La revue de l'AFL Les actes de lecture n°27 septembre 1989 ___________________ note de lecture J'apprends
à lire : Pour la deuxième fois, nous sommes conduits à faire état de la parution d'un manuel de lecture pour le C.P. C'est qu'en effet, comme pour le précédent (Objectif lire, de B. LELOUCH et Ch. BLIER, à.L. n°15, septembre 1986, p.14), il n'y a rien auquel l'AFL ne puisse souscrire au niveau des principes qui ont présidé à l'élaboration de J'apprends à lire avec la Sorcière et moi. Le fait que cet ouvrage paraisse aux Éditions RETZ, avec la caution affirmée de François RICHAUDEAU, rend la chose moins étonnante et constitue déjà, à nos yeux, une garantie certaine. C'est ainsi que les auteurs, dans le préambule de la brochure destinée aux maîtres, précisent leur conception de la lecture et disent s'être appuyés sur la perception visuelle et la prise de sens pour éliminer tout recours à l'oralisation et à l'association graphèmes-phonèmes. Ils rappellent qu'il ne saurait y avoir de méthode d'enseignement de la lecture mais seulement des aides à l'apprentissage de l'enfant; et que cet apprentissage ne s'effectue que dans l'usage réel - et dûment justifié à ses yeux - que l'enfant a de ce moyen de communication qu'est l'écrit. Sans esprit polémique, mais fermement, sont exposés le caractère purement visuel de l'acte de lire, les méfaits de l'oralisation, l'importance capitale de la mémorisation visuelle, la place et le rôle de la combinatoire dans le processus individuel de découverte du code. Toute la stratégie pédagogique de P. ROSSANO et G. BOUYSSOU repose sur la lecture programmée d'une histoire dans laquelle l'enfant peut directement s'impliquer. Le matériel proposé se compose : . D'un ensemble de 128 fiches perforées destinées à constituer progressivement le classeur de chaque élève. Au recto de chaque fiche figurent un dessin illustrant un épisode (une simple phrase, au début) de l'histoire, la phrase elle-même en caractères d'imprimerie et en lettres cursives, enfin les modèles (minuscules et majuscules) d'une lettre de l'alphabet. Ainsi, selon les auteurs, «sans que la méthode soit en rien alphabétique ou syllabique, l'enfant est dès le début familiarisé avec l'alphabet et découvrira de lui-même la combinatoire». Au verso des fiches est imprimée en vert la totalité de l'histoire, la partie « connue » se détachant en noir. Les auteurs ont eu le souci de favoriser l'implication des enfants (leur intérêt pour le texte) en intégrant des personnages classiques de l'imaginaire enfantin dans un environnement contemporain et familier. . D'un livre d'exercices et de conseils pédagogiques pour le maître. Les exercices, que nous ne pouvons détailler ici, sont nombreux, variés, intelligemment conçus, tous destinés soit à faire "intégrer" et mémoriser l'écrit découvert, soit à mettre en place et à développer des comportements de "vrai lecteur". Ils sont destinés à être photocopiés. Dans les conseils au maître, les auteurs insistent beaucoup sur deux points. D'abord, l'apprentissage étant affaire individuelle, sur la nécessité de respecter les rythmes d'acquisition. Ensuite sur l'importance de la compétence langagière des enfants qu'il convient d'enrichir en permanence par des activités de communication parce que «l'enfant ne peut lire que ce qui lui est sémantiquement connu». Ce qui est vrai, surtout au début de l'apprentissage, et rejoint notre souci de développer ce que, dans notre jargon, nous appelons les 80 %. Mais il est vrai aussi qu'assez rapidement, la lecture ellemême, grâce à la familiarité avec l'écrit qu'elle confère, grâce au processus d'anticipation (qu'il faut aider à s'instaurer) et à l'effet de contexte peut contribuer à améliorer cette compétence langagière. La capacité de lire (de comprendre de mieux en mieux des textes de plus en plus diversifiés et complexes) « s'auto-alimente ». On apprend à lire en lisant mais il faut pour cela avoir à lire beaucoup, des écrits variés et nombreux, qu'on lira parce qu'on en aura besoin, qui ne seront pas limités à ceux qu'un manuel propose. On comprend l'insistance des auteurs, car on touche là aux limites d'un manuel, quel qu'il soit. Ce sur quoi on peut s'interroger à propos de celui-ci, c'est sur la possibilité réelle d'in-dividualiser un apprentissage à partir d'une progression aussi bien établie et qui fonde le travail du maître et des enfants sur la conquête intéressée d'un texte unique. Peut-on espérer maintenir une « implication », un « suspense » (ce sont les termes des auteurs) dans la découverte d'un écrit découpé pour des impératifs pédagogiques ? Au début, il était prévu un rapport interactif avec le texte grâce à l'utilisation de la télévision ou de l'informatique mais cette solution a été abandonnée pour des raisons de coût et d'étroitesse du marché. Certes, le système de fiches, permet, au sein d'une même classe, des progressions multiples mais comment éviter que les meilleurs élèves, parvenant à lire ce texte, n'y trouvent rapidement plus aucun intérêt et ne dévoilent son contenu aux plus lents ? Il y a là une difficulté pour préserver la fonctionnalité de l'écrit proposé que les enseignants et les auteurs ont dû résoudre puisqu'on nous dit que la méthode est le fruit d'une expérimentation de cinq années. Ces restrictions faites, il faut se féliciter de l'existence d'un tel matériel. Il offre, à qui le souhaite, un arsenal d'exercices puisés, on s'en doute, aux meilleures sources. Il sera surtout pour des enseignants de petites classes convaincus de la justesse de ses fondements théoriques et de ses principes pédagogiques, débutants ou isolés et qui hésitent à se «lancer», un exemple de « ce qu'on peut faire dans un C.P. », une traduction concrète au niveau des premiers apprentissages et, par conséquent, une aide précieuse pour des changements toujours difficiles. Les propositions de ce type ne sont pas si nombreuses pour qu'on n'en salue pas la parution. Michel Violet |