La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°17 mars 1987 ___________________
LECTEURS MODÈLES OU MODÈLES DE LECTEURS HUMEUR NOIRE
Le
livre de jeunesse a son salon.
Largement annoncé sur les murs et sur les ondes, le Salon a donc eu le succès qu'il avait préparé. Véritables cornes d'abondance, les stands des éditeurs ont réellement contribué à installer la fête pour ne plus la quitter. Les enfants et les livres exhibaient une bonne santé. L'A.F.L. avait été invitée à tenir un stand et à participer aux débats. Nous nous sommes plu dans ce salon riche en contacts, découvertes et convivialité mais nous mentirions si nous ne signalions pas quelques poussées de malaise. Elles ont eu lieu principalement dans les débats. Promouvoir les livres ? Oui, bien sûr. Mais encore faut-il être attentif aux phénomènes d'exclusion qui accompagnent toute promotion. Surtout à Montreuil. Aussi, ce papier a-t-il comme but de féliciter cette ville de l'événement littéraire qu'elle renforce d'année en année, tout en essayant de lui apporter une contribution écrite tant notre parole nous a semblé difficile à exprimer. Car enfin que dire dans un débat qui s'appelle « Pour ou contre la littérature jeunesse » quand il est clair que tout le monde est «pour» dès les premières minutes et que le reste du discours consiste à échanger quelques précautions :
Échanges mollement liés par deux journalistes qui n'affichaient comme compétence que leur a.a.amour pour les livres d'enfants (les bons, sans les définir) ; leur connaissance du milieu littéraire (génial coco, ton dernier polar !); leur mépris sympa pour les dames bibliothécaires (les mômes choisissent sans vous, allez! c'est pas grave l) et leur mépris tout court pour les enseignants qui, eux, dégoûtent les gamins de la lecture. L'ancien professeur, parvenue journaliste, règle-t-elle ses comptes avec son purgatoire Éduc. Nat. ? Toujours est-il qu'elle a amené sa propre môme pour témoigner de la brutalité des profs sur les goûts littéraires précocement développés par l'attentive mère qu'elle a su être (j’te raconte pas !). Moins grotesque mais tout aussi frustrant, la présentation du sondage I.F.O.P. sur les habitudes, les goûts et les attentes de lecture des jeunes de 8 à 12 ans. Grande révélation de ce sondage : les filles et les garçons différents : elles lisent tandis que les garçons agissent. Floues, les filles, casanières même, dépendantes, mélomanes, frustrées et scolaires. Beaucoup plus clairs, les garçons qui placent délibérément aspirations dans l'action tandis que les filles les abandonnent dans les rêves. Ensemble, ils sont plutôt ordinaires: ils aiment les récits d'animaux, d'humains et d'événements passés ou présents. Je n'ai pas résisté à cueillir dans la bouche de la commentatrice de cette enquête cette jolie phrase : « En effet les filles ont bien intériorisé la contrainte et lisent majoritairement par plaisir (60 %)..» Les garçons, eux, appellent un chat, un chat et une contrainte une contrainte : c'est à 42 % qu'ils lisent et parce que l'école les y force. Ah ! elles sont étranges ces nanas ! Une sur huit trouve les livres compliqués contre un sur quatre pour les p'tits gars. Et puis, grandissant elles abandonnent les carrières prestigieuses à gentils compagnons. Et comme les colères les meilleures sont les plus courtes, je ne vous dirai rien ou pas grand chose sur les éternels griefs contre la télé, les jeux, les parents qui, la presse ah ! celle-là... Car enfin, un enfant bon lecteur aime aussi la télé, le ciné, la musique, les copains, son vélo non ?
Quelle est l'utilité d'un classement des jeunes lecteurs s'il ne s'accompagne pas de la recherche des causes de cet état ? Indépendamment du phénomène commercial et de l'événement culturel unique que représente Montreuil, ce salon ne pourrait-il pas dépasser son rôle de présentation et d'échanges pour devenir un lieu de réflexion sur les conditions nécessaires à l'épanouissement des jeunes lecteurs ? On parlerait de qualité de textes, de qualité de vie aussi. Ce serait politique? Sans doute. Vous pensez que ça nuirait à l'Art ? Pas à Montreuil. Nous en sommes sûrs. Yvanne Chenouf |