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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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note de lecture

Nous n’avons jamais présenté d’ouvrages pédagogiques dans cette rubrique. Nous faisons exception pour « Autour des Ritals » du CREDIF, paru chez Didier et encore s’agit-il d’une controverse !


AUTOUR DES RITALS


Il serait illusoire d’imaginer qu’un non- lecteur cesserait de l’être dès lors qu’il connaîtrait l’existence des écrits et qu’il disposerait d’une technique satisfaisante de lecture. L’écrit résiste et l’écrit exclut”.


POUR

Claudie HUNEL

Institutrice au CEFISEM de Grenoble.


Oh combien !


Est-ce pour cette seule raison que l’on (beaucoup d’enseignants dont moi) s’est tant “creusé la cervelle” pour proposer aux élèves des textes qui “les intéressent”, qui “s’adressent à eux”, qui les “interpellent”, enfin qui leur “plaisent” quoi ! Peut-être qu’après avoir réussi à les mettre en appétit avec une page, on arriverait à créer un état de famine qui les amènerait jusqu’à avaler le livre en entier...

Et allons-y pour des textes sur la moto, les concerts de rock, ou... que sais-je...


Mis à part que personne n’est dupe dans cette histoire et surtout pas les premiers concernés, soit les non-lecteurs... L’intérêt fait feu de paille et dure si peu… Il ne déclenche aucune dynamique de lecture à tel point que l’on (beaucoup d’enseignants dont moi...) revient épuisé et déçu.


Décidément, y a pas ! Ils ne s’intéressent à rien ! Fragile intérêt qui, une fois le sucre de la pilule fondu, fait que le malade continue à recracher la pilule.


Ce n’est pas pour cette seule raison, mais en tout cas c’est peut-être bien pour celle-là d’abord, que j’aime le travail réalisé par Serge BOULOT et Danièle BOYZON-FRADET, autour des “Ritals” de CAVANNA.


Un livre du maître,, un cahier livre pour l’élève, (1), un thème : l’immigration italienne.

Tout démarre du texte de CAVANNA, extrait des « Ritals » : L’arabe…

Facile, Cavanna avec les ados, à tous les coups tu gagnes… N’empêche que Cavanna s’enliserait comme la moto s’il n’y avait pas pour but autre chose que d’attraper l’intérêt du lecteur comme le papier tue­-mouches de nos grands-mères.


Le travail sur « Autour des Ritals » de Cavanna ouvre la porte sur le livre. Comment c’est fait un livre, comment c’est organisé... Une couverture, une quatrième de couverture, pourquoi ? Les critiques littéraires servent à quoi, comment sont-elles faites ? Comment se dispose une page, quelle image a-t-elle quand on ne laisse que les virgules, les points-virgules, la ponctuation…


Tout ce « capital de co-naissance, de savoirs, de connivence, de connotations » si évident pour certains, si excluant pour tous les autres et dont l’organisation d’un livre est un élément.


A plat le livre. Ouvert à tous, pour tous. Et puis aussi, ou surtout (qu’importe) ce travail ouvre la porte sur la connaissance de l’immigration tout court... Sa propre situation !


Prendre du recul, apprendre et comprendre que les arabes d’aujourd’hui sont les ritals d’hier, les polaks d’avant-hier… L’immigration n’est ni une tare, ni une fatalité, ni un hasard mais une composante structurelle de l’économie française.


Le cahier-livre “Les Ritals” de Cavanna, c’est tout ça et beaucoup plus encore.


En tout cas ce n’est pas “Hé les mecs, les ritals de Cavanna, c’est vachement balaise et au moins on va pas s’emmerder en faisant c’truc”. C’est d’abord cette histoire n’est pas pour vous, elle est A Vous.


C’est une prise d’information avec des textes de CaVANNA, des articles de Bertrand LE GENDRE,Véronique MAURUS ou Jean BENOÎT dans le Monde ou un extrait de l’ouvrage de Raphaël-Emile VERHAREN “Le rôle économique des travailleurs immigrés en France”. C’est un lot.

On n’a pas choisi délibérément le plus simple et le plus alléchant... Ce qui vous appartient n’est ni folklorique, ni simpliste (et entendons-nous bien, Cavanna n’est ni l’un, ni l’autre).


C’est peut être ça un statut de lecteur. Rendre aux non-lecteurs ce qui leur appartient, sans simplification abusive ni pseudo intérêt illusoire.


Les droits d’auteur des ouvrages sont destinés à financer les recherches au Crédif... pas courant comme pratique.


(1) « Les Ritals » de cavanna. Edition DIDIER, Collection “Autour de … . Le cahier-livre (pour l’élève) 93 pages. Un livret pédagogique pour le maître 63 pages.



CONTRE

Michel VIOLET



LAGARDE ET MICHARD ?



Ne revenons pas sur les raisons qui ont fait que bon nombre de professeurs de français ont abandonné, à juste titre, les fameuses séances d’explication de texte et les manuels de littérature expliquée ces recuei1s de morceaux choisis, accompagnés de leurs sempiternelles séries de questions allant de “Relevez les expressions qui montrent que Cosette est malheureuse” jusqu’à “Dites pourquoi ce poème vous plu”. Et pourtant, ces manuels ont su se renouveler. Un parmi ceux que nous avons sous les yeux, destiné aux classes de 6ème, utilise comme “support” (c’est le terme employé par ses auteurs), certes des extraits de Victor Hugo, de La Fontaine et de Marcel Pagnol, mais aussi des dessins de Sempé et de Faizant, des articles de journaux récents, une étude d’une séquence du film “Les Choses de la Vie”. Il n’y a pas de passage des “Ritals” de Cavanna, mais c’est pur hasard. Il ne dénoterait pas.


Tout cela pour dire notre étonnement devant le ton élogieux et la fougue de Claudie HUNEL, présentant “Autour des “Ritals” du CREDIF, paru chez Didier Notre étonnement mais aussi notre incompréhension car nous savons que ce qu’elle en dit est fondé sur une pratique réelle. Nous savons aussi que ce manuel est utilisé dans les stages d’insertion ou d’alphabétisation à la satisfaction des formateurs. Des stagiaires ? Nous l’ignorons.


Car enfin, qu’est-ce qui distingue cet ouvrage des autres manuels d’explication de textes les plus scolaires, les plus susceptibles de transformer un roman, une pièce de théâtre, un poème, en pensum, en “pilule amère” pour reprendre l’expression de Claudie HUNEL ? Ainsi, avec le rock ou la moto, l’intérêt fait feu de paille, mais avec les “Ritals”, l’intérêt persiste et les non-lecteurs ne “recrachent pas la pilule", même quand ils savent qu’ils auront à répondre, par écrit SVP, aux questions du cahier de l’élève ?

- “Comparez les couvertures des deux éditions des Ritals figurant p.7 et p.14 et relevez les éléments communs,

- relevez les éléments différents,

- quelle est, selon vous, la couverture qui évoque le mieux le thème du livre ? Pourquoi ? “ etc, etc…


4 pages de cette eau pour les couvertures, une pour le sommaire, une pour la dédicace, trois pour la structure d’un extrait de 3 pages des “Ritals”… !


Nous entendons bien :

- l’enseignant un peu expérimenté n’est pas assujetti au manuel qui n’est qu’un instrument de son action, parmi d’autres.

- le thème de l’immigration, peu traité dans les manuels, concerne les publics auxquels “Autour des Ritals” s’adresse.

- le style de Cavanna, lui-même enfant d’immigré, sa langue, sa vision des choses sont très « proches » des non-lecteurs et sont sans doute parmi les moins excluants.

- les auteurs ont eu le souci de faire découvrir des aspects des livres et des écrits (“ce capital de savoirs, de connivence, de connotations” comme le dit si bien Claudie HUNEL) si évidents pour certains (et donc jamais abordés dans ce genre d’ouvrages) et excluants pour d’autres.

- le “livre du maître” apporte une somme d’informations, ou de moyens de les obtenir, sur tous les aspects du phénomène de l’immigration.


Tout cela fait de cet ouvrage, de l’ensemble des 2 livrets, un bon outil pédagogique capable d’intéresser les enseignants et les formateurs. Mais c’est un outil qui ne rompt en rien avec ce que peut avoir de plus classique et de plus traditionnel, l’enseignement du français.


Et c’est là que le bât blesse. Quelle rupture, en dehors du sujet traité et des aspects abordés, ce manuel introduit-il avec tout ce qu’a apporté la « rénovation pédagogique » dont, pourtant, on a mesuré les limites et tout particulièrement auprès des non-lecteurs ?


Les prochains dossiers des « Actes de Lecture » seront consacrés, l’un à l’alphabétisation des adultes, le suivant à la lecture dans les stages d’insertion des 16/25 ans. Sujets difficiles. On sait le peu d’efficacité de ces types d’action. La conscience professionnelle et la disponibilité des responsables ne sont pas en cause, ni leur quête de solutions. Mais les pratiques pédagogiques sont encore majoritairement à notre connaissance, - les enquêtes que nous ne manqueront pas de faire pour ces dossiers nous démentiront peut-être - des copies à peine adaptées de celles utilisées dans le milieu scolaire. Le moyen de changer, quand on sait le peu de durée des stages en général ou leur fonctionnement “fragmenté” qui interdisent tout projet de longue haleine, ainsi que l’attitude des stagiaires, rejetant tout à la fois ces pratiques scolaires et tolérant mal qu’on en adopte d’autres ? Nous ne pensons pas qu” « Autour des Ritals » soit de nature à changer quoi que ce soit dans ce domaine et le risque est grand qu’il contribue à maintenir une pédagogie discutable mais difficile à modifier.


C’est relativement à ce problème et dans le cadre de la réflexion sur les nouveaux écrits que doit se comprendre notre réaction à l’article de Claudie HUNEL.