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La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°26  juin 1989

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DEUXIÈME SEMAINE DE LA POÉSIE À CLERMONT-FERRAND

Françoise LALOT nous a présenté récemment un livre de poésie d’enfants et sa genèse (« Les Jamapoètes », A.L. n°19, septembre 1987, p.14). Passionnée de poésie, elle a provoqué, écrit-elle, « comme un sursaut » dans le Groupe Local d’Auvergne qui « parfois hiberne ». C’est ainsi que certains de ses membres épaulèrent la deuxième semaine de poésie organisée par l’École Normale de Clermont-Ferrand, comme d’autres assoiciations1 et organismes publics2 sollicités. Semaine de la poésie... Une toute pareille à celles qui ont fleuri parmi l’hexagone depuis quelques années ? Il faut voir, ne pas être trop rapide...


LA POÉSIE QUI MONTE

Mai 1981 : Les élections nous amènent un ministre de la Culture tout fringant, homme public, homme de foule : Jack LANG.

24 juin 1981, première fête de la musique : un succès. Le renouveau de la chanson française en route. Puis on cogite au ministère, De la même manière, il faut sortir de l'ombre tous les poètes qui se terrent dans les villes et les villages, tous les recueils qui s'empoussièrent dans les librairies et les bibliothèques.

La poésie, un genre littéraire beaucoup pratiqué et édité (avec dépôt légal ou non, à compte d'auteur, auto-édité ou ayant reçu l'aval d'un éditeur). La poésie, sans doute le genre qu'affectionne particulièrement l'écrivain-amateur (à moins que ce ne soit le récit auto-biographique ou le document d'histoire locale). La poésie, un genre qui se vend mal. Il faut dire qu'elle est souvent inexistante en vitrine ou coincée dans des rayons haut perchés. Plus accessibles, il y aura Rimbaud et Verlaine, édités en poche et consommés par les scolaires. Quand découvrira-t-on les grands de la poésie contemporaine ?

Après avoir sorti les musiciens de leurs caves ou autres sous- sols, ces messieurs-dames des affaires culturelles claironnèrent le jour de gloire de la poésie : le 21 mars 1982, puis les anniversaires des printemps qui suivirent. On clama ou on susurra les illustres et les si peu connus dans les lieux intimes. Cela dura, mais souvent discrètement, voire sinistrement.

Cela ne fonctionnait point. Vinrent les « Marchés de la Poésie »3, « Prix de la Poésie » 4 « Maison de la Poésie »5, « Festival de poésies »6, « Journées ou Semaine de la Poésie »7.

Actuellement, environ une centaine de ces manifestations se déroulent de Mars à Juin, parfois avec la vocation d'animation autour du livre. Que se passe-t-il dans ces manifestations auxquelles le Ministère de la Culture apporte quelquefois son aide ? Assez souvent, s'y retrouvent bien gentiment, les poéteux. Les éditeurs de poésie exposent leurs dernières trouvailles, les diseurs fixent leurs rares spectateurs et des classes défilent avec une question à un poète une question à un éditeur, une question à... « La marguerite s'effeuille ! ». Foire ou animation ?

« Entre les deux mon cœur balance ». Certains ont choisi, et c'est bien là une raison de leur succès. Acheteurs et éditeurs sont satisfaits du Marché de la Poésie à Paris Les uns y vendent, les autres y font des découvertes avec des textes, des poètes qui n'ont d'existence ni chez leur libraire, ni dans la bibliothèque de leur quartier. Le travail que mène le CREARC à Grenoble7 autour de la poésie étrangère arrive au bout de ses ambitions d'animation et de recherche. Les Journées de la Poésie du Maghreb étaient une étape d'un projet large englobant voyage et recherche, traduction et animation.

Pour que ces manifestations autour du livre ou de la poésie vivent pleinement, il faut que leurs animateurs repèrent le phénomène économique et l'intervention culturelle8 pour ensuite pouvoir se positionner.

UN PARTI PRIS : ANIMATION ET FORMATION

Riche de l'analyse de ses manifestations multiples, Jean- Pierre SIMÉON professeur à l'École Normale de Clermont-Ferrand et néanmoins poète, a cherché à bâtir un projet où les élèves seraient les bénéficiaires d'une animation et non des visiteurs de foire. De son rôle de formateur d'instituteurs lui est apparue la nécessité de mettre en place un plus à la formation initiale et continue afin que la poésie, dans les écoles primaires, puisse être autre chose que la récitation ou le jeu poétique. Pour la deuxième semaine de poésie (1989) les partenaires se sont étoffés et l'action s'est élargie : école, bibliothèque, librairie. Les propositions d'animation se sont réparties suivant deux niveaux :

- Pour les adultes en situation d'introduire la poésie auprès d’enfants : conférences-débats, expositions, atelier d'écriture, spectacles ou lectures.

- Pour les enfants : spectacles, atelier d'écriture, intervention de poètes ou comédiens dans les classes.

ANIMATION EN DIRECTION DES ADULTES

L'animation pour les adultes avait le côté classique du genre :

Soirées spectacles :

- Soirées poésies avec Jacques ROUBAUD et Michel OSTER. Poète, membre de l'Oulipo, romancier, Jacques ROUBAUD lit ses poèmes et signe ses livres. Comédien, Michel OSTER propose des extraits d' « un essaim amoureux », montage poétique à partir d'auteurs contemporains.

Je cherche un être à envahir, spectacle Henri MICHAUX, dit et joué par Yves Jacques BOUIN.

Grandir. Organisé avec l'Œil Écoute et le Petit Vélo. Ce spectacle a obtenu un grand succès au festival d'Avignon et fut un moment particulièrement chargé en émotion. Il faut dire que les spectateurs, adultes et enfants, ont pu ensemble et à des niveaux parfois différents, goûter la poésie du monde mis en place par les comédiens. Un moment riche...

Rencontres avec :

- René ROUGERIE éditeur (en collaboration avec la Médiathèque).

- Marianne AURICOSTE, comédienne, écrivain (rencontre sous l'égide de I'AFL), a mené de nombreuses expériences concernant la sensibilisation à la poésie. Elle interviendra sur le thème dire des poèmes.

- Arlette ALBERT-BIROT parlera de Pierre ALBERT-BIROT un des poètes phares du XXe siècle Pierre ALBERT-BIROT 50 ans en poésie.

- Aline ROMEAS, professeur d'École Normale honoraire à Saint-Etienne débattra de l'écriture poétique à l'école primaire.

- Journée des dépositaires à la B.C.P : débats avec Aline ROMEAS et Alain SERRES.

Expositions

40 ans d’édition, René ROUGERIE, à la Médiathèque.

Pierre-Albert BIROT, documents à l’École Normale.

Atelier d'écriture poétique

Le mercredi matin, un atelier a été animé par le poète Jean- Pierre FARINES.

En librairie

Toute la semaine des tables et des vitrines de poésies (collections ou recueils pour adultes et pour enfants) ont été présentées dans cinq des librairies clermontoises.

Le bilan à propos des actions en direction des adultes est à l'image de l'animation : classique. Les expositions et les rencontres ont connu un nombre honnête de participants : il n'y avait pas foule ! Les soirées-spectacles ont eu plus de succès.

En fait, il faut comprendre que la recherche du plaisir poétique est plus fondamentale que la réflexion sur le travail possible à mener avec tes enfants, Il est vrai que l'on ne peut mener à bien ce type d'animation auprès d'enfants que si la poésie a une résonance chez l'animateur. La formation est à plusieurs niveaux, il ne faut pas négliger celui du plaisir.

ANIMATION EN DIRECTION DES ENFANTS

Elle était pour une part similaire à celle pensée pour les adultes.

Spectacles

- « Grandir » qui est destiné à un public adulte et enfant,

« Lota Fota » par Marie-Christine FREZAL. Poèmes et comptines dans un décor, un jeu évoquant le cirque, Ce spectacle programmé un mercredi après-midi a été, pour une part, collaboration avec la géré par l'Office Municipal des Loisirs et de la Jeunesse de Clermont-Ferrand|.

Rencontres avec des poètes ou des comédiens

C'est cet aspect de la semaine de poésie qui, en regard des autres manifestations existantes, est le plus singulier. Dix poètes et comédiens ont rencontré, dans leur classe, les enfants d'une soixantaine d'écoles de l'agglomération clermontoise. Ils ont séjourné un ou plusieurs jours en Auvergne pour satisfaire au mieux les demandes, nombreuses, des instituteurs.

Ces visites étaient prévues depuis fin novembre et généralement des liens existaient entre la classe et le poète, grâce à des échanges de correspondance. Pour illustrer le champ des possibles autour de ces animations, il peut être question de la visite d'Alain SERRES dans une classe de CE1 du centre ville.

UN POÈTE DANS LA CLASSE

Les enfants de cette classe de CE1 étaient sensibles à la poésie du fait d'un travail régulier depuis septembre : audition de poèmes contemporains, mise en relation d'écritures poétiques avec des œuvres de peintres abstraits ou de musiciens

contemporains, jeux poétiques, écriture poétique individuelle ou collective... L'information sur la semaine de la poésie leur a été présentée sous la forme d'un tableau à double entrée, outil de travail des organisateurs. La décision de participer étant prise, la classe a attendu les propositions de date et de nom de poète. Le nom d'Alain SERRES étant avancé les enfants ont cherché dans les recueils de la classe et ont trouvé « N'écoute pas celui qui répète » et « Le bestiaire des mots ». Une lecture régulière et hasardeuse (pour le dernier recueil, les enfants tiraient au sort le numéro du poème) a introduit le côté ludique à cette imprégnation poétique. La lecture de la bibliographie a permis une recherche à la médiathèque qui a prêté trois récits. La lecture de différentes biographies a permis un questionnement sur l'homme, le poète, l'écrivain. Dès lors, une correspondance a existé et la classe a vécu, à partir de la rentrée de janvier à « l'heure Alain SERRES ».

La lecture simultanée de poésie, d'un récit (« Le petit humain ») et d'une interview a orienté le questionnement.

Alain SERRES est donc venu dans la classe en connaissant certaines interrogations des enfants. Parfois les questions des enfants peuvent nous paraître, à nous adultes, farfelues, saugrenues. Pour preuve, la première de toutes ce jour-là :

Julie : « Tu es marié ? »

A.S. : « J’ai une femme et une petite fille. »

En fait, c'est une manière d'appréhender l'humain dans l'écrivain, de réaliser que c'est une personne ordinaire, bien qu'étant homme de lettre. C'est une façon de lui enlever le chapeau haut de forme qu'ils attribuent si souvent au poète. Ce n'est pas si facile de faire descendre ce personnage mythique de son piédestal. Ce ne sera possible que si les enfants peuvent l'appréhender à travers leur réalité qui peut aller du mariage, à la voiture, aux chanteurs préférés... Ces questions sont fonda- mentales et elles ne peuvent exister que si l'individu est là, devant eux, avec sa barbe, ses lunettes, ses chaussures poussiéreuses et que les interrogations les plus primaires entendues.

La discussion s’est peu à peu orientée vers le livre, l’éditeur, l’imprimeur. Le coût d’un livre, la répartition du produit de la vente... ont été abordées. La réalité du livre n’est plus tout à fait la même. Ce n’est plus seulement un objet fini, il a une histoire.

A.S. : « Je vais vous lire un passage d'un documentaire et un poème. Vous m'expliquerez pourquoi c'est un poème ou pas un poème. »

Après la lecture, Stany : « Le documentaire parle de ce qui est vrai. La poésie, ce sont des choses qui n'existent pas. »

A.S: « C’est une partie de la poésie. Quelquefois c'est du réel dont elle parle.»

Romain : « Ça ne se lit pas de la même manière. C'est pas le même air. »

A.S. : « Oui, comme une petite musique, même si ce n'est pas chanté. Et puis, dans le texte sur les hamsters, on doit tous comprendre la même chose. Alors que dans un poème on comprend des choses différentes. »

Imperceptiblement

les herbes

frémissent

le tigre pousse12.

Pierre : « Le tigre pousse son petit devant lui pour qu'il avance. »

Thomas : « Il pousse sur ses jambes pour bondir. »

Julie : « C'est une fleur qui pousse. »

A.S. : « Ah oui, le tigre pousse comme la fleur. »

Julie : « Comme le bébé dans le ventre de la maman. »

Anabel : « Les herbes ce sont les rayures sur la fourrure » 

A.S. : « Chacun son idée. »

Chacun son idée, mais riche des idées des autres. Riche d'un imaginaire qui va se diversifiant.

CONCLUSION

Chaque classe a géré à sa manière la rencontre avec "son" poète. Certaines correspondances ont existé après la visite.

C'est qu'il y avait une histoire, un lien. Des enfants ont lu des textes du poète invité, souvent des textes pensés pour les adultes. Des poètes ont été émus. Chacun sa rencontre ! Mais ces rencontres ont été riches et déjà toutes les classes qui avaient sollicité une visite n'ont pu être satisfaites. Alors, la poésie avance, elle gagne des classes, des enseignants, des bibliothécaires et surtout des enfants.

Françoise LALOT


1. L'Association de Recherche Poétique en Auvergne, le Centre de Recherche et d'Information sur la Littérature pour la jeunesse, l'Œil écoute (association de spectateurs).

2, La DRAC, le Conseil Général avec la participation de la B.C.P., le Conseil Régional, le Rectorat, la ville de Clermont-Ferrand avec la participation de la Médiathèque et de l'Office Municipal des Loisirs et de la Jeunesse.

3 Comme le Marché de la Poésie : place Saint-Sulpice, Paris. Fin juin, 4 jours, depuis 1982.

4. Comme le prix KOWALSKI de la ville de Lyon, Hôtel de ville : 3, rue Édouard Herriot, 69001 Lyon, depuis 1982.

5. Comme la Maison de la Poésie de la ville de Paris : 101 rue Rambuteau, 75001 Paris.

6. Comme le Festival te Poésie du Haut-Allier, 43300 Langeac, depuis 1985.

7. Comme les Journées de la Poésie, 74200 Thonon-les-Bains ou les Journées de la Poésie étrangère du CREARC : 8, rue Pierre Duclos, 38000 Grenoble.

8. Jean FOUCAMBERT « Le salon » A.L. no 25 (mars 1989)

9. Les deux recueils sont parus dans la collection Poèmes pour grandir.

Imprimerie de Cheyne, Manier-Mellinette éditeur, 43400 Chambon-surLignon,

10. Folio cadet Gallimard.

11. Interview paru dans Gullivore n° 6, mensuel des Francs et Franches Camarades.

12. Poèmes n° 51 du Bestiaire des mots.