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La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°26  juin 1989

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IMPLANTER LA LECTURE à PARTIR DU RÉSEAU DES CENTRES DE LOISIRS


En 1964, lors de leurs journées d'étude « L'enfant dans la cité », les Francas, s'appuyant sur la déclaration des droits de l'enfant proclamée par l'O.N.U. en 1959, avaient considéré comme prioritaire la sauvegarde d'espaces réservés à l'enfant, l'équipement et l'animation de ces espaces, la création de structures d'accueil, le recrutement et la formation de personnels permanents. Cet espace physique réservé était au centre de leurs propositions pour un plan d'équipement socio-éducatif de la France. En 1970 les deuxièmes assises « L'enfant et son environnement » leur avaient permis, en confrontant leurs idées à celles d'autres organisations sociales et éducatives, de préciser l'importance de la coordination de l'action des divers co-éducateurs - de la famille aux élus - et de l'importance du législatif dans l'élaboration d'une politique de l'enfance dans la commune comme dans le pays. Plus précisément, en 1986. le colloque « Convergences éducatives » organisé par les Francas à I'I.N.R.P., avait fixé la réflexion sur les formes de la citoyenneté des mineurs ; de l'espace physique revendiqué dans les années 60, nous débouchions sur la nécessité, aujourd'hui d'un espace civique, lieu de convergence et d'action où les enfants et les jeunes pourraient apprendre en l'exerçant, une citoyenneté fondée sur des droits et des devoirs connus et acceptés, en s'appuyant sur une compétence sociale, devenue réelle parce que reconnue. Trois voies avaient été alors explorées : l'insertion sociale et l'éducation civique, les sciences et les technologies, la lecture. Il ne faut donc pas s'étonner si la lecture est l'un des axes privilégiés de leur réflexion comme de leurs actions dans le cadre de la revendication d'un espace civique pour les enfants et les jeunes.


LA SITUATION DE LA LECTURE

Tout (ou presque) a été dit ou écrit à ce sujet, et depuis le rapport « Des illettrés en France »1 le consensus est large sur le fait que l'état de lecteur n'est pas la chose la mieux partagée dans notre pays. Au-delà de cette constatation, l'accord est moins unanime lorsqu'il s'agit de réfléchir aux enjeux de la lecture : acquérir une technique ou se donner les moyens de conquérir un pouvoir et, par voie de conséquence, perpétuer un usage scolaire de la lecture ou en promouvoir un usage social.

Notre « public » est avant tout composé d'enfants et de jeunes. Et sans se livrer à de fines analyses socio psychologiques il est aisé de percevoir que leurs modes d'apprentissage et de compréhension ont beaucoup changé depuis les débuts de la scolarisation systématique : l'alphabétisation, fondée sur le linéaire et sur une forte contrainte d'ordre chronologique et spatial, est de moins en moins compatible avec les pratiques de la perception audiovisuelle par nature multidimensionnelle. Malgré ces changements, la lecture demeure un moyen irremplaçable de la théorisation du réel, de la conceptualisation sans laquelle il n'y a pas de pensée et l'on comprend que l'ancrage dans le social soit devenu essentiel à son développement : c'est bien en référence au vécu quotidien que le support visuel que constituent mots, phrases et textes - par nature symbolique puisqu'il ne reproduit pas une réalité mais le traduit conventionnellement - peut donner un système de référence au lecteur et le préparer à reconnaître ce qu'il va découvrir.


LA SITUATION DU LECTEUR

D'un point de vue psychologique il convient de parler d'enfance et de jeunesse parce que les analyses, comme la pratique, montrent que s'il s'agit de deux étapes différentes du développement humain, elles sont si fortement liées qu'il est souvent difficile de les dissocier. Il convient aussi de parler au pluriel (les enfants et non l'enfant) pour ne pas tomber dans les illusions que produirait l'analyse d'un enfant mythique, et bien rester sur le terrain du réel et du quotidien. D'un point de vue sociologique, l'autonomie grandissante de l'individu dans notre société technologique a rendu complexe l'organisation sociale et, la dissemblance étant devenue la règle, ces enfants et ces jeunes ne peuvent plus faire « l'apprentissage de la vie » par une tentative (voire une réalisation) de conformité à un modèle, mais par la recherche de la place où ils pourront exercer une complémentarité indispensable à la vie sociale. Il s'agit bien d'accéder à un statut socialement reconnu seul capable de permettre l'acquisition de compétences sociales. On comprend aisément, en se plaçant sous ce double point de vue, que ce qui est essentiel par rapport au lecteur, c'est la fonction sociale de l'écrit : « activité de communication, la lecture ne peut s'apprendre que dans et par la communication », elle touche donc le lecteur dans tous ses temps et espaces de vie.


L'ÉDUCATION ET LES ESPACES ÉDUCATIFS

Dans les sociétés primitives, l'éducation « s'étend â tout et prépare à toute la vie ». Pleinement intégrée au quotidien, elle est globale, progressive, continue. Dans notre société technologique, l'extrême division du travail a conduit à un morcellement extrême des actions éducatives dont le principal effet a été de masquer la nécessité de l'implication de toute la collectivité.

N'étant plus visible par tous, cette nécessité a perdu son évidence. D'autant que la multiplication et la différenciation des temps de vie et des espaces éducatifs se sont considérablement accentuées. Si l'on veut bien admettre que « l'éducation se concrétise par un ensemble d'actions volontaires ou involontaires, conscientes ou inconscientes, fanatisées ou non, qui s'exercent sur l'individu »2, on est fondé à tenir compte des temps et espaces de vie où s'exercent ces influences. Et de ce point de vue, si la famille et l'école sont des lieux importants, tant par la durée pendant laquelle les enfants et les jeunes y vivent que par la force des influences éducatives qui s' y exercent, le « périscolaire » - temps et espace - prend une importance déterminante à cause de son rôle de transition et de médiations3.

POSER LE PROBLEME : UN REGARD POLITIQUE SUR LA SITUATION

Les actions éducatives ne peuvent décidément pas s’exclure de la vie, sous peine d'y perdre leur pouvoir d'influence. La problématique de la lecture se situe donc résolument pour les Francas, sur le terrain de l'action. Dans une situation complexe marquée tout à la fois par des évolutions rapides et des résistances au changement, par des exigences consensuelles dans leur expression et souvent contradictoires sans leurs motivations, la façon de poser le problème équivaut à construire les perspectives dans lesquelles pourraient s'élaborer les solutions. Or tout problème suppose des acteurs orientés vers un objectif, des obstacles à franchir, la définition des conditions à créer pour que la solution soit considérée comme acquise.


Les acteurs

Comme mouvement éducatif, l'objectif des Francas est de « former l'homme le plus libre et le plus responsable dans la société la plus démocratique possible ». Comme mouvement social, ils veulent favoriser la prise de conscience individuelle et collective des besoins, aider à leur expression, participer à la mise en réseau des solidarités sans lesquelles ces besoins ne sauraient être satisfaits. La conception fondamentale qu'ils se font des conditions et des finalités du développement de l'individu en tant qu'acteur social rejoint l'aspiration du plus grand nombre (particulièrement les milieux les plus populaires) à l'accès aux connaissances, donc à une bonne maîtrise de la lecture comme moyen d'émancipation de ceux qui sont les plus exploités.


Les obstacles

Les obstacles sont nombreux et divers. Ils tiennent, tout à la fois, à la situation de la lecture, aux difficultés rencontrées par le milieu scolaire, aux contextes social, économique et culturel des lecteurs à former, aux nécessités qu'entendent se créer les pouvoirs politiques comme le système social. Pour ce qui est de la lecture, c'est moins l'affinement des techniques (voire leur sophistication) que l'ajustement du projet qui constitue l'obstacle majeur et la négociation sera d'autant plus longue et difficile que les partenaires souhaités sont nombreux. Depuis quelques années on assiste à une sourde bataille opposant ceux qui limitent les causes des échecs en lecture à un mauvais fonctionnement de l'école et ceux qui sont persuadés - et nous sommes de ceux-là - que c'est l'absence d'un projet commun à l'ensemble du corps social qui provoque tant d'exclusions. Cette bataille dont l'objet réel n'atteint pas le grand public, parce qu'il ne lui parvient qu'au travers du filtre déformant des querelles de méthodes, a pourtant un enjeu essentiel : acquérir un comportement de lecteur, c'est conquérir un pouvoir ; la bataille on le voit, se situe aussi sur le terrain idéologique.


Les objectifs

Si l'enjeu de toute action en faveur de la lecture est bien à nos yeux de permettre au plus grand nombre d'acquérir un comportement de lecteur, alors l'objectif est d'aider le plus grand nombre d'enfants, de jeunes, à conquérir un pouvoir, c'est-à-dire la possibilité d'influer consciemment et en toute responsabilité sur sa propre vie et sur celles des autres. Apprendre à lire ne peut donc pas être l'affaire de l'école seule (même si l'opinion semble la tenir pour seule responsable). Le périscolaire est un lieu privilégié qui reste à promouvoir et valoriser. Pour chaque individu lecteur à former, le rôle de l'action sociale (au sens sociologique de toute conduite humaine individuelle ou collective, consciente ou inconsciente), reconnue comme déterminante, joue sur plusieurs contextes (on pourrait dire systèmes) : le biologique et le psychique, mais aussi le social, champ privilégié des interactions, et le culturel où s'exercent les normes, les valeurs, les idéologies, les connaissances. On comprend donc l'importance des objectifs fixés à la maîtrise de la lecture et les nécessités que doit se créer le système social pour les rendre réalisables. Et l'on pourra considérer le problème comme résolu quand chaque enfant, chaque jeune pourra puiser dans les activités et les relations sociales que lui permettra un statut reconnu, la motivation et l'énergie indispensables à un apprentissage complexe qui dépasse largement les techniques qui prétendent le contenir.


UN PRÉALABLE à TOUTE SOLUTION : METTRE EN CONVERGENCE

Le problème est difficile, mais des solutions existent. Il est donc nécessaire de recenser, rassembler, établir des relations, faire apparaître des cohérences, créer des réseaux, organiser les convergences et tout cela sans perdre de vue, un seul instant, le quotidien.

Tout commence donc par l'animation. Et si lire c'est grandir, apprendre à lire c'est découvrir et vivre des situations vraies, grandeur nature où le recours à l'écrit permet d'agir, d'animer, de créer, d'imaginer, d'entrer dans l'inconnu, de s'émouvoir, de chercher, de rechercher: de communiquer, de connaître, de reconnaître, d'être libre. Dans toute action en faveur de la lecture il sera donc question du statut du lecteur puisque c'est la vie sociale qui va a permettre toutes ces situations. Nos propositions de solutions s'appuient donc sur les droits et devoirs que nous revendiquons pour les enfants et les jeunes, On pourrait parler de pouvoir, même si nous préférions exprimer cette notion en terme de responsabilité et d'initiative. Notre action est donc résolument orientée : agir, plus particulièrement dans le domaine du loisir, en ayant comme volonté de construire des stratégies cohérentes et efficaces, c'est-à-dire en mettant en convergence différentes actions éducatives qu'elles soient conduites par des enseignants, des parents, des animateurs, des bibliothécaires, des travailleurs sociaux...


Établir un projet

Les actions en faveur de la lecture ont connu ces dernières années une extraordinaire multiplication : qu'elles soient d'origine publique ou associative, qu'elles relèvent de l'initiative ministérielle ou locale, nombre de ces tentatives, malgré les volontés affirmées et l'authenticité des efforts, ont eu un effet limité. S'agissant d'acquérir des savoirs indissociables d'une pratique sociale, l'activité de lecture est une activité sociale. Un projet associant de multiples partenaires est donc indispensable. Un projet, c'est-à-dire un objectif clair, des étapes définies, des échéances raisonnables, des moyens prévus et renouvelables, toutes choses fondées sur un accord solide des partenaires et une volonté d'aller au bout. Cela paraît fort ambitieux, c'est pourtant la seule voie car la plupart des échecs constatés le sont en raison de demandes sociales contradictoires, de tensions avec ou dans le milieu et parce qu'on n'a pas su agir simultanément sur le plus grand nombre des facteurs de non-lecture.


Réunir des conditions

Entendons par conditions requises l'ensemble des éléments psychologiques, sociologiques, sociaux qu'il convient de prendre en considération. La toute première, c'est agir pour les enfants et les jeunes, agir avec eux. C'est-à-dire les considérer comme acteurs à part entière de leur propre éducation, c'est-à-dire les connaître, connaître leurs besoins, les situations qui leur sont faites, les relations qu'ils établissent entre eux, entre les différents groupes sociaux (ou sociologiques) et avec les institutions, les rapports qu'ils entretiennent avec les différentes activités humaines, aux technologies, aux espaces naturels ou aménagés, à la connaissance, à la culture, à l'information...

Une autre condition est la connaissance des différentes composantes du terrain d'intervention : quartier, ville, zone d'influence d'un établissement scolaire et, en milieu rural, village ou regroupements.

Chaque « terrain » a ses caractéristiques qui sont autant d'éléments à prendre en compte :

- éléments humains : les différents coéducateurs, leur histoire, leurs façons de travailler, leurs relations ;

- les dispositifs éducatif, culturel, social existant et les finalités qui les sous-tendent ;

- l'existence, ou non, d'un terrain associatif et des domaines d'intervention ;

- la politique locale, existante ou non, et ses retombées sur l'enfance et la jeunesse ;

- le milieu environnant et sa dimension économique.

Ce contexte présente le plus souvent, un ensemble vaste et varié dont il convient d'analyser chaque élément pour déterminer ceux qui sont le plus directement et le plus immédiatement maîtrisables. Une dernière condition consiste à faire un diagnostic, c'est-à-dire à décrire la situation de départ en essayant de déceler les évolutions prévues ou prévisibles : inventorier les influences éducatives, isoler celles qui sont les plus facilement maîtrisassent évaluer les moyens nécessaires, inventorier les moyens existant, prendre en compte les cadres législatifs et réglementaires, s'appuyer sur les dispositifs existant.


Choisir une stratégie

Si nos intentions sont ambitieuses, il faut cependant éviter l'impatience et vouloir tout faire d'un coup risque d'amener à construire sur du sable. à la base, il y a les préoccupations immédiates des différents partenaires, ensuite il faudra élargir la demande et l'inscrire dans un projet plus vaste. Se mettre à la portée des gens, tels qu'ils sont avec leur niveau d'information, leur capacité à l'exprimer, pour les conduire peu à peu à construire leur projet.

Ceci est d'autant plus important si le public auquel on s'adresse n'a pas une claire conscience de ses besoins, s'il lui est peu habituel de faire des projets d'avenir. Ceci est encore plus vrai dans le domaine de la lecture où les non lecteurs ne peuvent mesurer les perspectives que leur ouvrirait la maîtrise de l'écrit.


Co-produire un projet éducatif

Ceci implique à tous les niveaux, partenaires adultes comme partenaires enfants et jeunes, une négociation qui servira de base à une collaboration. Une telle démarche nous paraît seule capable d'adapter un projet à une situation donnée, donc de la rendre possible. En fonction des objectifs fixées le projet permettra de préciser le programme et le cadre des moyens nécessaires (existant ou à créer), de déterminer les priorités. Cette négociation est un passage obligé, sinon, comment prendre en compte les enfants et les jeunes, leur réalité, leur développement, leurs temps et lieux de vie, leur rythme de vie, les espaces dont ils ont besoin, la dimension relationnelle...


Constituer une équipe

Pour impulser, canaliser, réguler, évaluer, relancer, bref animer la construction puis la mise en vie du projet, on constitue une équipe. Souvent cette équipe se forme autour d'une personne qui a pris l'initiative mais on peut remarquer aussi que, parfois, un projet échoue car l'initiateur n'a pas su rassembler, partager, élargir, et a fini par être dépassé. Le partage n’est pas un luxe démocratique mais une nécessité.


Promouvoir un fonctionnement démocratique

Si l'insertion sociale est liée, dans nos idées à l’éducation, c'est parce qu'elle est un apprentissage de la vie en société. La socialisation, processus continu et progressif, va de pair avec l'insertion sociale comprise comme construction de l'autonomie individuelle avec et par le groupe, dans le cadre des règles qui régissent la cité. Cette « globalité diachronique de l'éducation »4 crée la nécessité d'une vie démocratique, si l'on veut que l'insertion sociale, ne se réduisant pas à l'insertion professionnelle, devienne l'une des sources d'énergie et de motivation des enfants et des jeunes pour être acteurs de leur propre éducation. Cette initiation à la vie démocratique, loin d'être un supplément d'âme est une nécessité impérieuse car c'est en négociant en permanence les limites de sa propre liberté qu'on peut apprendre à être libre tout en s'insérant harmonieusement dans un groupe.

Cette éducation, pour être intégrée à la vie quotidienne et aux activités, doit s'exercer dans trois directions :

- prendre conscience de son appartenance à un groupe et apprendre ni à le subir ni à l'ignorer ;

- connaître la vie sociale de la cité pour y trouver sa place ;

- être « citoyen du monde » par une éducation à la paix, à la tolérance, à la solidarité, au refus du racisme.

Cet apprentissage ne peut se faire pleine ment que dans ce que l'on pourrait appeler un espace éducatif concerté où le partenariat est effectif et négocié.


Pérenniser notre action

Identifier la situation, connaître les éléments humains, élaborer le projet, réunir les moyens, maîtriser l'espace implique la maîtrise du temps - chronologie et durée -c'est-à-dire savoir programmer. C'est d'autant plus difficile que bien souvent les actions se superposent et cette simultanéité exige, si l'on peut dire, de gérer le temps ans plusieurs dimensions. Combien de rejets ont échoué pour cause de cloisonnement, de saupoudrage, d'imprévision des évolutions. Programmer, non dans le sens d'une gestion bureaucratique pour canaliser, maintenir, centraliser, contrôler mais, au contraire, pour garantir les objectifs, favoriser les initiatives assurer les progrès permettre l'expression et garantir la durée, rendre possible les évolutions. Car nos actions en faveur de la lecture resteraient illusoires si nous nous contentions de créer des situations nouvelles sans contribuer à rassembler les conditions de leur irréversibilité.


QUELLE ACTION ?

La nature des écrits mis à la disposition des enfants, leur diversité, les situations d'animation sont autant d'éléments que nous pouvons maîtriser. Les structures d'accueil, qui ont tendance à étaler leur fonctionnement dans le temps (beaucoup sont permanentes), les actions complémentaires qu'il est possible de mettre en place avec d'autres partenaires sont également des lieux et des possibilités dont nous connaissons bien nombre de composantes. Créer les conditions d'un meilleur développement de la lecture dans le cadre des activités de loisir peut donc se faire dans deux directions :

- une action vers les enfants et les jeunes avec eux ;

- une action vers les autres éducateurs, vers l'environnement.


Organiser des activités

à partir d'un projet éducatif, spécifique à un secteur donné (ville, quartier...) des projets pédagogiques décrivant différentes opérations sont élaborées. Cette référence à un projet éducatif est indispensable à la fois pour garantir les finalités du programme et pour permettre à chacun des partenaires de trouver sa place, de préciser son rôle. Définir la situation de départ et les conditions de la réussite du projet ne peut se faire que collectivement sous des formes adaptées aussi bien avec les partenaires adultes qu'avec les enfants et les jeunes eux-mêmes. Si l'origine de l'initiative du projet est sans grande importance pour son déroulement il ne peut se réaliser que s'il est approprié par chacun et repose sur une volonté commune. Toutes les activités organisées à l'initiative des Francas dans le cadre des centres de loisirs, des BCD, des ZEP sont là pour en témoigner5.


Agir sur les différents temps de vie

En soulignant l'importance d'une convergence des actions en faveur de la lecture pour en promouvoir un usage social, on fait apparaître que tous ceux qui interviennent dans ces pratiques, quels que soient leurs rôles, doivent mettre en œuvre une pédagogie et faire référence à des finalités éducatives communes :

- développer des comportements de lecteur en référence à un projet ;

- mettre en situation d'agir sur l'écrit, c'est-à-dire produire de l'écrit, l'adapter, le réinvestir dans l'activité ;

- utiliser toutes les situations du quotidien pour devenir utilisateur et producteur d'écrit ;

- créer et multiplier les occasions de communication sociale où l'écrit sera présent ; - animer autour d'un livre ;

- enrichir l'activité par le recours à l'écrit.

En fin de compte, l'activité avec et par le livre, doit prendre source dans la vie des enfants et y retourner. Pour cela, si elle peut se limiter dans son déroulement à l'un des temps de vie des enfants et des jeunes, elle doit trouver résonnance, se répercuter dans tous les autres pour que chacun comprenne que s'il est amené à jouer des rôles, il reste unique, forcément global, et que la lecture l'aidant à assumer ses divers rôles, l'aide aussi à se retrouver lui-même.


Agir en direction de l'environnement

Si notre action en faveur de la lecture s'exerce dans le champ plus restreint du loisir et du périscolaire, elle ne participe pas moins à une éducation globale. Cette volonté de localisation nous conduit à rechercher des partenaires et des moyens.

Pour renforcer l'efficacité de notre action, nous devons préparer, puis renforcer la cohérence de ses composantes et de ses associés orientés vers un but commun.

C'est une action pédagogique, elle devient forcément politique puisqu'elle doit pour réussir, faire prendre conscience des enjeux poursuivis. Faire connaître les objectifs, valoriser le rôle social de la lecture, faire connaître la production, inciter à la rencontre, à la concertation puis à la coopération de partenaires, organiser l'information, donner à l'écrit sa place dans tous les lieux de vie et d'éducation des enfants ouvre un large champ d'activités possibles vers tous les publics possibles : éducateurs, travailleurs sociaux, parents, bibliothécaires, associations. Mais aussi vers ceux qui décident : élus, syndicalistes, dirigeants des comités d'entreprises. Sans oublier les professionnels du livre : ceux qui les écrivent, les illustrent, les fabriquent, les diffusent, les critiquent et les font connaître.


QUELS MOYENS D'ACTION

Pour promouvoir un tel usage de l'écrit et du livre, les moyens sont nombreux ; on peut les regrouper en trois grandes familles : les activités d'animation, les actions de formation, les actions d'information. Directement vers et avec les enfants et les jeunes, mais aussi vers les différents publics évoqués à propos de l'environnement, mais enfin vers la cité en général pour interpeller, sensibiliser, intéresser, associer le plus grand nombre.

L'animation qui déclenche et accompagne les activités mais aussi qui fait connaître les conditionnements et les besoins, provoque la mise en œuvre de synergies, stimule les projets.

L'information enfin pour sensibiliser à l'importance de la lecture dans l'éducation des enfants et des jeunes, pour valoriser les actions entreprises, pour rappeler le rôle de chacun des partenaires, pour mettre en évidence la nécessité des politiques et des stratégies communautaires


NE NOUS HASARDONS PAS à CONCLURE

Si les Francas, forts de 3 000 fédérés de 30 000 animateurs et de près d'un million d'enfants et de jeunes fréquentant chaque jour les structures d'un réseau serré étendu sur le territoire national s'intéressent activement aux problèmes posés par l'acquisition d' un comportement de lecteurs, ce n'est pas par hasard, ou par mode mais tout simplement parce que depuis leurs origines (dans les maquis de la résistance au nazisme) ils ont toujours vérifié que l' émancipation de l'homme commence dès l'enfance ; elle n'est jamais un don mais toujours un combat. Or la lecture, puissant moyen d'accès aux connaissances, procède de la communication tout en la favorisant, aide à la conceptualisation donc à la compréhension et constitue ainsi une voie privilégiée de l'éducation à la liberté. Avec SPENCER, nous sommes de ceux qui pensons que « le grand but de l'éducation n'est pas le savoir mais l'action ». Utiliser l’écrit - support et mémoire de la communication sociale - dans le cadre des activités de loisir et du périscolaire constitue une façon active de démontrer aux enfants et aux jeunes que la lecture ne se réduit pas à une discipline qui s'enseigne à l'école mais qu'elle constitue un moyen d'action puissant que l'on se donne pour vivre. L'ambition est sans doute grande, elle reste à notre portée, pour peu que notre légitime impatience ne nous empêche pas de rester attentif aux réalités du terrain : suivre l'étoile ne dispense pas de regarder le chemin...

Pierre CAMPAS
AFL Rouen, Membre du Bureau
National des Francas

1 Des illettrés en France, V. ESPÉRANDIEU, à. LION, J.-P. BENICHOU, La Documentation française

2. Pierre DE ROSA, L'éducation... aussi, Messidor 1985.

3. Au-delà de l'école, l'éducation, in revue Réussir, N°3 bis, avril 1988. 10-14 rue Tolain 75020 Paris.

4. Insertion sociale et éducation civique, Francine BEST, in : Colloque « Convergences éducatives » février 1986.

5. Lire à loisir, loisir de lire, Cahier de I'INEP N° 9, Septembre 1987.