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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°10  mars 1985

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DOSSIER : Une politique de lecture, 2ème partie


Les pages qui suivent composent la suite et la fin de notre dossier sur “Une politique de lecture...” commencé dans notre numéro précédent. Il s’agit, répétons-le, d’une suite d’articles destinés à décrire des actions en faveur de la lecture entreprises dans différents lieux ou par des instances et organismes publics ou associatifs. Dans le numéro 9 (mars 85), la première partie du dossier présentait une politique de lecture dans une région, une commune rurale, une académie, un groupe local AFL, une association et se terminait par une interview de Geneviève PATTE sur les pays du tiers monde. Cette 2ème partie est consacrée à une commune de la région parisienne, un département, un arrondissement de Paris, une ZEP., une autre association, et aux propositions de quelques responsables nationaux. La conclusion a la forme d’une synthèse écrite à la suite d’une table ronde qui a réuni les rédacteurs des articles.

Rappelons aussi que nous n’avions pas la prétention d’être exhaustifs ni de rendre compte de tout ce qu’il se faisait en matière de lecture. C’est ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, que ne paraît aucun compte-rendu d’une action de F.O.L. alors qu’on sait les efforts de la plupart d’entre elles. Les reportages sont des regards posés ici et là, et les seules limites du dossier ont imposé des choix. Certes, il s’agit de reportages “guidés” par une réflexion préalable et souvent il est fait référence dans les articles aux sept propositions exposées par Jean Foucambert dans un article paru dans notre numéro 8 (p.92 et suiv.) qui fait le point sur la réflexion de l’AFL sur le sujet, article auquel nous renvoyons nos lecteurs (*).

(*) voir notamment :

« La lecture, une affaire communautaire » Jean Foucambert. (AL n°3, sept. 83 p.65)

« La lecture, c’est l’affaire de tous » Monique Eymard (AL n°3, sept. 83 p.78)

« Une politique de lecture au niveau local » Michel Eymard (AL n°5, mars 84 p.91)

« Une logique de la lecturisation » Raymond Millot (AL n°5, mars 84 p.105)

« Les centres départementaux » Michel Violet (AL n°5, mars 84 éditorial)

« Nous vivons quand même un époque passionnante » Jean Foucambert (AL n°8, déc. 84 éditorial)

« Sept propositions » Jean Foucambert (AL n°8, déc. 84 p.92)

Et les articles classés sous la rubrique « la lecturisation » dans le répertoire à la fin de ce numéro.




Dans une ZEP

Claudie Hunel

Institutrice au CEFISEM de Grenoble.


« Alors, pour la revue n°9, tu nous fais un article sur la Z.E.P. de Valence... »


Ben tiens ! Y va bien le rédacteur en chef de la revue… ?

En fait, j’aime bien les défis, et il le savait, alors...


D’abord téléphoner à Marlène et André (elle, conseillère pédagogique, lui, directeur du CDDP)... très, très actifs l’un et l’autre et... militants au tout jeune groupe local de 1’AFL de la Drôme. Marlène m’organise deux samedis d’interviews... Et ça a commencé un samedi matin avec... 7 interviews :


- 8h. : Collège Rabelais avec les profs de S.E.S. et CPPN.

- 9h15 : Parents d’Elèves de l’Ecole Jules Vallès et Brossolette.

- 10h30 : Parents d’Elèves de l’Ecole Michelet, avec également Jean-Marc Lebras, Libraire.

- 14h : 2 bibliothécaires de la bibliothèque du quartier Fontbarlettes.

- 15h15 : 5 enseignants de l’école Vallès avaient renoncé à leur après-midi de ski, course, ciné ou autres...

- 16h30 : Au Palais de la Foire, on retrouve J.Luc Muller, chef de service de la Sauvegarde et Sylvain Fidenté, directeur du Centre Social Gounod.

- 18h30 : Rendez-vous avec R. Pesce, Maire de Valence.

- 19h30 : Merci tout le monde. Je reviendrai samedi prochain pour rencontrer :


- à 14h : Jean-Marie et Daniel, Educateurs à la Sauvegarde ainsi que Monique du Service Alpha de 1’ADUF.

- à 16h : Zohra et Chantal, animatrices à l’ADUF (Association des Usagers de Fontbarlettes).

- à 18h : Vite ! Mon train est à 33. Je rentre à Grenoble.


Le reste, c’est la bagatelle de 4 cassettes de 90 mn, transcrites en 180 pages pendant les vacances de Février (charmant programme...).


Et maintenant, le pire commence : extraire de 180 pages une image, non seulement juste, mais efficace de la situation.


Efficace pour l’action à venir.


Comment dire en quelques pages toute la richesse de ce qui est entrepris sur cette ZEP - ZUP ...? Tout ce qui est entrepris et tout ce qui reste à entreprendre pour que la lecture devienne l’affaire de tous ?



VALENCE (Drome) 570 km de Paris.

223 de Marseille.

30 000 habitants.

(agglomération : + de 100 000 h.).


La ZEP est un quartier de la ZUP de Valence le Haut située sur un plateau, à 1,5km du centre de la ville.


De nombreux équipements sociaux existent dans cette zone :

Maisons de quartier, salles pour jeux, maison des syndicats, bibliothèque...

Le dossier “Habitat et Vie sociale” réalisé de 1977 à 1981 a permis l’amélioration de certains immeubles, la création d’allées piétonnes, de zones de jeux, l’utilisation d’espaces mal aménagés ou dégradés (9 167 000 F de travaux).

Le parc central de la ZUP et un plateau d’éducation physique à proximité d’un groupe scolaire ont été ainsi terminés.


DANS CE QUARTIER VIVENT :


* 16 000 habitants dont 37% ont moins de 14 ans.

* 27% des HLM sont occupés par des familles immigrées.

* 82% des familles vivent avec moins de 3 000F par mois.

* 12% des familles vivent avec un salaire mensuel entre 3000 et 4 000f.

* 11% des personnes de Valence à la recherche d’un emploi résident dans ce quartier et parmi elles 41,8% sont des jeu­nes de 17 à 24 ans.


SITUATION SCOLAIRE


Ec. mat

éc. él.

collèges

SES

total


Nbre d’ét.


11

9

1

1

22

Nbre d’élèves


1207

1957

503

107

3774


(effectifs en baisse en matern. et élément.)


Le taux d’encadrement, dans l’élémentaire, est de 1 maître pour 22,6 élèves et les enseignants sont tous, à une excep­tion près, titulaires. Par rapport à un taux d’encadrement de 25 élèves par classe, la ZEP dispose de 9 postes supplé­mentaires.

Dans l’enseignement préélémentaire, le taux d’encadrement est de 1 maître pour 26,8 élèves (taux départemental: 28,9). Par rapport à un taux d’encadrement de 30 élèves par classe, la ZEP dispose de 3,5 postes supplémentaires.

Le collège compte 86 postes et 91 personnes, compte tenu des temps partiels et du remplacement de coordinateurs ZEP (postes Ed. Nat. et ville de Valence). Les personnels ensei­gnants auxiliaires sont peu nombreux.


PERSONNELS MUNICIPAUX DE LA ZEP :

Des aides ont été attribuées pour la présente année scolai­re.

* 1/2 poste d’agent spécialisé des écoles maternelles dans chacune des écoles maternelles.

* 3 ou 4 heures supplémentaires en éducation physique et sportive par semaine dans les écoles élémentaires.


Enfin, en collaboration avec les enseignants, de nombreux professionnels du quartier ont pu élaborer des projets et des actions communes, dont :

* le Centre social.

* la bibliothèque.

* la Maison de quartier.

* la F.O.L., 1’ASTIV., l’ADUF..

* le service de la Sauvegarde (DDASS).



1. POUR L’INSTANT, LA LECTURE, C’EST D’ABORD LE PROBLÈME DE L’ÉCOLE ET DES ENSEIGNANTS.


Au fond peut-être étaient-ils les plus prêts à l’aborder... et ils n’ont pas laissé l’occasion.


Instit : « La Z.E.P., ça nous a permis de nous poser des questions avec d’autres que ceux avec qui on avait l’habitude de travailler. Il y a eu des groupes de travail avec les associations du quartier, les parents. La réflexion a beaucoup porté sur l’école... la lecture à l’école et on a transformé des choses : travail en équipe, baisse d’effectif... Parce qu’on était Z.E.P., on était prioritaire sur les stages écoles. Avec le CEFISEM, on en a fait un qui nous a permis de mettre en place la B.C.D.,d’approfondir la réflexion sur la lecture...

La Z.E.P., ça nous a permis une sacrée liberté ».


Quelquefois, d’ailleurs, la lecture reste un problème d’école...


Profs de Rabelais : “Le problème de la lecture, c’est d’abord le problème de tous les enseignants. Avant d’aller voir les parents et de leur dire voilà notre conception de la lecture, voilà ce que vous devez faire...


Y a pas moyen de s’y prendre autrement avec les parents ? Enfin, bon, on verra plus tard... peut-être dans le chapitre : statut des parents...


Il faut d’abord que tous les enseignants soient convaincus”.


Il y a même de bonnes raisons à cela :


Profs de Rabelais: “Si les profs d’H., de biologie, de math n’aident pas les élèves par rapport à la lecture, s’ils n’expliquent rien (un théorème de math ça peut être du chinois, tellement c’est dense, Il faut y rajouter les : c’est pourquoi, les parce que, les càd...). Si rien n’est fait dans ce sens, on juge un élève en fonction d’un niveau normé et on le met en échec. La lecture, c’est d’abord un problème scolaire”.



Et puis aussi de .... moins bonnes !


Sylvain Fidenté, Directeur du Centre Social GOUNOD.


« Il faut que les enseignants donnent le plus possible aux enfants l’acquisition de la lecture et puis, après c’est le jeu d’autres partenaires. Les enseignants ne doivent pas renvoyer vers l’extérieur en disant “c’est tout l’ensemble”. Non ! C’est le rôle de l’enseignant de faire acquérir les principes de lecture et puis après, il y a d’autres éléments dynamiques pour passer à l’acte de lire qui est tout à fait autre chose à mon sens.


Allez l’AFL ! Allez L’AFL ! Allez ! La campagne d’information sur ce qu’est la lecture et les conditions de son apprentissage... est indispensable...


En profitant de la Z.E.P. pour s’y prendre autrement avec la lecture, les enseignants sont sortis de l’école et...




Extraits d’un entretien avec Rodolphe PESCE, Maire de VALENCE, Président de la Commission de Développement So­cial des Quartiers.


Q. : Un certains nombre d’actions ont été entreprises à Valence : Semaine du Livre, Le Livre et l’Aire associative, etc. Pourquoi ?

R. : C’est un choix prioritaire et poli­tique qu’il a fallu faire admettre, ce qui n’a pas été facile, parce qu’il n’y avait personne pour défendre cela. La vie culturelle, personne n’est contre, mais quand il a fallu faire des choix budgétaires... il y a eu des grince­ments de dents.., ça coûte cher.


... Pour ce qui est des moyens de com­munication et d’information... Par ex­emple, l’enquête qu’on vient de faire auprès de jeunes de 15 à 25 ans. La plupart d’entre eux ne lisent jamais un journal local ; le Bulletin municipal, au mieux, ce sont les parents qui le prennent, mais eux ne le lisent pas !

Le travail qui se fait, sur les ZEP, autour de la lecture, c’est un travail à moyen terme. En revanche, dans l’im­médiat, on est bien obligé de tenir compte de la réalité. Pour informer, on est amené à prendre d’autres supports. On vient de réaliser le premier magazi­ne vidéo municipal de France.”


O. : En quoi la municipalité peut-elle être une aide pour que les problèmes de lecture soient pris en compte par d’au­tres que les enseignants ?

R. : Je crois qu’il y a trois manières.

La lère, c’est d’aider au niveau fi­nancier différentes expériences.

La 2ème, ne pas aider n’importe quoi mais les expériences qui vont dans ce sens.

Enfin, de manière plus globale et pas seulement pour la lecture, les munici­palités ont un rôle de coordination et d’animation globale, tout en laissant aux différents partenaires leurs res­ponsabilités. On est là pour établir des lieux de rencontres, d’interpella­tion des uns et des autres. Ce qui in­terpelle aussi les structures municipa­les qui sont très verticales. Il y a les espaces verts, le sport, l’éduca­tion, le culturel.., alors que de plus en plus, il apparaît qu’il faut des ac­tions horizontales. C’est pour cela qu’on travaille sur la ZEP avec un coordi­nateur.”


(A propos de la ZEP). “...dans ces quartiers, il y a les actions à court et moyen termes. Le court terme, c’est le plus simple : le bâti, les espaces verts, les montées d’immeubles, à réaménager, à réinventer. Le moyen ter­ne, ce sont les problèmes sociaux et la lutte contre l’échec scolaire. Car l’é­cole est un des éléments d’attraction ou de rejet au niveau du quartier... On n’a pas toujours assez vu le lien qu’il y a entre l’image de l’école et celle du quartier.”


“Je dis souvent que face au livre, on a peu de revendications, on n’a pas de pétition. Par rapport à ce qui se passe pour la musique ou pour le théâtre il n’y a pas de demandes de la population au niveau de la lecture.”




2. EN SORTANT DE L’ÉCOLE NOUS AVONS RENCONTRÉ...


- des bibliothécaires

Les enfants viennent nombreux à la bibliothèque pour faire des recherches documentaires. On sait tout de suite quand une classe travaille sur le pétrole ou sur le ver de terre”.


et elles jouent le jeu...

Notre bibliothèque sert aussi pour les devoirs, le soir ! A 17h., c’est plein. Il faut rajouter des tables, des chaises... Parfois, ils n’ont pas besoin de livres, mais d’un lieu et de quelqu’un qui les aide, parce que chez eux, personne ne peut le faire”.


à fond même :

On reçoit les enseignants sur 3 ou 4 séances, en profondeur, c’est-à-dire qu’on travaille avec eux et les élèves sur un thème. On fait des expositions qui vont dans l’école. Ils font des choses en classe qu’on expose à la bibliothèque. Les gosses sont ravis de retrouver ce qu’ils ont fait en classe”.


elles savent bien :

C’est l’école qui nous alimente. Et plus les B.C.D. se multiplieront et seront actives, plus les bibliothèques seront fréquentées !


Mais ça ne suffit pas à faire venir... les parents.

“La fréquentation des enfants, ce n’est pas un problème. Ils viennent très, très nombreux ; mais on aimerait bien que les adultes trouvent un peu plus le chemin de la bibliothèque. Les adultes qui sont inscrits sont moitié moins nombreux que les enfants et ne sont pas.. leurs parents !


- des animateurs, des éducateurs...

Jean-Luc Muller, chef de service à la Sauvegarde :

L’équipe Enfance de la Sauvegarde a pour objectif de faire la médiation entre enfant/famille/école. Il y a une équipe qui intervient dans les écoles dans le cadre du tiers-temps sur un projet et l’objectif est de restituer la production à la famille. C’est-à-dire de permettre aux familles de reconnaître que leurs enfants sont capables de faire des choses. Et puis, il y a Jeanne-Marie qui a organisé un cycle de soutien scolaire depuis l’an dernier. Elle a commencé avec une famille ; maintenant, elle en est à 13... Le soutien scolaire, en fait, c’est l’activité support souvent dans les familles. Elle termine les séances par la lecture de contes, d’histoires... Tout le monde écoute, y compris les parents, même, si après, ils disent :

hé, attention ce n’est pas l’école ça, hein”., alors, après, elle explique...”.


Sylvain Fidenté, Directeur du Centre Social Gounod :

“Les animateurs du Centre Social ont dans leur projet de faire avancer l’enfant dans sa globalité... La place de la lecture là-dedans ? A tous les moments. Lorsqu’on a mis en place l’atelier bois et l’atelier nutrition, en direction des scolaires, c’était pour ça. Travailler le bois, faire réfléchir ensemble des enfants et des enseignants sur les notions de nutrition, de santé ; l’arme obligée, ce fut la lecture. ”


Les intervenants, non enseignants et pas forcément non pédagogiques, jusque là absents de l’école, y ont apporté un souffle nouveau.


3. CE SONT D’AUTRES REGARDS SUR CE QUE VIVENT LES ENFANTS, SUR LEURS DIFFICULTÉS... Une ouverture dont les enfants sont les premiers bénéficiaires :


  • Bibliothécaires

« Je suis très étonnée parfois : on essaie vraiment d’utiliser un vocabulaire très simple, qui soit à leur portée, mais ils nous regardent avec des yeux grands ouverts… Et chaque fois, ce sont des choses qui me surprennent parce que j’ai deux fils, et avec eux, ça passe comme ça... mais là... Ce sont vraiment des choses très simples… L’autre jour, c’était le mot tirelire ».


« Plus que les mots, c’est de 1’“expérience” que recouvre ces mots dont les enfants manquent. L’ouverture, avec les classes de nature, c’est très important. Ma fille, en CM2 est allée à l’océan. Dans Sa classe il y avait des enfants qui n’avaient jamais quitté le quartier de Fontbarlettes... en CM2”.


Ils apportent des éléments que seuls les travailleurs sociaux, sur le terrain, pouvaient apporter :


J Luc Muller :

« Quand on a abandonné le terrain d’aventures, le constat des éducateurs, après 7ans de travail qui les épuisait, c’est le désespoir chez les enfants de plus en plus jeunes. Mais franchement du désespoir ! Ils étaient complètement retournés de voir ça. C’ est ce qui a motivé l’abandon du terrain d’aventures pour une action plus globale. Ils avaient remarqué aussi, et c’est du même registre, que certains gamins ne toléraient pas de réussir quelque chose. Quand il se passait quelque chose de bien - que ce soit une activité sur le terrain, ou avec des adultes - pour certains, c’était insupportable. Et à ce moment-là, il y avait des réactions de violence, de mettre en l’air tout ce qui était fait, qui ont souvent époustouflé les éducateurs”. »


« Ce qu’on a repéré, et c’est pas au niveau du feeling, c’est tangible, c’est que pour les gosses touchés par la prévention, il n’y a ni projets, ni repères... Noël, ou février, rien ne se passe de spécial. Les gosses vivent ce rythme où chaque jour se répète. Les adolescents les plus déstructurés sont incapables d’envisager un évènement à long terme. Par exemple, si on parle maintenant d’un camp qu’on va faire cet été, c’est comme si On partait demain. Il faudrait même partir tout de suite, et tout se dilue, comme ça, dans le temps »


« D’ autre part, ce qui va se passer d’ici quelques temps, c’est que pour certains enfants de 5-6 ans, il va manquer une référence que l’on a tous eue étant enfant. C’est la référence à un père qui travaille. Quand on sait toute l’importance que ça peut avoir “moi mon père il est plus fort que ton père, ... moi mon père y fait ci... moi mon père y fait ça »...


Il y a maintenant des enfants 5-6 ans qui ne savent pas ce qu’est un père qui travaille”.


Un autre regard sur ces enfants...

D’autres attentes, peut-être...

D’autres pratiques : tout doucement, ça vient...


4. ET COMME DANS L’ECOLE, ON SE METTAIT A FAIRE UN PEU AUTRE CHOSE, un peu autrement… les parents se sont posé des questions... Que se passait-il donc, tout à coup dans ces écoles de la Z.E.P., où étaient leurs enfants ? Alors, certains d’entre eux sont venus :


Instit. : “Avant, dans une réunion de classe, il y avait 3, 4 parents. Maintenant j’arrive à avoir la moitié des parents. Depuis le temps que je suis sur l’école, je n’avais jamais vu ça. Et ça, depuis qu’on a changé la façon de travailler dans l’école - plus de livres de lecture, la B.C. D., les cycles, les projets... - ils se posent des questions, alors ils viennent s’informer”.


Ils sont venus mais

Ils ne sont pas tous là, c’est vrai...


Certains viennent même pour “participer”.


Instit. : “L’an dernier, quand on a créé la B.C.D., il y avait foule. Cette année, quand on a relancé les parents pour les activités en B.C.D., ils étaient 12”.


Instit. : “Finalement, ça fait beaucoup”.


En fait et c’est vrai, peu viennent pour participer.., et disent :


Parents d’élèves : “On voudrait bien, mais on ne peut pas faire, ce qu’ils nous demandent. On ne sait pas comment s’y prendre”.


Ajoutons enfin que, parfois, quand ils viennent quand même, ils ont des surprises...


Parents d’élèves : “Lors des consultations au niveau national, il y a eu un bilan de fait au niveau du groupe scolaire. Il y a eu des réflexions de la part des enseignants qui m’ont choqué.- J’ai préféré ne pas insister, je ne voulais pas envenimer le débat”.


Les parents ne se sentent donc pas le droit de se poser en tant que force d’opposition, ou de contradiction... Parents de tous les groupes scolaires, unissez­-vous !...


Mais des enseignants disaient : vous les parents votre rôle c’est de faire lire les enfants le soir, c’est tout.


Allez l’AFL, allez l’AFL, Allez !...


En fait, c’est rien ça. Nous, les parents, on est rien pour ceux qui disent ça”.


ALORS ?


5. IL Y AURAIT PARENTS ET... PARENTS...


Les quelques-uns, les bons, qui viennent, qui participent et qui font même des propositions :


Mère d’élève : “Cette année, quand on a eu une réunion pour la BCD, j’ai proposé qu’on fasse des ateliers, mais centrés sur la BCD, sur un thème. Par exemple, carnaval ! On pourrait faire tout un tas de choses à la BCD : recherches, imprimerie, etc... Les enseignants nous avaient demandé de venir avec des idées, alors je me suis creusée un peu pour voir ce qu’on pouvait faire. C’est important qu’on puisse venir pour faire quelque chose et pas seulement pour aider, bêtement, pour couvrir les livres... ”


Et les autres ?

Tous les autres ?...

Les parents des non-lecteurs, non lecteurs eux-mêmes, ceux qui résistent, qu’on ne voit toujours pas...

Pourquoi ?

Chacun a un point de vue...


Instit. : “La moitié des parents du groupe scolaire ne s’intéresse pas à ce que fait leur gosse à l’école”.


Parent d’élève : “Oh, je serai plus méchante. Il y en a plus de la moitié qui s’en fiche. Ils ne viennent pas pendant toute l’année et quand on leur dit que leur fils ou leur fille doit redoubler, alors là, on les voit, et c’est jamais de leur faute”.


Profs de S.E.S. et de C.P.P.N. à Rabelais :

Ils s’en moquent un petit peu... et puis... pas le temps, le travail...”


Les travailleurs sociaux, tels que les éducateurs de la Sauvegarde, ou les animatrices de l’ADUF ne partagent pas ce point de vue:


J.Luc MuIler : “Quand on leur demande ce qu’ils attendent de leurs gosses, c’est d’être ingénieur, docteur. Au pire infirmière, pour une fille, c’est vraiment la dernière limite. Il leur faut “positiver” leur immigration, gommer l’échec qu’ils ont eu, eux. Ca joue énormément. Quand Jeanne-Marie leur parle du retour au pays, ils répondent “Oui je rentrerais bien, mais ici, il y a l’école. S’il y avait des écoles comme en France, dans mon pays, je retournerais”.


Zohra : Animatrice de l’Association des Usagers de Fontbarlettes

« On s’est branché sur les problèmes d’école, parce que c’était chaque fois ce qui revenait dans la bouche des mères. Or, ces femmes là n’avaient jamais eu de demandes. Jusqu’alors... elles se contentaient de consommer les activités proposées... Mais avec la relation de confiance qu’on avait mise en place, elles ont pu dire, à la fois, ce dont elles avaient besoin et leur incompétence pour aider leur enf­ant tant à mieux réussir à l’école”.


ALORS ?

Alors c’est


6. LE STATUT DES PARENTS QUI EST EN JEU ?


Quel statut accorde-t-on aux parents à qui on demande une participation ­impossible...


J.Luc Muller : “Ce que rapportent les éducateurs, c’est que les parents ont des barrières de langue pour aborder l’instit., ou des préjugés qui sont aussi très forts. L’instit. c’est celui qui a le savoir, donc le pouvoir. ”.


CLaudie : “Ils ne sont pas partenaires, en somme. ”.


J.Luc Muller : “Oui, ça c’est clair. C’est d’autant plus important chez eux que la scolarité des petits, des primaires, c’est quelque chose de très, très investi chez eux.”


Comment des parents non lecteurs, ayant eux-mêmes des problèmes de lecture, pourraient s’investir dans une B.C.D. et présenter des livres aux enfants…

raconter des contes...

animer des clubs lecture...


Fréquenter assidûment la bibliothèque du quartier ?...


7. COMMENT ROMPRE LE CERCLE ?


Instit. : “On peut peut-être dédoubler nos activités sur l’heure du conte et les présentations de livres, par exemple. La maman qui est venue hier disait que capter une vingtaine d’enfants, c’est ce qui lui faisait le plus peur... Alors, on pourrait choisir l’histoire avec elles, la préparer ensemble... elle pourrait assister à une lecture, ça la mettrait en confiance”...


Zohra : “On voulait que les mères aillent à l’école - elles avaient peur, elles n’osaient pas. Mais on voulait qu’elles n’y aillent ni en coupables - leurs enfants débrouillent moins bien que les autres, et elles le savent - ni pour faire plaisir. Les instits de maternelle avaient des demandes et les mères avaient une idée de la maternelle comme d’une garderie. On se disait aussi que si les mères commençaient ­à fréquenter l’école dès la maternelle, elles continueraient plus tard et même ­jusque dans le secondaire. Alors, on a monté un projet avec elles. Pour entrer dans ­l’école et participer. C’était “cuisine et culture au Maghreb”. Elles étaient dans l’école pour apporter, pour échanger sur ce qu’elles savaient faire. Elles n’étaient pas gauches, dans ce qu’elles faisaient avec les enfants, quand avec eux, elles faisaient le pain, qu’elles leur apprenaient à pétrir... Tandis que dans une réunion où on leur parle de choses qu’elles ne comprennent pas... Là, elles avaient plaisir à montrer aux enfants ce qu’elles savaient faire.

Et puis, on a fait une exposition sur tout ça. On est allé à la bibliothèque qui est un lieu fermé pour elles. Beaucoup n’y avaient jamais mis les pieds. Avec elles et les bibliothécaires, on a réalisé l’exposition et un document. Elles racontaient et on écrivait devant elles.

Et puis le regard de leurs enfants a changé. Ils ont vu que leurs mères étaient capables de faire quelque chose... D’ailleurs, les mères ne s’y sont pas trompées, elles ont beaucoup plus participé à une action comme celle-là qu’à un cours d’alphabétisation ! ”


C.Q.F.D., en somme...


CONCLUSION ?


On vit vraiment une époque passionnante... (Voir l’éditorial de la revue n°8, p11).


Tous les ingrédients sont là pour passer à l’acte... pour réaliser les 7 propositions de la page 91 de cette même revue n°8.

Même si les 7 points abordés dans ce compte-rendu n’ont pas - beaucoup – à voir…