La revue de l'AFL Les Actes de Lecture n°17 mars 1987 ___________________ Censure...Difficile
en ce début d’année 1987,
d’ouvrir un dossier sur
la littérature enfantine sans évoquer la censure
qui la
menace !
Nous signalions dans notre numéro précédent la création par la Mairie de Paris d’une commission de travail chargée d’établir les listes d’ouvrages susceptibles d’être acquis par les quarante-cinq bibliothèques et sections pour la jeunesse de Paris. Nous reproduisons ici l’essentiel de la lettre du maire de Montfermeil adressée à d’autres maires…
Les Éditions de la Farandole, visées dans cette lettre ont réagi. D'abord par une lettre ouverte dans laquelle leur directeur rappelle les nombreux prix et récompenses obtenus par des ouvrages qu'elles ont publiés et s'insurge contre ce qu'il appelle «une atteinte injurieuse à l'honneur de notre maison», «un tissu d'inexactitudes et de mensonges» et «le retour insupportable à une situation de prise en main de l'édition et des écrivains... ». Ensuite, par la publication d'une brochure réunissant les réactions de personnalités, d'écrivains, d'éditeurs et de la presse. Lors du Salon du Livre de Jeunesse de MONTREUIL du 5, 6 et 7 décembre 1986, à l'issue d'un débat organisé par un collectif d'auteurs, le texte suivant a été adopté.
Censure ! Ce mot provoque des réactions contradictoires chez la même personne. On se surprend à sourire, comme on sourit à une incongruité, un archaïsme ou encore une outrance qui portent eux-mêmes les gages de leur ridicule. On songe aux censeurs du dix-neuvième siècle - bourgeois de Daumier - et à Hugo tonnant contre l'hypocrisie de ces bien-pensants auxquels l'Histoire a définitivement réglé le compte. On s'étonne presque que certains puissent partir en guerre contre de telles choses. On se dit que Monsieur le Maire de Montfermeil - bêtise ou ignorance - n'a vraiment pas peur que son nom serve dans le futur à désigner de telles entreprises. On a quelques inquiétudes mais on se tranquillise aussi. La tolérance et la permissivité de notre époque rassurent. On peut ne pas être dupe sur les véritables facteurs de cette évolution; être conscient qu'en cette affaire le mercantilisme prévaut sur le souci d'émanciper ; savoir que d'autres aliénations naissent de ces libertés... et se féliciter pourtant de la disparition d'interdits et du recul de tabous. Bien présomptueux, se dit-on, celui qui prétend revenir sur l'habitude de tout faire, tout montrer, tout dire et tout écrire. Et puis, on réfléchit au fait que l'âpreté des rapports sociaux ne s'atténue qu'en apparence. Ou plus exactement, qu'en notre démocratie, elle prend des formes moins violentes mais plus insidieuses que dans le passé ou qu'ailleurs. La sous-information, la désinformation, l'information à sens unique, le conditionnement, la censure restent de puissants instruments de domination. L'exemple, pour la presse des adultes, de l'édification du groupe Hersant montre qu'en cette période de reprise en main et de retour du balancier, tout est possible. Surtout qu'il s'agit, pour ce qui nous occupe, d'enfants ! Et que certains arguments font réagir une France profonde, inquiète de la remise en cause de statuts, de privilèges et d'institutions. II ne manque pas d'aplomb, Monsieur le Maire, en accusant la littérature enfantine d'être responsable de la délinquance juvénile. Comme si les raisons de la délinquance de certains jeunes n'étaient pas celles qui, justement, en faisaient des non-lecteurs. Alors, la démarche du maire de Montfermeil et de ses collègues est à la fois grotesque et inquiétante. Et, en définitive, sans doute plus inquiétante que grotesque. Nous sommes à l'.A.F.L., cela va sans dire, solidaires de ceux qu'elle inquiète et qui la combattent. Notre « campagne permanente d'information sur la nature et les enjeux de la lecture » - pour reprendre les termes de notre précédent éditorial - trouve là, s'il était besoin, un regain d'actualité. Il faut donc considérer notre dossier comme un élément de cette campagne et notre réflexion sur la littérature enfantine comme un modeste effort pour participer à son amélioration. Le plus sûr moyen, peut-être, de la préserver. A.F.L. |