La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°10 mars 1985 ___________________ DOSSIER : Une politique de lecture, 2ème partie
DANS UN QUARTIER
“Tout projet plongé dans une Z.E.P. reçoit de bas en haut une poussée égale à l’implication des partenaires dans ce projet. ”
Si notre honorable rédacteur en chef ne m’avait pas “bassiné” pour rendre ce papier dans les délais, j’aurais, volontiers, pris le temps de patauger en cette source d’activités qu’est le 20ème arrondissement de Paris. Si je tiens à faire cette précision, qui “enquiquinera” certainement la plupart d’entre vous, mais peut-être pas ceux que j’ai rencontrés à cette occasion, c’est pour bien rappeler qu’il n’est pas aisé de “se jeter à l’eau” après une immersion trop courte. Bref, ma première histoire d’eau commence avec, dans le rôle de mes masque et tuba Pauline D., chef d’orchestre de la Zone d’Éducation Prioritaire du 20ème. Elle débuta un jeudi matin frisquet de ce mois de janvier au “Ménilmuche”, le pépin d’un quartier du 20ème. Quartier marqué par ses immeubles en démolition. Je l’aurais vu Z.U.P., on allait m’apprendre qu’il est Z.E.P. Dans ce bar associatif qui sert de boutique d’informations, je rencontrais des membres de l’A.S.P.I.C. (Association Spectacles Populaires lnterculturels). Cette association de quartier rassemble une quinzaine d’associations à vocation socio-culturelle. Elle permet de regrouper et de partager les moyens d’action (locaux, documentation, personnel, animations...). Elle a pris naissance, il y a 5 ans, dans un but d’auto-défense active. En effet, si la couleur politique de l’arrondissement est bien définie (R.P.R. centre droit...) la couleur culturelle l’est moins (on ne peut donc pas parler de ghetto...). Sa population, d’origines diverses (28 nationalités), aux arrivées échelonnées, a dû faire face à des problèmes multiples (administratifs, juridiques, médicaux, scolaires...). Et c’est grâce à l’absence de bonnes intentions de “Monsieur DUPONT” que la population, elle-même, s’est créé des structures d’accueil. Et c’est par ce biais que les problèmes de comportements face à l’écrit, chez des gens de culture souvent plus orale qu’écrite, sont apparus. Que faire alors pour lutter contre l’échec scolaire affectant particulièrement cet arrondissement, pour faire connaître et reconnaître l’identité culturelle de chacun ? C’est à ce moment de l’histoire que “la fée Zépienne” apparaît dans sa grande Z.E.P. pas du tout dorée, qui a maintenant 3 ans d’âge et qui représente un petit quart de l’arrondissement.
Certains Zépiens ont peu de moyens d’agir, ou plutôt, ne se les donnent pas. Celle dont je vous parle a refusé de “rester sur la rive” en répétant “Y a qu’à” et de considérer que la lecture doit rester le domaine exclusif de l’Ecole. Et c’est pour cette raison qu’on la rencontre aussi bien à l’école qu’à la rue, à la source qu’à la mare (frits... Hep ! vous, là-bas, vous êtes pris en flagrant délit d’oralisation…). Elle conçoit sa tâche comme facilitatrice,et incitatrice. Il est clair, pour elle, que le problème de la lecture ne pourra être résolu autrement que par une étroite relation entre École, Parents, Enfants et Associations. Seulement, elle s’est aussi aperçu que dans le XIXe subsiste parfois dans le 20e (autant par les locaux exigus que par les méthodes étroites). Aussi, sans tarder, avec l’aide des associations, a-t-elle pu répondre à la demande de certaines écoles (animation, conte, matériel vidéo, aide de parents pour certains ateliers). Mais si elle permet aux associations de pénétrer dans l’École, elle permet aussi à la rue d’être perméable à celle-ci. Un projet “Cinéma Art et Essai” est né pour les 2.500 enfants de la ZEP afin de leur permettre d’avoir accès aux écrits du cinéma une fois les “80% acquis par la vision d’un film qui a plu. À entendre les responsables des associations, le livre est devenu priorité dans les animations. Et C’est ainsi que “LE RELAIS” (association Loi 1901 créée en 1976 par un groupement d’immeubles) vise à l’intégration des familles au quartier, propose des cours d’alphabétisation (TRAVALPHA) pour les femmes, travaille avec certaines écoles pour des fêtes populaires qui tiennent compte de la diversité culturelle des habitants. Des contes, dits par des parents, sont transcrits en français par des enfants et leur enseignant pour d’autres enfants. Les parents, conscients de l’enjeu de la lecture, mais eux-mêmes en situation échec par rapport à elle, confient volontiers leurs enfants au “RELAIS” afin qu’il assure un “soutien scolaire”. La demande de l’école, reprise par les parents, se heurte d’ailleurs à la volonté des animateurs qui voudraient bien qu’on n’assimile pas leur action à une “étude surveillée”. Aussi, progressivement, deux fois par semaine, ces derniers tentent-ils de faire sentir aux parents les raisons de l’échec de leurs enfants. Ils proposent, en outre à une quarantaine d’habitués des ateliers d’expressions orale, écrite, corporelle... Un groupe d’enfants prépare un journal d’activités, qui sera diffusé dans les écoles, afin d’impliquer les enseignants dont certains, “considèrent les animateurs comme le reflet de leur incompétence”. Un conteur, non professionnel (dans la tradition populaire) intervient au “RELAIS”. Le conte peut amener au livre par une approche non scolaire. Le “RELAIS” veut “apporter des outils de la culture là où la demande existe et être un lien communautaire d’apprentissage” en implantant une B.C.D. Pour le “RELAIS”, cette B.C.D. serait un lieu de rencontres Ecole-Parents migrants et non migrants. Des ateliers langage, écriture et aide à la lecture pourraient être mis en place. Ces ateliers seraient ouverts tous les jours de 17 à l9h et le mercredi toute la journée. Comme
le “RELAIS”, trois écoles (2
primaires et 1
maternelle) ont aussi, en commun, un projet
Une réunion des enseignants de ces 3 écoles, des parents d’élèves et de la bonne fée Zépienne a eu lieu au début de cette année 85. On a débattu davantage des problèmes matériels que des problèmes théoriques. Peut-être ces derniers étaient-ils déjà assimilés mais les premiers paraissaient faire, barrage : localisation dans l’école, accès, tranquillité des enseignants. Les bonnes volontés se heurtèrent à des réactions parfois primaires : “j’ai déjà de la moquette dans ma classe.., je n’ai donc pas besoin de B.C.D.” ; “Les professeurs d’E.P.S. n’auront pas besoin de l’utiliser” , “Les programmes sont trop chargés... pas le temps” ; “Les élèves vont perdre leurs points de repère”. Bref, après avoir abordé les problèmes des plages horaires et des moyens d’accès ( n groupe ou individuellement), désigné un bibliothécaire coordinateur, réglé la question du prêt des livres et souhaité des stages de “formation aux fichiers”, on créa une commission responsable. Il s’agit de projets. En revanche, les écoles maternelles de la Bidassoa et primaire de Tourtille ont leurs B.C.D., depuis quelques mois et l’utilisent de façon différente, mais toujours parce qu’elles sont arrivées au constat de l’échec. Il leur a fallu préparer elles-mêmes les locaux. À Tourtille, des besoins de formation et financiers se font sentir mais n’empêchent pas des animations autour du Journal, le dépouillement des courriers d l’école (COMIMFORM), la diction d’histoires des grands aux plus petits, la sollicitation des parents. Mais sûr les onze écoles primaires de la Z.E.P., les initiatives sont encore trop peu nombreuses ! La présence de 2 collèges pour 3 L.E.P., 1 C.E.T. et 2 écoles de perfectionnement souligne assez le handicap et les difficultés scolaires de la population.
Et la mairie, comment se comporte-t-elle face à ce problème ? Elle propose 6 bibliothèques qui sont davantage des “lieu piscines” que des lieux de vie. Si l’on en croit le rapport d’activités 81-82 de l’une d’entre elles, la publicité sous forme de dépliants et d’affiches l’emporte sur l’animation autour du livre trop longue à préparer. La fréquentation est d’ailleurs caractéristique. En section adulte ce sont les 20-29 ans les plus assidus (ne serait-ce pas des étudiants ?...). On y rencontre surtout les non-actifs (comprenez, les retraités) et des cadres. En section jeunesse, les 8-11 ans sont les plus nombreux ; Les 14-16 ans les moins nombreux. Leurs parents sont cadres moyens employés. La B.D. est l’écrit le plus lu. On consulte plus qu’on emprunte. Il faut souligner que les stages proposés aux bibliothécaires de cette bibliothèque sont très spécialisés (Littérature africaine...). Autrement dit, la ville ne contribue à l’action des associations et des écoles que par un don de livres négligeable, du reste). C’est insuffisant pour s’inscrire dans une politique générale de lecture, dont la population du 20ème a manifestement besoin plus que d’autres.
Par
le compte-rendu de cette courte enquête, j’ai
essayé
de montrer que même si cette “action- Seulement, face aux lourdeurs institutionnelles le seul moyen reconnu est l’infiltration (l’histoire d’eau s’achève..) à l’image de l’association FEU VERT. Cette association dépendant d’un projet F.A.S. (Fonds d’Action Sociale) à vocation d’insertion sociale, est maintenant invitée par l’Ecole, pour des raisons encore matérielles (encadrement de sorties...) mais tend à assurer un service périscolaire aux enfants de Ménilmontant et incite les parents à s’impliquer dans l’Ecole (conseils de classe...). À Z.U.P. et à Z.E.P. la population du 20ème arrondissement répond Z.U.T. (Zone d’Unité de Travail). Un projet peut-il naître, indépendamment de toute demande, de la volonté consciente d’une personne qui, à travers une action volontariste réussit à convaincre et à rallier ceux à qui elle est destinée ou faut-il attendre que les gens, vivant leurs difficultés, en prennent conscience et revendiquent les moyens d’y remédier ? A attendre, ne risque-t-on pas un effet démobilisateur du temps ? A l’imposer, on peut, en revanche, craindre des dérives ou des refus.
Rendez-vous dans un an pour vérifier les effets du principe d’Archimède ?
Laurent Fouque
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