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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°9  mars 1985

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DOSSIER "UNE POLITIQUE DE LECTURE"

DANS UNE ASSOCIATION :

IDÉES-LIRE


N’i a que dison toujours de nautre

Sèns rèn saupre de nostro vido

« Aquéli gènt, fan que dourmi,

Coume de limbert au soulèu »

(chant provençal)


Il en est qui, de nous, toujours disent,

sans rien savoir de notre vie

« Ces gens ne font que dormir

Comme des lézards au soleil »


Si vous descendez au-delà d’Avignon, vers l’Étang de Berre, vous pourrez rencontrer les membres de l’Association “IDÉES - LIRE” (pour une fois vous pouvez oraliser !) et vous verrez si l’on ne fait que dormir en Provence !

Depuis le début de l’année 1983, cette association où l’on rencontre des enseignants, des bibliothécaires, des libraires du département, cherche à créer des lieux de réflexion en collaboration avec des institutions locales.

Par exemple, avec la Bibliothèque Centrale de Prêt des Bouches du Rhône, un stage a été organisé à Saint Chamas où, élus, enseignants, parents ont élaboré ensemble le contenu du stage et pendant six ou sept semaines, ont essayé de s’interroger sur la co-édu­cation autour de la lecture des jeunes, l’apprentissage de la lecture (qui a dit que c’était un sujet tabou chez les enseignants ?), les sélections d’écrits, la recherche documentaire. Les réflexions que suscitent le “savoir lire” mais surtout le “pourquoi lire” et aussi le “que lire” y ont été approfondies.

En mai-juin 83, le Centre Social de Miramas réunissait des animateurs socio-culturels, des insti­tuteurs et des mères d’élèves des écoles de la ZEP, pour huit séances animées par Idées-Lire sur le partage des compétences autour de la lecture des jeunes, sur les grands axes suivants:


RÉFLEXION SUR LA LECTURE ce quelle est pour nous, adultes.

- La lecture et le quotidien :

Réflexion sur toutes les occasions qui nous mettent en situation de lecture

Par là, prise de conscience que la lecture n’est pas que l’affaire de l’école.

- Les différents genres d’ouvrages correspondant aux différents besoins de lecture.

Prise de conscience que le contenu de la lecture n’est jamais neutre, quel qu’en soit le support.

- La lecture des jeunes

Où trouve-t-on des livres pour nos enfants ? Les problèmes de l’édition et de la distribution.

Comment rendre l’enfant lecteur ?

Réflexion sur l’animation.

Rôle de l’adulte intermédiaire entre le livre et l’en fant.

Danger de vouloir répondre à tous les besoins de lecture dans un seul lieu.

Prise de conscience de la nécessaire compétence de chaque adulte et collaboration avec les autres adultes.

Ces prises de consciences - la lecture n’est pas que l’affaire de l’école, le partage des compétences est vital - (on dit bien partage, mais aussi compétence) - amenaient certains participants à poursuivre cette approche par une interrogation sur leurs propres lectures : un partage des responsabilités amènerait-il une augmentation du nombre de lecteurs ? Nous avons déjà entendu dire cela quelque part : certains le disent à Paris... on le pense aussi en province !

L’aide au niveau local qu’a pu donc apporté ­l’Association IDÉES-LIRE dans ces réflexions, permettait, selon ses objectifs, de participer à la rencontre des différents partenaires concernés par la réussite des jeunes, dans une entreprise commune autour de leurs lectures.

Il s’agit d’actions ponctuelles, qui cherchent à faciliter la prise en charge, par les interlocuteurs locaux, de l’organisation d’une action durable, capable de prendre en compte dans le quotidien les acquis de ces réflexions.

Mais l’assurance venant, au mois de juin 1984 naissait le projet d’un collectif “Étang de Berre” pour une coopération et une réflexion concernant la se­maine “Le Livre et les Jeunes” proposée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports.

Collaborer, c’est travailler avec d’autres à une oeuvre commune, rappelle Bernadette FROSTIN qui m’a reçue à Miramas. Ont donc “collaboré” dans sept villes proches de l’Étang de Berre : les bibliothèques municipales et la B.C.P., I’Éducation Nationale et la Ligue de l’Enseignement, l’AGIEM, l’Association des enseignants et des amis des écoles de la circons­cription de Miramas... et bien sûr l’association IDÉES-­LIRE.

Dans chaque ville, nombreuses furent les actions tout au long du dernier trimestre de cette année 84. Souvent différentes, elles firent pourtant toutes apparaître :

- la volonté de rassembler et de sensibiliser l’ensemble des partenaires autour des jeunes et de leurs lectures.

- le souci de faire, du livre et des écrits, une pratique quotidienne dans la vie des jeunes et dans la vie des institutions.

De cette masse d’actions, certaines retiennent notre attention. Ici, on parle de décentraliser les écrits des bibliothèques vers le Centre Social : les participants pourraient être associés au choix des livres ou des écrits nécessaires à leurs activités dans le Centre. Ailleurs, on commence à réfléchir avec des jeunes sur leurs périodiques : ceux qu’ils lisent (et qui ne sont pas à la bibliothèque) et ceux qu’ils ne lisent pas (et qui, pourtant, sont à la bibliothèque).

Verra-t-on apparaître un nouveau mode de lecture : rejet (mais volontaire) ou contestation ? Ira-t-on jusqu’au détournement de certains écrits ? C’est dans ce type d’animation qu’est apparue la nécessité de rendre plus opérationnel “l’outil-lecture”.

Mais là encore, IDÉES-LIRE, fidèle à ses “prin­cipes” de départ, ne souhaite pas fournir des stages “ELMO”, prêts à l’emploi. Certes, des membres de l’association ont participé à une formation pour l’encadrement de tel stages, mais ils ont choisi de provoquer des réunions de concertation avec toutes les institutions qui ont participé aux différentes actions de sensibilisation pour qu’ensemble, elles organisent des stages dans leur lieu de vie et gèrent les outils nécessaires que sont l’ordinateur et le logiciel. La diversité des participants, lors de l’élaboration du stage, devrait garantir la non-appropriation de ceux-ci par une institution particulière.

À Miramas et dans sa région, les questions sont posées clairement. Bernadette FROSTIN ne rappelait-elle pas aux bibliothécaires réunies à Lyon les “mauvais” lecteurs n’ont certainement pas choisi de ne pas lire... Il est bien improbable que les animations effectuées dans les bibliothèques, par les biblio­thécaires seuls, puissent permettre à des gens qui ne les fréquentent pas d’avoir un autre rapport à l’écrit que celui qu’ils ont. Or ils fréquentent les autres équipements de la ville. C’est donc bien avec ces équipements qu’il faut prévoir des actions, afin de rencontrer l’ensemble des habitants.

Et pourtant... La “Boutique de documentation sociale” qui, à Miramas, veut aider les habitants à centraliser les écrits nécessaires à leurs besoins, se crée en dehors d’une réelle collaboration avec la bibliothèque. N’y a-t-il pas là risque de réintroduire une division bien connue : les écrits “nobles” dans les bibliothèques pour les “bons” lecteurs, les “utilitaires” dans les structures sociales pour ceux qui, se disant “non lecteurs“ n’approchent que l’écrit nécessaire à leur “survie”.

Comment vont-ils trouver une articulation qui donnerait à tous les usagers de la bibliothèque comme à tous ceux de la boutique de documentation sociale, un pouvoir nouveau ?

Pouvoir.., vous avez dit Pouvoir ?

Que ce mot évoque de difficultés.

Le problème est peut-être là : si nous partageons nos informations, notre formation, perdrons-nous notre petit pouvoir ? ... perdrons-nous notre existence ?

d’Avignon, une voisine !...

Anne-Lise Barouin