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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°16  décembre 1986

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ENFANTS DE MATERNELLE ET LECTURE

Sujet banal ! Et pour cause, tous les enfants font de la lecture en grande section. Mais les enfants de la maternelle, l'écrit et les... parents ? Une réalité mise en place depuis plusieurs années à l'école maternelle du Lac de la Villeneuve de Grenoble par des instituteurs militant à l'A.F.L. Expérience que Marie-Claude SALLEMAND, institutrice dans une école maternelle de BOURGOIN-JALLIEU a voulu reprendre à sa façon. Elle nous dit comment.


Par un cahier, tout simplement (21x29, grand format) cahier de liaison École-Famille.

Sur le cahier sont consignés tous les événements marquants de la vie de l’école :

  • la visite du Père Noël,

  • les spectacles, les anniversaires,

  • les gâteaux que l'on a faits, etc.

Sont également rassemblées les informations destinées aux familles :

  • matériel à apporter,

  • vente de timbres,

  • annonce de la visite médicale,

  • jour de la bibliothèque, etc..

MAIS AUSSI ET SURTOUT, CE CAHIER EST UN MOYEN DE COMMUNICATION ENTRE LA FAMILLE ET L'ÉCOLE. ET CE CARACTÈRE DE RÉVERSIBILITÉ EST VOULU, INSTITUTIONNALISÉ PAR L’ÉCOLE.

L’écrit n’existe pas qu'à l'école.

Il est partout : sur les panneaux publicitaires, à ta télévision, dans les magasins, sur les prospectus de la boîte aux lettres et sur ceux que l'on trouve sur le pare-brise de la voiture, etc. Omniprésent, cet outil, car c'en est un, nous n'allons pas le laisser nous dévorer, nous allons l'amadouer, nous en servir, et le dominer.

Un montage diapos de l'A.F.L. a servi de tremplin. Les parents ont découvert que notre environnement était le point de départ d'un échange enfants-parents, qui non seulement allait les rapprocher, s'il en était besoin, mais créer un climat de complicité, dont les implications seraient tellement inattendues!

Et les voilà tous partis à la récolte de l'Écrit.

Sur le cahier vont se retrouver côte à côte :

  • l’emballage des yaourts,

  • la feuille de Sécurité Sociale,

  • l'ordonnance du docteur,

  • le bon de commande de La Redoute,

  • les tickets de bus, etc.

Bien sûr, on cause ensemble et ensemble on s'interroge :

-Tiens ! Qu'est-ce qu'il y a sur le prospectus de la boîte aux lettres ?

- Ce 28 sur l'étiquette des collants, c'est ta pointure. Moi, tu vois, c’est du 36.

  • Qu’est-ce que tu regardes, Maman, sur le yaourt?

  • Regarde sur le ticket du train, là, il y a écrit Bourgoin, et là Lyon. Là c'est la date.

Et cela peut se faire que si les deux parties sont d'accord.

- L'enfant seul ne peut théoriser ces situations, et, alors sa récolte d'écrits n'aura été le prétexte qu'à une activité de col­lage.

- La famille seule ne peut le faire : ce serait alors un travail qui ne ferait pas illusion longtemps : l'enfant qui vit son cahier, sait faire partager ses enthousiasmes à ses copains. Il est fré­quent qu'à l'accueil du matin, les enfants feuillettent leur cahier avec les copains, expliquent, lisent ce que maman ou le grand frère ont écrit sous le collage.

Car ce cahier circule quotidiennement de l'école à la maison, et de la maison à l'école.

Comme ceux de la grande école, nous venons chaque matin, à l'école avec notre sac et notre cahier, fiers de ce que nous allons montrer à la maîtresse et aux copains. Et le soir, la même fierté, la même impatience parfois d'ouvrir son cahier à papa ou maman.

Bien sûr, la tâche est plus difficile avec certaines familles. Elles ne viennent pas aux réunions, elles n'osent pas toujours venir voir la maîtresse, leurs préoccupations sont ailleurs. Alors que faire ?

Chaque vendredi, revue collective des cahiers. Jour attendu, car on va montrer aux copains le travail fait à la maison pen­dant la semaine. Et c'est à celui qui aura «fait le plus de pages» ! Et qui sait les lire à la classe !

Cette mise en commun des écrits collectés donnent des idées à ceux qui en manquent, les rassurent, car, après tout, on a tous un emballage de fromage, une boîte de suppositoires, une pub de chez Genty ou d'ailleurs à la maison !

Reste le problème de l'écriture, de théorisation. L'école est là pour suppléer aux manques (involontaires) de la famille : la maîtresse écrit sous le collage et donne les explications nécessaires.

Et puis, en allant plus loin, retour de l'écrit dans la famille, contact de la famille analphabète avec l'écrit, l'enfant devient détenteur du «savoir», il lit, il explique.

À l'école du Lac, des mères ont ainsi appris à lire sur l'ordina­teur où les maîtres avaient entré le contenu du cahier.

Nous n'en sommes pas encore là !

Pourquoi avoir créé ce type de liens entre famille et l'école ?

- « Jamais je n'aurai pensé donner le goût de la lecture en utilisant ces écrits de tous les jours. »

- « Je ne pensais pas utiliser l'écrit à ce point. Je le faisais sans m'en apercevoir. »

- «Avant, je n'arrivais à rien avec mon fils. Tous les jeux, les découpages se terminaient mal ou n'aboutissaient pas. Main­tenant, avec le cahier, un véritable lien s'est établi entre nous deux. Nous avons un but commun et je dois freiner mon fils, sinon je ne m'occuperai plus que de lui et de son cahier! »

- « Quand J.-M. n'a rien à faire, il s'enferme dans sa chambre et relit son cahier du début à la fin. »

- «Dès que la grand-mère arrive, on s'installe et on lit le cahier. »

  • Une prise de conscience évidente de la part des parents

Ils ont un rôle à jouer et ils le jouent. Au début, «pour avoir la paix», disent-ils, car les enfants, comme s'ils avaient cons­cience de l'enjeu, exigent la participation des parents. Et puis, devant l'enrichissement affectif et intellectuel, ce sont eux qui pensent à rapporter le ticket d'autoroute, ou une carte postale de la ville où les exigences de leur vie professionnelle ou autres les ont amenés.

Un rôle à jouer ! Mais lequel ? Ne pas cacher cet écrit qui nous entoure aux enfants. Ne pas les tenir à l'écart parce qu'ils sont trop petits !

- On va voir Mamie à Avignon, regarde la carte avec moi. On va passer sur cette longue route. On va passer à Vienne, c'est écrit là...

- Tu veux voir Vitamines ? On va chercher sur le programme.

D'abord la chaîne, le jour, l'émission, l'heure. Et très vite, on est responsabilisé et on va se débrouiller seuls !

Les grands ont recours à l'écrit pour trouver un numéro de téléphone, la recette du gâteau. Il faut que les petits, aussi, aient ce droit et cette responsabilité.

  • Un climat sécurisant se crée autour de l'enfant.

L'écrit devient une composante essentielle et naturelle de sa vie. Reconnaître un billet de train d'une ordonnance du doc­teur, savoir différencier un prospectus venant de la banque do celui venant de chez Genty, c’est déjà se fabriquer un statut de lecteur.

  • Le cahier devient aussi un point de repère dans le temps ; on le feuillette souvent ; souvent on le lit. On tient à lui comme à un livre. Il est le témoin de tous les événements heureux survenus à l’école mais aussi et surtout à la maison.

Même si ce cahier est un élément important de l'éveil de l'en­fant à la lecture, il ne prétend pas résoudre à lui seul tous les problèmes. Il s'inscrit dans une politique de lecture qui concerne non seulement l'école, la famille mais aussi toutes les structures d'accueil du jeune enfant.

Ces comportements, cette détermination des enfants et des parents auront-ils des implications dans l'apprentissage de la lecture?

Vont-ils accélérer le processus ?

Nous le croyons avec force. Et comme il est écrit dans le n° 12 des Actes de Lecture : «En tout cas, une chose est certaine, s'il lit avant de savoir lire, il saura lire lorsqu'il lira.»

Marie-Claude SALLEMAND