantage répondu que les autres. Quel correctif apporter ? L'Inspection Académique d'un département a accepté de procéder à la même enquête quelques semaines plus tard. Les BCD ainsi recensées étaient 8 fois plus nombreuses que celles déclarées dans l'enquête nationale. Ce coefficient a été confronté à d'autres vérifications conduites dans plusieurs départements par des membres de l'AFL. AUSSI PEUT-ON ESTIMER À 2000 LE NOMBRE DE BCD EXISTANT EN FRANCE EN MARS 83; ENVIRON 1700 DANS L'ÉLÉMENTAIRE ET 300 EN MATERNELLE. Les différences sont importantes d'un département à l'autre ; plus de 50 dans certains, moins de 2 dans d'autres, parfois zéro... En fait, 20 départements ont plus de 50 BCD ; dans le reste la moyenne est de 10. Qu'est-ce qui caractérise les départements bien dotés (Finistère -Gironde - Hérault - Isère - Loire-Atlantique - Marne - Meurthe et Moselle - ...) ? Nous n'y répondrons pas mais il est déjà évident que ce n'est pas le hasard ! Une recherche approfondie devrait être entreprise sur les facteurs et les réseaux de développement d'une innovation lorsqu'elle est aussi facile à définir que l'est la BCD. L'année prochaine, il sera trop tard car le processus de généralisation est en place... On peut estimer, en effet, qu'à travers les P.A.E., des stages dans les E.N. ou de manière plus spontanée, les BCD en projet sont au moins aussi nombreuses que celles existantes. Fin 85 - début 86, on en recensera 4 à 5 000 en France. Si on veut bien considérer qu'il en existait moins de 5 en 1976 avant que l'ADACES aidée par le FIC du Ministère de la Culture et la MAC du Ministère de l'Éducation n'en implante une dans 6 écoles expérimentales, la progression est d'importance... Rappelons, pour l'histoire, que l'ADACES est née de la volonté de chercheurs de l'INRP, de bibliothécaires de la Joie par les livres et d'enseignants des écoles Colette d'Auxerre, Léon Blum de Longvic, J.-P. Rameau de Rouen, Les Sables de Poitiers, Jacques Cartier d'Evry et Eugène Corette de St Quentin. Cette évolution rapide dans un milieu scolaire plutôt stable oblige à se demander en quoi ce qui se développe ressemble au projet initial. Ce projet a pris naissance contre deux conceptions, celle des bibliothèques de classe d'une part, celle des centres de ressources, tels qu'on a pu les voir évoluer au Québec, d'autre part.
Les bibliothèques de classe apparaissent, en effet, comme le complément naturel d'une politique d'alphabétisation conduite par l'école. Quelques livres, très rarement plus d'une centaine, pour l'essentiel albums, romans et quelques usuels, donnent lieu à une activité de prêt et à une lecture sur place soit dans des plages horaires fixes soit dans des moments de battement pour ceux qui ont fini un exercice avant le début de la séquence suivante ; somme toute, un choix dans un éventail restreint d'ouvrages et pas d'activités spécifiques. En 1983, les bibliothèques de classes sont bien implantées : 90% des écoles sans BCD ont au moins une bibliothèque dans une de leurs classes et 53% en ont une dans chaque classe. Au total, dans les écoles sans BCD 75% des classes possèdent une bibliothèque. Cette constatation est d'importance. Car elle montre que les résultats que l'on déplore dans l'enseignement de la lecture ne sauraient être inversés par une généralisation (déjà faite) des bibliothèques de classe. C'est une autre politique qui doit se mettre en place. Si la bibliothèque de classe est un complément de l'alphabétisation, à quel prix la BCD peut-elle être un moyen de la lecturisation ? Les deux démarches ne peuvent être confondues dans la même recommandation. Mais les BCD sont, dès l'origine, menacées par un autre danger : les confondre avec des centres de ressource mis à la disposition de la vie des classes, comme elles se sont développées au Québec. Dans cette Belle Province, les écoles ont été, le plus souvent, richement dotées d'une bibliothèque mais sans qu'il y soit prévu les moyens, en personnel ou en temps, pour des activités permanentes et spécifiques et sans que l'organisation générale de l'école et la vie dans chaque classe doivent en tenir compte. La naissance de ces bibliothèques découle plutôt d'un souci de rationaliser les équipements : grâce à elle, chaque classe dispose, temporairement, d'ouvrages puisés dans un fonds beaucoup plus étendu : 100 livres permanent dans dix classes, c'est autre chose que mille livres disponibles pour dix classes lorsqu'elles en ont besoin. Même si le rapport nombre de livres/nombre d'enfants ne varie pas, l'éventail offert à chaque élève est plus important; et les doubles emplois disparaissent.
Mais si la qualité de l'écrit proposé s'améliore, le rapport à l'écrit et la conception générale de l'apprentissage n'en sont pas modifiés. Cet enrichissement ne se transforme pas en innovation. On est devant une école qui a seulement davantage de moyens pour faire la même chose. Aussi n'est-il pas étonnant que, peu d'années après, la réflexion ait à nouveau porté sur l'animation des bibliothèques de classe ! Nous nous devons soit de créer, grâce à la BCD, les conditions d'une autre politique de lecture, soit d'éviter le détour par un gadget, nouvelle mode et nouvel échec, peu différent de ce que nous avons connu avec la télévision et de ce qui s'annonce avec la micro informatique. C'est pourquoi, dès 1976, nous avons insisté sur les conditions générales d'apprentissage de la lecture, sur la nécessité de la libre circulation et du libre-accès des élèves à la BCD, sur la présence d'un bibliothécaire, sur la participation de l'ensemble des enseignants, sur des activités permanentes et des animations concurrentes de ce qui se déroule dans les classes, sur l'ouverture de la BCD aux autres lecteurs du quartier, sur l'utilisation de la BCD par les plus jeunes, etc. Qu'en est-il en 1983 dans les 2000 BCD ?
2. Comment fonctionnent les BCD ? Nous avons, dans cette description, considéré les réponses des écoles dotées de BCD comme représentatives de ce qui se fait dans l'ensemble des 1700 BCD qui fonctionnent dans les écoles élémentaires. L'école-type, c'est l'école à 9 classes et 210 élèves ; dans une fourchette de 5 à 13 classes. Plus petites, il est difficile de réunir un nombre suffisant d'ouvrages et des moyens en personnel ; plus grandes, on se heurte à des problèmes d'engorgement et donc à une utilisation trop sporadique pour chaque enfant.
Notons que 65% des écoles qui ont une BCD conservent encore une ou plusieurs bibliothèques de classes (contre 90% quand il n'y a pas de BCD). Pourquoi ce maintien en parallèle ? Parce que les BCD, sont d'implantation très récente ? Parce que les BCD se sont implantées sous une pression extérieure qui modifie la forme sans modifier les pratiques ? Parce que l'équipe n'est pas unanime et que certains maîtres préfèrent conserver leur propre équipement ? Parce qu'on est en présence d'une BCD conçue comme une centrale de ressources où viennent s'alimenter les bibliothèques de classe ? Ces 53% de BCD où l'accueil, n'existe pas caractérisent un type de fonctionnement : c'est le maître qui accompagne ses élèves. Les échanges entre collègues se limitent alors à définir, comme pour le gymnase ou la piscine, la grille de répartition des plages disponibles entre les classes. Notons que, dans une autre question, 62% des BCD disent proposer au moins une activité (heure du conte, discussion, expositions diverses, conférences, etc.), alors que seulement 42% considèrent que les enfants vont à la BCD pour participer a des activités organisées par la BCD. C'est en fait parce que, dans de nombreux cas, l'enseignant conduit une telle activité à l'occasion de la venue de sa classe à la BCD, mais ses élèves n'ont pas choisi d'y aller pour ce motif. Les activités concurrentes ne sont pas en place. En bref, si l'on définit la BCD comme un lieu ouvert en permanence, avec un personnel d'accueil, où l'accès est libre et individuel et où il existe autour de l'écrit des activités différentes et concurrentes de celles de la classe, force est de constater que moins de 25% des BCD réunissent ces conditions. Entre 4 et 500 écoles en France... Du chemin reste à faire pour que les BCD soient intégrées dans une politique générale de la lecture ! Rappelons que cette description concerne des BCD fonctionnant dans les écoles élémentaires. Pour celles implantées en maternelles, les données sont moins précises. Néanmoins, il semble qu'un moins grand nombre est ouvert en permanence, qu'on y trouve davantage de parents, que les enfants y viennent davantage par petits groupes ou individuellement mais dans des plages définies ; qu'on y pratique moins le prêt et la documentation et que la consultation de livres sur place y est l'activité principale.
3. DE QUOI SONT COMPOSÉS LES FONDS ? Les données diffèrent selon que la BCD a fait disparaître ou non les bibliothèques de classe. Aussi, allons-nous présenter dans un tableau, la constitution du fonds dans un cas et dans l'autre puis dans l'ensemble des BCD. A chaque fois, nous indiquerons le nombre moyen d'ouvrages par élève et le nombre d'ouvrages disponibles pour un élève dans l'école (9 classes et 210 enfants).
Ce tableau appelle deux types de commentaire. 1 - Dotation moyenne Moins de 6 ouvrages par élève, c'est peu; et pourtant 1200 livres regroupés au centre d'une école, c'est déjà beaucoup. En achat instantané, la dépense serait voisine de 30 000 F. En fait, les enseignants ont centralisé des achats effectués sur plusieurs années et sans concertation. C'est dire que le nombre d'ouvrages réellement utilisables est plus faible qu'il n'y paraît. Il faudrait plus que doubler le nombre de livres par enfants afin qu'il dépasse un ratio de 15. Encore qu'une telle proportion n'ait pas la même signification dans une petite et dans une grande école. Si on ajoute encore les frais d'équipement des livres, les fichiers, le mobilier, etc., la dotation initiale se situe autour de 80 000F. si on part de rien et à plus de la moitié lorsqu'on utilise ce qui existe déjà. À cela doit s'ajouter le coût de l'entretien et du renouvellement annuels qui peut difficilement descendre au dessous de 6 000 F. Généraliser les BCD équivaut à un investissement voisin d'un milliard de francs et à un renouvellement annuel de 120 millions ! Ces sommes sont trop considérables pour que des garanties ne soient pas prises quant aux conditions nécessaires du changement; elles ne se justifieront pas si l'école reste la même : mieux vaudrait alors les consacrer à des opérations générales de lecture publique. En revanche, assorties d'une volonté claire de promotion d'une autre politique scolaire, elles ne représentent que 60 à 80 F. par enfant et par an, somme dérisoire comparée au coût d'une séance chez un rééducateur !
2 - Dotation moyenne et choix de l'équipe Nous avons déjà signalé la contradiction, au sein du projet pédagogique, à vouloir juxtaposer une BCD et des bibliothèques de classe. Si la libre circulation devient une règle absolue, on ne voit plus l'intérêt de livres dans le fond des classes. Ceci n'exclut pas l'introduction d'ouvrages venus de la BCD lors de certaines séquences. Le maintien de bibliothèques de classe appauvrit considérablement le fonds de la BCD. Comme le montrent les chiffres, la variation est du simple ou double. Avec quatre ouvrages par enfant et un fonds moyen de 800 titres, on se met dans des conditions si défavorables qu'immanquablement on rencontrera les meilleures raisons de ne pas aller à la BCD et donc de conserver des coins-lecture. Pour que la BCD démarre véritablement, il lui faut, dès le début, les conditions qui en font un lieu privilégié. Parmi elles, une dotation abondante et les moyens pour des activités propres apparaissent prioritaires. Non seulement, il faut tout, tout de suite mais il faut davantage au début que par la suite. En d'autres termes, comme pour les fusées, le démarrage demande une surpuissance afin de créer le mouvement qui s'entretiendrait ensuite au moindre coût. Cette considération est essentielle pour définir une politique d'implantation. On voit comment les BCD, les Ecoles normales, les collectivités locales, les mouvements pédagogiques et les associations de parents d'élèves peuvent contribuer à la constitution de la masse critique sans laquelle il n'est pas de réaction en chaîne. Le dépouillement de cette enquête et les estimations qu'elle permet montre que le développement des BCD est un phénomène incontestable et en progression rapide. La constitution des fonds révèle qu'on en est encore réduit à la "débrouillardise". Quant à l'utilisation, elle reste précaire ; elle met rarement en question l'organisation de l'école et le projet global que l'équipe enseignante élabore afin d'aider l'apprentissage de la lecture. Or l'exemple du Québec, tout autant que les désillusions qui commencent à se faire jour dans certaines écoles, montrent que si la BCD ne transforme pas rapidement et profondément la politique générale de la lecture, on en revient à une tradition désabusée et aux bibliothèques de classe que les instructions officielles de la fin du 19e siècle recommandaient déjà ! C'est dire l'urgence d'une politique qui sache accompagner le mouvement spontané des BCD. Les innovations de cette qualité sont trop rares pour qu'on les laisse échouer sur des obstacles faciles à repérer. Jean Foucambert, Martine Rémond |