La revue de l'AFL Les actes de lecture n°26 juin 1989 ___________________ ÉditorialDE RÉELLES AVANCÉES
On ne peut que se réjouir des propositions formulées dans le rapport rédigé par le Recteur MIGEON. .. même si les deux premières parties, qui en constituent l'argumentaire, gomment de manière surprenante notre apport. Simple « oubli » ? Volonté délibérée de ne pas situer le propos de ce côté-ci de la recherche-action ? Peu importe, finalement. Les idées n'appartiennent qu'à ceux qui s'en saisissent. Ma lecture des seize propositions formulées dans ce (bon) texte me conduit à soulever quelques questions qui traitent, l'une des conditions de l'apprentissage, l'autre des voies de l'innovation, la dernière du rôle des adultes dans leur propre rapport à la lecture.
1. Les conditions de l'apprentissage Elles sont largement évoquées, généralement dans des termes qui donnent satisfaction. Deux exemples : . La reprise de l'idée que « le moment fondamental pour son (la lecture) acquisition s'étend entre 2 et 12 ans »" et l'affirmation qu'il s'agit « d'un apprentissage continu » étaient tout à fait nécessaires pour marquer, avec force, la nécessité d'une action à penser dans la continuité et celle d'une solidarité entre les différents partenaires de la scolarité (de la maternelle au collège). . Si elle était appliquée dans l'esprit qui a présidé à la recherche dont elle est issue, la proposition d'organiser « les apprentissages en trois cycles» constituerait une mesure riche de promesses. Le long et méticuleux travail conduit dans plusieurs dizaines d'écoles de ce pays est enfin pris en compte. On ne peut que se réjouir de voir un tel travail aboutir, surtout si l'on sait dans quelles conditions il a été mené (rôle déterminant joué par le milieu professionnel, apports de la recherche, dispositif de formation et d'évaluation utilisé, etc.). Encore faut-il lui donner tout son contenu et organiser les cycles sur la base de « classes multi-âges ». Ne pas le faire reviendrait à annuler la portée de la décision prise. On en resterait alors à ce paradoxe : oui, aux cycles, non à l'hétérogénéité ; oui à la continuité des apprentissages, non aux moyens de cette continuité. Le rapport cite deux modalités, pour cette continuité, « la classe à plusieurs cours, en particulier celle qui accueille les enfants de 5 à 8 ans » et « le maître (qui) suit les élèves au C.P. et au C. E.1 ». Plus loin, le soin est laissé aux directeurs de s'acquitter de « cette bonne répartition des tâches au sein de leur école » pour que « les maîtres de ces trois classes se rencontrent, échangent, construisent une démarche pédagogique qui tienne compte de cet étalement ». Cette manière de procéder était probablement la seule possible (encore que les responsabilités du Conseil des maîtres auraient pu être rappelées). Mais fallait-il se priver de la possibilité qui était offerte lA, de souligner, avec force et solennité, l'importance du choix de la solution « classes multi-âges » ? 2. Les voies de l’innovation. Qui contrôle ? Après avoir affirmé le principe selon lequel " il devrait être laissé aux équipes de terrain une large autonomie " le texte poursuit : « Les IDEN ont en charge le pilotage de la mise en ouvre d'une pédagogie de la réussite... » Il serait absurde de contester la responsabilité des IDEN dans l'élaboration et la mise en Œuvre de la politique d'éducation dans leurs circonscriptions. Au contraire, telle est leur fonction et chacun attend que tous s'engagent dans cette voie, résolument. Il leur revient de dégager les moyens institutionnels dont les équipes de terrain ont besoin pour s'organiser sur le mode de l'autonomie. Il est donc de la plus haute importance, pour le succès de l'entreprise, que les IDEN traduisent en actes cette orientation. La loi de décentralisation impose aux fonctionnaires, représentants de l'État, l'impérieuse nécessité d'inscrire leur action au point de rencontre des exigences exprimées par le haut, sous forme d'orientations, et des exigences exprimées par le corps social sous forme de délibérations. Les deux « messages » dont les inspecteurs sont désormais les destinataires (vous devez assurer aux équipes le « droit à l'autonomie » et vous avez « un rôle hiérarchique à jouer » sont-ils contradictoires ? Faut-il redouter que beaucoup choisissent la hiérarchie contre l'autonomie ?
Qui forme et avec quelle aide ? Le principe « d'une formation organisée au bénéfice et au plus près des équipes responsables... » mérite d'être souligné pour ce qu'il est : une véritable injonction à ancrer la formation dans la pratique professionnelle. Toutefois, on est obligé de relever dans le texte, des contradictions qui ne sont pas de pure forme. La proposition n°7 en contient une de taille. « À titre exceptionnel, un module de formation à l'apprentissage de la lecture-écriture sera défini et diffusé au plan national; c'est donc dans les meilleurs délais qu'une première vague de formateurs pourra être mise à disposition des terrains. » Pourquoi tant d'urgence ? Pourquoi ce langage guerrier ? Pourquoi, surtout, ne pas laisser remonter du terrain des esquisses de modules déjA réalisés et les soumettre à évaluation ? Est-il utile de courir après des modèles « normés » qu'on voudrait généralisables ? Quand le texte du rapport soutient que » rien ne justifie que l'expérience d'Écouen (avec laquelle nous n'avons que des accords) ne puisse être transposée dans toutes les circonscriptions de France » il pose le problème de l'innovation, et de sa généralisation, en des termes que les faits récusent, avec une obstination désarmante. Il faut se résigner à cette évidence : aucune pratique sociale n'est jamais « transposable » si on donne à ce mot le sens volontariste qu'il a du côté du prescripteur (« il faut ») et du côté du destinataire de la prescription (« je dois »).
3. Le rapport des adultes à la lecture « Accompagner les progrès en lecture des enfants, en augmentant le nombre de lecteurs adultes. » C'est en ces termes qu'est énoncée la proposition n° 12. Cette proposition est, à mes yeux, l'une des plus importantes de toutes celles qui sont formulées dans ce texte. En effet, elle situe l'ensemble du dispositif dans ses rapports avec l'extérieur de l'école, et renforce notre option d'une « déscolarisation de la lecture » Quel sens donner à ce choix ? S'il ne s'agissait que d'instaurer des cours d'adultes pour « lecteurs en difficulté » avec pour objectif leur « réapprentissage » le risque serait grand de reproduire ce schéma dont on sait à quel point il est inopérant : apprendre d'abord, pour agir ensuite. L'enjeu est plus précisaient de définir les conditions qui rendront possible « l'élargissement des bases sociales de ce qui s'exerce dans l'usage de l'écrit ». Les propositions que nous formulons de notre côté, les pratiques en cours d'expérimentation à Bessèges, Grenoble, Villeneuve d'Ascq, Rouen, et dans d'autres lieux encore, du réseau A.F.L. ou pas, nous autorisent à travailler à la mise en place, avec les villes qui le souhaitent, d'une politique concertée destinée à aider les adultes à intégrer l'écrit dans leur quotidien, non pas seulement pour les rendre aptes à soutenir le projet scolaire de leurs enfants, non pas, non plus, pour les faire accéder aux « joies » de la lecture dans un élan d'esthétisme, ou par quête d'exotisme, mais pour que « l'écrit constitue un outil de leur interprétation du monde et de leur volonté de changement ». Vouloir augmenter le nombre des lecteurs adultes, est une ambition qui doit être soutenue par toutes les forces vives d'une commune. Cette instance est la seule qui puisse organiser les conditions de la mise en réseau des équipements présents et à créer : c'est là que chacun de nous est le plus « impliqué dans les réseaux croisés de la famille, du quartier, de la citoyenneté, de l'éducation, de la santé, du loisir, de l'information, de la consommation, de la vie associative, du travail et de l'activité militante ». Cette (longue) citation de notre projet de charte pour les villes lecture devait être faite ici pour marquer le sens que nous entendons donner à notre engagement, dans la mise en Ouvre des orientations définies par le rapport MIGEON. Jean-Pierre Bénichou
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