La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°9 mars 1985 ___________________ DOSSIER "UNE POLITIQUE DE LECTURE" DANS UNE ACADÉMIE
La MISSION D’ACTION CULTURELLE, a pour tâche, sous la responsabilité du Recteur, de mettre en oeuvre au sein de l’Académie, une politique culturelle cohérente en liaison avec les partenaires extérieurs de l’Education Nationale.
Elle assure une assistance technique et financière aux établissements scolaires dont les actions, surtout regroupées autour des P.A.E. (Projets d’Actions Éducatives) visent cinq objectifs : encourager l’ouverture des établissements et leur collaboration avec l’extérieur afin de ne pas couper l’enseignement des réalités de la vie, donner un rôle actif aux jeunes, aider le travail en équipe des enseignants, combattre les inégalités, faciliter le développement de la pédagogie de projet.
Cette prise en compte des réalités sociales débouchant sur des actions conjointes entre divers partenaires sociaux fait du P.A.E., un élément important dans le développement d’une politique culturelle.
En France, en 1983-1984, les P.A.E. ont touché 5.300 collèges et lycées (soit prés des 3/4 d’entre eux), 2 millions d’élèves, 100.000 enseignants.
À ROUEN, lieu de notre enquête, ils sont en constante progression :
en 1981-1982 - 151 établissements ont été aidés pour 237 projets, en 1982-1983 - 163 établissements ont été aidés pour 301 projets, en 1983-1984 - 194 projets avaient été subventionnés, contre 143 aux mêmes dates de 1982-1983.
Créés en 1983, les P.A.E. des Écoles sont en forte augmentation dès leur deuxième année de fonctionnement.
Si la description et l’analyse de quatre de ces projets ne nous permettent pas de livrer, par ordre alphabétique, la liste des moyens indispensables à la mise en oeuvre d’une politique de lecture cohérente et concertée, elles peuvent aider à mieux comprendre que les solutions ont moins besoin, pour apparaître, de moyens supplémentaires que d’une nouvelle manière de poser le problème.
MANUELLE DAMAMME, chargée de mission pour les P.A.E. dans les écoles, responsable du suivi des actions de formation et de la sous-commission “livres et bibliothèques” au Rectorat de Rouen, participe à cette réflexion ainsi que des représentants des quatre établissements suivants qui sont à l’origine des P.A.E. lecture.
Situées à proximité de Rouen, ces quatre villes tentent, par des actions volontaristes, de vaincre les résistances “naturelles” chômage, immigration, illettrisme, sous-qualification professionnelle, habitat dispersé dont les constructions s’étirent, se morcèlent à l’infini, créant ce vide immense propre à tout paysage sans identité architecturale, sans traces de pratiques communautaires, sans repérage précis des espaces culturels.
L’anonymat d’ici que de grands axes routiers dépersonnalisés relient à l’anonymat d’à côté.
Pas de bonnes librairies, sauf à Rouen, se plaignent les éducateurs isolés dans leurs établissements : quelle clientèle pourrait leur assurer une survie ? La lecture, non maîtrisée, les laisseraient invisibles, inabordables.
Des bibliothèques difficiles d’accès : comment en serait-il autrement dans un décor où tout fuit le regroupement ?
Quel rôle, d’ailleurs, pour ces Institutions dans cet environnement ? Traditionnelles, on les traite d’élitistes. Adaptées aux goûts de la population et les voilà démagogiques !
C’est dans ces conditions que municipalités, établissements scolaires, équipements culturels ou associations cherchent, dans l’alliance, à mieux répartir la lecture entre des individus, qui, privés d’un tel outil d’information et de communication, sont gênés dans leur développement personnel et professionnel.
Le P.A.E. apparaît être, dans les textes, la structure appropriée à des actions associant divers partenaires.
Sur le terrain, son pouvoir s’amortit cependant, freiné par des résistances personnelles ou corporatistes.
L’issue ne semble pas avoir d’autre nom que : formation commune.
I. MAUVAIS LECTEURS APRÈS 10 ANNÉES DE SCOLARITÉ ? En 1982, 150.000 jeunes de 15 à 18 ans auraient quitté le système scolaire sans savoir ni lire, ni écrire. Comment est-ce possible ?
La question roule dans l’opinion, amassant, plus le temps la laisse sans réponse, fausses raisons, incompréhensions, inquiétudes, nostalgies, concentrées en de solides griefs contre l’institution Scolaire.
Quel souci a cette dernière de définir publiquement et précisément sa propre responsabilité et celle de l’organisation sociale dans cet échec ? Fait-elle la lumière sur un apprentissage qui ne se résume pas à une simple technique?
Pas vraiment. Et très peu, en direction de ceux qui seraient en droit de la questionner ou de lui demander de l’aide : les élèves et leurs parents.
“Cette proposition est à retenir, affirme-t-on à DARNETAL ou enseignants, conseiller pédagogique, élue municipale, inspecteur de l’éducation nationale, directeur du Centre de Loisirs, se sont réunis pour parler de leur P.A.E. : la mise en place d’une bibliothèque pour enfants. Il faut tout de même reconnaître qu’elle n’est pas évidente. Comment trouver les formes pour informer un large public sur un sujet dont il se sent majoritairement exclu ? Par l’écrit ? Certainement pas. Par des réunions ? Chaque fois que nous en organisons, nous touchons toujours les mêmes parents, ceux qui ont le moins besoin de nous”.
Est-ce pour cette raison que les enseignants, le plus souvent, informent les parents sur leur mode de fonctionnement interne, les invitant à s’y conformer ou à s’y associer, plutôt que de les éclairer vraiment sur les mécanismes de la lecture ? C’est la pratique la plus reconnue.
Sauf, peut-être, au collège Robespierre de Saint-ÉTIENNE-DU-ROUVRAY où “ayant dû constituer une classe de sixième spéciale, regroupant les enfants en difficulté de lecture, il a bien fallu expliquer aux familles les raisons de ce statut particulier et informer légèrement sur la lecture et les moyens de remédier à ses échecs”.
Dans ce collège on compte sur les conseils de classes auxquels assistent parents et enfants pour débattre de ces questions. Mais, c’est encore lorsque les élèves sont en sixième et éprouvent des difficultés de lecture qu’on se décide le plus volontiers à favoriser les prises de conscience.
“Nous attirons l’attention des élèves, précisent les quatre professeurs de français, la responsable du C.D.I. et la conseillère d’orientation, réunies parler de leur projet, sur l’importance de la lecture silencieuse, sur la nécessité d’élargir le champ visuel, sur les déplacements des yeux, sur toutes les activités mises en place quand on lit. Ils le comprennent très bien. Nous leur présentons la lecture comme un outil fonctionnel, aussi bien dans la découverte d’un roman que dans celle d’un guide touristique. Mais nous souhaiterions ne pas être les seules à diffuser cette information nécessaire à toutes les matières. On ne lit pas un exercice de maths comme un schéma scientifique, un document historique comme des résultats sportifs”.
Si l’enthousiasme n’est pas général chez les autres professeurs, les causes en sont mal connues. Peur de se surcharger dans leur travail, manque de certitudes sur l’efficacité d’une telle démarche ? “ Dans notre établissement, affirme-t-on au collège ROBESPIERRE, c’est un principe qui a été adopté : tous les professeurs sont prêts à agir communément au niveau de la lecture. Se pose alors un problème de formation pour les collègues de chaque discipline. ”
Formation ! Le mot est prononcé comme à regret chez les enseignants qui doivent bien se rendre à l’évidence : bien peu connaissent les mécanismes d’un outil qu’ils doivent cependant transmettre parce qu’ils le possèdent. Leurs partenaires ne rnanquent d’ailleurs pas de leur retourner le couteau dans la plaie. A Darnetal, par exemple, où le directeur du Centre de Loisirs fait remarquer :
“Quand nous avons préparé ce projet, notre intention était d’informer régulièrement les habitants. La municipalité y a consacré une dizaine des bulletins municipaux hebdomadaires. Nous avons évoqué les objectifs, les moyens mais nous ne sommes, bien sûr, pas entrés dans les considérations techniques. Ce n’est pas notre rôle. C’est celui de l’Ecole”.
Lorsqu’elle en a conscience, l’École, est-elle plus avancée pour autant ? À BARENTIN, où l’on se félicite de l’impact qu’ont eu sur le public l’exposition de livres pour enfants et les animations s’y rapportant, on se plaint aussi de ce manque de formation qui conduit les enseignants à diffuser leurs simples techniques d’enseignement : “ce qui a pour effet néfaste de laisser traîner dans la tête des gens que tout est affaire de technique, d’une technique nouvelle que les parents ont intérêt à encourager sous peine d’handicaper les progrès de leurs enfants. Comment, après cela, renouer le dialogue avec ces mêmes parents, et chercher, à partir de l’observation des conditions dans lesquelles les autres apprentissages ont été construits hors école, celles qui favoriseront l’acquisition de la lecture,à l’école comme dans la famille ?
Les enfants qui “marchent” le mieux sont ceux qui savent ce que l’Ecole peut apporter à leur expérience générale. Les autres, ceux qui ne savent pas, échouent par ignorance ou par refus. Pourtant, à Barentin, certains d’entre nous connaissent bien les théories de l’AFL et les pratiques correspondantes. Seulement voilà ! Ces pratiques ne nous permettent pas vraiment de changer le système. Il les digère.
C’est pour lever cette contradiction que nous aurions besoin de formation”.
Il est temps peut-être de revenir à nos moutons, ou à ceux de la Mission d’Action Culturelle.
En dehors des actions de formation qu’elle met en place pour les enseignants et leurs partenaires, comment aide-t-elle l’information à mieux circuler dans le public ? Se contente-t-elle de diffuser des pratiques révélées sur les terrains ? Répond-elle globalement aux questions éparses ? Nourrit-elle le débat par des apports d’informations propres à le faire avancer ?
Cela fait partie de notre rôle, reconnaît Manuelle DAMAMME, que de participer à l’information générale du public. L’an dernier, avec “Le livre de Mars” nous avons consacré un mois à la lecture et accueilli plus de 1.200 visiteurs et participants adultes.
Cette année, nous persévérons avec une autre formule : “Les carrefours de la lecture” qui s’échelonnent régulièrement sur l’année à partir de février 1985. Nous espérons en ouvrir un ou deux par mois en investissant des lieux autres que le C.R.D.P. ou la Faculté. Les lieux des manifestations sont très importants lorsqu’on veut toucher un large public, l’origine de la manifestation aussi. Nous nous en sommes rendus compte l’an dernier lorsque c’est l’Institution qui invite, elle reçoit des visiteurs qui lui appartiennent. Lorsque ce sont des parents, une association, etc,. les participants viennent d’horizons différents.
C’est pour cette raison qu’en avril prochain, nous profiterons de l’arrivée du train de l’Education et de sept wagons consacrés chacun à un thème particulier (la formation, la lecture, etc...) pour diffuser dans le huitième wagon réservé aux régions, les informations que nous jugerons utiles.
C’est aussi, à cette occasion, que nous présenterons aux passants, visiteurs ou voyageurs dans le hall de la gare de Rouen, l’exposition sur les P.A.E. lecture afin de les faire connaître.
Les moyens que nous mettons à la disposition des gens, ont pour but de mettre en relief ce qui existe, d’impulser d’autres idées”.
L’information sur la lecture semble devenir une priorité, comme en témoigne aussi le programme de “La semaine de l’enfant et la lecture” de BERNAY, animée par les équipes P.A.E. lecture des écoles, collèges, L.E.P., la bibliothèque municipale, le musée de Bernay, le Centre de Loisirs, le Groupe local de I’A.F.L., la B.C.P. de l’Eure et deux associations.
Cependant, cette information a encore du mal à attaquer à la lecture proprement dite. Est-il difficile de partager un savoir avec des non professionnels ? Le trouve-t-on, ce savoir, rébarbatif ou sans grand intérêt ? Rechigne-t-on à sortir du domaine réservé de ce qu’on appelle Lecture ? Toujours est-il que les expositions, animations ne quittent guère l’élégance et la renommée de la littérature. Bien sûr, on s’ouvre à la B.D. Mais n’est-ce pas dans le but de la faire accéder au rang des Arts Littéraires ? Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les réactions de la presse, lors de la visite du Président de la République aux dernières journées consacrées à la Bande Dessinée. Son officielle présence avait-elle d’autres buts que d’attribuer à un genre réputé, il n’y a pas si longtemps, mineur, ses lettres de noblesse ? Et de se l’approprier ? D’en faire salon ? Or, être lecteur, c’est pouvoir lire ce dont on a besoin, pas ce qu’il convient. C’est être informé de tous les écrits produits par la société, savoir où les trouver, pouvoir alimenter son questionnement par des écrits très différents, les comparer, les sélectionner, les utiliser.
C’est connaître les supports de sa lecture, les lieux recherche.
Qui sait que l’écrit a autant de visages qu’il y a de goûts dans la nature, de passions, de besoins ou de questions et que la lecture est une activité contemporaine, utile à l’action, l’étude ou le divertissement ?
Qui connaît les solutions écrites de ses interrogations, qui peut aller sur les lieux de SES écrits ?
II. 15% DE LECTEURS POUR 85% DE LA PRODUCTION ÉCRITE
Aux chiffres, on cherche des raisons. Elles ne manquent pas en ce qui concerne la lecture. C’est tantôt à cause de l’édition qui concentre tous ses efforts sur des lecteurs sûrs, s’ingéniant à satisfaire leurs intérêts tout en les conditionnant. C’est souvent la conséquence du développement d’autres médias de provoquer ce désintérêt général pour la chose écrite. C’est, à la fois, l’ignorance, la paresse, l’air du temps. Pourtant, comment peut-on se dire lecteur quand on ne lit jamais de romans, essais ou récits. On nuance : “Je lis, oui, mais pas vraiment. Je ne lis que des revues, des petits romans, des choses légères, quoi ! Lorsqu’on demande aux éducateurs sous quelle forme se fait cette information, on est étonné du manque d’initiatives en ce sens. Pour les parents, rien n’existe sauf à BARENTIN où, dans le cadre exceptionnel de la semaine de la lecture “3.000 ouvrages ont été sélectionnés, exposés au public, aux écoles. Nous avons réussi à faire acheter les livres retenus, par le libraire, tout en lui promettant qu’ils seraient vendus à la fin de l’exposition. Les parents en redemandent. Nul doute que cela aura des répercussions sur les futures commandes de la librairie. Pour les parents, pour les enfants, même pour l’inspecteur d’Académie qui s’attendait à voir une petite série de travaux, cette exposition a été une réelle découverte. Même pour nous, les enseignants, qui ignorions la richesse de la littérature enfantine”.
Les enseignants, c’est -vrai, devraient être des spécialistes dans ce domaine. Comment guider le choix des enfants sans cette formation ? Dans les deux collèges, c’est le même constat. Pourtant, dans cette structure, la responsable du C.D.I., ne pourrait-elle pas se charger de cette information auprès des élèves comme auprès des professeurs 7 “On pourrait le faire, reconnaît celle du HOULME. Ca demanderait du temps et des moyens. On bute sur des problèmes aussi stupides que l’approvisionnement en papier. Enfin, même si l’information circule, que faire lorsque, après avoir créé l’envie de lire, on ne peut pas proposer les ouvrages correspondants, faute de crédits ? ”. Le relais que prennent ailleurs les bibliothèques, les librairies, les familles, fait défaut ici. Alors, on consacre de l’énergie à rendre une situation moins désespérée, on pallie le manque de moyens en cherchant des solutions, tandis qu’ailleurs, la même énergie sert à s’enrichir davantage.
Sans préconiser pour autant la misère matérielle, cette insatisfaction ne pourrait-elle pas être à l’origine d’une issue originale ? A ROBESPIERRE, par exemple, on est loin de se décourager “On est tellement loin de tout ! Cependant, il y a le bibliobus qui s’arrête sur la place du marché. Quand les élèves veulent un livre, ils téléphonent du lycée, on leur apporte. Il faut pouvoir attendre. Il n’y a guère d’autres moyens à moins de se rendre dans les librairies de Rouen. Comme les enfants les connaissent peu, on les envoie faire des commandes pour le collège. C’est une manière de les confronter à ce lieu, de les insérer”. Le collège de ST-ÉTIENNE-DU-ROUVRAY est un petit collège, aux allures familiales. A la récréation, le C.D.I. est un lieu de rencontres pour les professeurs et les élèves. L’ambiance est chaleureuse, tout le monde semble connaître tout le monde. Et dans cet espace réduit, en construction, si tant d’enfants peuvent simultanément voir une exposition d’animaux empaillés, voter pour les trois meilleurs projets d’aménagement de la cour exposés sur des tables, utiliser des instruments de percussions et même écouter des enregistrements de musique africaine, sans panique ni crise d’autorité, c’est que les individus se sentent reconnus, intégrés dans un système qui ne les noie pas. Mais leur permet-il autre chose que de consommer en toute sympathie ? III. ACTEUR DONC LECTEUR Les textes de présentation des P.A.E. ne cessent de rappeler “Les vrais acteurs du P.A.E., ce sont seulement les élèves. Les équipes d’adultes sont là pour les aider et les Conseiller, elles ne doivent pas agir à leur place. Un P.A.E., ce sont d’abord des élèves ACTIFS et RESPONSABLES Donner un rôle actif aux jeunes et favoriser chez eux l’initiative, la créativité et l’innovation, le sens des responsabilités. …permettre aux élèves de s’approprier leur lieu de vie et de travail”.
À longueur de lignes, on précise que cette responsabilisation des enfants est une garantie de leur réussite scolaire. “Nous sommes très attentifs ajoute Manuelle DAMAMME, au rôle joué par les enfants dans les projets que nous étudions. Nous avons d’ailleurs l’intention de mettre au point une grille de présentation de ces projets qui ferait apparaître immédiatement la part réelle prise par les élèves.
Pour être lecteur, nous le disons, il faut être responsable. À ROBESPIERRE, on le constate. « On a remarqué que les enfants qui prennent en charge un projet sont chercheurs d’écrits. Le groupe qui a réalisé cette exposition d’animaux empaillés a consulté énormément de livres sur ce sujet. Sans l’aide des professeurs, ils ont proposé des questions écrites aux visiteurs à partir de lectures qu’ils avaient faites. Et pourtant, ils étaient dans un groupe faible en lecture.
Ceci dit, il n’y a pas vraiment de vie coopérative au collège. Ca commence avec la recherche de financement pour une classe de neige, au niveau des 3èmes”. Au Houlme, on fait la même constatation. “Les enfants actifs lisent davantage”. Mais dans les deux autres projets, on ne fait guère état de la participation des enfants. C’est comme si, pour monter ces deux opérations, la bibliothèque à DARNETAL et la semaine de la lecture à BARENTIN, tous les efforts s’étaient concentrés sur la mise en place de bonnes relations entre adultes. Dans les deux cas, on précise que le projet leur a d’abord permis de se rencontrer, de travailler ensemble, de se sentir utiles et reconnus dans un groupe. D’avoir un autre statut !
À DARNETAL, dans l’excellent “reportage” réalisé par le directeur du Centre de Loisirs, on peut lire “je dois avouer que, pour l’animateur que je suis, ce fut la découverte d’un nouveau public, dont j’aurai à faire l’apprentissage. Il s’agissait en fait, davantage d’un groupe qui en rencontrait un autre. La nécessité de dégager un objet qui nous soit commun se faisait cruellement sentir. Chacun intervenait dans le cadre de ses références, il nous fallait en découvrir les intersections et en créer d’autres qui nous soient communes”. A BARENTIN, une institutrice ne déclare t-elle pas, en évoquant le travail en équipe “on a travaillé dans un bon climat. Moi, j’étais heureuse”.
De cette concertation, de cette réflexion commune sont nés des besoins que les enseignants expriment en termes de formation. Ils reconnaissent s’intéresser davantage à la littérature enfantine, aux animations de bibliothèques, etc...
Leur engagement en a fait des chercheurs. N’en est-il pas de même pour tous les individus ? Quelle serait l’attitude des non-lecteurs s’ils devaient utiliser l’écrit à travers un projet qui les concernerait ? À BARENTTN, si on ressent bien cette nécessité, on ressent tout autant les résistances qui l’accompagnent : “Quand on installe une B.C.D., on démarre vite, on fait plein de choses. Et puis, ça s’arrête. C’est comme si on venait d’atteindre un palier. Tout se passe comme si, inconsciemment, on se rendait compte que la B.C.D. risque de nous entraîner vers quelque chose qu’on ne veut pas”.
Quand on essaie de préciser ce “quelque chose”, les enseignants s’approprient le débat. Il devient alors question de pédagogie, de méthode, de structures différentes, d’évaluation difficile, de rôle nouveau à définir. On parle beaucoup d’anxiété. On n’a pas envie que les partenaires entendent de tels doutes : s’ils en déduisaient un manque de compétence ?
Revient alors le mot leitmotiv, le point crucial tel qu’on le définit à DARNETAL : la formation.
IV. SORTIR DU MOULE Lorsque les enseignants travaillent entre eux, ils parlent volontiers de leur manque de formation, même s’ils regrettent de devoir y remédier de manière isolée comme au collège du HOULME. “Chacun se forme individuellement. C’est une question qui relève encore du volontariat. En tant que professeurs de français, on a diffusé à tous nos collègues les résultats des tests de d’un lecture : le niveau dans cette matière correspondait tellement au niveau général des élèves que l’ensemble des professeurs, impressionnés, sont acquis à l’idée cadre d’une formation”
On
peut espérer, qu’entre gens de
“même compagnie”,
le problème a des chances de se résoudre en a
commun.
Cependant, dès que les enseignants travaillent avec
d’autres
partenaires et notamment des parents, ils s’en prennent plus
volontaires au manque de formation des “autres”
comme le fait
remarquer le directeur du Centre de Loisirs de DARNETAL “Les
enseignants manifestaient un certain nombre de résistances
(par rapport à la présence de parents). Elles
s’exprimaient parfois d’une façon
quelque peu outrancière
“les parents dont nous avons besoin ne sont pas libres, ceux
qui le
sont ne disposent pas du bagage socio-culturel indispensable
à
ce genre d’activités... “.
Je regrette de n’avoir
rien inventé”conclut le rapporteur.
Logiques, jusqu’au
bout, ces mêmes enseignants vivent mal la présence
de
l’adjoint au maire dans leur groupe, uniquement parce
qu’il est
professeur. “Le professeur de lycée
n’est pas ressenti
d’une façon toujours positive par les enseignants
de l’école
élémentaire et
pré-élémentaire.
Comme s’ils assimilaient la fonction à une
quelconque
hiérarchie
Formation, oui, si elle permet d’agir plus efficacement. Lorsque l’action intègre des gens d’origine socio-professionnelle très différente, comment les regrouper pour la même réflexion, comment éviter répartition des rôles et son indissociable hiérarchisation ? La note du 19 mars 1984, émanant du ministère de l’Éducation Nationale et destinée aux Recteurs, Inspecteurs d’Académie, Directeurs d’École Normale précisait : “La lutte contre l’échec scolaire se trouve renforcée lorsque les enseignants conjuguent leurs efforts avec ceux d’autres partenaires (parents, élus, travailleurs sociaux, secteur associatif...). Il est bon que ces actions incluent, autant que possible, des procédures de formation rassemblant les enseignants ainsi que les autres partenaires. Les E.N. peuvent jouer un rôle capital en ce domaine.
Les choses se mettent en place progressivement et si la Mission d’Action Culturelle propose, pour cette année, quatre stages, elle en offrira, l’année prochaine huit, sur les thèmes suivants : roman photo au service de la lecture, B.D., Littérature Jeunesse, B.C.D. (la M.A.C. finance quatre conférences pédagogiques sur ce sujet) émissions de radio, poésie sonore, atelier d’écriture.
De plus, elle favorise l’évaluation des projets existants, grâce à la création d’un groupe de recherche qui vient de se mettre en place et auquel René-Paul DESCOINS, chargé de mission auprès du Recteur de l’Académie de Rouen précise ainsi les objectifs :
… « car nous voulons cette année insister sur l’évaluation, évaluation des travaux des élèves au sein des P.A.E., évaluation des résultats du P.A.E. au sein de l’établissement, évaluation des effets des P.A.E. au sein de l’Académie. C’est en effet indispensable si l’on veut, après avoir gagné la bataille du nombre (382 projets aidés l’an dernier), gagner aussi celle de la qualité, c’est à dire de la transformation et de la modernisation réelle du système éducatif. »
Si les problèmes de lecture sont loin d’être résolus, ils semblent être en de bonnes mains grâce à des actions de plus en plus communes sur le terrain et à l’impulsion de l’équipe de la Mission d’Action Culturelle dont les maîtres-mots sonnent harmonieusement.
C’est pourquoi quelques mots reviennent comme un refrain ou comme une obsession : ouverture de l’école, interdisciplinarité, collaboration avec l’extérieur, espace éducatif global, analyse des besoins, production réelle, etc… quelques mots auxquels il faudrait encore ajouter ceux d’équipe et de rénovation et pour terminer celui d’évaluation.
Beaucoup de points communs entre ce programme et les priorités de l’A.F.L. Alors, quand on demande à Manuelle DAMAMME pourquoi, puisqu’elle a professionnellement la possibilité de mener toutes ces activités, elle s’intéresse en plus à la création d’un groupe local A.F.L., elle répond très naturellement : “La M.A.C. n’intervient pas directement dans les actions de formation. Elle les confie à des partenaires sociaux et culturels. Nous avons tout intérêt à ce qu’existe un partenaire local tel que l’A.F.L. auquel nous n’hésiterons pas à faire appel”. Logique, non ?
Si deux de nos propositions n’ont pas eu beaucoup d’écho (la formation du public et l’émergence de nouveaux écrits) c’est qu’elles ne correspondent pas à des besoins clairement exprimés, ni même vraiment ressentis.
Avec l’A.F.L. dans le coin, nul doute qu’elles seront vite à l’ordre du jour.
Dans l’Académie de Rouen, il ne devrait pas manquer de bonnes volontés pour en venir à bout. Y Chenouf |