La revue de l'AFL Les actes de lecture n°26 juin 1989 ___________________ UN
LIVRE, UN CADDIE En juin 1986, à l’initiative de l’école des Charmes et de l’école des Buttes de la Villeneuve de Grenoble, une collaboration avec « CARREFOUR », le magasin à grande surface qui dessert le quartier, était convenue. 1. CARREFOUR offrirait un service de presse aux deux écoles qui s’engageaient à fournir une critique mensuelle de livres pour enfants publiée dans le journal gratuit destiné à la clientèle du magasin. (Ce travail atteint maintenant sa vitesse de croisière, une dizaine d’articles ont déjà été publiés.) 2. Les écoles participeraient au réaménagement du rayon librairie. (Ce travail est actuellement en cours.) 3. Les enfants encadreraient une vente promotionnelle. (En projet.) Après un bilan provisoire par Ernest BOIS et Emmanuèle BUFFIN-MOREAU, les deux instituteurs responsables de ce projet, nous présentons le compte-rendu de critiques d Sur
les bandes dessinées à titre d’exemple du travail
soumis par les écoles aux responsables du journal en vue
d’ une réécriture par un journaliste. Cette collaboration avec CARREFOUR dure depuis bientôt deux ans et demi. Il semble qu'elle a permis de : 1. Responsabiliser les enfants qui doivent fournir, à échéance régulière, une production conforme aux exigences du journal. Ils sont aidés par les instituteurs et un journaliste. 2. Développer chez les enfants une attitude critique par rapport aux écrits qui doivent faire l'objet de la rubrique. 3. Établir une mise en relation entre la BCD et un lieu de vente bien particulier (sans ambitions culturelles ou pédagogiques, aux visées avant tout commerciales). 4. Fournir le terrain d'une réflexion ou d'une approche « ethnographique » de la lecture (qui achète des livres dans une grande surface, quelles sont les motivations des adultes pour l'achat d'un livre-cadeau ?...).
1. CE QUE LES ENFANTS DEMANDENT À UNE B.D. a) Tout d'abord ils s'intéressent aux héros (dont le nom sert d'ailleurs souvent de titre à la série). Les héros traditionnels (forts, courageux, intelligents...) ont la faveur des enfants. On retrouve parmi eux Tintin, bien sûr, mais aussi Yoko Tsuno, le lieutenant Blueberry, Lucky Luke, Astérix. Pourtant leur préférence va aux héros plus humains, plus complexes, qui ont leurs faiblesses : Salah, 10 ans, aime bien le héros de la série « Yakari » de DERIB édité chez Casterman parce que « il n'obéit pas toujours, Il fait quelquefois des imprudences. » Ernesto, 11 ans, aime les deux héros de la série « Natacha » de WALTHERY édité chez Dupuis. « Walter, le héros masculin est jaloux, impulsif maladroit et gaffeur. Natacha, l'héroïne ne sait pas raconter les blagues et craque quelquefois.» Cédric, lui, adore le « Benoît Brisefer » de PEYO (Dupuis), parce qu'il embrouille tout quand il raconte une histoire. Les héros « comiques » Gaston Lagaffe, Léonard, Obélix, ont aussi leurs admirateurs. Les gaffes de Lagaffe en particulier, sont aussi appréciées par de jeunes enfants à partir de sept ans). Souvent les héros secondaires leur paraissent plus intéressants que les héros principaux : « Dans Tintin, je préfère la Castafiore ou le professeur Tournesol à Tintin lui-même. Ils sont plus amusants, ils sont plus imprévisibles. Quelquefois, la Castafiore est ridicule, mais d'autres fois elle sauve les héros de situations embarrassantes » explique Nadia. « Dans Yoko Tsuno, il y a deux héros secondaires, Vic et Pol. Mais ils n'interviennent pas dans l'action. On les voit au début et à la fin mais tout se passe sans eux. Alors que dans Tintin, le capitaine Haddock fait des bêtises qui changent le déroulement de l'histoire. D'autres fois c'est lui qui sortira tout le monde d'une situation difficile » commente Virgile. Ils
voient que les relations entre les différents personnages ont
aussi de l'importance. Voila le point de vue de Mathieu sur Léonard
(TURK et DE GROOT, éditions Dargaud) : « Le
disciple qui est un peu simplet met en valeur le genre de Léonard;
ça fait rire de voir que même quand le disciple a des
bonnes idées c'est toujours Léonard qui finit par en
profiter; il lui en fait voir de toutes les couleurs à son
disciple, ce Léonard! » « Quand le
capitaine Haddock essaie de fuir la Castafiore qui ne veut pas le
lâcher c'est trop marrant!» s'amuse Anouck. b) Le dessin Les
enfants le souhaitent « typé » ils
reconnaissent d'ailleurs les dessinateurs, les changements de style
ou de dessinateur à l'intérieur d'une même série,
Ils reconnaissent la « patte » d'un dessinateur
à travers différentes séries : « Le
dessinateur de Buddy Longway, c'est le même que celui de
Yakari. » « Le dessinateur des
Schtroumpfs c'est le même que celui de Benoit Brisefer. »
Ils apprécient des styles variés et les jugent par leur
qualité d'expression. Ils aiment les décors de JACOB
(Série Blake et Mortimer, éditions Dargaud) pour leur
réalisme, les paysages de DERIB pour leur poésie,
GIRAUD pour la richesse et la précision du graphisme, Gaston
Lagaffe (FRANQUIN) pour les attitudes et les expressions des
personnages. c) Certaines BD sont appréciées pour leur scénario C'est
le cas de la série Yoko Tsuno (Roger LELOUP), de certains
épisodes de Tintin (HERGÉ, éditions Casterman),
série Spirou et Fantasio (FRANQUIN, éditions Dupuis) et
d'une manière générale de toutes les B.D.
d'aventures (Lieutenant Blueberry, CHARLIER et GIRAUD, éditions
Dargaud). Selon Mourad, « un bon scénario, c'est
une histoire où il faut réussir ou empêcher
quelque chose. Si on n'y arrive pas, ça sera grave. Il faut
qu'il y ait des moments où on puisse croire que les héros
ne vont pas réussir. Il ne faut quand même pas que
l'histoire soit trop compliquée. » d) L'originalité Stéphanie
ne comprend pas toujours l'humour de QUINO (Mafalda, éditions
Glénat) mais peut quand même dire : « Ça
ne ressemble pas à d'autres bandes dessinées et, quand
on comprend, c'est marrant.» Guillaume apprécie la
façon dont PEYO, mine de rien, se moque de ce qui est
important pour les adultes : le maire et ses discours ou la
distribution des prix dans la série « Benoit
Brisefer » ; les caprices des grandes personnes (qui sont
quelquefois encore plus capricieuses que les enfants), comme par
exemple le roi dans la série des « Johan et
Pirlouit ». Mathieu trouve amusant que TURK et DE GROOT
(auteurs je la série « Léonard »
éditions Dargaud) aient eu l'idée d'utiliser un
personnage historique (Léonard de Vinci), et de lui prêter
toutes les inventions du monde actuel. 2. LES ENFANTS LECTEURS DE B.D., DES " LECTEURS AVERTIS" a) Connaissance des « codes » de la B.D. Certains
codes (bulles, bruitages, succession des cases...) qui posent
quelquefois des problèmes aux adultes, en posent rarement aux
enfants. Ils trouvent naïfs la façon dont JACOB auteur de
la série " Blake et Mortimer" décrit par un
texte l'image déjà très précise. « On
le voit bien puisque c'est dessiné, ce n'est pas la peine de
nous l'écrire en plus ! » Pour eux la bande
dessinée, aujourd'hui, ce n'est plus ça. « Dans
une B.D., l'image dit quelque chose, le texte dit autre chose, et le
texte et l'image ensemble ça fait encore quelque chose
d'autre. » « Pour bien lire une B.D. il faut
bien regarder les arrière-plans, Il faut savoir revenir en
arrière. » b) Sensibilité aux détails Les
attitudes des personnages, leurs expressions, leurs habits, les
décors, les gags sans paroles, certains jeux de mots,
certaines astuces sur les noms des personnages, n'échappent
pas à la sagacité des enfants. « Dans
Gaston Lagaffe, les personnages secondaires sont vraiment très
marrants! Mademoiselle Jeanne, elle me fait trop rire! Et Monsieur de
Messmaker, il me fait trop rire aussi avec ses colères où
il devient tout rouge ! » déclare Gabriel,
« et les expressions dans Spirou et Fantasio, elles ne
sont pas mal non plus » renchérit Manuel.
« Dans Benoit Brisefer il y a des petites histoires
amusantes qui ne font pas partie de l'histoire principale, on peut ne
pas le voir, mais si on les voit c'est plus drôle. Par exemple
dans les jardins publics, il y a des statues ; et sur le socle de ces
statues, il y a des titres gravés ; et ces titres sont
toujours très drôles. » c) On ne peut pas se fier à une série, à un auteur : « On dirait que GIRAUD il était fatigué
quand il a dessiné Cavalier bleu (série « Blueberry »)
ou alors il était pressé ! », déclare
Pablo. Les enfants peuvent apprécier des « crus »,
avoir un faible pour un auteur ou considérer que dans une
série certains albums sont à jeter. Manuel aime
beaucoup la série des « Clifton » mais
seulement ceux qui sont écrits par Raymond MACHEROT, même
chose pour la série « Chlorophylle » du
même auteur. Clément estime que les meilleurs albums de
« Gaston Lagaffe » sont ceux qui portent les
numéros R4, R5, R6. Raphaël considère que les
albums de la série « Spirou et Fantasio »
ne valent pas la peine qu'on s'y intéresse s'ils ne sont pas
signés FRANQUIN. Anouck remarque que « Le fétiche »
(PEYO, série « Benoit Brisefer ») l'a
déçue : « Il a quelque chose de moins que
les autres » avant même de découvrir que
cet album n'a pas été dessiné par PEYO lui-même
qui s'est seulement chargé du scénario. Remarque à propos des séries Attention, certaines séries peuvent se lire dans n'importe quel ordre. D'autres sont plutôt des BD à suivre. En les achetant faites attention à ne pas vous retrouver avec un tome 3 sans les tomes précédents. Cet avertissement vaut pour certains albums de « Natacha » (WALTHERY, éditions Dupuis) et pour certains albums de la série « Blake et Mortimer » (JACOB, éditions Dargaud), pour la série « Yoko Tsuno », et pour la série « Blueberry ». De
l'avis de certains enfants, le succès de certaines séries
est regrettable. Florian regrette que PEYO fasse toujours plus
d'albums de « Schtroumpfs » : « J'aime
bien les Schtroumpfs, mais j'aime encore mieux Johan et Pirlouit et
surtout Benoit Brisefer mais PEYO n’en écrit presque plus,
je trouve que c'est dommage. » d) Facile, difficile ou intéressant : Pour beaucoup de parents et d'instituteurs, les B.D. passent pour des lectures faciles qui de ce fait ne mériteraient peut- être pas vraiment le titre de lecture. Le point de que des enfants est différent. Voici l'avis de Clément sur « Boule et Bill » : « C'est facile à lire, mais c'est moyennement intéressant, je ne lirai pas toute la série comme pour d'autres séries. » « Être
facile à lire ça ne suffit pas. » C'est
aussi ce que pense Myriam quand elle dit: « Dans
Mafalda, je ne comprends pas tout, mais quand comprends, je trouve ça
marrant, alors je passe les bandes que je ne comprends pas et je
m'amuse avec celles que je comprends. » Pour
Guillaume, une BD est vraiment bien faite et intéressante si
on a plaisir à la relire plusieurs fois et si on y découvre
des choses intéressantes à chaque fois qu'on la relit.
« C'est le cas avec Tintin et avec Spirou et Fantasio.
C'est moins le cas avec Astérix. » 3. LA SÉLECTION DES ENFANTS a). Des BD à succès que les enfants aiment eux aussi : Tintin
(HERGE, éditions Casterman), Gaston Lagaffe (FRANQUIN,
éditions Dupuis) Spirou et Fantasio (mais uniquement les
albums signés par FRANQUIN, éditions Dupuis.) Les
Schtroumpfs (PEYO, éditions Dupuis), Natacha hôtesse de
l'air (WALTHERY et GOS, éditions Dupuis). b) Des BD moins connues mais qui, selon les enfants mériteraient d'être plus connues : Sybilline,
Chlorophylle, Clifton, mais uniquement les albums signés
Raymond MACHEROT, Benoit Brisefer et Johan et Pirlouit (PEYO,
éditions Depuis). Celui qui est né deux fois (DERIB,
éditions Casterman), Léonard GURK et DE GROOT
éditions Dargaud). c) Des BD que les débutants pourront lire et non pas simplement regarder : Les Schtroumpfs (PEYO, éditions Depuis), Boule et Bill (ROBA, éditions Dupuis), Yakari (DERIB et JOB, éditions Casterman. Emmanuèle BUFFIN-MOREAU, Ernest BOIS
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