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La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°17  mars 1987

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CORRESPONDANCE SAND-FLAUBERT

Extraits de la correspondance entre Georges SAND et Gustave FLAUBERT à propos de la lecture ou de questions adjacentes...


Sand à Flaubert

«... Tout ce qui est d'un maître est enseignement, et il ne faut pas craindre de montrer ses croquis et ses ébauches. C’est encore très au-dessus du lecteur, et on lui donne tant de choses à son niveau que le pauvre diable reste vulgaire. Il faut aimer les bêtes plus que soi, ne sont-elles pas les vraies infortunes de ce monde ? Ne sont-ce pas les gens sans goût et sans idéal qui s'ennuient, ne jouissent de rien et ne servent à rien ? Il faut se laisser abîmer, railler et méconnaître par eux, c'est inévitable. Mais il ne faut pas les abandonner, et toujours il faut leur jeter du bon pain, qu ils préfèrent ou non la m... Quand ils seront saouls d'ordures, ils mangeront le pain, mais s'il n’y en a pas, ils mangeront la m... »



Flaubert à Sand

«... La Philosophie sera toujours le partage des aristocrates. Vous aurez beau engraisser le bétail humain, lui donner de la litière jusqu'au ventre et même dorer son écurie, il restera brute quoi qu'on en dise. Tout le progrès qu'on peut espérer c'est de rendre la brute un peu moins méchante. Mais quant à hausser les idées et la masse, à lui donner une conception de Dieu plus large et partant moins Humaine, j'en doute... »

«... Quant au bon Peuple, l'instruction "gratuite et obligatoire" l'achèvera. Quand tout le monde pourra lire Le Petit Journal et Le Figaro, on ne lira pas autre chose. Puisque le bourgeois, le monsieur riche ne lit rien de plus. La Presse est une école d'abrutissement parce qu'elle dispense de penser. Dites cela, vous serez brave, et si vous le persuadez vous en (sic) aurez rendu un fier service.

Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain. Tel qu'il est constitué, un seul élément prévaut au détriment de tous les autres ; le Nombre domine l'esprit, l'instruction, la race, et même l'argent, qui vaut mieux que le Nombre...”

...Je ne crois pas plus que vous aux distinctions de classes, je crois que les Pauvres haïssent les Riches et que les Riches ont peur des Pauvres. Prêcher l'amour aux uns comme aux autres est inutile. Le plus pressé est d'instruire les Riches, qui en somme sont les plus forts. Éclairez le Bourgeois d’abord ! Car il ne sait rien, absolument rien. Tout le rêve de la démocratie est d'élever le prolétaire au niveau du bourgeois. ­Le rêve est en partie accompli ! Il lit les mêmes journaux et a les mêmes passions.

Les trois degrés de l'instruction ont donné leurs preuves depuis un an. Premièrement l'instruction supérieure a fait vaincre la Prusse ; deuxièmement l'instruction secondaire, bourgeoise, a produit les hommes du 4 septembre ; troisièmement ­l'instruction primaire nous a donné la Commune. Son ministre de l'Instruction primaire était le grand Vallès, qui se vantait de mépriser Homère.

Dans trois ans, tous les Français peuvent savoir lire. Croyez­-vous que nous en serons plus avancés ?... »